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Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre)

Après le remarqué Comment tout peut s’effondrer sorti en 2015, les ingénieurs agronomes Pablo Servigne, Gauthier Chapelle et l’écoconseiller Raphaël Stevens,  « chercheurs in-Terre indépendants »,  poursuivent leurs réflexions dans un essai qui prolonge la « collapsologie » (dont ils sont les pionniers) en une collapsosophie. L’axiome des collapsonautes se définit comme «  apprendre à vivre avec  », avec la catastrophe en cours, avec la débâcle environnementale, avec l’effondrement de la société actuelle. De ce diagnostic condensé dans le vocable de collapsologie découle la mise en œuvre d’une éthique, d’une collapsosophie. S’appuyant sur un tableau clinique précis, incontestable (l’humanité menacée d’extinction dans le sillage de l’hécatombe de la biodiversité), les auteurs proposent des pistes fécondes qui réconcilient «  méditants  » et «  militants  », qui explorent l’idée de ré-ensauvagement, de nouvelles manières de coexister avec les non-humains, d’habiter la Terre. Lire aussi : un extrait d’ Une autre fin du monde est possible Croire que les choses peuvent encore être modifiées, redressées globalement relève à leurs yeux d’une illusion. Le futur n’existe que barré par l’impossible. Face à cet impossible, l’appel est lancé : creuser des niches, des îlots au cœur de l’apocalypse, inventer à la fois un chemin, un salut intérieur et des actions collectives dotées d’un impact sur l’extérieur. On a parfois l’impression que, pour les auteurs, les jeux sont faits. Il ne resterait qu’à assister au déferlement du pire en assortissant la course à l’abîme d’une morale stoïcienne. Un stoïcisme prônant, dans le fil du stoïcisme antique et de Descartes, de changer soi-même, son rapport au monde plutôt que l’état des choses. Or, les jeux ne sont jamais faits même lorsqu’ils semblent l’être. L’accent porté sur le «  l’activisme de l’âme  » minore par endroits la recherche d’une collapsosophie vue comme un prérequis à la politique, à une tentative d’infléchir la marche des choses. Dans cet «  apprendre à vivre avec l’effondrement  », on peut lire une sagesse mais aussi l’acceptation d’une défaite. Le présupposé discutable du (sur-)vivalisme, de la collapsologie est celui de l’inéluctable : l’effondrement, la pulsion de mort, l’autodestruction est un fait entériné sur lequel nous n’avons plus prise. Tout se réduit alors à un sauvetage moral, à une prise de conscience, à une résilience qui s’accompagne, certes, d’activités locales de résistance, ZAD, laboratoires de créativité, activisme. La phrase de Valéry, «  Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles  » engage le choix d’un «  Changement de Cap  » (Joanna Macy), à savoir l’alliance entre activisme, proposition d’alternatives concrètes et changement intérieur. «  Au service du vivant  », les auteurs en appellent à des mobilisations collectives créant les rapports de force nécessaires afin de rompre avec le néolibéralisme. Le principe de responsabilité à l’égard des générations futures formulé par Hans Jonas implique de léguer un monde viable, digne d’être vécu, tissant de nouveaux «  liens réels avec le sauvage retrouvé  », dans une harmonie entre les formes du vivant.Louons les auteurs de parier pour la mise en œuvre des passions joyeuses de Spinoza, pour une résistance au camp de ceux qui détruisent la Terre, ses écosystèmes, ses collectifs humains et non-humains. À l’heure où le deuil de l’idée de révolution affaiblit en un sens la logique de la résistance, Une autre fin du monde est possible oppose salutairement un contre-feu au nihilisme, et ce, en dépit de l’oscillation relevée. La possibilité de prendre les armes, de lutter contre ceux qui mènent le monde à la ruine se dessine.  «  Le contrat politique avec les autres qu’humains n’est pas à réinventer, il est d’abord à découvrir chez eux ! À quoi pourrait ressembler un immense parlement interspécifique ? (…) Les animaux, les arbres, les champignons et les microbes  ne sont pas des êtres passifs, ce sont de redoutables politiciens. Ce sont même des paysagistes, et même des activistes, car ils transforment la terre depuis des millions d’années, contribuant ainsi à former et à maintenir la zone critique , ce minuscule espace de vie commun sur lequel nous vivons, et dans lequel nous puisons sans relâche. Autrement, ils nous donnent (…) Cette obligation [de rendre ce qu’ils nous donnent] peut enfin se lire selon son autre acception : si nous ne le faisons pas, il se pourrait bien…

