Résultats de recherche pour “Claire Legat” 91 à 120 (121)

Simone

Il est un air très vieux, languissant et funèbre... Nous avons tous à l'esprit l'un de ces airs, l'une de ces chansons, qu'évoque ici Gérard de Nerval. Pas nécessairement languissant et funèbre : il peut…

Chronique du rattachement de la Belgique au Congo,

Cela devrait se passer sur une petite place, derrière l’église Saint-Boniface à…

Petits tableaux d’une exposition

La Maison de la Francité est un lieu d'accueil où la vie circule. Le passage entre les deux bâtiments, l'ancien et le nouveau, concrétise…

RENCONTRE: La Bellone, un outil de réflexion pour la dramaturgie. Entretien avec Mylène Lauzon

Quand elle débarque en janvier 2004 à Bruxelles, il y a plus de dix ans, Mylène Lauzon ne sait pas qu’elle postulerait un jour à la direction de La Bellone. Formée aux Études littéraires, adjointe à la direction de compagnies de danse à Montréal, elle s’intéresse à la nouvelle narrativité et au rapport texte/image. Lors d’un passage à Copenhague en 2002, où elle conçoit des soirées « Noises in the dark » en lien avec l’architecture, le son et le mouvement, elle fait un saut à Bruxelles et y noue des liens avec le dessinateur Thierry van Hasselt. Celui-ci la met en contact avec Karine Ponties. Les saisons passent, les deux femmes se retrouvent à Montréal. Là, Karine lui propose de travailler un an à Bruxelles sur la dramaturgie et le développement de sa compagnie Dame de Pic. Le sommet de leur collaboration sera Holeulone, en 2006, spectacle pour lequel Mylène écrit aussi des textes. On retrouve ensuite la Québécoise à Mons, au Centre des Écritures contemporaines et numériques 1 . Elle y est adjointe à la direction, « en somme, responsable de tout », c’est-à-dire des formations, des résidences, des festivals et de la gestion d’équipe. « Ma répétition générale avant la Bellone », reconnait-elle dans un rire. Mylène a aussi été danseuse en France en 2007 et 2009 et performeuse pour Sarah Vanhée à Bruxelles. De son aveu « une expérience indispensable pour comprendre de l’intérieur » les métiers de la scène. Au final, elle aura pratiqué presque tous les métiers qui tournent autour de la création : « la moitié de mon corps est dans la création, l’autre, comme opérateur culturel ». Écrire, dit-elle Sa dernière commande littéraire remonte à une collaboration avec Anne Thuot en 2014. « Je n’ai pas écrit depuis », dit-elle, mais cela ne semble pas lui manquer. « Il y a des gens qui se définissent par leur pratique. J’ai toujours fait plein de choses, je ne me fixe pas dans une identité. J’ai d’ailleurs tout autant l’impression d’écrire en faisant de la programmation. En agençant du sens au service de la poésie. Toutes ces pratiques sont interchangeables, même si je ne m’y engage pas de la même façon. Je ne suis pas attachée aux formes. L’important est avec qui je travaille et pour qui. » Sa candidature à la direction de La Bellone marque un tournant dans son parcours, motivée par « l’envie d’avoir des responsabilités, de diriger un lieu, d’avoir un regard transversal. J’étais prête », affirme-t-elle. Elle conçoit sa mission comme un travail autour et avec « de l’humain, de l’intelligence du vivre ensemble », comme la mise à disposition « d’un bel endroit pour accueillir des gens ». Une maison d’artistes ? Quand on la questionne sur le regard qu’elle porte sur sa ville d’adoption, elle pointe avant tout le bilinguisme, moteur de tension créative et artistique. « Bruxelles est une ville où se vivent des fondements identitaires. On se définit par rapport aux autres. Ce qui engendre une vitalité. Comme Montréal, Bruxelles est traversée au quotidien par ces questions. Mais Montréal est isolé tandis que Bruxelles est au cœur de l’Europe. Il y a ici une circulation de population artistique incroyablement riche. » Cette richesse s’inscrit toutefois dans un cadre institutionnel. La Bellone a cette particularité d’avoir des représentants de la Cocof, de la Ville de Bruxelles et de la FWB au sein de son Conseil d’administration 2 . Cela entraine des missions centrées « sur l’ancrage local, sur l’ouverture et l’enregistrement de traces », via le Centre de documentation. « Toutefois, La Bellone se donne ses propres misions, insiste