Quatre primo-romanciers édités en 2021 reviennent sur leur expérience
Quel plaisir pour un écrivain de publier un premier roman. Du tapuscrit au lecteur ou à la lectrice, le parcours peut cependant être long, sinueux, rempli d’embûches et soumis à une part de hasard. Nous avons interrogé quatre primo-romanciers belges de cette année.
Les premiers romans sont devenus un phénomène éditorial en soi. Ils occupent une place de choix à chaque rentrée littéraire, que ce soit celle de septembre ou celle de janvier. La presse spécialisée mentionne quasi systématiquement le nombre de premiers romans publiés à ces deux occasions saisonnières. Des données qui rappellent que l’édition est aussi affaire de chiffres. Dans le maelstrom des rentrées littéraires, le premier roman relève pour l’éditeur d’une réelle audace, même si cette catégorie de livres bénéficie d’un coup de projecteur « marketing » et d’un attrait assez partagé pour la nouveauté.
Encore faut-il que l’éditeur et le primo-romancier se rencontrent. Comment tomber sur la perle rare pour l’éditeur ? Comment décrocher le sésame d’une première publication pour l’aspirant écrivain ? L’accumulation de refus est, à de rares exceptions près, le lot de la majorité des candidats. L’histoire littéraire cite des exemples fameux d’écrivains devenus classiques qui ont failli désespérer de décrocher un jour la timbale, voire ont autoédité leur texte. Être édité est affaire de persévérance. Et pourtant, le simple envoi par la poste reste la référence pour la plupart des éditeurs, à l’exception de quelques-uns qui optent depuis peu pour la voie numérique. Certes, d’autres arrivent dans telle ou telle maison après avoir été lu par un écrivain de référence, après avoir été repéré à la suite d’un concours ou, plus récemment, sur les plateformes d’autoédition sur le net que scrutent certains éditeurs. Sans oublier l’intercession éventuelle d’un agent comme il en existe dans le monde du football. Il n’y a en réalité pas de règle établie et le monde de l’édition est truffé d’anecdotes diverses. Tout écrivain est passé par un premier roman : chacun a sa petite histoire plus ou moins romancée à propos de son entrée en littérature. Au vu de l’actualité littéraire de ces dernières années, force est de constater que la littérature belge de langue française ne manque pas d’une certaine relève. Les primo-romanciers occupent une belle place à toutes les rentrées. Raison pour laquelle nous avons donné la parole à quatre d’entre eux, deux femmes, deux hommes, de générations différentes (il n’y a pas d’âge pour publier un premier roman). Quatre Belges, dont deux édités en France, deux en Belgique, ce qui est une des caractéristiques des littératures périphériques à la France.
SOPHIE WOUTERS : UNE AVENTURE MAGNIFIQUE
Le temps de l’écriture ne correspond pas toujours à celui de la publication. Un premier roman publié a parfois été précédé de plusieurs manuscrits et de plusieurs démarches vers des éditeurs. Sophie Wouters, qui a publié cette année Célestine chez 180° éditions, une enseigne belge, s’est d’abord exprimée dans le domaine des arts plastiques. Elle y a consacré l’essentiel de son temps pendant des années, même si l’écriture l’accompagne depuis longtemps. « J’ai toujours eu des idées de romans en tête, précise-t-elle, mais écrire un roman, c’est fastidieux. Rédiger un mail me demande une énergie de malade. Alors, un roman ! » Il n’empêche, avant d’envoyer Célestine à un éditeur, Sophie Wouters a écrit un premier roman, imposant, inédit à ce jour : « Il se déroule de 1923 à 2056, explique-t-elle, un livre d’idées sur l’humanité, la famille, les relations humaines, les parallèles entre la grande Histoire et nos petites histoires… Au moment de poster le manuscrit, j’ai eu un doute par rapport au monde de l’édition. Ayant beaucoup lu dans ma vie, je me suis rendu compte des failles de ce manuscrit et qu’il y avait un décalage entre les attentes des lecteurs et ce qu’acceptaient les éditeurs. Je crois que les gens ont à nouveau besoin de lire de vraies histoires. Ce n’est pas une analyse, plutôt une intuition. Ce texte est toujours dans un tiroir, je le retravaillerai peut-être un