Marc SCHMITZ (coordination), Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale, Préface de Vinciane Despret, Couleur livres, 2022, 128 p., 12 €, ISBN : 9782870039342C’est à partir d’un lieu bien précis, de la réserve naturelle du Kinsendael située dans le sud de Bruxelles que l’ouvrage collectif Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale interroge les ressources conceptuelles et les scénarios à mettre en œuvre sur le terrain afin de fabriquer « des mondes encore habitables » (Vinciane Despret) où se nouent des liens harmonieux entre humains et non-humains. Composé d’acteurs issus de diverses disciplines, un collectif de contributeurs (Isabelle Stengers,…
Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale
Marc SCHMITZ (coordination), Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale , Préface de Vinciane Despret, Couleur livres, 2022, 128 p., 12 € , ISBN : 9782870039342C’est à partir d’un lieu bien précis, de la réserve naturelle du Kinsendael située dans le sud de Bruxelles que l’ouvrage collectif Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale interroge les ressources conceptuelles et les scénarios à mettre en œuvre sur le terrain afin de fabriquer « des mondes encore habitables » (Vinciane Despret) où se nouent des liens harmonieux entre humains et non-humains. Composé d’acteurs issus de diverses disciplines, un collectif de contributeurs ( Isabelle Stengers , Serge Gutwirth , Vinciane Despret qui signe la préface, Marc Schmitz qui coordonne l’ouvrage, Martine De Becker, Thérèse Verteneuil , Benoît Dumont , Olivier De Schutter , Jean-Claude Grégoire , Paul De Gobert, Amaury Vanlaer ) s’empare des questions des territoires de vie où se déploient des mondes sauvages, semi-sauvages, de l’érosion catastrophique de la biodiversité, de la fragmentation de l’habitat, de la spatiophagie, de l’urbanisation galopante qui menacent la survie d’innombrables espèces animales et végétales pour penser un changement de paradigme qui en passe par le local. Si tous s’accordent à dire que « préserver quelques îlots verts, comme la réserve du Kinsendael, ne sera pas suffisant » (Thérèse Verteneuil), tous esquissent des sorties d’une vision anthropocentrée qui, saccageant la nature, signe la mort de la biodiversité, laquelle compromet la survie de l’homo sapiens. Vibrant plaidoyer en faveur de l’invention d’une nouvelle alliance entre les formes du vivant, l’ouvrage accompagne le sombre bilan d’une érosion accélérée des écosystèmes de propositions pratiques permettant de freiner la bétonisation et l’artificialisation des sols, une bétonisation que Bruxelles perpétue alors que tous les signaux sont au rouge.Comme l’analyse Marc Schmitz, le rôle des lanceurs d’alerte est primordial dès lors que ces véritables gardiens, ces sentinelles de la vie sauvage donnent voix aux sans voix et contestent des choix politiques, économiques, de société qui ruinent la cathédrale du vivant. Manifeste d’écologie en acte, Le souffleur de feuilles fait souffler un vent de mobilisation qui fait contrepoids au sentiment de désespoir et d’impuissance. Qu’est-ce qu’un territoire où coexistent diverses espèces qui doivent négocier entre elles, apaiser les conflits ? Comment protéger des espaces, des friches de plus en plus menacées par la promotion immobilière, par des projets d’aménagement du territoire en faveur de logements liés à l’explosion démographique ? Partant d’une mobilisation de riverains contre un projet immobilier, Isabelle Stengers et Serge Gutwirth réélaborent la notion de « communs » et son efficacité juridique. « Terres sur lesquelles les habitants avaient des droits d’usage, sans en être propriétaires » (Stengers/Gutwirth), les communs, leurs pratiques de solidarité ont été détruits au profit de la propriété. Comment la réactivation du concept de servitude, de servitude environnementale permet-elle de protéger la biodiversité, de créer des corridors, des passages pour les animaux ? Les intervenants développent un essaim d’enquêtes et de propositions de solutions qui vont de l’agrobiodiversité au projet de villes-natures dotées de niches écologiques, de la protection des espaces riches en biodiversité à la connectivité écologique au travers de corridors et autres aménagements de sites permettant les passages d’espèces, de petits mammifères, de batraciens. Afin de lutter contre le fléau actuel de la pollution sonore et lumineuse, une nuisance catastrophique pour les espèces animales, des contributeurs en appellent à des mesures rétablissant les nuits noires et le silence. Gestes simples et quotidiens des collectivités locales, de la société civile, mises sur pied de nouvelles stratégies de militance, bras-de-fer avec les gouvernants afin d’inventer de nouvelles manières de penser et de co-exister, de se doter d’outils juridiques contraignants… Le souffleur de feuilles articule et réticule le local et le global. A l’heure où la planète est abîmée, saccagée par l’action et l’emprise des humains, ce livre dessine dans l’ici-maintenant un écheveau de ripostes qui protègent, réparent…
