Maintenant, dans le projet, les murs étaient de la même couleur pour tous. De la peinture blanche, et c’est tout.
Mais ma mère, vu qu’elle n’avait pas d’argent pour le matériel scolaire ni pour beaucoup de papier, est allée à la quincaillerie centrale, elle a pris une boîte de peinture noire, et elle a peint un des murs, puis a obtenu de la craie et de la gomme, et c’est devenu notre mur des devoirs.
Nous y résolvions les problèmes, nous y exercions notre calligraphie, nous avons tout fait sur ce mur. Puis nous avons reçu un avis du bureau de l’administration qui annonçait une inspection.
J’avais tellement peur qu’ils nous excluent du projet, et quand la dame a vu ce mur noir, elle a dit :
« Madame Blair, c’est quoi ça ? »,
et ma mère lui a répondu :
« Je n’ai pas d’argent pour le papier et je veux que mes enfants réussissent à l’école, et ils doivent s’entraîner. »
La dame était simplement terrassée, elle ne pouvait…
La création en langue(s), entre liberté d’expression et discriminations glottophobes
Il faut commencer par un constat : tous les textes juridiques internationaux de protection des droits humains et de protection contre les discriminations, dont plusieurs ratifiés et donc applicables par la France, considèrent les droits linguistiques comme des droits fondamentaux et l’empêchement d’utiliser sa langue / l’obligation d’en utiliser une autre pour accéder à ses droits comme une discrimination interdite et condamnée. Discriminer, c’est traiter des personnes de façon différente en s’appuyant sur un critère arbitraire, injuste, illégitime. Depuis 2001, certaines discriminations sont illégales en France : une loi, modifiée trois fois (la dernière fois en novembre 2016), a établi 23 critères illégaux de traitement différencié. Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour que le pays qui se dit des Droits de l’Homme et la République si fière de ses valeurs (parmi lesquelles le refus annoncé des discriminations), condamne des discriminations. Mais pas toutes : les discriminations linguistiques n’y sont illégales que depuis novembre 2016 (de façon qui reste ambigüe). Et pour cause, puisque la glottophobie est en France un principe politique instituéet central, revendiqué et réaffirmé sans vergogne à la moindre mise en œuvre ou revendication de Droits linguistiques en faveur de personnes s’exprimant dans une autre langue que le français ou dans un français non standardisé. On a alors affaire à des propos d’une violence, d’une ignorance et d’une arrogance rares qui tomberaient sous le coup de la loi et d’une certaine opprobre publique s’ils portaient sur les mêmes personnes en fonction de la couleur de leur peau, de leur sexe ou de leur précarité financière au lieu de leurs pratiques linguistiques. J’en rapporte de nombreux exemples dans mon livre et l’actualité en fournit presque quotidiennement XX . Évidemment, si on appliquait en France les textes juridiques internationaux cités au début de cet article, les auteur-e-s de ces propos seraient poursuivi-e-s et condamné-e-s devant les tribunaux. C’est pour insister sur le fait que la glottophobie, comme la xénophobie, l’homophobie ou l’islamophobie, en autres, stigmatise, discrimine, exclut des personnes et non des langues (qui sont des abstractions et ne sont pas sujets du Droit), de façon arbitraire, injuste, illégitime (et illégale selon le droit international) que j’ai forgé et diffusé ce terme. Il est en effet totalement arbitraire de considérer que telle langue serait supérieure à telle autre ou telle forme linguistique meilleure que telle autre. Nos langues et nos façons de parlers sont constitutives de notre humanité, de notre singularité, de notre être au monde et de nos existences collectives : les rejeter, c’est rejeter les personnes elles-mêmes en tant que sujets sociaux et humains. * Une idéologie linguistique un certain français comme religion d’État en France Il est frappant que l’immense majorité des décideurs politiques et juridiques ignorent totalement les textes internationaux ratifiés par la France et ne voient même pas qu’il s’agit de manquements graves au respect des Droits humains: c’est que l’idéologie aveugle, elle est même faite pour ça. Une idéologie est un système totalitaire d’explication du monde qui exclut toute alternative et toute discussion. Il relève de la croyance et non de la réflexion. Le français a été érigé en véritable religion d’État en France, totem central de l’unité nationale (pensée comme une uniformisation autour d’une langue commune unique et unifiée), depuis la Révolution de 1789 et surtout depuis le régime totalitaire de la Terreur à partir de 1793. De nombreux chercheurs analysent en ces termes de religiosité, à peine métaphoriques, le rapport au français entretenu en France depuis deux siècles, de B. Cerquiglini à H. Walter, d’E. Charmeux à J.