Mylène. Je suis actuellement sur les deux dernières années d’une convention de quatre ans. En 2017, je proposerai un nouveau projet. » En effet, après quatre années de mise en veille et de redressement financier, l’outil devait être réanimé. Sous la tutelle de Laurent Delvaux, chef de cabinet de l’échevine de la Culture de la Ville de Bruxelles, et de la directrice faisant fonction, Barbara Coeckelbergh, la Maison a dû faire un certain nombre de sacrifices afin d’assainir ses comptes. L’équipe, elle, sans projet et au futur incertain, était dans l’attente d’un élan. Et cette attente fut longue. « Même par rapport au secteur, il y reste beaucoup d’attente, voire un peu de pression. » Le projet de Direction, en effet, demande à être réfléchi. Car La Bellone reste « un outil lourd avec un petit budget artistique ». Soutenue presqu’à part égales par les trois instances à hauteur de 380.000 euros, la Maison ne réserve qu’une part minime aux accueils et aux activités artistiques. « Or, tous les artistes qui viennent travailler à La Bellone y déploient leurs efforts, leur temps et leur intelligence. Mais je n’ai ni les moyens de valoriser ce travail ni de le rendre visible. » La Bellone met actuellement à disposition des espaces dans le studio, la cour ou la galerie - le seul endroit où l’on peut diffuser des œuvres finies. L’idéal serait de pouvoir rémunérer tous ceux qui viennent travailler et partager leur savoir. « Pour l’instant je finance de la recherche fondamentale : trois semaines avec une question, sans rencontre avec le public. L’idée à terme est de communiquer sur la recherche comme service à la société. Il ne s’agit pas que d’enjeux esthétiques mais aussi politiques et sociaux. On est citoyen avant d’être artiste. » Remettre le signifiant au centre Le point névralgique de cette politique est le Centre de documentation. Ce dernier recense dans les quotidiens et les revues spécialisées tout ce qui se passe sur les plateaux, ce qui permet des recherches variées en dramaturgie. Actuellement, sa principale clientèle se compose de chercheurs universitaires en politique culturelle. « Le Centre n’est pas un service lié à un besoin de mémoire en tant que telle mais un outil de recherche en théâtre, un outil qui peut nourrir le questionnement actuel », précise Mylène. S’il stocke un volume important de papier, il faut se rappeler qu’il a été créé au moment où Internet n’existait pas. Maintenant que des plateformes multiples existent (telles que les sites des théâtres ou des méta-sites sur la production contemporaine), se pose la question du service offert à la population par le centre de documentation. « Il doit se recentrer sur des services que d’autres ne font pas, interroger son public et produire de l’analyse, des critiques sur les politiques culturelles via le web ». La Bellone deviendrait-elle un centre de discours sur le spectacle ? « Oui, mais qui permet de produire son propre discours. Ma priorité actuelle n’est pas, par exemple, de produire un spectacle d’art numérique mais plutôt d’organiser une conférence sur la culture numérique, pratique qui n’a pas encore interrogé toutes ses ramifications, que ce soit du côté de l’art ou de la neurologie. Il faut créer des états des lieux, poser la question Où en est-on dans sa pratique? afin de prendre le temps de mesurer le geste qu’on pose dans le monde. » Mylène veut remettre l’étude du signifiant au centre des préoccupations : « C’est cela qui manque à la communauté : un outil qui réfléchit à la dramaturgie. Comment fait-on pour avoir un corpus artistique signifiant ? » Des collaborations choisies En marge de ce travail, la Bellone doit-elle remplir des fonctions de défense des professions de la scène? « La Maison n’a pas vocation de représenter un corps de métier. Je suis une généraliste : elle doit rester un outil de ressources transdisciplinaires. On doit s’attacher à créer du lien et à mutualiser. Mais je ne suis pas convaincue par les fusions. Le CIFAS, le Guichet des arts, le Centre de Doc, Contredanse font chacun du bon travail. Ce qui est important, c’est que ces associations résidentes vibrent à La Bellone. Je ne crois pas aux coupoles mais bien à la multiplicité des initiatives et des échanges, aux mutualisations, aux…

