Qu’est ce qui constitue un.e artiste aujourd’hui (2017, 2018) en Belgique ? Quelle est sa reconnaissance légale, et à quoi ressemblent ses droits sociaux ? Ces questions font l’objet d’un débat constant, et sont une source d’angoisse dans le quotidien de nombreuses personnes. Retour sur la législation qui entoure ce statut si souvent flou.
*
Ces derniers mois , les travailleur.se.s des arts et de la culture se sont mobilisés autour du « statut d’artiste », une notion mal définie, mal connue et souvent mal considérée. Ce qu’on appelle par abus de langage « statut d’artiste » n’est pas un statut à part, mais un aménagement des règles du statut de salarié, que l’on peut obtenir…
Auteur de Le statut d’artiste: clarification d’un débat qui dure
La création en langue(s), entre liberté d’expression et discriminations glottophobes
Il faut commencer par un constat : tous les textes juridiques internationaux de protection des droits humains et de protection contre les discriminations, dont plusieurs ratifiés et donc applicables par la France, considèrent les droits linguistiques comme des droits fondamentaux et l’empêchement d’utiliser sa langue / l’obligation d’en utiliser une autre pour accéder à ses droits comme une discrimination interdite et condamnée. Discriminer, c’est traiter des personnes de façon différente en s’appuyant sur un critère arbitraire, injuste, illégitime. Depuis 2001, certaines discriminations sont illégales en France : une loi, modifiée trois fois (la dernière fois en novembre 2016), a établi 23 critères illégaux de traitement différencié. Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour que le pays qui se dit des Droits de l’Homme et la République si fière de ses valeurs (parmi lesquelles le refus annoncé des discriminations), condamne des discriminations. Mais pas toutes : les discriminations linguistiques n’y sont illégales que depuis novembre 2016 (de façon qui reste ambigüe). Et pour cause, puisque la glottophobie est en France un principe politique instituéet central, revendiqué et réaffirmé sans vergogne à la moindre mise en œuvre ou revendication de Droits linguistiques en faveur de personnes s’exprimant dans une autre langue que le français ou dans un français non standardisé. On a alors affaire à des propos d’une violence, d’une ignorance et d’une arrogance rares qui tomberaient sous le coup de la loi et d’une certaine opprobre publique s’ils portaient sur les mêmes personnes en fonction de la couleur de leur peau, de leur sexe ou de leur précarité financière au lieu de leurs pratiques linguistiques. J’en rapporte de nombreux exemples dans mon livre et l’actualité en fournit presque quotidiennement XX . Évidemment, si on appliquait en France les textes juridiques internationaux cités au début de cet article, les auteur-e-s de ces propos seraient poursuivi-e-s et condamné-e-s devant les tribunaux. C’est pour insister sur le fait que la glottophobie, comme la xénophobie, l’homophobie ou l’islamophobie, en autres, stigmatise, discrimine, exclut des personnes et non des langues (qui sont des abstractions et ne sont pas sujets du Droit), de façon arbitraire, injuste, illégitime (et illégale selon le droit international) que j’ai forgé et diffusé ce terme. Il est en effet totalement arbitraire de considérer que telle langue serait supérieure à telle autre ou telle forme linguistique meilleure que telle autre. Nos langues et nos façons de parlers sont constitutives de notre humanité, de notre singularité, de notre être au monde et de nos existences collectives : les rejeter, c’est rejeter les personnes elles-mêmes en tant que sujets sociaux et humains. * Une idéologie linguistique un certain français comme religion d’État en France Il est frappant que l’immense majorité des décideurs politiques et juridiques ignorent totalement les textes internationaux ratifiés par la France et ne voient même pas qu’il s’agit de manquements graves au respect des Droits humains: c’est que l’idéologie aveugle, elle est même faite pour ça. Une idéologie est un système totalitaire d’explication du monde qui exclut toute alternative et toute discussion. Il relève de la croyance et non de la réflexion. Le français a été érigé en véritable religion d’État en France, totem central de l’unité nationale (pensée comme une uniformisation autour d’une langue commune unique et unifiée), depuis la Révolution de 1789 et surtout depuis le régime totalitaire de la Terreur à partir de 1793. De nombreux chercheurs analysent en ces termes de religiosité, à peine métaphoriques, le rapport au français entretenu en France depuis deux siècles, de B. Cerquiglini à H. Walter, d’E. Charmeux à J.