Plaisirs Suivi de Messages secrets : entretiens avec Patricia Boyer de Latour
Le doute, la mémoire, l’amour, le double, Venise, la musique, les Primitifs flamands, les visages, les miroirs, la Belgique… autant de portes d’entrée du voyage qui mena Dominique Rolin et Patricia Boyer de Latour à tisser un ensemble d’entretiens réunis sous le titre Plaisirs. Dès 1999, bien après Les marais, Le lit, La maison la forêt , Le corps, Les éclairs, à l’époque où paraissent des œuvres majeures comme La rénovation, Journal amoureux , débute une série d’échanges placés sous le signe de « la promenade dans un jardin » (Rolin), le jardin Rolin dont les fleurs s’appellent le doute, la passion, l’enfance, l’écriture comme « investissement total de l’être ». Une des lames de fond de l’univers existentiel et créateur de Dominique Rolin, sur laquelle elle revient sans relâche, a pour nom le doute. Non pas un doute cartésien qui, s’hyperbolisant, accouche d’une certitude irréfragable, mais un doute énergisant, qui, sans se convertir en conviction ferme, transmue la peur en force mentale. En dépit d’une irréconciliation avec soi, du démon de l’inquiétude, des « mouvements noirs » d’une enfance marquée par un père qui la rejette, l’écrivain et dessinatrice tire de sa dualité une vocation à l’allégresse. « Je vis en permanence sur deux niveaux : il y a l’extrême bonheur de vivre, et l’extrême peur de vivre ». Au fil des entretiens, Dominique Rolin exhume les alluvions de l’œuvre, les nappes phréatiques qui l’impulsent : les territoires de l’enfance à Boitsfort, de la forêt de Soignes, la fibre mystique, les sortilèges du rêve et de la surréalité, la fascination pour Breughel, Vermeer, Rembrandt, les élans oniriques des Primitifs flamands et la passion inouïe, éternelle qui la lie à Philippe Sollers… Lire aussi : Sollers-Rolin : une constellation épistolaire (C.I. n° 201) Art de vivre, l’écriture est inséparable de l’amour, consubstantielle à la présence de l’Amoureux, Jim/Philippe Sollers qui la sauve, qui « l’embryonne » (Sollers), qui lui ouvre leur port d’élection, Venise, et les vertiges de la musique. La découverte du jazz, de la musique classique, la révélation de la lumière australe, des canaux de la Sérénissime surgissent comme des expériences qui transforment la pratique de l’écriture. Abordant la littérature sous l’angle d’un laboratoire de vie, Dominique Rolin écoute, capte les phénomènes qui relancent son souffle de liberté. Transie par le temps, la substance de l’écriture est celle des transformations, des métamorphoses, des renouvellements formels, sensitifs, conceptuels. « Ma rencontre avec Jim [Philippe Sollers] a complètement transformé mon écriture. Écrire et tenir le coup, c’est se laisser secouer sismiquement par tous les événements extérieurs et toutes les évolutions intérieures qui en sont la conséquence. Il faut l’exercice d’un talent cru, le sens du rêve… ». Lire aussi : notre recension des Lettres à Philippe Sollers 1958-1980 Les textes qui composent Messages secrets ont pour origine les entretiens réalisés par Patricia Boyer de Latour entre 2007 et 2009. Celle qui vivra presque un siècle (1913-2012) entre alors dans sa nonante-quatrième année. Méditations sur la sur-vie, sur l’après-vie, sur les songes, conversion à la foi, coexistence proustienne du présent (l’appartement le « Veineux » rue de Verneuil à Paris) et du jadis (la maison d’enfance à Boitsfort), ces textes condensent une métaphysique de la sensation, une phénoménologie des existants. Ils explorent l’écriture comme expérience intérieure proche du sacré, évoquent les amours avant Sollers — Robert Denoël, Bernard Milleret —, les extases artistiques — les Mémoires de Saint-Simon, Breughel l’Ancien —, les amitiés avec Violette Leduc, Raymond Queneau, Roger Nimier ou encore l’attirance pour les escaliers en tant que passages du temps et lieux secrets. « La forêt des mots » que Dominique Rolin planta, de livre en livre, s’offre comme la prolongation de son amour pour les forêts de sa jeunesse. Ces forêts que, pris dans une spirale suicidaire, le XXIème siècle massacre, ces étendues boisées qu’on assassine, provoquant l’effondrement irréversible de la biodiversité, l’auteur de L’infini chez soi, L’enragé (sur Breughel) , Les géraniums les vénère avec la lucidité de qui sait qu’il n’y a monde que dans l’alliance entre les formes du vivant et que la disparition de la richesse des espèces animales et végétales prélude à notre anéantissement. Une ville est l’œuvre des hommes, mais les arbres… Ils donnent de la sève aux immeubles, aux rues et à cet environnement qui sans eux serait coupé de son âme. Nous devrions leur en être éternellement reconnaissants […] J’ai été élevée dans cet amour des forêts et je me souviens très bien de mes premières sensations, de mes premiers rêves et de mes premiers contacts liés à cette nature ombreuse,…