Marc SCHMITZ (coordination), Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale, Préface de Vinciane Despret, Couleur livres, 2022, 128 p., 12 €, ISBN : 9782870039342C’est à partir d’un lieu bien précis, de la réserve naturelle du Kinsendael située dans le sud de Bruxelles que l’ouvrage collectif Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale interroge les ressources conceptuelles et les scénarios à mettre en œuvre sur le terrain afin de fabriquer « des mondes encore habitables » (Vinciane Despret) où se nouent des liens harmonieux entre humains et non-humains. Composé d’acteurs issus de diverses disciplines, un collectif de contributeurs (Isabelle Stengers,…
Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre)
Après le remarqué Comment tout peut s’effondrer…
L’écrivain et le politique. Six essais sur Yourcenar
Tanguy DE WILDE D’ESTMAEL (dir.), L’écrivain et le politique. Six essais sur Yourcenar , Avant-propos de Jacques De Decker, Presses Universitaires de Louvain, 2018, 114 p., 14,50 € / PDF : 9,99 €, ISBN : 978-2-87558-728-2 Actes de la journée qui s’est tenue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique le 19 décembre 2017 à l’occasion du trentième anniversaire de la disparition de Marguerite Yourcenar, L’écrivain et le politique. Six essais sur Yourcenar interroge le rapport de l’auteure de Mémoires d’Hadrien, L’œuvre au noir, Le coup de grâce au politique. Un rapport de prime abord peu évident tant il est médié par le souci de l’universalisme. Jacques De Decker qui signe l’avant-propos, Bruno Blanckeman, Michèle Goslar, Tanguy de Wilde, Luc Devoldere dégagent la spécificité de Yourcenar, à savoir un détachement, une méfiance envers la politique (en tant que gestion des affaires humaines) et un intérêt omniprésent pour le politique. Cet intérêt se traduit doublement, au niveau de son œuvre et au niveau de sa vie, notamment au travers de ses engagements écologiques à une époque où seuls quelques visionnaires, des décennies avant le réchauffement climatique qui frappe la planète, alertaient sur la crise environnementale, la sixième extinction des espèces animales, la déforestation, le saccage des écosystèmes et de la biodiversité. Au travers des six interventions (Bruno Blanckeman, Francesca Counihan, Luc Devoldere, Michèle Goslar, Alexandre Terneuil, Tanguy de Wilde), deux champs de questionnement se dessinent : d’une part, « le grand livre du politique » (Bruno Blanckeman) qu’est Mémoires d’Hadrien (1951), chef d’œuvre qui, dans une vision rétrospective à vertu prospective, sonde l’empire d’Hadrien, plonge dans le passé afin de proposer des schèmes d’intelligibilité, des modèles politiques à l’exercice du pouvoir après la Deuxième Guerre mondiale, d’autre part, la pensée écologique que, pionnière, Yourcenar a déployée dans ses romans, ses essais. Comme l’évoque Michèle Goslar, ses préoccupations se déplaceront de l’histoire à la géologie, de l’homme à la Terre : si « elle a constamment dénoncé les brutalités à l’égard des bêtes, la pollution des eaux, de la terre et des airs, elle alerta une des premières sur les risques de percement de la couche d’ozone, milita contre l’abattage des jeunes phoques au Canada (…), fustigea la destruction des forêts, les dangers de l’industrialisation (….), la production de l’inutile et des gadgets ».Méditations sub specie aeternitatis sur un modèle de gouvernance avec l’empereur Hadrien, interrogations sur la tension entre « idéal et principe de réalité » (Bruno Blanckeman) dans l’exercice du pouvoir… Yourcenar éclaire le présent, ses apories, par sa confrontation avec un passé antique, avec le passé de la Renaissance ( L’œuvre au noir ) ou l’Italie mussolinienne ( Denier du rêve ) autant qu’elle réinterprète le jadis par l’éclairage que lui procure notre présent. Dans ce jeu sur des temporalités éloignées qui se