Auteur de Lettre à Greta Thunberg. Pour en finir avec le XXème siècle
Laurent DE SUTTER, Changer le monde, Observatoire, coll. « Et après ?», #11, 2020, 38 p., ePub : 1.99 €, ISBN : 979-1-03-291581-3 Ô combien roboratifs en cette époque obtuse s’avèrent les deux derniers essais de Laurent de Sutter, Lettre à Greta Thunberg. Pour en finir avec le XXème siècle et Changer le monde. Sa percutante lettre à Greta Thunberg montre combien la jeune femme a réveillé nos consciences endormies, pointé notre déni, secoué notre inaction. Par son surgissement inattendu, insolite dans l’espace public, elle a introduit une nouvelle différence là où régnait une criminelle indifférence. Laurent de Sutter interroge la mobilisation planétaire sans précédent que Greta Thunberg a soulevée et la levée…
La parole comme voie spirituelle : Dialogue avec l’Inde
Sandrine WILLEMS , La parole comme voie spirituelle. Dialogue avec l’Inde , Seuil, 2023, 200 p., 19,50 € / ePub : 13,99 € , ISBN : 9782021493276Dans son dernier essai, l’écrivaine, philosophe, psychanalyste et réalisatrice Sandrine Willems nous invite à un décentrement, nous propose un voyage mental, esthétique et conceptuel loin de l’anthropocentrisme qui a façonné l’Occident. S’ils se voient remis en question de nos jours, de l’intérieur de nos sociétés, l’anthropocentrisme de l’Occident et son primat de l’humain ont eu une incidence sur notre perception de la parole réduite à la sphère humaine, confisquée par cette dernière. L’ouverture de l’esprit aux dimensions qui échappent à la raison se fait sœur d’une expérience de la spiritualité qui, afin de ne rester murée dans l’indicible, doit se mettre en quête d’un langage, plus exactement d’une parole qui puisse en rendre compte. Éblouissant essai sur les diverses visions de la parole, sur sa nature, son origine, son statut, ses effets, réflexions sur les puissances, les ressources, les mystères qu’elle détient, La parole comme voie spirituelle. Dialogue avec l’Inde nous convie à une rencontre avec l’Inde ancienne. Sandrine Willems porte à la lumière la manière dont la spiritualité indienne envisage la parole comme une énergie qui transit toutes les formes de l’être et de la vie, de l’animal au végétal ou au minéral, du divin à l’humain. L’affirmation d’une continuité entre humains et non-humains se traduit dans une pensée qui, loin des dualismes de l’Occident et de leurs conséquences, envisage les échos, les correspondances entre les entités et le Tout, entre les existants et le cosmos.S’appuyant sur les textes fondateurs de l’hindouisme et les différents courants de pensée indienne, des Védas aux Tantras, de la Bhagavad-Gita aux Upanishads , de l’épopée sanskrite Mahabharata au recueil Yoga Sutras , Sandrine Willems propose la conjugaison d’une voie esthétique et d’un chemin spirituel. À partir de la pratique du yoga qu’évoque l’autrice, de la découverte de la musique indienne, des mantras qui pulsent le chant, l’essai explore les enseignements de l’hindouisme et du bouddhisme, leurs puissances thérapeutiques, la gémellité entre exploration intérieure et expression esthétique, l’ouverture à une écoute qui libère la parole, la vie des critères de l’utilité et du savoir. Au cœur du texte, une mort, celle de la mère, une crise sanitaire, une pandémie, symptôme d’une crise du système. Se tenant dans une région qui abolit et transcende la division entre théorie et pratique, la pensée indienne s’offre comme une alternative à l’effondrement d’un système capitaliste mondialisé lié à une vision du monde. Non pas une panacée mais une autre voie. Affin au continuum entre affect et concept, entre pensé et vie qui sous-tend la pensée indienne comme il vertèbre les philosophies de l’immanence de Spinoza à Deleuze ou certains corpus des mystiques, le corps du texte est transi par une parole qui le dépasse, qui l’excède, qui, faisant l’épreuve de noces entre non-maîtrise et laisser-être, transforment autant la scriptrice, l’autrice que les lectrices et lecteurs. Lorsque la poésie fait résonner l’homme et le non-humain, elle rejoint la résonance que visait la musique, le dhvani (…) L’affect cette fois n’est plus causé par le monde, mais par quelque chose qui le dépasse. Les cheminements dans les textes, les œuvres de Plotin, de mystiques, de Maître Eckhard, de Lacan, de Heidegger, de John Cage, la subtilité des rapprochements, des frottements idéels entre Rabindranah Tagore, Bataille, Foucault, Deleuze s’emportent dans les mouvements d’un texte derviche tourneur qui épouse une parole perçue comme une énergie, un souffle, une expérience inscrite dans un rapport au