Léonie Bischoff reçoit le Prix Atomium Fédération Wallonie-Bruxelles 2024

Les auteurs et autrices lauréats des prix Atomium 2024 sont connus. Léonie…

Les Ateliers du Texte et de l’Image

Depuis sa création il y a une quinzaine d'années, l’asbl Les Ateliers du Texte et de l’Image (ATI) accomplit des missions de…

Le laboratoire linguistique de Jean-Pierre Monfrançais

«Le sujet est celui qui se présente, mais il y a une foule qui s’agite derrière…

L’antichambre d’Auschwitz. Dossin

Le remarquable ouvrage de Laurence Schram comble un vide dans les travaux d’historiens et dans la mémoire collective en livrant…

Jocaste

Jocaste , Claire Lacombe , Berty Albrecht … trois femmes que Michèle Fabien arrache au silence, celui de l’Histoire des hommes, des vainqueurs, trois femmes dont elle porte la voix comme un flambeau…

Paroles données, paroles perdues ?

SYLLOGE , Paroles données, paroles perdues ? , MaelstrÖm, 2020, 276 p., 14 €, ISBN : 978-2-87505-362-6«  […] Enfin, commençons. […] Bonjour,…

On peut boire la transpiration d’un cheval

Cracheur de feu sonore, activiste expérimental, écrivain, performeur, philosophe biohardcore, professeur aux Écoles…

Privé : (R)évolutions du street art

Philadelphie, années 60, les premiers graffitis apparaissent sur les murs de la ville.Février 2022, un musée…

Dotremont autrement : un concours

Ce concours est organisé par les AML  dans le cadre de la Fureur de lire et à l’occasion du centenaire de la naissance de Christian Dotremont. Un concours pour découvrir…

Cultures Maison 2016 : L’ABDIL tient meeting

Les 9, 10 et 11 septembre a eu lieu la septième édition du festival Cultures Maison. S'y est tenue, entre autres, une discussion autour de l'ABDIL…

Librairie Météores quand le livre se conçoit comme lien social

Une librairie, ce n’est pas que de la vente de livres. C’est en tout cas ce sur quoi comptent deux…

On ne coupe pas les ailes aux anges

Bruxelles en fusion, l’asphalte nappe plus que mollement les pavés, à portée de poings d’esprits chauffés à blanc. Claude Donnay campe…