Le préfixe verbal dè dans le vocabulaire d’un village du Sud gaumais (Ethe-Belmont, Vi 33)

Comme en français , mais sous la seule forme dè, ce préfixe verbal marque le plus souvent la séparation, la privation, l’opposition comme dans dèpaviner « enlever la pavine, c.-à-d. le chiendent », dèboûoner « enlever les bornes », dècouver « empêcher de couver », dèfèssi « enlever les éclisses », dèbôrer « ouvrir », s’ dèmarier, « divorcer », dèfirnower « défaire un nœud compliqué », dèbrâyi « desserrer le brâyûœ, c.-à-d. le dispositif de serrage (du chariot de culture) », dèhaler, antonyme de ahaler « embarrasser ». Ce dè à valeur d’opposition concerne bien entendu beaucoup de verbes, mais en moins grand nombre qu’on pourrait le croire. Ne rentrent pas dans cette catégorie majoritaire des verbes où on distingue sans peine le verbe simple sur lequel ils sont formés, mais sans qu’il s’agisse d’une action simplement contraire. Ainsi dèwâti ne signifie pas « ne pas regarder », mais « regarder de travers », dèbèni non pas « retirer une bénédiction », mais « vitupérer », dèbatiji (au part. passé) non pas « débaptisé », mais « remis d’une bonne cuite ». D’autres verbes, pour lesquels on pourrait s’attendre à ce qu’ils aient valeur d’opposition, n’ont pas d’autre sens que le verbe simple : ainsi dèguîter (dèguîder) comme guîter (guîder) signifie « tirer au sort », dèpicoter n’ajoute (apparemment) rien à picoter, dèlibèrer signifie « délivrer » comme le verbe simple et il en va de même pour dèmôdi, « maudire ». Citons à l’inverse le cas de dètchanter qui, lorsqu’il est transitif, a le sens d’« annuler le caractère favorable de la chanson » (dans la quête des petites filles au mois de mai) et le même sens qu’en français « déchanter » quand il est intransitif. À la jonction du dè à valeur d’opposition, de privation, etc. et du dè à valeur intensive dont il va être question, on trouve un certain nombre de verbes qu’on ne peut clairement classer dans l’une ou l’autre catégorie : ainsi en va-t-il, semble-t-il, de dèbrôler « démantibuler », s’ dèwayiner « perdre ses plumes », dèparpîr « répartir », dègrôbouyi « démêler, débrouiller ». Dans une seconde catégorie, où la notion d’opposition est absente, dè a valeur intensive. Moins nombreux, ces verbes expriment la répétition, la multiplicité ou d’autres nuances souvent difficiles à préciser lorsqu’il s’agit de les traduire, mais dans la plupart des cas, leur force expressive est évidente : s’ dèbaver, c’est « baver en se souillant », s’ dèbagni, c’est « s’éclabousser ». Ce dernier a un correspondant non pronominal et transitif, dèbruchi, formé sur bruche « brosse » qui outre le sens de « brosser à grande eau » peut aussi signifier « éclabousser » (comme on le fait p. ex. en manipulant vigoureusement une brosse de rue sur une surface humide). De dècahoter (comme de sa variante dèclahoter), qui semble ne rien ajouter à la forme simple cahoter, ne peut-on dire qu’il a bien un pouvoir expressif dans son idée de répétition, de durée : on s’ fayout dècahoter su la tcharète (sous-entendu tout le long du chemin) ? On peut à ce stade opérer une distinction entre le dè qui a bien sa valeur intensive, et souvent expressive, et le dè qui n’ajoute rien à la forme simple. C’est ainsi que campoûssi et dècampoûssi ont tous les deux le sens de « bousculer, houspiller », sans qu’on puisse distinguer quelle nuance pourrait les séparer. Chalmarder et dèchalmarder signifient sans distinction de sens « couper sans soin, déchirer ». S’ dèlamanter n’ajoute rien à s’ lamanter et dègatîr ou dègatouyi rien à gatîr, gatouyi « chatouiller ». Par contre, dè a bien sa valeur intensive dans les verbes qui suivent : dèssoyi, ce n’est pas simplement ‘scier’, mais ‘scier un ensemble’ (fôrè fâre dèssoyi l’ bos). Et il en va de même s’il s’agit, ce tas de bois, de le dèfade, de le « fendre ». Dèguèrnouyi, ce n’est pas seulement « gaspiller », mais « gaspiller tout son avoir » (il è dèguèrnouyi tout ç’ qu’il avout). Un des sens de dèhatchi, c’est « enlever complètement, faire le vide », alors que hatchi signifie simplement « tirer ». Dans le registre du peu ragoûtant, dèchiter, c’est « couvrir de chiures », dècratchi « postillonner » et dèpichi « compisser ». Dans celui de la déchirure et de la lacération, on peut recenser dègaler « gratter » (avec l’idée de dégâts), dèmougni « grignoter, ronger », dèbètchi « piquer de coups de bec », dètrower « trouer à de multiples endroits », dègrimer « griffer en utilisant plusieurs doigts ». Ajoutons, pour faire bonne mesure et en terminer avec le dè intensif, dèhoper « appeler avec insistance », dèpoûssi « pousser de manière répétée », dèmazeurer « abattre un vieux mur ». Un certain nombre de verbes enfin, à première vue du moins (mon propos n’étant pas de pousser l’analyse plus loin), sont difficiles à classer dans la catégorie des dè "oppositifs" ou des dè intensifs. Ce sont tout d’abord des verbes dans lesquels on ne discerne pas a priori de quoi ils sont composés : dèhantiver « humilier », s’ dèhambrer, « se remuer, se dépêcher », dènorter « décourager », s’ dèlôner « se défaire d’un vêtement ». Ce sont ensuite des verbes où le dè semble être le résultat d’une agglutination avec un verbe dont l’initiale est è, que le verbe "simple" existe avec le même sens, répertorié sous e (dècloûore « éclore », s’ dèchiner « s’échiner », dègrîéner « égrener », dèfacer « effacer », dètriper « étriper », dèganler « ouvrir » [dans dèganler l’ lit] ou « éparpiller » [dans dèganler l’ fûœ]) ou qu’il ne le soit pas (dèbôchi « ébaucher », dèfilotchi « effilocher », dèssoliner « aller sans but et solitaire »). En conclusion : classer les verbes formés à l’aide du préfixe verbal dè (ou dont la première syllabe est dè) n’a rien d’aisé. Peut-être y avait-il quelque prétention à le tenter ? Ce travail peut avoir, au moins, le mérite de montrer la complexité de l’entreprise. À preuve, peut-être, ce dernier exemple : dans quel "tiroir" ranger dècugni dont le sens pourrait être « heurter de manière répétée », mais qui signifie « heurter du coude » ? © Jean-Louis Laurent (Ce texte a fait l’objet d’une communication à l’assemblée générale de la SLLW le 9 décembre…