jour. » Quelques mois passent et Sophie Wouters se remet à écrire. Un roman d’un tout autre genre. L’histoire prenante d’une gamine née orpheline, élevée par une tante dans les années ’60 et que l’on retrouve quelques années plus tard au cœur d’un procès d’assise. Tout le suspens du roman reposera sur ce qui a pu arriver entretemps à ce personnage qui nous devient de plus en plus familier au fil de la lecture ! Une fois le manuscrit terminé, encore faut-il convaincre un éditeur. « Je ne connaissais rien au monde de l’édition, précise Sophie Wouters, mais parallèlement à l’écriture, je m’y suis intéressée pendant trois ans. Je me suis même rendu compte que j’en connaissais parfois plus que certains écrivains qui avaient déjà publié ! J’ai présenté le texte à cinq éditeurs, choisis en fonction de mes lectures et des auteurs qu’ils publient et que j’apprécie, j’ai eu cinq refus. Puis est venu le confinement. J’ai décidé de mettre mon orgueil de côté et d’avoir l’audace jamais eue auparavant : annoncer que j’avais écrit un roman. J’en ai publié un extrait par jour sur Facebook pour tester la réaction des internautes. Cela a fait le buzz. J’ai été approchée par deux éditeurs avec qui le courant n’est pas passé, et un scénariste qui voulait en faire un film, mais me demandait de changer la fin, ce que j’ai refusé. Le hasard a fait que le même jour, en décembre 2020, j’ai envisagé l’autoédition et qu’Hervé Gérard, l’ancien président de la Foire du Livre de Bruxelles, qui avait aimé le manuscrit, mais m’avait laissé l’envoyer en France, m’a conseillé de l’envoyer à son éditeur, Robert Nahum, le patron de 180° éditions. Celui-ci l’a accepté avec enthousiasme. Je m’étais promis une seconde naissance et elle est arrivée à 58 ans, en pleine pandémie. »
Surtout, respectez-vous !
Une fois accepté, un manuscrit connaît encore bien des étapes suivant l’éditeur qui l’accepte : il y a celui qui se contente d’apporter les corrections de base, celui qui demande de retravailler le texte en profondeur, les longueurs, la découpe, la psychologie de tel ou tel personnage, il y a celui qui suggère – ou impose – un changement de titre, celui qui interpelle l’auteur sur le choix de l’illustration en couverture quand il y en a une… La présentation de Célestine est sobre : un titre simple, en rouge comme les coquelicots qui reviennent dans le texte, sur un fond crème, tel que l’imaginait l’auteure. « L’éditeur a répondu à mes desiderata. Dans le travail sur le texte, se souvient Sophie Wouters, il a eu cette phrase importante pour moi : « Surtout, respectez-vous ! » Il n’a fait aucune remarque, il y a eu simplement des propositions très précises du correcteur, plus sur des détails comme bohème avec ou sans accent circonflexe. » Le livre est ensuite parti à la rencontre de son lectorat, aidé en cela par cette appréciation d’… Amélie Nothomb reprise en 4e de couverture : « Cette nuit, j’ai lu Célestine. Ton texte m’a bouleversée, je n’ai pas pu m’arrêter. Je te dois une nuit blanche ! » « Je l’ai connue quand j’étais gamine, précise Sophie Wouters, je ne l’avais plus vue depuis une vingtaine d’années. Elle a lu le manuscrit immédiatement et réagit presque aussi vite. » Un marrainage qui va porter ses fruits. Les libraires, les journalistes et les chroniqueuses sont au rendez-vous, dont un passage dans le JT de RTL et un bel article de Jean-Claude Vantroyen dans Le Soir. « Un succès invraisemblable, sourit Sophie Wouters. Je vis des moments incroyables. J’ai une énergie pour donner vie à Célestine. C’est à la sortie d’un livre que tout commence, qu’il faut donner le maximum. Je ne suis pas seule : l’éditeur est disponible, toujours à l’écoute, ainsi que l’attachée de presse. Il y a aussi le bouche-à-oreille, l’enthousiasme du patron de Filigranes, du directeur de la Maison de la Francité… Je remercie systématiquement tous ces gens. Ce n’est pas du marketing, c’est dans ma nature, et j’ai une grande gratitude à leur égard. »
Le conseil de Sophie Wouters à celui, celle qui cherche un éditeur