Abstraction and Comics. Bande dessinée et abstraction

Qu’en est-il de la bande dessinée dite abstraite ? Quels sont ses ressorts historiques, sémiotiques ou formalistes ? Le très beau coffret de deux volumes, Bande dessinée et abstraction, rassemble des contributions et des créations originales qui explorent la grande variété de l’abstraction en bandes dessinées. L’abstraction doit-elle être comprise dans le sens qu’elle a pris dans l’histoire de l’art, en peinture ? Peut-on dire qu’elle définit un tournant moderniste touchant les arts visuels alors que, ab initio , depuis l’origine de l’art, la tendance à l’abstraction est présente ? Les opérateurs identifiant une BD expérimentant l’abstraction varient en fonction des théoriciens : là où Ibn Al Rabin nomme abstraction le non-figuratif, Andreï Molotiu la resserre autour de l’éviction de la narration. Les créations du collectif WREK avec l’artiste-graveur Olivier Deprez, celles de Pascal Leyder, Frank Vega, Berliac, Francie Shaw, Ilan Manouach et bien d’autres jouent la carte de la tension, du dialogue non mimétique avec les textes. L’irruption de quelques planches abstraites dans une BD ou la construction d’œuvres graphiques entièrement soutenues par l’abstraction modifient le «  régime scopique du spectateur  » (Jacques Dürrenmatt). Si le terme de bande dessinée abstraite se répand dans les années 2000, auparavant, bien des artistes ont construit des œuvres reposant sur des images non figuratives, par exemple géométriques, ou invalidant le dispositif narratif. Au travers des contributions de Jan Baetens, Jean-Charles Andrieu de Levis, Kakob F. Dittmar, Paul Fisher Davies, Jean-Louis Tilleuil, Denis Mellier et d’autres, il appert qu’il n’y a pas une abstraction mais des abstractions. Certains créateurs maintiennent une visée diégétique, un récit tandis que d’autres l’évacuent. De même, certains recourent à la figuration, d’autres la subvertissent. Purification d’une forme qui sonde la seule dimension graphique, le voir, sans plus se diluer dans le raconter, attention exclusive aux qualités plastiques des images, veine underground, autonomiste refusant les codifications et les dogmes de la BD, les circuits de production et de réception, exploration libre, mutante des ressources du médium, interrogation sur la fabrique des images, contestation de l’auctorialité… la bande dessinée abstraite expérimente bien des formes qui secouent l’horizon d’attente de lecteurs habitués à la lisibilité d’un récit (personnages, actions,  péripéties, contexte spatio-temporel…), une lisibilité poussée à ses extrémités avec la ligne claire. Les titres, les textes accompagnant les images restaurent parfois une trame narrative, orientant la réception des lecteurs.Choisir l’abstraction, c’est aussi s’abstraire des comics, accomplir «  un geste de rupture qui cherche à s’abstraire plus ou moins radicalement de l’hégémonie du récit  » (Denis Mellier), opter pour l’a-narrativité, s’affranchir de la «  tutelle du récit  » ou/et rompre avec le champ du figuratif. Qu’elles contestent l’impératif narratif, la représentation figurative ou les deux, les expressions multiples de la bande dessinée abstraite déterritorialisent la sphère du neuvième art, y traçant des lignes de fuite, des dispositifs qui déstratifient le genre. Autrement dit, elles illimitent les possibilités du médium, jouant de tous les registres de la narrativité minimale, de la visée de son degré zéro ou de la métanarrativité comme de ceux du figuratif.«  Ses tendances [de la BD] à l’abstraction sont peut-être constitutives de son discours graphique…

Que sont les mastouches?

Dans La Wallonie, le pays et les hommes , section Lettres – Arts – Culture, t. II, Marcel Thiry a rédigé plusieurs articles très intéressants sur divers…

Créer en postcolonie. 2010-2015, Voix et dissidences belgo-congolaises

Depuis plusieurs années, les recherches scientifiques et les projets muséographiques…

Le novice éclairé

« Que pouvons-nous encore penser du théâtre et de ses pouvoirs, dès lors que l’on accepte que l’essentiel de l’activité spectatrice se déploie indépendamment de la représentation,…

Que faire ! (contre l’ordre régnant)

Pour donner un titre à son petit ouvrage de réflexion sur l’état du monde actuel, Erik Rydberg (journaliste, ancien directeur…

Dans nos archives : journalisme et littérature

Depuis 2013, l’ONU a institué le 2 novembre comme la journée mondiale pour la protection des journalistes. À cette occasion, nous republions…

Fraternités Ouvrières, haut lieu de permaculture discrète : entretien avec Josine et Gilbert Cardon