Témoigner la monstruosité de la Shoah. Le devoir de mémoire et de transmission de Vincent Engel et Françoise Lalande

Introduction [page 37 de la version papier]  Dans son essai Fiction : l’impossible nécessité, Vincent Engel XX signale que « le discours sur la littérature de la Shoah est dominé par une insistance sur l’incapacité de ce discours et plus particulièrement sa déclination artistique » XX . De fait, le judéocide fut une expérience d’une monstruosité telle qu’elle paraît se situer au-delà de tout ce qui est humainement imaginable, dicible et transmissible. Cependant, ces trois concepts, Engel les qualifie comme des mots qui ne trahissent que notre incapacité à imaginer, dire et transmettre, « des mots qui ne disent rien sur ce qu’on entend qualifier à travers eux » XX .  Méditant sur le caractère toujours inédit et unique de l’expression de l’indicible, Engel montre comment le parcours du narrateur imaginé par Jean Mattern dans Les Bains de Kiraly XX (2008) atteste que, s’il est possible de surmonter la détresse en construisant un discours sur un événement apparemment inimaginable, indicible et intransmissible, le dépassement de cet inénarrable passe nécessairement par l’élaboration d’un récit personnel. Dans cette étude, nous nous proposons de nous faire l’écho des témoignages de deux voix majeures des lettres belges actuelles, deux romanciers [page 38 de la version papier] appartenant à des générations différentes mais dont les familles, juives, éprouvèrent dans leur chair et leur âme les atrocités nazies : Vincent Engel (°1963) et Françoise Lalande-Keil (°1941). Vincent Engel: Respecter le silence des survivants – Vous pourriez le laisser en prison, l’envoyer en Allemagne, dans un camp... – Vous ne connaissez pas les camps, monsieur de Vinelles ; sans quoi, je crois que vous me supplieriez de le fusiller sur-le-champ   plutôt que de l’y envoyer XX ... Cette réplique de Jurg Engelmeyer, un officier allemand qui a ordonné l’exécution d’un jeune garçon en représailles aux actes commis par son père résistant, ne montre-t-elle pas que la monstruosité du nazisme hante le parcours romanesque de notre auteur pratiquement depuis son début ? Dans son article intitulé « Oubliez le Dieu d’Adam » XX , Engel relate qu’au cours de ses études de philologie romane à l’Université catholique de Louvain, son père lui offrit Paroles d’étranger d’Élie Wiesel, une lecture qui le bouleversa : Par le silence de mon père, par son indifférence à la chose religieuse, je redécouvre le judaïsme. Dans les livres, d’abord, au CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif) ensuite. Et Dieu se voile d’un drap sombre : celui de la souffrance à la puissance infinie d’Auschwitz. Toutes les souffrances se mêlent : celle de ma mère [décédée d’un cancer quelques années plus tôt], celle de la famille de mon père disparue dans les camps. (Idem, p. 72) Pourquoi parler d’Auschwitz ? Cette question, Engel s’astreindra à y répondre dès que cette réalité s’imposera à lui comme une « expérience marquante » bien que non vécue personnellement. La lecture et l’étude approfondie de l’œuvre de Wiesel imprimeront sur sa vision de la Shoah « un vocabulaire et des évidences : un monde était mort à Auschwitz, une société y avait fait faillite, et plus rien ne pouvait être comme avant » XX . D’où la nécessité, poursuit Engel, de « repenser le monde, refonder la morale, instaurer des conditions nouvelles pour la création artistique – pour autant qu’elle fût encore possible XX –, forger des mots neufs pour prononcer l’imprononçable [page 39 de la version papier] [...] » (idem, p. 18-19). D’autres évidences surgiront progressivement dans l’esprit de celui pour qui Auschwitz deviendra vite « une obsession » : celles de constater que la masse des documents publiés « n’ont guère servi à éduquer les gens » (idem, p. 20-21) et que les descendants des survivants, qui ont pour tâche de reprendre le flambeau