Passa Porta, c'est la maison internationale des littératures à Bruxelles. Marie Ponçon a rencontré Adrienne Nizet, l'une de celles qui rendent possible cette formidable passerelle entre les cultures.
Passa Porta, c'est la maison internationale des littératures à Bruxelles. Marie Ponçon a rencontré Adrienne Nizet, l'une de celles qui rendent possible cette formidable passerelle entre les cultures.
D’où est venu l’idée de créer Passa Porta ?
À l’origine de Passa Porta, il y avait une association flamande, Het beschrijf. Elle poursuivait deux objectifs : faire découvrir la littérature, mais aussi Bruxelles. Tout ça fonctionnait assez bien à la fin des années nonante, début des années 2000, mais Paul Buggenhout, son fondateur, estimait que si l’on voulait vraiment s’ouvrir sur l’Europe, puis sur le monde, il était vraiment essentiel de le faire ensemble, francophones et néerlandophones.
Une nouvelle association francophone a donc été créée en 2004, pour former Passa Porta. Par la suite, il y a eu beaucoup d’aménagements nécessaires pour trouver la bonne façon de fonctionner. Aujourd’hui on a deux ASBL, une néerlandophone qui s’appelle Passa Porta NL et une francophone qui s’appelle Passa Porta FR, mais qui forment bel et bien une seule équipe.
Quel est le rôle de Passa Porta, pour Bruxelles et dans le monde ?
C’est une énorme question ! Le sous-titre de Passa Porta est « Maison internationale des littératures à Bruxelles » et je crois que chaque mot a son importance… C’est donc une « maison », avec des bureaux, des salles de réunion, des résidences, une librairie. Il est important de mentionner que la librairie est une structure juridique à part, une structure commerciale. Nous ne le sommes pas, nous recevons des subsides, contrairement à elle qui s’autoalimente et vit indépendamment. Toutefois c’est un partenaire de choix, puisqu’on y organise nos soirées.
On tient aussi à la notion d'accueil : il y a des auteurs en résidence, mais aussi des réunions d’éditeurs qui prennent place ici, tout comme nous recevons régulièrement des demandes de la part de journalistes pour faire leur interview ici, dans nos locaux, parce que c’est un point central à Bruxelles.
« Internationale » : c’est une priorité, on s’intéresse de très près aux auteurs belges, francophones ou néerlandophones, mais on tient à les placer dans un contexte international, soit en les présentant à un public mixte, soit en leur faisant rencontrer des auteurs étrangers. Lors du festival Passa Porta, il y a plus d’auteurs belges proportionnellement, mais ils sont traités comme des auteurs internationaux.
Ensuite il y a vraiment cette volonté de promouvoir les « littératures », clairement lié à la question du plurilinguisme. Au quotidien c’est parfois un défi, car toute l’équipe communique en français et en néerlandais en permanence : il y n’y a pas de règle définie, mais ça fonctionne assez bien. C’est également l’ouverture à l’anglais, au russe, à l’espagnol. Je pense que c’est l’intérêt et la particularité de Passa Porta, à Bruxelles d’abord, parce qu’il n’y a pas énormément d’institutions culturelles bilingues, et aussi à l’international.
Enfin « à Bruxelles », car il nous semble que le projet Passa Porta n’a de sens qu’à Bruxelles. On a parfois des activités en Wallonie ou en Flandre, mais il nous semble que cette ouverture sur le monde, ce rapport entre le Nord et le Sud, cette perméabilité entre les langues : c’est ici, à Bruxelles, qu’elle prend tout son sens !
Concrètement, quelles sont les activités de Passa Porta ?
Il y a cinq « piliers », si l’on met la librairie de côté. Le premier, ce sont les soirées littéraires : on en organise une soixantaine par an, surtout ici dans la librairie qui peut accueillir une cinquantaine de personnes, mais aussi à Flagey, où l’on peut accueillir jusqu’à 800 personnes.