HR : Pourquoi « fraternités ouvrières » ? JC : Parce qu’on vient du monde ouvrier. Dans la période où on a fondé l’association, on ne voyait pas que cela puisse s’appeler autrement. On était déjà dans cette période de crise. On se connaissait entre syndicalistes et on a été vidé des équipes populaires en raison des engagements politiques de certains. HR : Les équipes populaires ? JC : Un mouvement d’éducation permanente mais d’obédience catholique, qui n’a pas supporté ici que des gens fassent partie de ces équipes et soient en même temps engagés dans des actions politiques non PSC. HR : Quelle époque ? JC : En 1969, 68/69. Il y a eu des statuts spéciaux et on a été viré et cela nous a fait le plus grand bien ! Parce qu’alors on a tout réinventé : tout n’arrivait pas mâché bouilli de la maison mère : on a dû faire la tambouille nous-mêmes ! Réfléchir comment on allait organiser un mouvement. 50 personnes ont quitté les équipes populaires à ce moment-là ; on a fait des activités entre nous. HR : Tu parles d’orientation politique pourtant fraternités ouvrières, c’est une association d’agriculture biologique, dès l’origine ? JC : Non, c’est n’importe quel thème de réflexion, de possibilité d’analyse des situations, du monde dans lequel on vit, pour le transformer. À un moment, on s’est englouti complètement dans le jardin, dans l’apprentissage du jardinage naturel, dont on ignorait beaucoup de choses. Mais ce qu’on voulait, c’est de ne plus employer de poison. Dès le début, on a été pris par la demande, tellement il y avait d’amateurs. On a eu jusqu’à 1200 membres. On a reconsidéré l’éducation permanente un peu autrement. On n’a pas commencé à mettre des thèmes, par exemple : voilà, on va parler du krach boursier qu’il y a eu dans les années 80. On n’a plus prévu de thème mais c’est au moment des réunions que les conversations se sont dirigées naturellement vers un thème. L’actualité est là qui guide ; ces rencontres ne sont pas dirigistes. Le thème vient naturellement entre les personnes qui disent leur avis. On constate que les plus pauvres sont toujours esquintés par les plus riches. Prise de conscience importante qui signifie une prise de responsabilité en tant que citoyen où les gens vont devoir réfléchir à comment ils votent pour quel programme ils vont voter et c’est aussi pour les animateurs principaux de l’association, c’est un moyen de demander aux gens de faire l’effort de s’intéresser, de se faire responsables, eux aussi de la société qui va mal parce que ils ont aussi leur part à donner. Consacrer du temps à réfléchir, à ne pas répondre, je m’en fous et laisser tout aux seuls élus politiques. HR : Ces réunions se font en dehors des rencontres jardinages ou en leur sein ? JC : Cela se fait spontanément. Parfois des thèmes sont prévus mais il n’y a pas un dirigeant qui aurait ses conceptions. Il y a échange : les gens prennent, reçoivent des éléments d’informations qu’ils ne comprenaient pas. Un exemple : il y a quelqu’un qui était raciste et s’exprimait souvent contre les personnes d’autres origines présentes dans le pays. Et puis à un moment donné on a expliqué les migrations. Comme il y a une ignorance de l’histoire, on a expliqué les migrations, les problèmes qui engendrent les migrations et qu’il y en a partout sur toute la planète, dans tous les sens. Et on s’est rendu compte que dans la même conversation, cette personne défendait le migrant ! En disant, il y en a qui sont obligés. C’était un jeudi après-midi, quand on est à plusieurs et que des choses discutent. HR : Et le jardinage naturel ? JC : C’est arrivé en 78. Il y a eu des activités (sur le style des autres associations d’éducation permanente). On a abordé comme sujet les jardins. Et on a été happé ; on n’avait pas le temps de préparer quelque chose de complètement dirigé, pourtant, cela s’est passé quand même parce que les gens parlent entre eux, parce que le fait d’être bien ensemble ; il y a toute une série de circonstances qui font que quand on est à 10 ou 12, quelqu’un va lancer quelque chose et c’est parti, on discute. HR : Et Gilbert et toi, vous aviez une sensibilité particulière par rapport au jardinage ou vous aviez appris ? JC : Pas du tout. Tout ce qu’on a appris, c’est par nos propres moyens avec... justement, la formation permanente [rires]. HR : Et maintenant, vous avez deux jardins d’une grande superficie ? JC : On a notre jardin, ici, qui est le plus proche des gens qui viennent – juste à côté de la salle de réunion – et puis il y en a un autre, qui est un jardin collectif qui se fait avec 6 familles, qui se situe du côté Flandres, à Albeek. HR : Et ces familles ? JC : Il y a des personnes qui font partie du groupe, pratiquement tous... Ce sont des gens de la région. Il y a 6000 mètres carrés. 6 ares donc ? (Non, 60...) HR : Vous le divisez ? JC : Non, tout est en collectif. On travaille ensemble puis on partage les récoltes. Ici le jardin fait 1800 mètres carrés. HR : Gilbert avait un jour dit le nombre d’arbres qu’il y a dans ce jardin... JC : Oui, plus de 2000 ! HR : Le type de travail de la terre que vous préconisez est assez particulier. On parle de « permaculture » bien que Gilbert semblait réservé par rapport à ce mot ? Mais c’est de la permaculture. Comment y êtes-vous venus ? JC : Ben Gilbert dit : moi, c’est par paresse en premier lieu... Dring... [on sonne à…