croisent, l’Histoire, sa mémoire se voient ressaisies sous la focale intemporelle d’une vision métaphysique des âges de l’humanité et de la Terre.Deux figures se découpent dans son œuvre : l’empereur Hadrien en qui se condense la quête du dirigeant à la hauteur de sa tâche (creusement de la question platonicienne « quel individu fera un bon gouvernant pour les autres hommes ? ») et Zénon comme figure de résistance à l’intolérance, à l’entreprise de domestication du monde, une entreprise prométhéenne d’apprentis sorciers qui mena à la dévastation actuelle de la Terre. Au travers de Zénon, Yourcenar met en garde ses contemporains et les générations futures contre le pouvoir de destruction que l’homme exerce sur lui-même et sur les formes du vivant. « L’homme est une entreprise qui a contre elle le temps, la nécessité, la fortune, et l’imbécile et toujours croissante primauté du nombre (…) Les hommes tueront l’homme » ( L’œuvre au noir ).Nous avons, depuis lors, été sourds aux cris d’alerte lancés par Yourcenar et d’autres sentinelles de la lucidité. Celle qui milita et mit en garde contre les conséquences planétaires délétères d’une métaphysique occidentale au sein de laquelle l’homme, « maître et possesseur de la nature » (Descartes), est « le prédateur-roi, le bûcheron des bêtes et l’assassin des arbres » (Yourcenar), celle qui s’inquiétait de la possibilité grandissante « de la destruction de la Terre elle-même » ne pourrait qu’exprimer son désespoir si elle revenait, le temps d’une permission, sur une planète dévastée, ayant perdu en quarante ans et continuant de perdre à un rythme accéléré ses forêts, soixante pourcents des espèces animales, dans une détérioration assassine de l’Indice Planète…
Bestiaire de lumière : Plongée dans les aventures lumineuses du vivant
Jeremie BRUGIDOU , Bestiaire de lumière. Plongée dans les aventures lumineuses du vivant , L’ogre, coll. « Lucioles », 2025, 264 p ., 22 € , ISBN : 9782377562329Repenser notre relation au monde, nos façons de sentir, de communiquer, de concevoir notre coexistence avec les autres règnes du vivant à partir de la lumière, telle est l’ambition que se donne Jeremie Brugidou dans son essai aussi magistral que révolutionnaire intitulé Bestiaire de lumière. Plongée dans les aventures lumineuses du vivant . Sous la guise de chapitres conçus comme des paliers, l’artiste-chercheur Jeremie Brugidou, auteur de Ici, la Béringie (Ed. de l’Ogre), Vers une écologie de l’apparition : la biomedialuminescence du cinéma (Ed. Mimésis, un essai consacré à James Cameron) mobilise un questionnement tout à la fois écologique, philosophique, scientifique, éthologique et artistique sur le phénomène de la bioluminescence. Nous conviant à l’imaginaire des abysses, à une rencontre avec les « créatures-lumière », les lucioles, les bactéries lumineuses, les poulpe abyssaux luminescents et autres organismes générant des mondes photoniques, l’essai s’ouvre une révolution écophilosophique : déconstruire nos schèmes de pensée, nos perceptions de la lumière en troquant les cieux pour les abysses, la vision icarienne pour une multisensorialité des profondeurs. L’image primordiale de notre pensée semble être : éclairer l’obscurité par la lumière humaine pour pouvoir habiter le monde. Et pourtant. Et si au contraire, nos lumières nous empêchaient d’accéder au monde ? (…) Les créatures lumineuses peuvent-elles nous enseigner quelque chose à propos de nos relations à la lumière, aux autres créatures, au monde ? D’emblée, Jeremie Brugidou déboulonne deux présupposés qui nous font rater la rencontre avec la lumière : d’une part sa perception comme image de l’intellect humain, d’autre part sa réduction à une fonction instrumentale (éclairer). À partir des leçons que nous procurent les organismes marins et le cinéma qui « fait voir la lumière en action », nous sommes