Il y a ensuite les résidences : on a en permanence deux auteurs internationaux dans deux appartements dédiés à cela. C’est quelque chose qui est peu visible de l’extérieur, mais qui est d’une importance capitale, puisque l’on donne le temps de la création aux auteurs. Il y a énormément de livres qui sont écrits ici ̶ le livre emblématique du programme de résidence est celui de Jonathan Coe, Expo 58. Récemment l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert a publié Avant que les ombres s’effacent, qu’il a également écrit ici. On profite bien entendu que les auteurs soient en résidence pour leur faire rencontrer le public.
Le troisième pilier, c’est le festival, tous les deux ans : une centaine d’auteurs rassemblés sur un week-end ̶ donc c’est un peu fou !
Le quatrième pilier, c’est tout ce que l’on appelle « Le Lab » : un laboratoire composé d’ateliers d’écriture, de clubs de lecture, etc. Donc ce sont de plus petits groupes, une dizaine ou une vingtaine de personnes, mais où le rôle du public est beaucoup plus actif.
Et enfin, le réseau international, parce que Passa Porta est impliqué dans plusieurs projets d’envergure internationale, avec des festivals de littérature par exemple, ce qui est aussi une grosse partie de notre travail.
Avez-vous l’impression que Passa Porta a réussi à rassembler au-delà de la barrière linguistique ?
Oui, mais je pense que c’est vraiment un challenge. Et puis la littérature, par définition, est liée à la langue. Un livre se lit dans une langue et il faut choisir cette langue. Chacun préfère lire dans la langue où il se sent le mieux, donc a priori sa langue maternelle ̶ parfois une deuxième et même une troisième, mais ça reste quand même assez rare. Ce que l’on voit, par contre, c’est que nos publics sont mixtes, et ça c’est vraiment quelque chose dont on est fiers. Par exemple, si l’on invite un auteur, que ce soit un auteur international, un auteur belge francophone ou un auteur belge néerlandophone, on va entendre plusieurs langues se répondre dans la salle. Et pour nous c’est une vraie victoire : je pense que c’est quelque chose d’assez spécifique à Bruxelles et à notre maison.
Existe-t-il une différence « littéraire » entre néerlandophones et francophones ?
Je ne saurais pas dire. En revanche, il existe une réelle différence dans les processus de traduction : les néerlandophones savent que le public néerlandais, dans sa grande majorité, peut lire en anglais. Donc les traductions vont beaucoup plus vite. Par contre, là où se resent l’impact de Passa Porta, c’est qu’il y a beaucoup de textes qui « passent » par nous : on est aussi un point de contact pour le milieu littéraire, par exemple pour un éditeur qui va découvrir un texte, ou demander un conseil.
Quels sont les défis posés par l’aspect bicommunautaire de Passa Porta ?
Cela reste toujours à travailler : récemment, en 2016, on a déposé les statuts des deux ASBL en miroir. Et ça, c’est déjà un pas énorme puisque ça signifie que maintenant, il y a les mêmes fonctionnements, les mêmes instances de décision, etc. Auparavant, il y avait des cahiers des charges légèrement différents... Reste qu’il y a des pouvoirs subsidiants différents, donc qu’il reste des différences d’articulation, mais au sein du même projet : les cahiers des charges vont dans le même sens, à savoir la promotion de la littérature belge dans un contexte international.
Mais ça pose encore des questions au quotidien : par exemple sur quel barème on engage une personne ; sur les langues dans lesquelles on communique ; sur quel public toucher, sachant que le public francophone est présent à Bruxelles, mais que le public néerlandophone doit peut-être se chercher plus en Flandre. Toutefois ce sentiment d’être une équipe pose véritablement ces questions en termes de défis plus que de problèmes !
Le festival est la façade la plus visible de Passa Porta, comment s’organise-t-il ?
C’est vraiment un événement énorme et nous sommes déjà plongés dans l’édition de 2019 ! Nous sommes une petite structure proportionnellement au festival : ce qui veut dire qu’on est une structure adaptée à notre travail quotidien, mais que nous sommes très peu nombreux pour organiser le festival. La seule façon d’empêcher que ça ne nous déborde est de s’y prendre très longtemps à l’avance, et d’effectuer en permanence une sorte de travail souterrain. Car c’est notre meilleure carte de visite, même si on en sort toujours épuisés. La récompense, c’est de voir ces milliers de festivaliers qui passent d’une salle à l’autre avec tellement de curiosité !