« D’abord croire à ses rêves et s’y accrocher à fond. Ensuite, demander la plus grande sincérité à ceux à qui on demande de lire le manuscrit et même le faire lire à des personnes qui vous connaissent moins ou pas du tout. Sur le conseil d’Éric-Emmanuel Schmidt croisé par hasard, j’ai protégé mon tapuscrit en le déposant auprès d’une société de droits d’auteurs. Cela peut se faire via un coffre-fort virtuel et ça ne coûte pas très cher. Par ailleurs, on a toujours envie d’être publié auprès de grandes maisons d’édition en France mais, comme on me l’a dit un jour à la Maison des Auteurs, il vaut mieux être publié dans une petite maison d’édition belge qui se battra pour vous que dans une grande maison française qui vous lâchera si ça ne marche pas. Avec 180° éditions, je vis une aventure magnifique faite de bienveillance, de rigueur, dans une entente presque parfaite, avec des valeurs similaires. »
ZOÉ DERLEYN : SORTIR DE LA SOLITUDE DE L’ÉCRITURE
Un primo-romancier n’est pas nécessairement un novice en littérature. Debout dans l’eau, de Zoé Derleyn, n’est pas son premier livre. Il a été précédé par la publication d’un recueil de nouvelles aux éditions Quadrature, Le goût de la limace. Un passage de la nouvelle au roman vécu par plusieurs écrivains belges comme Michel Lambert, Caroline Lamarche, Vincent Engel, Thomas Gunzig, etc., qui comporte certains avantages. « Cette première expérience a été l’occasion de me confronter à la réalité de la publication, se souvient Zoé Derleyn. Il y a tout le travail d’accompagnement du livre qui n’a rien à voir avec l’écriture et qu’il faut assumer. L’exposition, même si elle est relative, ne m’est pas naturelle. Je dois un peu me faire violence, malgré le réel plaisir de partager. C’est aussi ce premier livre qui m’a donné envie de continuer à publier. L’écriture a toujours fait partie de ma vie, c’est une nécessité, mais jusqu’à ce recueil, je n’envisageais pas vraiment de publier. » Particularité de son éditeur basé à Louvain-la-Neuve : il publie exclusivement des recueils de nouvelles, à raison de trois, quatre titres par an. Vu cette spécificité, Zoé Derleyn a dû remettre quasiment les compteurs à zéro avec son nouveau manuscrit.
L’expertise d’une équipe éditoriale
Dans Debout dans l’eau, roman sobre et bien mené sur la filiation, paru au Rouergue, une gamine élevée par ses grands-parents assiste aux derniers jours de son grand-père distant et autoritaire, qui a régné sur un jardin où s’est jouée l’enfance de l’héroïne, très imaginative. « Pour le roman, il m’a fallu repartir en quête d’un éditeur, se souvient Zoé Derleyn. Il y a eu des refus, dont certains argumentés que j’ai ressentis comme des encouragements. Finalement, ce qui compte, c’est quand le texte rencontre son éditeur, dans mon cas une éditrice, Nathalie Démoulin, qui a envie de le porter, de le faire devenir livre. C’est un moment très important, on sort de la solitude de l’écriture. Derrière la fabrication d’un livre, il y a toute une équipe. » Et lorsque la jeune romancière évoque différents aspects de la collaboration qu’elle a pu nouer avec ses deux maisons d’éditions, elle met en avant des éléments auxquels le lecteur ou la lectrice ne pense pas nécessairement une fois l’ouvrage entre leurs mains. « Bien que l’habillage du livre fasse partie des prérogatives de l’éditeur, j’ai chaque fois eu le sentiment d’être incluse dans le processus. Pour le recueil de nouvelles, la photo de couverture a été réalisée par un ami, Cyrus Pâques, sur une idée de l’éditeur. Le seul point de divergence était le choix de Quadrature de publier en orthographe rectifiée. Pour la couverture, nous avons trouvé un compromis, une petite limace en guise d’accent circonflexe sur le mot « goût ». Pour le roman, l’éditrice m’a envoyé les projets de couverture et de quatrième de couverture. Je n’avais aucune idée préalable et je suis très contente du résultat. Pour cette partie du travail, indispensable à la publication, c’est rassurant de pouvoir se reposer sur l’expertise de l’équipe éditoriale. » Cette expertise s’avère également indispensable pour la suite de l’aventure : « Depuis la parution, j’ai une relation suivie avec l’équipe éditoriale, en particulier l’attachée de presse, Laure Wachter. Je me sens tout à fait soutenue par l’équipe du Rouergue, et c’est quelque