Ouvreur de l’être, de la raison, de la loi, de tout ce qui nous enserre, à quarante-deux ans, le philosophe Laurent de Sutter a déjà une œuvre considérable d’éditeur et d’écriveur. Écriveur ou écrivain?
Dans cet entretien, une réponse s’esquisse. On y découvre la face cachée de son travail: l’écriture comme partie intégrante de son mode productif de pensée.
Une pensée vive, rapide, connectée qui s’abreuve aussi bien aux aventures des super héros, au striptease qu’à l’histoire mondiale du droit et aux réseaux sociaux.
Avec ses livres sur Greta Thunberg et William Burroughs, il clôt la première phase de son œuvre, «Objets» pour entamer la seconde, «Propositions».
Un nouveau livre de Laurent de Sutter ne se fait jamais attendre, et pour cause : le travail de réévaluation de nos sociétés et des mécanismes d’oppression qui les régissent, mené par ce professeur de théorie du droit de la VUB, se poursuit par salves continues, avec le méthodisme et l’acuité d’un sniper. Après sa Théorie du kamikaze, il s’en prend au plus insidieux dispositif de mise sous contrôle de nos affects, partant de nos libertés fondamentales, qui s’insinue en nous via les innombrables substances chimiques qu’il nous est loisible, quand ce n’est prescrit, d’ingérer quotidiennement.Alors que Marx qualifiait la religion d’« opium du peuple », Laurent de Sutter voit dans les antidépresseurs, somnifères, cocaïne et autre pilule anticonceptionnelle,…
Laurent DE SUTTER, Changer le monde, Observatoire, coll. « Et après ?», #11, 2020, 38 p., ePub : 1.99 €, ISBN : 979-1-03-291581-3 Ô combien roboratifs en cette époque obtuse s’avèrent les deux derniers essais de Laurent de Sutter, Lettre à Greta Thunberg. Pour en finir avec le XXème siècle et Changer le monde. Sa percutante lettre à Greta Thunberg montre combien la jeune femme a réveillé nos consciences endormies, pointé notre déni, secoué notre inaction. Par son surgissement inattendu, insolite dans l’espace public, elle a introduit une nouvelle différence là où régnait une criminelle indifférence. Laurent de Sutter interroge la mobilisation planétaire sans précédent que Greta Thunberg a soulevée et la levée de boucliers qu’elle a suscitée de la part…
Laurent DE SUTTER, Johnsons & Shits. Notes sur la pensée politique de William S. Burroughs, Léo Scheer, 2020, 96 p., 15 €, ISBN : 9782756113227« Hé mec, vous tenez là un grand livre, un livre dément. Une bombe ». Voilà ce que William S. Burroughs s’exclamerait s’il éprouvait l’envie de quitter le monde des morts pour faire un tour dans le marécage du 21e siècle. À coup sûr, la qualité des substances psychotropes le décevrait mais l’essai de Laurent de Sutter Johnsons & Shits. Notes sur la pensée politique de William S. Burroughs qu’un dealer de Bruxelles lui fournirait en bonus l’exalterait. Si Burroughs est connu et reconnu comme écrivain majeur de la Beat Generation (Le festin nu, Les garçons sauvages, La machine molle, Junky, Queer,…
Il y a, au minimum, deux façons d’aborder le dernier essai de Laurent de Sutter. La première consisterait à situer Hors la loi (remarquer d’emblée l’absence de traits d’union…) dans le sillage de Magic, Théorie du kamikaze, L’âge de l’anesthésie, Après la loi, bref des nombreux titres qui jalonnent sa patiente réévaluation critique d’une « post-post-modernité » qui n’en finit pas. Mais on peut aussi l’approcher comme une réflexion tenant d’un bloc, dans sa dimension avouée dès les premières lignes de piège. On l’examine alors comme l’un de ces casse-tête, faits d’une cordelette à nœud marin, d’un écrou et de deux rivets de bois ; de cette simplicité élémentaire dont on sait que, à peine y aura-t-on porté les doigts, l’intrication…
Ce n’est peut-être pas tout le monde pareil, ou peut-être que si, mais nous avons souvent l’impression de vivre arrimés, assujettis, immobilisés, assignés à une identité. Obligés d’être soi. Impression ? Réalité ? Que faire ? Pour dépasser cet état, détecter, affronter les éventuelles chaînes, camisoles, injonctions, certain·e·s pensent que la force est en eux, dans les ouvrages de développement personnel ; d’autres, plus sagement et plus aventureusement, préfèrent se plonger dans des œuvres émancipatrices, comme celle de Laurent de Sutter, par exemple.Chacun de ses livres est un travail de détection des intimations ; un chantier, un sentier de libération. Pas une autoroute éclairée, mais un parcours électrique composé de branchements, de pistes alternatives,…
Fin limier des mythèmes contemporains, des tropismes des régimes de pensée, Laurent de Sutter démonte la boîte noire du scandale, repérant les mécanismes, les ingrédients qui le nourrissent, les ressources qu’il mobilise. La scène que Laurent de Sutter embrasse avec maestria est celle de notre monde saisi sous l’angle du réflexe de l’indignation qui règne en maître. Les titres des cinq chapitres (Et, Car, Donc, Mais, Ni) qui scandent cet essai d’une haute pyronoésie renvoient à la classe des conjonctions de coordination condensée dans la phrase mnémotechnique « Mais où est donc Ornicar ? » (Rappelons qu’Ornicar est la revue du champ freudien). Délaissant les causes, le « pourquoi » de la propension à l’indignation au profit de son…