Le tandem de Cuistax. Rencontre avec Fanny Dreyer et Chloé Perarnau
En janvier 2013 apparait sur les tables de librairies bruxelloises un étonnant fanzine pour enfants. Imprimé en bleu et rouge, le Cuistax numéro zéro débarque comme « une boite de chocolats de Noël qui arrive en retard » XX , c’est-à-dire comme une délicieuse surprise au creux de l’hiver. Onze auteures/illustratrices bruxelloises y racontent des histoires de chaussettes, proposent un tour de magie, un zoo à découper, expliquent la recette du cougnou ou tracent un ciel polaire à colorier. Depuis ce numéro inaugural, deux Cuistax paraissent chaque année. Ce joyeux magazine, ludique et graphiquement audacieux, tient grâce à la volonté de ses deux fondatrices, Fanny Dreyer et Chloé Perarnau, ainsi qu’à l’enthousiasme d’artistes qu’elles côtoient. Comme sur les voiturettes bien connues des digues belges, ils sont nombreux à pédaler pour faire avancer Cuistax. Nous avons rencontré le tandem dynamique qui le coordonne. Origine d’un collectif Fanny Dreyer et Chloé Perarnau font partie d’une génération prolifique de jeunes illustrateurs bruxellois, aussi motivés que talentueux. Lorsqu’elles sortent de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, elles nourrissent l’envie de créer une publication et développent l’idée d’un fanzine pour faire « autre chose » que ce qu’elles vont créer pour le monde de l’édition, pour « gérer un projet de A à Z, pour ne pas être dépendant d’un éditeur » XX . À ce désir d’indépendance, de faire ce qu’elles veulent et comme elles le veulent, s’ajoute celui de s’entourer d’artistes, de travailler collectivement plutôt qu’individuellement. C’est la proposition d’une exposition à la Maison des Cultures de Saint-Gilles qui les aide à concrétiser ce projet en leur donnant l’occasion de fédérer un groupe et de publier ensemble. Elles organisent alors une première réunion, afin de rassembler ceux qui sont prêts à s’associer à cette publication alternative. Le collectif Cuistax est né. Petit à petit, celui-ci s’élargit, au gré des sollicitations et propositions, de la part d’auteurs comme de la part de Cuistax. De rencontres en découvertes, le groupe évolue. Certains ne participent qu’à l’un ou l’autre numéro, d’autres sont présents à tous les niveaux, depuis le début. Un véritable noyau dur s’est formé : Anne Brugni, Sarah Cheveau, Loïc Gaume, Nina Cosco, Adrien Herda, Sophie Daxhelet, Caterine Pellin, Isabelle Haymoz, Jina Choi, Bi-Hua Yang, Jasper Thys, Liesbeth Feys et la graphiste Myriam Dousse. Autant de talents pour qui Cuistax est l’occasion de faire « autrement », avec parfois plus de liberté, ce qu’ils aiment, tout en développant des projets individuels, en tant qu’auteurs de livres pour enfants ou en publiant dans la presse. Cette publication indépendante et atypique leur offre un espace de création unique en son genre. Ainsi, Chloé Perarnau et Fanny Dreyer ont à leur actif de très beaux albums jeunesse : la première a illustré sept livres pour enfants, dont Il y a belle lurette au Seuil et L’orchestre aux éditions L’agrume, tandis que la seconde a publié six albums dont Moi, canard chez Cambourakis et La poya à la Joie de lire. D’autres acteurs de Cuistax sont des auteurs publiés : Sophie Daxhelet, Anne Brugni ou encore Loïc Gaume. L’aspect collectif donne à chacun l’élan nécessaire pour élaborer le fanzine. « Ce qui est super avec Cuistax, c’est de défendre un projet que nous sommes plusieurs à porter. C’est alors beaucoup plus facile d’y croire, parce qu’on n’est pas seule face à ses doutes. » Les membres de cette association de passionnés travaillent tous bénévolement pour Cuistax. Mais les avantages par rapport aux magazines classiques en valent la chandelle : indépendance éditoriale, pas de censure, une belle liberté graphique. « Notre seule limite, c’est la compréhension. » Les illustrateurs ont une liberté presque totale. Pas de comité pédagogique ou de psychiatre