chose que j’avais déjà vécu avec Quadrature. L’écriture est pour moi un chemin parsemé de doutes et le soutien d’un éditeur est très précieux. À tel point que lorsque j’ai su que le roman allait être publié au Rouergue, parmi les premières personnes que j’ai prévenues, il y avait l’équipe de Quadrature. » Autre bonheur lié à la publication, selon Zoé Derleyn : « L’étonnement positif, c’est la rencontre avec les lecteurs. Quand j’écris, ce qui m’importe, c’est d’être juste par rapport à moi. Quand on passe à la publication, je me demande si ce qui fait sens pour moi peut aussi faire sens pour d’autres. C’est une vraie joie, un vrai étonnement de découvrir que mes mots peuvent toucher des inconnus. »
Le conseil de Zoé Derleyn à celui, celle qui cherche un éditeur
« Je ne sais pas si j’ai des conseils à donner, chaque chemin est tellement différent ! Pour ma part, avant d’envoyer le manuscrit, je le laisse reposer, quelques semaines, quelques mois. Cela me permet de le relire avec un regard neuf. Alors, peut-être que je conseillerais la patience. Je pense aussi qu’il ne faut pas oublier que tout ce qu’on écrit n’a pas nécessairement vocation à être publié. Il m’arrive sans arrêt de travailler un texte, parfois même longuement, puis de le mettre de côté. Je sais que j’ai eu besoin de l’écrire, et peut-être que j’y reviendrai plus tard, peut-être pas. Cela fait partie du chemin. »
PHILIPPE GUSTIN : L’ENTREPRENEUR LITTÉRAIRE
Avec Philippe Gustin, nous avons la confirmation qu’il y a presque autant de parcours de primo-romanciers qu’il y a de primo-romanciers. Son premier manuscrit n’a été précédé d’aucun autre et celui-ci a été publié parce qu’il a été le lauréat du Prix Fintro Écritures Noires 2020. Celui-ci était organisé pour la quatrième fois par Fintro et la Foire du Livre de Bruxelles, attribué sur manuscrit afin de promouvoir de nouvelles voix d’auteurs de polar belges francophones qui n’ont pas encore publié à compte d’éditeur. Mené tambour battant, truffé de trouvailles incroyables, débordant d’humour potache et de piques caustiques, Sous la ceinture met le doigt là où saignent nos sociétés contemporaines : le terrorisme, ou plutôt les terrorismes, puisqu’il y est question d’extrême-droite, d’islamisme et d’écoterrorisme… L’air de rien, l’auteur amène à réfléchir à leur montée en puissance, même quand il les tourne en ridicule, et à la manière dont la démocratie témoigne d’une dangereuse impuissance face à eux. Un texte remarqué par des spécialistes du genre et qui pourtant était un coup d’essai pour son auteur. « Sous la ceinture est mon premier manuscrit. Assez curieusement, je n’ai jamais rêvé d’être écrivain, explique Philippe Gustin, et je ne me vois d’ailleurs pas comme tel : si je devais me coller une étiquette, ce serait celle « d’entrepreneur littéraire ». L’envie m’est venue de me lancer dans un projet personnel et ambitieux : écrire un livre ne nécessite presque aucun investissement financier et est une sacrée aventure. C’était ce qu’il me fallait ! » Entrepreneur littéraire, voilà bien une expression que nous n’avions jamais entendue auparavant et qui nous a intriguée au point de vouloir en savoir davantage sur le métier de celui qui l’a utilisée pour se qualifier. « Dans la vie quotidienne, précise Philippe Gustin, je dirige une petite équipe commerciale, dans le secteur de la construction. Je me suis donc naturellement intéressé à tous les aspects de l’aventure du Prix Fintro : élaboration de la couverture la plus attrayante possible, participation à la réunion avec l’équipe commerciale de Media Diffusion avant le lancement, discussion avec l’éditeur sur la manière de communiquer autour du roman. Bref, après avoir écrit le livre, je voulais le vendre, même si je savais que je ne ferais pas beaucoup d’argent avec. Je décris mon roman comme mon « magasin de fleurs en papier sur la plage ». »
Tout un package