Laurent DE SUTTER, Qu’est-ce que la pop’philosophie ?, PUF, 2019, 128 p., 7 € / ePub : 5.49 €, ISBN : 978-2-13-081634-8Dans Qu’est-ce que la pop’philosophie ?, manifeste novateur, ambitieux, taillé dans la vitesse de la pensée, Laurent de Sutter fait un sort au grand partage entre choses dignes d’être interrogées et choses reléguées dans l’inintéressant. À ceux qui, ranimant l’interrogation socratique « Y a-t-il une Idée de la boue, du poil ? », tranchent par la négative, à ces excommunicateurs de réalités dotées d’une valeur ontologique et épistémologique moindre voire nulle, cet essai qui a la fulgurance d’une flèche oppose la pensée joyeuse d’une égalité absolue entre tout ce qui peut faire l’objet d’un branchement. Composition musicale…
Laurent DE SUTTER, Jack Sparrow. Manifeste pour une linguistique pirate, Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2019, 128 p., 12 € / ePub : 7.99 €, ISBN : 978-2-87449-647-9 Laurent de Sutter ouvre de manière fulgurante et géniale la nouvelle collection, intitulée « La fabrique des héros », créée par Tanguy Habrand et Dick Tomasovic aux Impressions Nouvelles. Son dévolu s’est porté sur Jack Sparrow, le héros de la série cinématographique Pirates des Caraïbes, interprété par Johnny Depp. Derrière les aventures fantastiques de Jack Sparrow — ses combats avec les soldats, les zombies ou autres créatures surnaturelles —, derrière son esthétique de l’ivresse, Laurent de Sutter met à jour son arme secrète : la parole. Non la…
L’indignation qu’a suscitée l’installation Made in Heaven en 1991, plus récemment Les Tulipes, les ires et condamnations que soulèvent les œuvres de Jeff Koons dans le monde des critiques d’art (mercantilisme, opportunisme, infantilisme, mauvais goût…), Laurent de Sutter les ausculte, les dissèque au fil de Pornographie du contemporain. Made in Heaven de Jeff Koons, un essai audacieux, décapant, incisif qui part du symptôme Koons pour livrer les attendus d’une esthétique contemporaine. Un mot condense à ses yeux l’anathème dont Koons est victime : celui de kitsch dont il montre que Clement Greenberg en a fait le repoussoir du modernisme. Pour Greenberg, le kitsch est au modernisme ce que l’arrière-garde est à l’avant-garde. Le rejet du kitsch (vu comme vulgaire,…
Dans le sillage de Magic, Théorie du kamikaze, Laurent de Sutter signe avec Après la loi un ouvrage décisif qui révolutionne la pensée du droit. Au fil d’une érudition au service d’une inventivité conceptuelle, il démonte le règne du légalisme en Occident, analyse la corrélation étroite entre loi, ordre, raison, police et exhume ce que l’empire de la loi a dû étouffer pour triompher : l’invention du droit. Le réel que la loi a forclos a pour nom le droit. L’entreprise magistrale de Laurent de Sutter sépare deux régimes de pensée que l’on se plaît à confondre : celui de la loi qui, se tenant du côté de l’être, de la sanction, du châtiment, s’arc-boute au sujet humain doté de droits et de devoirs et celui du droit qui, se tenant du côté du devenir,…
Le kamikaze sature les médias, et son obscène évidence, son omniprésence, semblent empêcher de penser cette figure contemporaine. Bien sûr, il reste possible de l’envisager sous les angles de la politique, la sociologie, la psychologie, et de tenter de la profiler ; encore fallait-il oser s’en emparer en philosophe, et d’en proposer la théorisation. C’est le défi que Laurent de Sutter relève à nouveau brillamment, en maniant avec virtuosité les concepts et les faits, comme afin de les faire entrer en coïncidence (ce qui ne veut pas dire « strictement les faire coïncider »).Théorie du kamikaze est un texte complexe, non tant par les références qui y abondent (mieux vaut quand même savoir situer Burke, Foucault, Lacan et al. pour l’aborder) que par son développement…
Insaisissable Laurent de Sutter. Quand il n’enseigne pas à la VUB, le voici dans son bureau des PUF, où il a succédé à Roland Jaccard pour diriger la prestigieuse collection « Perspectives Critiques ». Et comme si ce n’était pas assez, il publie, à tour de bras. Une lecture sur Deleuze et le droit. Une Métaphysique de la putain. Une Théorie du trou. Des pages sur le striptease vu comme « Art de l’agacement » (savoureuse formule). Aujourd’hui enfin, l’énigmatique Magic.La seule facette opaque que présente cette pépite spéculative de la plus belle eau est justement le choix de l’anglais pour son titre. Vraiment, pourquoi ? Pour le reste, le propos est limpide : en réévaluant la notion de « lien », le philosophe entend repositionner le droit à sa juste…
Le goût du paradoxe et de la provocation chers à Laurent De Sutter a-t-il atteint dans ce livre le comble de l’insolence avec l’apologie de la faiblesse ? En rien : l’effort passionnant de ce penseur turbulent, sa généalogie subversive des idées qui dictent notre mentalité de savoir pour le pouvoir, porte en effet au-delà de toute clôture dominatrice de nos façons de penser et d’agir. Car il s’agit bien d’un effort (Super) d’attention flottante (-faible) et non moins vigilante pour penser loin des forces de maîtrise et d’assujettissement où notre modernité s’est enlisée en voulant nous « gouverner ».Dans la foulée de cet échec, aussi relatif soit-il, la réaction antimoderne ne se déchaîne-t-elle pas plus que jamais ? Récent exemple, ne parvient-elle…