-M. Klinkenberg, de P. Bourdieu à L. - J. Calvet. Le français fait dès lors l’objet d’une adoration sans bornes (que j’appelle glottomanie), d’une croyance qui échappe à toute rationalité critique, d’une sacralité dont découlent de nombreux tabous (exprimés sous l’idée globale de « dialectes » ou de « patois » inférieurs à propos d’autres langues et sous le nom global de « faute » à propos de la diversité des pratiques « impures » du français –qui sont parfois rejetées hors de la langue par un « ce n’est pas français »). Dans un twit récent, une députée disait, de façon très illustrative de cet amalgame, « respecter la France, c’est d’abord respecter sa langue ». Car l’idéologie nationale française, construite à leur profit par les détenteurs du pouvoir étatique, a fait du français LA langue emblématique d’une certaine conception d’une identité française (comme communauté homogène) dans une certaine conception (ethnicisante XX ) de cette société, et en plus elle n’a retenu qu’un certain français et rejeté les autres (régionaux, banlieusards, populaires, jeunes, métissés, hors de France, etc.). Elle a posé comme modèle, comme filtre d’accès à la promotion sociale, au pouvoir politique et culturel, voire économique, le français surnormé élaboré par l’Académie française pour distinguer les dominants (aristocrates et grands bourgeois) et les dominé-e-s (le peuple, les « provinciaux », les paysans, les ouvriers...). Elle a ainsi instauré un deuxième niveau de discrimination : non seulement c’est la langue de certains Français qui a été imposée à d’autres Français (et à celles et ceux qui souhaitent le devenir, voir plus bas), mais c’est aussi le français artificiellement standardisé des dominants qui est exigé pour avoir accès au capital symbolique (linguistique, culturel, éducatif, politique et donc souvent aussi économique). Le français de la cour de France et de la bourgeoise parisienne, normalisé et volontairement complexifié par les satellites de la cour (écrivains, grammairiens, organisme de censure royale nommé « Académie française ») est ainsi devenu le français tout court et la seule langue « légitime » en France. Les locuteurs d’autres variétés linguistiques en sont exclus, sauf à renoncer et à se soumettre. L’École a été et reste le levier le plus puissant par lequel les dominants qui tiennent le pouvoir étatique ont imposé leur langue et leur idéologie linguistique, au point d’en convaincre les victimes elles-mêmes, par un processus d’hégémonie, de mise en insécurité linguistique et d’instillation d’une haine de soi. * Langues régionales ou immigrées, parlers populaires ou plurilingues, même combat! Toute forme de glottophobie est indigne et inadmissible. J’ai été frappé de voir à quel point la réception médiatique de grande ampleur de mon livre, tout en contribuant à faire admettre nationalement qu’il y a bien un problème, en a « spontanément » réduit la portée. La plupart des médias en ont retenu le caractère discriminatoire du rejet des « accents » régionaux, voire sociaux (mais beaucoup moins), en français. Très peu ont mentionné la question des autres langues que le français, probablement parce que ça va alors trop loin dans la contestation blasphématoire de la sacralité du français national, qui n’est pas discutable même et surtout du point de vue scientifique, rationnel et éthique, qui est le mien. Affirmer que c’est une politique totalitaire, attentatoires aux Droits humains, discriminatoire et condamnable, que d’interdire aux bretonnant-e-s de s’exprimer en breton en Bretagne pour avoir accès à leurs Droits et exercer leur citoyenneté, et de leur imposer de le faire en français (et pas en français de Bretagne) ou de les exclure, ça reste…
Un prix unique du livre en Belgique francophone
Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FW-B) a voté le 18 octobre 2017 le décret relatif à la protection culturelle du livre proposé par la Ministre de la Culture, Madame Greoli. Ce décret ouvre une nouvelle page de l’histoire du livre en Belgique francophone. Il vise à supprimer progressivement tout mécanisme apparenté à l’ex-tabelle et à réguler le prix du livre dès le 1er janvier 2018 en limitant à 5% durant deux ans (un an pour les bandes dessinées) les possibilités de variation par rapport au prix fixé par l’éditeur. Alda Greoli : «C’est un moment fondateur que l’adoption du décret relatif à la protection culturelle du livre, une manifestation concrète de ce qu’est l’exception culturelle. Un tel projet était attendu depuis trente-cinq ans. Le livre, c’est la manifestation la plus concrète de la culture. Le livre est aussi souvent la première rencontre de l’enfant avec la matérialisation de sa culture. Le prix unique du livre jouera en faveur du maintien d’un nombre élevé et varié de points de vente et d’une offre qualitative et diversifiée.» Le livre est la seconde activité culturelle des Européens et des Belges. C’est un marché qui représente un chiffre d’affaires annuel de près de 245 millions d’euros et un secteur de création majeur, avec notamment la littérature, la bande dessinée et le livre jeunesse. C’est aussi le vecteur de la connaissance scientifique et technique, le support pédagogique principal et un élément clé du débat démocratique. Alda Greoli : «De nombreux pays européens dont nos voisins directs, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, ont légiféré sur le "prix du livre". Tous les exemples étrangers démontrent qu’une protection culturelle du livre permet une distribution et une création de meilleure qualité. À l’inverse, les pays qui ne pratiquent pas de régulation ou qui l’ont abandonnée, se trouvent confrontés à des phénomènes de concentration de distribution et de création préjudiciables à la diversité culturelle.» Le décret est le fruit d’une concertation réussie avec l’ensemble du secteur du livre depuis plus de deux ans. Il entend répondre au mieux aux demandes légitimes de celui-ci : ➢ une plus juste