L’attribution du Prix Fintro remis sur manuscrit et qui consiste en sa publication bouscule le schéma classique du parcours du combattant de bien des aspirants romanciers. En quoi cela peut-il être déterminant ? « Le Prix Fintro, c’est une entrée par la grande porte dans le monde littéraire belge, s’enthousiasme Philippe Gustin. Il y a tout un package dont je n’aurais pas forcément disposé autrement : le précieux contrat d’édition chez Ker. La caution qu’apporte un beau jury comportant de grands prescripteurs, dont Michel Dufranne ou Thierry Bellefroid, pour ne citer qu’eux. Les services d’Isabelle Fagot, une attachée de presse très efficace, et le soutien de toute l’équipe de la Foire du Livre. La visibilité est probablement bien supérieure à celle que j’aurais pu avoir par la voie classique. Dans la mesure où j’ai remporté le Prix Fintro assez vite, je n’ai pas eu le temps de galérer bien longtemps à la recherche d’un éditeur. Ce qui ne m’a pas empêché de recevoir quelques refus de vénérables institutions parisiennes. L’une d’elles m’avait quand même lu et envoyé un courrier personnalisé, ce que j’avais trouvé sympa (en pareil cas, on se contente de peu). » Autre particularité, le Prix Fintro est remis à un roman noir, ce qui suppose probablement d’investiguer des collections particulières quand on recherche un éditeur. « Ce que je vais dire est sans doute bizarre, mais je n’avais pas vraiment conscience que Sous la ceinture était un roman noir, avoue Philippe Gustin. Mon franc est tombé quand j’ai reçu un courriel d’un éditeur qui m’annonçait que mon texte serait soumis au comité de lecture de sa collection noire. Je sais d’ailleurs que le roman a suscité une discussion au sein du jury du Prix Fintro car ce n’est ni un thriller, ni un polar, mais le roman noir, c’est bien plus large que cela. Je n’ai donc pas choisi une catégorie : j’avais une histoire à raconter, et elle a pris cette forme. Par ailleurs, je ne lis presque jamais de thrillers : ils sont souvent glauques et je ne lis pas pour me sentir mal. C’est la raison pour laquelle chez moi, les « méchants » sont presque attachants… » Et son deuxième roman, dont on dit bien souvent qu’il est plus compliqué à écrire que le premier roman, sera-t-il aussi dans cette veine ? « Aucune idée, répond-il du tact au tac : je n’ai pas encore commencé de deuxième roman. Mais je pense que les gens se mettent la pression en voulant battre le fer tant qu’il est chaud, coûte que coûte. Moi, si je veux me poser quelques années, je peux le faire puisque j’ai ce luxe : je ne vis pas de ma plume. Par ailleurs, et pour donner du sens à l’expression « entrepreneur littéraire », je me pose quand même la question du style à adopter pour un deuxième bouquin, car Sous la ceinture est un roman déjanté et politiquement incorrect. J’ai eu la chance de bénéficier de très bonnes critiques dans la presse et de retours encourageants de lecteurs. Mais ce traitement du texte reste limité à un marché de niche. Il suffit d’aller en librairie et de rencontrer des clients pour se rendre compte que les amateurs de romans noirs ne cherchent pas prioritairement à rire, même s’il existe de rares auteurs de polars qui en ont fait leur fonds de commerce. Or, je ne serai jamais capable de rester sérieux 300 pages… »
L’ennemi, c’est le poids
Finalement, le roman est publié chez Ker éditions, partenaire éditoriale du Prix Fintro. On peut dès lors se demander si l’éditeur, une fois le manuscrit primé, intervient encore a posteriori sur le texte avant publication. « Oui, bien sûr, insiste Philippe Gustin. Nous avons beaucoup échangé, Xavier Vanvaerenbergh et moi. Je sais que certains auteurs sont frileux quant à une intervention sur leur texte. Moi, j’étais au contraire ravi d’avoir droit à un vrai travail d’édition. C’est vraiment une force de Ker éditions, qui accorde une grande importance à la qualité finale du texte. Pour avoir discuté avec d’autres romanciers, tous les éditeurs ne fournissent pas un tel support. C’est précieux ! En gros, le retravail a surtout été un élagage : une trentaine de pages sont tombées et je comparais Xavier à un préparateur de voiture de course, où l’ennemi, c’est le poids. »