du témoignage, doivent « trouver d’autres moyens d’expression, car ils n’ont pas vécu l’épreuve » (idem, p. 19). Si ses travaux scientifiques XX lui permirent d’« épuiser » la question « épuisante » de la responsabilité de Dieu devant le génocide juif ou, en tout cas, de tourner une page (ODA, p. 72), par après, c’est principalement à travers la fiction qu’Engel poursuivra cette interrogation sur la Shoah. Une interrogation qui trouve donc sa source directe dans la tragique histoire familiale et dans une identité juive ashkénaze fort ancienne. Comme il le détaille dans quelques interviews et articles XX , ses ancêtres paternels, polonais, étaient des juifs religieux appartenant à la bourgeoisie aisée. Bien que la situation dût se dégrader après la Première Guerre mondiale au cours de laquelle la famille se réfugia à Budapest où son père naquit en 1916, ils sont une famille juive inscrite dans le processus d’assimilation propre à cette période et à leur classe sociale ; les enfants fréquentent des écoles où ils côtoient la bourgeoisie polonaise catholique. Une intégration donc plutôt réussie mais qui n’empêchera pas leur déportation au début des années quarante. De toute la famille paternelle survivront un seul oncle, communiste avant la guerre et rescapé des camps, qui s’en ira faire sa vie à Los Angeles et y deviendra religieux orthodoxe, ainsi que le père de Vincent Engel, parti poursuivre ses études en Belgique vers 1938 et qui, après avoir passé la guerre dans les forces belges de la R.A.F, décidera de s’y installer définitivement : « Plus tard, il me dirait : “N’oublie pas que, pendant la guerre, des Juifs se sont battus”. » (Idem, p. 70.) Quand, à quarante ans, il rencontre son épouse, celle-ci, bien qu’appartenant à une bourgeoisie catholique bruxelloise imbue de solides préjugés, propose de se convertir au judaïsme. Une proposition qui sera rejetée par l’intéressé pour des raisons sur lesquelles l’écrivain ne peut que conjecturer : [page 40 de la version papier] Son athéisme s’était certainement renforcé à l’épreuve de la guerre et des camps. Ou bien, comme d’autres, refusait-il d’inscrire dans une telle tradition de martyre des enfants à venir. Ou bien, plus pragmatiquement, avait-il jugé que les meilleures écoles, à son avis, étaient catholiques. Hypothèse que conforte non seulement le refus de la conversion de sa femme, mais aussi le fait que ses enfants seraient baptisés, inscrits dans des écoles catholiques et feraient leur profession de foi. (Idem, p. 70-71) Une profession de foi qui, chez l’adolescent Engel, ne va pas de soi ! La découverte de l’œuvre de Wiesel et la relecture de Camus lui permettront de régler progressivement le conflit qu’il entretient avec ce christianisme qui prône la soumission, ferme les yeux sur les injustices les plus flagrantes – « Questionner Dieu sur la souffrance, celle d’Auschwitz ou celle de ma mère, accroît l’obscénité de la souffrance, puisque Dieu n’intervient pas et ne répond pas » (idem, p. 74) – et transmet à tous un goût certain pour la culpabilité. Ce qu’Engel (re)découvre dans Camus, la fausseté de la question de Dieu tout comme le devoir pour tout un chacun de suivre un cheminement éthique exigeant, n’est-ce pas en définitive ce que son père lui a transmis ? Évoquant ailleurs la figure paternelle, Engel insiste d’une part sur la certitude de celui-ci « qu’il n’y a pas de droits de l’homme sans le respect de devoirs, et de liberté sans responsabilité » ; d’autre part, sur « [son] impossibilité de dire à ses proches qu’il les aimait ». Et, ajoute-t-il, « pour ce qui est du judaïsme, un silence réduit à l’essentiel. [...] Mais un silence capable de faire passer le judaïsme, le sien, auquel son cadet au moins adhérera pleinement après ses vingt ans » XX . Car ce qui séduit Engel dans le judaïsme, c’est le fait qu’il représente « un rapport à l’existence particulier, une éthique qui met l’homme au centre de tout »…