concurrence entre les librairies indépendantes, les grandes surfaces et les sociétés de ventes en ligne en limitant les possibilités de remises ; ➢ la reconnaissance de l’imbrication culturelle et économique des marchés du livre belge francophone et du livre français ; ➢ la maîtrise du prix du livre rendue à l’éditeur ; ➢ la suppression progressive de la « tabelle » appliquée sur un certain nombre de livres venant de France et, par conséquent, la diminution du prix payé par les consommateurs belges pour l’achat de ces livres ; ➢ les spécificités de la production des éditeurs francophones belges, comme celles de la bande dessinées ou des livres juridiques ; ➢ l’accessibilité de la lecture dans les écoles ; ➢ le respect des spécificités du marché du livre numérique, selon des modalités compatibles avec la législation européenne. Principaux éléments du décret / À partir du 1er janvier 2018 ➢ Durant les vingt-quatre premiers mois de vie d’un livre, son prix sera fixe et correspondra à celui déterminé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant ne pourra appliquer qu’une remise maximale de 5%. ➢ Ce délai est ramené à douze mois pour les bandes dessinées. ➢ Au-delà de ces délais, le prix du livre sera libre. ➢ La vente en ligne est également concernée par le contenu du décret. ➢ Le livre numérique est présent dans le projet de décret avec des mesures propres à ce marché toujours en développement. ➢ Des dérogations sont prévues : une remise de 15% maximum peut être accordée par les détaillants, sur tous les livres, mais uniquement aux établissements scolaires, aux bibliothèques publiques et autres asbl ayant des missions d’éducation, d’alphabétisation ou de promotion de la lecture ; une remise maximale de 25% est autorisée uniquement pour l’achat de manuels scolaires (au sens strict) par les écoles. Le Gouvernement pourra décider de réduire dans un second temps cette remise eu égard à l’évolution du marché. ➢ Un organisme sera désigné par le Gouvernement pour récolter et rendre public gratuitement les informations indispensables au bon fonctionnement du marché du livre : date de mise en vente, prix, identification de l’éditeur, de l’auteur, ISBN… ➢ Une commission indépendante de règlement extrajudiciaire des litiges sera créée, auprès de l’administration, par le Gouvernement au terme d’un appel public à candidatures. ➢ Un comité d’accompagnement sera instauré pour accompagner la mise en œuvre du décret, répondre aux questions des associations professionnelles et proposer au Gouvernement des recommandations. ➢ Dans les trois ans après l’entrée en vigueur du présent décret et ensuite tous les trois ans, le Gouvernement évaluera les mesures d’encadrement du prix du livre. À partir du 1er janvier 2019 : mort annoncée de la tabelle Actuellement, dans les librairies francophones belges, un livre importé de France sur deux porte une petite étiquette masquant le prix imprimé sur la quatrième de couverture. Si vous la décollez, vous découvrirez que le prix initial fixé par l’éditeur a été augmenté de 10 à 17% en passant la frontière ! Cette différence s’explique par une majoration du prix appelée «tabelle» ou « mark up » pratiquée principalement par les deux plus importants distributeurs de livres. Elle était autrefois utilisée pour couvrir les frais de douane et les risques de change entre les francs belges et les francs français. Dans une même communauté linguistique, dans un même marché, dans une même zone monétaire, les arguments pour justifier cette majoration du prix du livre sont devenus anachroniques et difficilement défendables aux yeux du consommateur qui n’hésite pas, du coup, à acheter ses livres sur des sites de vente en ligne gérés par des librairies françaises ou des opérateurs internationaux qui, eux, ne pratiquent pas la tabelle. Grâce au décret, la majoration des prix pratiquée par les distributeurs de livres importés de France sera progressivement supprimée. De manière à permettre l’adaptation des acteurs du marché et éviter une dévalorisation brutale des stocks des livres tabellisés (tant chez les détaillants que chez les distributeurs), une période transitoire est instaurée : du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, une tabelle maximale 8 % pourra être appliquée et du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020, ce taux sera réduit à 4 %. Les livres imprimés à partir du 1er janvier 2021 ne pourront plus être tabellisés du tout. Dernière étape L’État fédéral ayant gardé les compétences résiduaires pour les matières biculturelles et les institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-capitale (qui, en raison de leurs activités, ne peuvent pas être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou l’autre Communauté), le décret régulant le prix du livre en Communauté française et celui régulant la même matière en Communauté flamande ne couvrent pas tous les points de ventes de livres dans la Région bruxelloise. Un accord de coopération entre ces différentes entités est donc indispensable pour éviter toute distorsion de concurrence entre des détaillants situés…
Ilan Stavans, l’auteur de cet article, paru en espagnol dans le numéro 389 d’octobre 2013 de la revue Revista de Occidente, a aimablement accepté qu’on en publie une traduction française, traduction assurée…