L’objet-livre en mains, l’écrivain frais émoulu peut savourer l’odeur du papier neuf, le toucher particulier du plastifié ou du grain de la couverture, le plaisir d’identifier un graphisme propre à la maison ou la collection, en un mot la fierté de rejoindre un label, tant il est vrai que la plupart des maisons d’édition ont une identité graphique propre, avec des signes distinctifs qui sont autant d’éléments de séduction. Ce livre enfin sorti de presse, il lui reste à vivre sa vie loin (ou pas) de son géniteur. Cette étape peut aussi entraîner son lot de désillusions. Critiques négatives ou, pire ?, silences de la critique, absence du livre sur les tables des librairies ou relégation en bas d’étagère, rencontres parcimonieuses avec le public, manque de suivi de la part de l’éditeur pour diverses raisons, etc. Les chiffres de vente surprennent plus d’un. Selon une enquête du magazine Lire, la plupart des premiers romans se vendent entre trois mille et… trois cents exemplaires. À l’inverse, le succès rapide et foudroyant peut être au rendez-vous et se révéler tout aussi déstabilisant. La vie d’Amélie Nothomb confrontée dès ses débuts à un tourbillon médiatique a dû exiger d’elle une capacité de résistance au stress dont tout le monde ne dispose pas nécessairement. Après avoir connu la solitude, le silence et l’anonymat de l’écriture, celui qui a décroché le nirvana entame un parcours qui révèle aussi son lot de surprises, positives et négatives, ainsi qu’a pu le constater Philippe Gustin : « J’ai été surpris par la bienveillance de nombreuses personnes : que cela soit sur les réseaux sociaux ou dans le monde réel, j’ai reçu du soutien et des encouragements parfois inattendus. Comme toujours, ce sont les réactions spontanées les plus touchantes. Par exemple, une collègue de ma femme est rentrée chez elle avec mon livre à la main : en voyant la couverture, son compagnon a réagi en disant : « Oh, tu as acheté le livre avec les nounours sur la couverture ? J’ai vu une interview du gars à la télé, il a l’air hyper sympa ! ». Ou ce journaliste de la RTBF, qui m’a envoyé un message Facebook pour me dire spontanément qu’il avait lu mon roman sur le conseil de l’une de ses collègues et qu’il avait adoré. Là, on est hors du cadre d’une interview et ça fait plaisir !
Pour le côté négatif je ne vois que deux choses : le processus éditorial et la promo du livre peuvent être très chronophages si on veut s’y impliquer sérieusement. Mais on sait pourquoi on le fait, donc on ne se plaint pas. Et ce qui est étrange, c’est que ma façon de lire a changé : c’est un peu comme si j’allais voir un spectacle de magie en en connaissant les ficelles et astuces. J’avais une grande admiration pour les gens capables d’écrire tout un roman. Maintenant, je sais que ce n’est pas un exploit et je me montre nettement plus critique. »
Le conseil de Philippe Gustin à celui, celle qui cherche un éditeur
« Faites flèche de tout bois : sortez de chez vous, rencontrez le plus de monde possible, discutez, posez des questions et laissez trainer vos oreilles partout. Les grandes choses de l’existence n’arrivent pas par hasard, mais rarement de la façon que l’on aurait attendue. »
MAXIME BULTOT : UNE ÉQUIPE DERRIÈRE LE ROMAN
Maxime Bultot
L’année la plus chaude, premier roman remarqué de Maxime Bultot, raconte de manière vivante et drôle l’été caniculaire d’un jeune adolescent engoncé dans son ennui et qui rêve d’une autre vie. Diplômé de l’INSAS, réalisateur, assistant mise en scène et scénariste, ce qui peut expliquer le ton rythmé et enlevé du roman, l’auteur ne connaissait rien du monde de l’édition avant de le poster et de le publier chez Jean-Claude Lattès. « L’année la plus chaude est mon unique démarche auprès des éditeurs. Le seul manuscrit que j’aie envoyé. » D’emblée, celui-ci est accepté dans une maison d’édition française qui a pignon sur rue. Sans qu’il ait eu pour autant la volonté de privilégier une maison d’édition française plutôt que belge. « C’est un choix qui relève d’une part d’ignorance, explique-t-il. Au moment d’envoyer mon manuscrit, j’ai regardé les éditeurs qui occupaient ma bibliothèque. Force est de constater qu’ils sont très majoritairement français. C’est ceux qui me semblaient avoir la plus grosse influence dans le milieu, ceux qui me semblaient être les plus armés pour défendre mon roman. J’ai découvert par la suite certains éditeurs belges. » Contrairement à la majorité des candidats romanciers, il n’a pas dû patienter longuement. « J’ai eu beaucoup de chance, avoue-t-il. J’ai envoyé mon manuscrit à une dizaine de maisons d’édition françaises. Quinze jours plus tard, Mahir Guven, le directeur littéraire du label « La Grenade » de Jean-Claude Lattès, m’appelait. »