plongés dans un ouvrage qui nous donne à vivre, à comprendre, à sentir cette immersion dans les grands fonds obscurs, au plus loin de notre « idolâtrie » de la lumière. La descente dans les mystères des fonds pélagiques de la grande bleue, l’observation des interactions symbiotiques entre la sèche et la bactérie, la danse des concepts avec Gilles Deleuze, Pier Paolo Pasolini, Lynn Margulis, David Abram, Walter Benjamin, Jean Painlevé et tant d’autres soulèvent des mondes inconnus bâillonnés par le paradigme humain, nous montrent comment notre folie de l’éclairage, notre production industrielle d’une pollution lumineuse désastreuse pour les écosystèmes, pour l’environnement nous a rendus aveugles. S’appuyant sur Pasolini, sur la lecture des lucioles pasoliniennes par Didi-Huberman, Jeremie Brugidou opère la généalogie des différents types de lumières, analyse l’imaginaire politique lié aux variétés de lumière, « celles qui dominent et celles qui résistent », celles qui se situent du côté du pouvoir, du totalitaire, celles qui expriment la puissance, l’émancipation. Le mouvement éthologique, conceptuel, sensoriel que cet essai inouï met en œuvre est littéralement acté dans le corps du texte qui nous invite à emprunter une pensée amphibie, à descendre en apnée au fil des trois chapitres-paliers de plongée et à déconstruire les transcendantaux épistémologiques et ontologiques derrière notre vision de la lumière. Traversant les terres du neutrino, des photons, du Big Bang, du septième art, du capitaine Nemo, de la bio-sémiotique, de la photosophie, des alliances avec les princes des abysses, il engage les lecteurs dans des devenirs et alerte sur les énormes pressions, les dangers écocidaires, les folies extractivistes qui pèsent sur les grands fonds océaniques, sur leur biodiversité. Il pose à nouveaux frais la question de la responsabilité des humains dans leur volonté d’exploiter désormais leurs ressources en cobalt, manganèse, une exploitation qui signerait la destruction des écosystèmes sous-marins. Il rappelle l’insuffisance du droit international des océans et, explorant les interactions avec les vies non-humaines, déploie une pensée éthologique « accordant au vivant non-humain de produire aussi du sens. » Véronique Bergen Aux antipodes d'une conception de la lumière comme une métaphore de l'esprit humain qui éclaire le monde, la plus grande partie de la biomasse de notre planète multiplie des partenariats lumineux. De la simple observation à la relation symbiotique, elle développe de nombreuses formes d'attention à l'autre, que notre surluminosité menace et rend invisible. Jeremie Brugidou, avec son Bestiaire de lumière, plonge progressivement dans les profondeurs obscures de l'océan à la rencontre de ces lumières vivantes avec l'intuition quelles peuvent profondément bouleverser notre rapport au vivant. À partir de cet essai anthropologique sur la bioluminescence, il nous invite à déconstruire le rapport que nous avons à la lumière et à repenser la place que nous prenons dans le monde. « Dans les profondeurs, pour percevoir le monde, il ne faut pas éclairer davantage, mais apprendre à regarder autrement. » La zone des océans située 200 mètres en-dessous de la surface abrite la plus grande communauté de vivants de la planète. Dans la « twilight zone », là où les rayons de soleil ne passent plus, dans ce qui nous apparaît comme une obscurité totale, des bactéries, crevettes, méduses, poissons, forment un bestiaire aux lueurs hypnotiques. Si on y allume une lampe, on ne voit plus rien d'autre que le reflet de notre propre lumière dans les particules en suspension. Alors si l'on veut prendre conscience de ce qui nous entoure, il faut tout simplement éteindre la lumière et laisser les lumières vivantes révéler toute la vie qui s'y déploie et les relations qu'elles permettent. Bienvenue…