"Roman traduit de l'arabe" ou "des arabes"?

Contrairement à une idée reçue profondément ancrée tant dans l'esprit des non-arabophones que des arabophones eux-mêmes,…

Ethnographie gourmande de la Ducasse montoise

[p. 243  version papier]  Dissipons un malentendu , pour commencer : je ne suis pas, parce qu’africain, investi d’emblée…

Georges Simenon et Pierre Assouline

Le vrai critique serait un personnage qui se promènerait silencieusement dans l’histoire racontée et en saisirait tout ce que l’auteur…

Thilde Barboni: Sciences en bandes dessinées

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Rousseau et les Lumières contrariées

Les « moi » successifs (obsessionnels ?) Identifier la personnalité de Jean-Jacques Rousseau n'est pas simple. L'approche de l'œuvre…

Georges Simenon et Stanislas-André Steeman

1. LES CHEMINS PARALELLES En comparant le cheminement de ces deux « géants », non seulement du roman criminel, mais…

La ménopause des fées. L’intégrale

Depuis la disparition de la forêt de Brocéliande, Merlin l’Enchanteur s’est réfugié dans la station de métro du même nom à Paris (nous sommes…

Le spanglish / 1

Ilan Stavans Illustré par

Ilan Stavans, l’auteur de cet article, paru en espagnol dans le numéro 389 d’octobre 2013 de la revue Revista de Occidente, a aimablement accepté qu’on en publie une traduction française,…