pour leur dire ce que les enfants doivent voir ou lire. Ici, on sort des cadres prescrits, on propose des images qui sortent des sentiers battus, on donne à voir autre chose aux enfants. En route / op weg met Cuistax Chaque Cuistax est axé sur un thème, décliné selon les histoires et rubriques du magazine. Il s’agit d’un sujet parfois saisonnier (Été indien), parfois tout autre selon l’inspiration du moment ou le couple de couleurs choisies en amont (En route, consacré aux moyens de transport). Une fois le thème choisi, les différentes rubriques se répartissent entre auteurs. « On essaie de garder un équilibre entre les histoires, les jeux et les bricolages. On aime que l’enfant puisse découper, colorier, puis qu’il y ait aussi une part pour la narration et de belles images », nous dit Fanny Dreyer. Le lecteur est invité à s’approprier l’objet. Chaque numéro propose un poster et un petit cadeau ludique, comme un sticker, des graines à faire pousser, un attrape-rêve à réaliser, un masque à découper, des tatouages… Ce petit plus fait pleinement partie de l’esprit du projet. Certaines rubriques se retrouvent de numéro en numéro, avec parfois un/e illustrateur/trice qui y est attaché/e. Ainsi, « Caterine Pellin a commencé dans le numéro zéro avec Lucius, son petit loup. Depuis, il revient régulièrement. » Sophie Daxhelet a installé de numéro en numéro sa rubrique magie, farce et attrape. D’autres rubriques récurrentes sont la recette de cuisine, l’interview, le jeu des sept erreurs, ainsi que de petites histoires sur deux ou quatre pages. En fonction du thème, Chloé Perarnau et Fanny Dreyer choisissent l’illustrateur qui réalisera la couverture et le poster. Les deux fondatrices passent un temps tel à toutes les étapes de la réalisation qu’il leur en reste peu pour contribuer au contenu de Cuistax. Elles disent se réserver de « petites choses ». Dernièrement, elles se sont accordé le plaisir de créer, ensemble, le poster de Dedans / dehors – Binnen / buiten, le numéro paru au printemps 2017. L’identité belge fait pleinement partie du projet éditorial initial de Cuistax. Le nom du fanzine a été bien évidemment choisi en tant qu’emblème de belgitude. C’est aussi pour cette raison que les deux langues s’imposent dès le départ : Cuistax est entièrement bilingue, adressé tant aux petits francophones qu’aux néerlandophones. Si les deux fondatrices et les différents auteurs sont loin d’être tous originaires du plat pays (Fanny Dreyer est suisse et Chloé Perarnau française), ils ont tous un lien avec Bruxelles. En ce qui concerne sa teneur, le fanzine comprend toujours une rubrique ou une interview en lien avec la capitale. La rubrique Un enfant et Bruxelles interroge un petit Bruxellois sur sa ville au quotidien. Alice, cinq ans, propose que les gens décorent leurs voitures avec des autocollants pour améliorer les routes tandis qu’Émilion, huit ans, explique qu’il ne peut pas faire de roller sur son trottoir parce qu’il est cabossé mais que l’herbe qui pousse entre les pavés, c’est rigolo. Le numéro 8, Dedans/dehors – Binnen/buiten, nous raconte la visite d’un botaniste martien au Parc Josaphat : c’est l’occasion pour Charline Colette et Myriam Raccah d’inviter les petits Bruxellois à observer leur environnement par le biais d’une histoire documentée. Collaborations et projets parallèles Au fur et à mesure des numéros, le fanzine bilingue et bicolore a gagné en reconnaissance et en notoriété et suscite intérêt et enthousiasme. Il donne à ses illustrateurs une visibilité certaine, grâce aux nombreux salons de microédition, autant de laboratoires de l’image, auxquels Cuistax est régulièrement convié. Ses deux fondatrices s’y nourrissent de rencontres et influences. Espace d’expression pour de jeunes illustrateurs pour qui il s’agit parfois d’une première publication, le magazine est également devenu le lieu de collaborations diverses. Ainsi, c’est le collectif qui a réalisé Le…