Nous n’avions guère eu, jusqu’à présent, l’occasion d’évoquer dans nos colonnes l’œuvre de Jean Muno, pourtant de première importance. La recréation de Caméléon, au Théâtre du Rideau de Bruxelles, dans une adaptation et une mise en scène de Patrick Bonté, nous fournit le prétexte rêvé pour revenir aux livres et cerner les tours et détours d’une carrière littéraire bien singulière.
Prendre un pseudonyme, pour un écrivain – on en dirait tout autant d’un peintre, d’un musicien, ou même d’un simple quidam – n’est jamais purement fonctionnel, et le choisir n’est jamais aléatoire. Il y a au moins ce désir d’une autre identité, celle du « créateur », détachée de l’individu « réel » ou « social ».…
S’il y a bien un événement dont on peut se réjouir en cette année littéraire, c’est la réédition de Ripple-marks de Jean Muno. Bien sûr, c’est à l’Académie royale de langue et de littérature françaises, en collaboration avec les éditions Samsa, que l’on doit cette remise au jour – puisque Jean Muno, aka Robert Burniaux, fut, en son temps, académicien (mais sinon, il était aussi prof et, surtout, écrivain). La première édition de Ripple-Marks datant de 1976, chez Jacques Antoine, et la deuxième parue dix ans plus tard à L’Âge d’Homme, on avait tout le loisir de passer à côté, ce qui est une véritable erreur, un absolu ratage, une affreuse maldone dont nous voilà aujourd’hui épargné.e.s, et heureux-ses de l’être. Ripple-marks est un livre culte.…
Dernier des neuf romans que l’on doit à Jean Muno (1924-1988), Jeu de rôles est bien davantage qu’un testament : il parachève une expérience littéraire globale et représente un aboutissement esthétique. Tenant de « l’école belge de l’étrange », Muno n’est pas à proprement parler un fantastiqueur. Les données de son onirisme, enraciné dans le réel, se renversent en une sorte d’« ironisme » magique dont il demeure un spécimen singulier.Lire aussi : Le fantastique en BelgiqueOn sait que pour Muno, le qualificatif « héros » est indissociable de l’adjectif « exécrable », depuis qu’il campa sa doublure brabançonne dans un opus qui reste l’un des plus grands romans du malaise belgitudinaire. On pense aussi immanquablement à à l’incisif Joker,…
Ah qu’il doit être bon de n’avoir jamais lu Muno, pour pouvoir enfin le découvrir. Avec Histoires singulières, «Espace Nord» ouvre cette porte au jeune lecteur, ou rend le sourire à l’étourdi qui avait prêté son édition de Jacques Antoine et qui, comme de juste, ne l’avait jamais récupérée. Enfoncez-la, cette porte, pour vous perdre dans les brumes délicieuses ; entrez dans cette gare qui semble abandonnée, qui ne figure sur aucune carte ; tombez amoureux de femmes évanescentes. Les dix nouvelles de ce recueil racontent des histoires d’hommes pris au piège de leur solitude, de leur ennui, des hommes qui, au creux de leur existence insignifiante, de la banalité et de la monotonie, découvrent un jour une brèche, et s’y engouffrent tout entier. Celui-ci travaille…