Apéro Poésie Nomade – Congo Eza & Manza, Leila Duquaine et Lisette Ma Neza

Nous avons souhaité parsemer l’année de paroles de créateurs, en lien avec la programmation des Midis de la Poésie . Deuxième étape avec Joëlle Sambi , autrice, poétesse, activiste qui, en trio avec Congo Eza, interroge son lien-frontière au Congo et à la Belgique et propose avec Aru Lee pour les Midis une sélection de textes des voix emblématiques de l’afroféminisme : Maya Angelou , Angela Davis , Audre Lorde , etc. Nous avons souhaité parsemer l’année de paroles de créateurs, en lien avec la programmation des Midis de la Poésie . Deuxième étape avec Joëlle Sambi , autrice, poétesse, activiste qui, en trio avec Congo Eza, interroge son lien-frontière au Congo et à la Belgique et propose avec Aru Lee pour les Midis une sélection de textes des voix emblématiques de l’afroféminisme : Maya Angelou , Angela Davis , Audre Lorde , etc. Ton engagement ou ta pratique d’écriture, lequel a surgi en premier ? Joëlle Sambi : Je ne me suis pas tout de suite définie comme écrivaine. Par contre, vers l’âge de douze ans, je rédigeais déjà plein de poèmes. J’avais ce qu’au Congo on appelle des « cahiers de plaisir », qu’on s’échange entre copines, on y note des petits mots, on y dessine. C’était avant même d’avoir conscience de ce que j’écrivais ou de la portée politique que pouvait avoir l’acte d’écriture. Mais très jeune, dans le choix de mes études, il y avait quelque chose de cet ordre-là. Faire le droit c’était quelque chose d’hyper-noble, la défense du faible. Finalement je n’ai pas choisi cette voie mais la communication : peut-être que le droit représentait aussi pour moi des textes de lois, des règles, quelque chose d’assez cadenassé ou enfermant dans lequel je ne me voyais pas évoluer. J’avais besoin de la liberté, d’une certaine créativité libérée que je peux avoir en écrivant, et c’était assez compatible avec le travail de communicant ou même de journaliste. Dans Sister Outsider, Audre Lorde rappelle : « Pour les femmes cependant, la poésie n’est pas un luxe : c’est une nécessité vitale. » À quel moment t’es-tu rendu compte de la portée que pouvait avoir le fait d’écrire ? J.S. : Je ne connaissais pas Audre Lorde à l’époque, et je ne me rendais sans doute pas compte au départ de cette « nécessité vitale ». Ce qui est sûr, c’est que je me rappelle très bien d’une phrase que j’ai écrite très jeune : « L’écriture c’est ma drogue et je mourrai certainement d’une overdose ». Écrire a toujours été une manière pour moi de mettre le monde à distance, de questionner les violences qui l’habitent mais aussi à mesure que je plonge dans les luttes féministes, de les dénoncer. Ecrire c’est aussi un onguent. La poésie n’est pas un luxe, c’est une manière d’affirmer ma place de femme noire lesbienne dans une société qui pense pouvoir me maintenir au bas de l’échelle. Après, je suis extrêmement consciente de ma position, de mes privilèges. Je m’étais dit très jeune que je voulais publier – ça avait peut-être quelque chose d’égocentrique, cette envie d’objet et de laisser une trace. Il n’y a pas, dans mon parcours, de moment précis où je me suis rendu compte de la portée de mes écrits, d’ailleurs, je ne sais pas trop ce que cela signifie. Ce qui est certain c’est que parfois les mots voyagent, ils touchent, résonnent d’une certaine manière et permettent les rencontres. Si les feuilles que nous noircissons, si l’air que nous remplissons de nos voix en slam ont cette portée alors non, ce n’est pas du luxe. Audre Lorde. Dans ce même passage, Audre Lorde dit aussi : « La poésie est le chemin qui nous aide à formuler ce qui est sans nom, le rendant ainsi envisageable. » J.S. : Cela le rend envisageable et j’ai presque envie de dire, universel. Pour Axelle Magazine, on nous a demandé d’écrire un petit texte sur une auteure qui aborde des questions de racisme. Très vite, j’ai pensé à Audre Lorde ou à