Edition : Paul Nougé, « Je mens comme tu respires »

Qui fut-il ? Un biochimiste fourvoyé en littérature, ou un littérateur égaré en biochimie ? « La tête la plus forte du…

Entre subversion et institutionnalisation : l’agir de Sophia pour intégrer les savoirs féministes dans les universités belges

Si on se place au point de vue de l’espérance et de la volonté du féminisme comme mouvement politique au sens le plus large du terme, il ne peut y avoir de transformation des rapports sociaux sans une transformation du champ symbolique. Françoise Collin, Je partirais d’un mot. Le champ symbolique, 1999, p. 18 * Paraphrasant Olympes de Gouges , l’historienne américaine Joan Scott écrivait dans son ouvrage sur le féminisme et les droits de l’homme que les féministes n’ont que des paradoxes à offrir (Scott, 1998). Elle y soutenait la thèse que les contradictions propres au féminisme comme celle de vouloir l’égalité en se revendiquant à la fois de l’universalité et de la particularité ne faisaient que refléter celles des discours des Lumières et de la Révolution française qui, d’une part dissolvent la différence des sexes dans l’universalité des droits de l’homme, mais d’autre part la reconnaissent, la renforcent même en invoquant la nature des femmes pour justifier leur exclusion du domaine public. Les paradoxes n’ont pas fini de travailler le mouvement des femmes dont l’essence me semble être, après plusieurs décennies d’engagement en son sein, non pas de résoudre les contradictions mais de s’y engouffrer et de sans cesse les exploiter pour faire avancer la cause des femmes. La création de Sophia n’échappe pas à cette règle puisque les féministes qui fondèrent l’association à la fin des années 1980, voulaient dans un même élan subvertir les institutions académiques et leur mode de production des connaissances aussi bien que légitimer les savoirs féministes dans ces mêmes institutions. Soit tout à la fois la marge et le mainstream, la subversion et l’institutionnalisation. Sophia naît après le premier colloque européen consacré aux Women’s studies XX organisé en 1989 par les Cahiers du Grif XX sous l’égide de la Commission des Communautés européennes. Ce colloque qui faisait le point sur l’état des études-femmes XX en Europe, avait révélé la pauvreté des enseignements et recherches dans ce domaine en Belgique par comparaison avec les autres pays européens. À l’initiative du Grif, quelques militantes francophones et flamandes, enseignantes pour la plupart et excédées de ce retard, décidèrent d’agir pour assurer la transmission des savoirs féministes dans nos universités. Si ces pionnières pouvaient diverger par leurs ancrages institutionnels, leurs convictions politiques ou même leur engagement féministe, elles poursuivaient un objectif commun : la reconnaissance et la promotion des études féministes et sur les femmes. Au-delà des différences et des différends, toutes étaient convaincues de la nécessité d’inscrire le questionnement féministe dans la profondeur des consciences pour qu’un réel changement ait lieu. Si, de sa création à aujourd’hui, Sophia est restée fidèle à son objectif principal d’élaboration et de transmission du corpus féministe à travers les cursus universitaires, son statut, par contre, comme les moyens et les stratégies pour l’atteindre ont considérablement évolué. Entre autonomie et intégration, entre dissidence et collaboration, Sophia refusera de choisir, poursuivant sa critique des savoirs androcentrés en même temps que son combat pour l’institutionnalisation des études féministes : il lui faudra à chaque fois décider et juger de la stratégie à suivre en fonction de la conjoncture mais sans jamais perdre de vue ce qui constitue sa raison d’être : agir dans et sur l’ordre symbolique pour transformer en profondeur les rapports inégaux entre les femmes et les hommes. LES ÉTUDES-FEMMES ANNÉES 1990 Au moment de la naissance de Sophia, des chercheuses de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université libre de Bruxelles (ULB) créent le premier groupe d’études-femmes