Améliorer ce qui existe
Pour un auteur, il est difficile de se situer par rapport à son travail d’écriture. Est-ce le moment de publier ? Dois-je encore travailler ? L’éditeur a ici une vraie responsabilité. C’est le premier qui adoube un auteur, goûte à son univers, identifie un style, etc. C’est lui qui dit : Tu es prêt, on y va. C’est tout aussi important de refuser un manuscrit que de le sélectionner. Accepter un texte à un stade intermédiaire de maturité n’est pas un bon service à rendre à son auteur. C’est le jeter sur le marché alors qu’il n’a pas encore donné tout son potentiel. C’est ce qu’on pourrait d’ailleurs reprocher à l’autoédition. Il n’y a aucun filtre. Hormis quelques surprises, les auteurs apparaissent sur la toile comme des diamants bruts, un peu à l’abandon. Maxime Bultot a pu bénéficier de tout ce travail intermédiaire, ainsi qu’il s’en explique : « J’avais envoyé le manuscrit comme une étape de travail. Pas comme un texte définitif. On s’est rencontré chez Jean-Claude Lattès pour parler de mon roman, voir comment le faire évoluer. Chacun voulait améliorer ce qui existait, en faire un meilleur roman. Ils m’ont proposé d’écrire un synopsis long d’une version développée (environ cinq pages qui résument le roman à venir). Et sur base de ce synopsis, nous avons signé le contrat. À partir de là, a commencé la réécriture qui a duré six mois environ. Avec des échanges ponctuels avec l’éditeur sur certaines étapes de travail. Ces échanges ont toujours été bienveillants, à l’écoute, sans aucune pression de leur part. Une fois le manuscrit arrivé dans sa phase finale, il y a eu un travail de relecture/ajustement assez important. Toujours en suggestion, et dans le dialogue. Mais j’ai beaucoup discuté avec Jeanne Morosoff, mon éditrice, du texte, des choses à changer, à clarifier, etc. C’est un travail qui se révèle parfois un peu fastidieux, mais qui permet de questionner le texte, de le fluidifier, de le rendre plus fort encore. » Leur collaboration ne s’est par arrêtée au texte, Maxime Bultot a également été consulté pour l’habillage du livre, l’illustration de couverture, la quatrième de couverture… « J’ai pu discuter avec eux de ces choses-là, de questionner certains détails, mais j’étais globalement en accord avec les choix qu’ils ont posés. » Depuis la parution, le primo-romancier est suivi par deux attachées de presse (une en France, une en Belgique), ainsi qu’un responsable des relations libraires et salons littéraires. « J’ai peu de contact avec Mahir Guven et Jeanne Morossoff, qui m’ont accompagné dans l’écriture, mais me soutiennent dans cette aventure depuis la sortie du roman. Ce qui est agréable, c’est de sentir que je suis accompagné. Que des gens continuent de travailler pour défendre ce livre quand mon travail d’écriture est terminé. Je sens l’équipe derrière le roman. Ce qui est plus compliqué, c’est de se faire une place dans le paysage littéraire. Ce n’est pas une révélation en soi, mais une réalité qu’on éprouve rapidement. Il y a tellement de livres qui sortent chaque semaine, qu’il est parfois compliqué de sortir du lot, surtout quand c’est votre premier roman, et que personne ne vous connaît. »
Le conseil de Maxime Bultot à celui, celle qui cherche un éditeur
« Oser envoyer son manuscrit à de grands éditeurs, ce que j’ai fait en y croyant à moitié. Oser envoyer ce manuscrit même s’il n’est pas parfait. Il faut évidemment une histoire complète, avec un début et une fin, que le ton y soit, mais le travail d’un éditeur (comme celui d’un producteur au cinéma), c’est aussi de faire émerger des livres, d’aider les auteurs à révéler leur potentiel. Il ne faut pas chercher la perfection à tout prix. Ce qu’ils recherchent, ce sont des voix, des personnes qui ont des histoires à raconter. Et n’abandonnez pas. Continuez d’écrire. Continuez d’envoyer vos manuscrits. »
© Michel Torrekens, juin 2021