des auteures qui sont plutôt connues. Mais j’avais envie d’aller chercher ailleurs et en creusant, j’ai repensé à Warsan Shire, qui a des parents somaliens, est née au Kenya, et qui vit en Grande-Bretagne. Elle a écrit un recueil qui s’appelle Teaching My Mom To Give Birth. Dedans, il y a un poème, Conversations about Home (At the deportation center), où elle parle des préjudices qu’elle rencontre en tant que femme noire en Grande-Bretagne. En lisant un peu sa biographie, on se rend compte qu’elle est arrivée là-bas à 2 ans, que la Somalie ou le Kenya ne sont pas des réalités qu’elle a vraiment vécu de l’intérieur, mais l’expérience dont elle parle dans ce poème-là en particulier, je m’y retrouve. C’est fou combien les mots parlent de nos expériences à tous. La poésie, on en met les fragments les uns à côté des autres et puis ça retentit d’une certaine façon – il y a mille façons, mais l’important est là : dans la résonance. Dans un entretien à propos de ton roman Le monde est gueule de chèvre , tu précisais : « Je pense qu’il est important de rester en colère ». Comment envisages-tu cette imbrication entre l’écriture et ce sentiment ? J.S. : C’est drôle, cette discussion date déjà un peu et du coup, je me demande à quel point ça a évolué. Pour moi, la colère, c’est le moteur et l’essence. Je ne sais pas si elle a mûri, mais elle se traduit autrement. Au moment où j’ai écrit le roman, j’étais très en colère, mais elle était presqu’en surface. Récemment, il y a eu la Reclaim The Night à Bruxelles, avec l’attaque de la police de 1000 Bruxelles qui m’a mise hors de moi. Suite à ça, j’ai pondu un texte à chaud que je n’aurais pas écrit autrement. Attention, je n’ai pas besoin de me faire taper dessus pour être dans cette disposition. Mais je sais que le jour où j’arrêterai d’être en colère, j’arrêterai d’écrire. Je sais qu’elle me nourrit, que c’est une compagne. On dit toujours qu’elle est mauvaise conseillère : je veux bien le croire. Il n’empêche qu’elle est là. C’est un peu comme quand tu regardes ces dessins animés où tu as d’un côté le diable et de l’autre côté l’ange et je ne sais pas dans quel pôle ma colère se situe, mais en tout cas, elle est perchée sur mon épaule. Congo Eza. D’où vient le nom du trio collectif Congo Eza ? J.S. : C’est un projet initié par Rosa Gasquet, metteur en scène, qui travaille avec Lézarts Urbains. Je l’ai rencontrée l’année dernière pour Décolonie Apostasie, un projet où je montais sur scène à Bozar avec les étudiants de l’Ecole de Recherche Graphique de Bruxelles qui organisait son séminaire annuel . Rosa m’a coachée, elle m’a appris à dire mes poèmes sur scène, elle a ouvert les portes du slam et c’est encore un dévoilement autre que sa propre écriture. Un des poèmes que j’ai dit lors de cette restitution d’atelier s’appelle Congo Eza. Ça veut dire « Le Congo existe ». C’était une évidence, un poème où je dis que le Congo est un pays, et qu’on a tendance parfois à l’oublier. La Belgique aussi d’ailleurs est un pays, mais elle flotte au-dessus de la réalité, tandis que le Congo est une diaspora... en colère, encore la colère. Ce poème est toute une déclinaison de ce qu’est le Congo dans mon œil. Rosa avait par ailleurs déjà accompagné Lisette Lombe, une slameuse liégeoise et Badi, un rappeur bruxellois. Ça faisait trois univers, trois voix qu’elle avait envie de voir sur scène, avec des textes qui ont des résonances. De là est née l’idée de faire ce collectif et tout naturellement de l’appeler Congo Eza, puisqu’on est tous les trois d’origine congolaise, avec tout ce que ça implique de tiraillements. Le spectacle dure 40-45 minutes, et parle de ce que j’ai pour l’habitude d’appeler « cette position confortablement installée le cul entre deux chaises ». De ce rapport d’amour-haine, la Belgique, le Congo. On sent que la multiplicité d’identités est une thématiq…

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