dans la partie francophone du pays XX alors que les universités flamandes comptent déjà deux centres de recherches interdisciplinaires en « vrouwenstudies », l’un à l’Université de Bruxelles (VUB) et l’autre à l’Université d’Anvers (UIA). Celle-ci offre également un cours postuniversitaire intitulé « Voortgezette Academische Opleiding (VAO) Vrouwenstudies ». L’écart flagrant entre les deux communautés s’explique en grande partie par les contextes politique et idéologique radicalement différents dans lesquels surgit la vague féministe des années 1970 ainsi que par l’évolution, spécifique à chaque communauté, du mouvement des femmes et des rapports qu’il entretient avec les institutions (Plateau, 2001). Du côté flamand, le parti majoritaire, le CVP (Christelijke Volkspartij), possède une structure permettant à des groupes d’intérêt d’exprimer leurs revendications, ce qui ouvrait une niche pour le féminisme. Ainsi naît le groupe Vrouw en Maatschappij fondé par Miet Smet, où se retrouvent des personnalités qui plus tard défendront les intérêts des femmes et soutiendront les recherches et enseignements féministes. Quant au mouvement des femmes, il rassemble, dès 1972, en un large réseau, des féministes issues aussi bien de groupes traditionnels au sein des partis politiques et des syndicats que de groupes alternatifs féministes. C’est le Vrouwenoverlegcomité (VOK) qui continue d’organiser chaque année la journée des femmes. Féministes académiques, politiques et autonomes se côtoient donc et travaillent ensemble pour des projets ou objectifs communs. Enfin, de 1985 à 1999, le soutien politique de Miet Smet, d’abord secrétaire d’État puis ministre fédérale de l’Égalité, va permettre le développement de la recherche féministe et ainsi déclencher le processus d’institutionnalisation des « vrouwenstudies » en Flandre. Ce sont en effet, les financements octroyés à la recherche orientée vers la décision politique (les études commanditées par la ministre pour développer ses politiques d’égalité) qui ont permis aux centres d’études féministes flamands d’assurer leur fonctionnement en l’absence de soutien des autorités académiques. Rien de pareil en Communauté française où prédomine le parti socialiste pour lequel l’égalité des sexes ne constitue qu’un aspect particulier d’une question bien plus vaste, celle de l’égalité sociale. De là la difficulté des commissions femmes des partis et des syndicats, encore perceptible à l’heure actuelle, à penser l’égalité en termes de rapports sociaux de sexe s’articulant aux autres rapports de domination (classe, origine ethnique etc.). En réalité, la plupart des femmes occupant des postes de responsabilité à cette époque au sein du Parti socialiste ou de la FGTB (Fédération générale du Travail de Belgique), étaient pétries d’universalisme et n’accordaient aucune priorité aux questions des femmes, persuadées – comme la syndicaliste Irène Pétry l’exprima un jour – que les femmes sont des hommes en politique. De leur côté, les femmes appartenant aux nouveaux groupes féministes héritiers de la pensée libertaire de 1968 affichaient une défiance ouverte à l’égard de toute institution. Cette incompatibilité entre femmes dans et hors institutions a empêché la création comme en Flandre d’un réseau d’influence capable de soutenir les études féministes à l’intérieur même des universités. C’est par conséquent, hors institutions, dans le mouvement des femmes, qu’émerge la réflexion féministe, au début des années 1970, avec les Cahiers du Grif, une « réflexion théorico-pratique qui se construit dans l’action et la déconstruction » (D’Hooghe, 2011, p. 23). La première série des Cahiers (1973-1979) est le fruit du travail collectif et militant de femmes qui réfléchissent ensemble à des questions peu légitimées par l’édition ou la recherche de l’époque (les discriminations que subissent les femmes dans le travail professionnel et ménager, la reproduction, la sexualité, la création…

De «La Démangeaison» à «La Mélancolie», l’expérience du Vivarium Théâtre. (Sélection du blog AT)