-M. Klinkenberg, de P. Bourdieu à L. - J. Calvet. Le français fait dès lors l’objet d’une adoration sans bornes (que j’appelle glottomanie), d’une croyance qui échappe à toute rationalité critique, d’une sacralité dont découlent de nombreux tabous (exprimés sous l’idée globale de « dialectes » ou de « patois » inférieurs à propos d’autres langues et sous le nom global de « faute » à propos de la diversité des pratiques « impures » du français –qui sont parfois rejetées hors de la langue par un « ce n’est pas français »). Dans un twit récent, une députée disait, de façon très illustrative de cet amalgame, « respecter la France, c’est d’abord respecter sa langue ». Car l’idéologie nationale française, construite à leur profit par les détenteurs du pouvoir étatique, a fait du français LA langue emblématique d’une certaine conception d’une identité française (comme communauté homogène) dans une certaine conception (ethnicisante XX ) de cette société, et en plus elle n’a retenu qu’un certain français et rejeté les autres (régionaux, banlieusards, populaires, jeunes, métissés, hors de France, etc.). Elle a posé comme modèle, comme filtre d’accès à la promotion sociale, au pouvoir politique et culturel, voire économique, le français surnormé élaboré par l’Académie française pour distinguer les dominants (aristocrates et grands bourgeois) et les dominé-e-s (le peuple, les « provinciaux », les paysans, les ouvriers...). Elle a ainsi instauré un deuxième niveau de discrimination : non seulement c’est la langue de certains Français qui a été imposée à d’autres Français (et à celles et ceux qui souhaitent le devenir, voir plus bas), mais c’est aussi le français artificiellement standardisé des dominants qui est exigé pour avoir accès au capital symbolique (linguistique, culturel, éducatif, politique et donc souvent aussi économique). Le français de la cour de France et de la bourgeoise parisienne, normalisé et volontairement complexifié par les satellites de la cour (écrivains, grammairiens, organisme de censure royale nommé « Académie française ») est ainsi devenu le français tout court et la seule langue « légitime » en France. Les locuteurs d’autres variétés linguistiques en sont exclus, sauf à renoncer et à se soumettre. L’École a été et reste le levier le plus puissant par lequel les dominants qui tiennent le pouvoir étatique ont imposé leur langue et leur idéologie linguistique, au point d’en convaincre les victimes elles-mêmes, par un processus d’hégémonie, de mise en insécurité linguistique et d’instillation d’une haine de soi. * Langues régionales ou immigrées, parlers populaires ou plurilingues, même combat! Toute forme de glottophobie est indigne et inadmissible. J’ai été frappé de voir à quel point la réception médiatique de grande ampleur de mon livre, tout en contribuant à faire admettre nationalement qu’il y a bien un problème, en a « spontanément » réduit la portée. La plupart des médias en ont retenu le caractère discriminatoire du rejet des « accents » régionaux, voire sociaux (mais beaucoup moins), en français. Très peu ont mentionné la question des autres langues que le français, probablement parce que ça va alors trop loin dans la contestation blasphématoire de la sacralité du français national, qui n’est pas discutable même et surtout du point de vue scientifique, rationnel et éthique, qui est le mien. Affirmer que c’est une politique totalitaire, attentatoires aux Droits humains, discriminatoire et condamnable, que d’interdire aux bretonnant-e-s de s’exprimer en breton en Bretagne pour avoir accès à leurs Droits et exercer leur citoyenneté, et de leur imposer de le faire en français (et pas en français de Bretagne) ou de les exclure, ça reste…