Reprise de « la Mélancolie des Dragons » et de « l’Effet de Serge », de Philippe Quesne, à Nanterre-Amandiers, en janvier 2018. En 2018, Nanterre-Amandiers célèbre l’anniversaire des dix ans de L’Effet de Serge (2007) et de La Mélancolie des Dragons (2008), deux spectacles pensés en diptyque, qui ont tracé les lignes de force du Vivarium Studio. L’occasion de republier cet article paru initialement dans le #98 AT, Créer et transmettre.                                                                           * Une fois que le titre est posé, l’écriture démarre : ça a commencé avec La Démangeaison des ailes, leur premier spectacle créé en 2003, et le système s’est institué. En 2008, ils ont choisi d’évoquer La Mélancolie des dragons. Le spectacle qui vient de naître à Vienne en mai 2008 est recréé à Avignon en juillet à l’église des Célestins. Après le dépôt du titre, ils se mettent en quête de nourriture, littéraire, iconographique, enquêtes de terrain… Et c’est sur les bases de cette matrice que vient se greffer le jeu d’acteurs. Pour ces derniers, il ne s’agit pas alors d’interpréter un théâtre écrit à leur attention, mais de poursuivre, en jouant, le processus d’écriture. Au fil des créations, les acteurs qui jouent pour Philippe Quesne, le metteur en scène du Vivarium Théâtre, sont devenus des personnages. Il l’accompagne – ils s’accompagnent – depuis les débuts de la compagnie. Les acteurs, les gens sur scène (dit Philippe Quesne), s’occupent aussi de la fabrication du décor. Le metteur en scène, pendant la représentation, assure la régie. Il semble que depuis La Démangeaison… ils se soient constitués en bande de travail. Non pas en groupe ou en collectif, mais bel et bien en bande : c’est-à-dire un ensemble de gens qui depuis cinq ans œuvrent ensemble, avancent ensemble, sont en train de chercher et de vivre ensemble. Telle que définie par Philippe Quesne, la notion de bande fait penser à une meute (de loups ou de dragons ou de hard-rockers, c’est selon), dont il reste le « chef » puisqu’il signe les mises en scène. Pour inventer son théâtre, la bande se nourrit de son imaginaire collectif et des contraintes rencontrées en chemin. Pour La Démangeaison… ils avaient dû travailler dans un appartement. Leur dispositif scénique s’en était inspiré. Des gens entraient et sortaient dans un (décor d’) appartement, pour venir y parler de leur désir d’envol, voire le mimer. Tentatives vaines, chutes assurées… c’était le thème de leur premier travail. L’Effet de Serge (production 2007), également présenté à Avignon dans le cadre de la vingt-cinquième heure, aborde le sujet de la solitude et de l’autonomie de l’artiste. Serge, protagoniste de l’histoire, vit dans un de ceux fameux appartement dessiné par le Vivarium : une sorte de hangar, avec pour accessoires ou éléments de décoration, (ça ressemble à du théâtre mais on pourrait aussi bien y habiter), une table de ping-pong, un ordinateur, des miniatures télécommandées, une chaîne Hifi… surtout de quoi faire des effets spéciaux. Car Serge, qui, en semaine, se livre à lui-même un paquet de chips servi sur plateau roulant téléguidé…, Serge le solitaire, a une âme d’artiste le week-end. Avec trois fois rien, il crée des spectacles de trois minutes qu’il présente à ses amis le dimanche. Il aime faire partager son idée du « beau » : machine roulante avec pétard sur une musique de Haendel, effet lumineux sur une musique de Wagner. Les amis-voisins-spectateurs assistent , ébahis, et commentent ou remercient. Philippe Quesne crée sur scène un dispositif qui englobe le plateau et la salle, et s’amuse à nous présenter son théâtre en train de se faire devant des acteurs qui jouent aux spectateurs. On n’entend pas toujours bien ce qu’ils disent à leur ami créateur. Quand leurs propos sont inaudibles, leurs présences sont accentuées. Là debout devant Serge, ils cherchent les mots pour décrire leur ressenti, ils ne fuient pas la poignée de main. Le Théâtre du Vivarium est avant tout un théâtre des corps. Pour Quesne, la scénographie se nourrit de sujet et des corps vivent dedans. Ils ont une façon d’habiter le plateau comme s’ils pouvaient y vivre (« ils », c’est-à-dire la huitaine de comédiens réguliers, et leur chien.) Philippe Quesne a utilisé, ailleurs, ce procédé de la « forme chuchotée ». Par exemple, lors des tournées internationales de D’Après nature – spectacle dont le thème prétexte était « la fin du monde » – il a fallu résoudre les problèmes de traduction. Pour ce faire, le metteur en scène ne considérant pas que la fin du monde ressemblait aux films de science fiction des années 1950, où d’immenses insectes dévoraient les terriens…, songeant plutôt qu’elle était calme et silencieuse, pas du tout violente mais proche de nous, comme incluse dans chaque geste de notre quotidien, a préféré que ses comédiens jouent tout doucement, dans une forme chuchotée, accompagnée d’un surtitrage.                                                                             * Au moins deux contraintes se posent à la bande pour la recréation de La Mélancolie des dragons à Avignon : d’une part, la gestion de la présence d’une seule femme au milieu d’un groupe essentiellement masculin (Isabelle en effet découvre dans un paysage enneigé sept hommes dont la voiture tirant un mobile home, est en panne) ; et, d’autre part, la réinvention scénique du spectacle à l’église des Célestins. La question de la présence féminine est évoquée avec humour par Philippe Quesne comme celle de Blanche-Neige au pays des sept nains, qui sont ici sept hard-rockers aux cheveux longs. Quant à l’adaptation du spectacle aux lieux, c’est en quelque sorte une de leur spécialité. Le Vivarium théâtre est une communauté d’acteurs qui travaille à l’occupation d’espaces autrement et à L’Invention des spectateurs. Le Vivarium invente des formes en milieu urbain autant que dans des forêts. Ils se soucient de notre organisation sociale, de nos vies d’humain et du monde, et utilisent le théâtre pour exposer leurs préoccupations : font du théâtre de tout, et partout. Certains projets sont conçus pour des lieux en extérieur : villes, parcs et forêts, etc. D’autres le sont pour de grandes scènes internationales (il sont programmés aux États-Unis, au Brésil, en Allemagne, Suisse, Pologne…). Ils inventent aussi des formes spécifiques nourries des échanges avec les habitants et de leur expérience dans un contexte urbain, souvent pendant les temps de résidence (au Blanc-Mesnil où ils ont séjourné trois ans.) Pour en revenir à La Mélancolie..., il sera notamment question de loger une voiture et un mobile home dans le cloître des Célestins, à proximité des platanes, d’évoquer en été des paysages enneigés (souvenirs de tournée en Islande), de suggérer des monstres sans en montrer. L’imagerie des dragons a fait long feu depuis le moyen-âge. Sur scène, il n’en restera que le goût de l’inquiétude et de l’étrangeté, traduit par un « ballet de formes » proche de la marionnette : dans un finale fantasmagorique, le paysage se sature de formes gonflables, sortes d’énormes tubes dressés et sombres. De la mélancolie si généralement référencée à la toile de Dürer, pas de tableau ni même d’allusion au maître. Pour Philippe Quesne, la mélancolie est une protection face au désenchantement. Elle n’a rien à voir avec la folie ou avec la nostalgie. Il s’agit d’un état lié à la création. Dans le spectacle, la mélancolie est transformée en parc d’attractions ! Elle entre en collision avec les dragons. L’association des mots mélancolie et dragon rappelle à Quesne l’incroyable série de peintures de Goya, intitulée Les Caprices, où il n’est pas rare d’observer des…

Présentation

Notre revue, créée en 1979, s’appelle Alternatives théâtrales. Lancée durant les années Thatcher, son appellation peut se lire comme une réponse au célèbre « TINA » (There is no alternative), axiome économique…

Introduction (in Dossier La place Cockerill)

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Du livre au film (dossier Littérature & Cinéma)

L'adaptation d'œuvres littéraires à l'écran est aussi ancienne que le cinéma lui-même. En témoigne…