sacré. Point d’ombilic du sacré, la parole, son nouage entre sens et sons, son espace où respire le silence, produisent des effets thérapeutiques, sont dotés d’effets performatifs : la conception de l’Inde rejoint celle de la psychanalyse fondée sur les vertus de la cure par la parole. Les passerelles entre la parole védique et l’idéalisme allemand, entre des textes mystiques et philosophiques occidentaux et la pensée indienne, l’analyse de la conception heideggérienne du Quadriparti, de la poésie conçue comme reliance entre la terre et le ciel, les humains et les dieux, comme l’expression d’une quasi-identité entre le Denken, le penser et le Danken , le remerciement forment autant de scansions d’une réélaboration spirituelle de la vie. Laquelle passe par la vivification de la parole. Véronique Bergen Plus d’information Loin de l’anthropocentrisme qui depuis quelques siècles règne en Occident, dans l’Inde ancienne la parole est tenue pour une force qui irrigue toutes les strates de l’être, de l’élémentaire au divin en passant par le végétal et l’animal. Au lieu de nous séparer du non-humain, elle devient alors ce qui nous y relie – tout en se reliant elle-même aux bruissements du monde non moins qu’à la musique. Dans cette perspective, le chanteur s’accorde aux oiseaux, le poète révèle les correspondances qui unissent l’infime au large, et le cœur de l’homme coïncide avec celui de l’univers. L’Inde vient par là nous rappeler qu’un cheminement spirituel peut prendre la forme d’une quête esthétique. Le dépassement de l’égocentrisme n’y passe plus par l’impératif de se rendre utile, mais par une joie devant la beauté qui, comme la vie, se donne pour rien. Nourrie par la pratique du yoga, du chant classique de l’Inde et des mantras, cette interrogation revient aux textes fondateurs de différents courants de pensée indiens, des Védas aux Tantras. Et elle les met en résonance avec certains mystiques et philosophes occidentaux, comme avec des thérapeutes de l’âme qui en appellent aussi à la puissance de la parole.…
Nietzsche et la phénoménologie. Entre textes, réceptions et interprétations
La pensée de Nietzsche est-elle la littérature irrationnelle d’un illuminé du 19e siècle ? Puisque cette grossièreté n’est pas tenable, même pour un rationaliste résistant, de quelle pensée s’agit-il ?Si, comme je le crois, l’activité philosophique aujourd’hui reste marquée par les avancées de la phénoménologie de Husserl (en dépit de son idéalisme subjectiviste), de l’ontologie de Heidegger (en dépit de ses dérives nationalistes, de la défense aberrante d’un «esprit» du nazisme à l’antisémitisme) et de la thérapeutique du langage de Wittgenstein (en dépit de son enlisement casuisitique par une trop grande part de la philosophie analytique), l’exigence de penser le monde dans un langage non « métaphysique »est en même temps son enjeu. La philosophie naît et renaît à travers le questionnement radical hors de toute opinion, de tout préjugé, de toute idéologie, à la racine hors de toute métaphysique accrochée à la vérité hors monde. Or ce questionnement, dans sa phase moderne, remonte à l’effort inouï de Nietzsche de penser par-delà bien et mal – par-delà l’opposition entre l’essence et l’apparence, la vérité et l’erreur… L’ Introduction au recueil des Actes du colloque tenu les 16 et 17 mars 2016 à Louvain situe parfaitement cette exigence et cet enjeu. La pensée nietzschéenne du « Schein », littéralement « apparence » ou même « apparaître », peut-elle être rapprochée de celle du « phénomène »? Pas au sens de Kant qui l’oppose à la « chose en soi », ce qui l’englue dans le dualisme. Mais pas non plus au sens de Husserl qui le fonde dans l’ « intuition donatrice originaire ». Cependant si, la « généalogie » nietzschéenne qui arrache les masques des « valeurs » reste sans rapport avec cette « science du phénomène » qui est le projet de Husserl, n’y a-t-il aucun recroisement entre le monde de la vie de l’un et le monde des apparences de l’autre ? Ou encore entre la constitution fictionnelle du phénomène et la perspective interprétative de l’apparence ? La question radicale surgit à partir de là : quel langage introduit à la pensée du monde, au jeu de son devenir, à la « mutation de la temporalisation » comme l’épingle Fink ?Il n’est pas possible ici d’entrer plus avant dans les interventions de ce recueil incisif. Il faut cependant remarquer que, outre les travaux de spécialistes actuels, il reproduit deux textes importants pour l’histoire des interprétations nietzschéennes, l’un d’Eugen Fink, l’autre de Rudolf Boehm, ce qui répond au but de la publication : confronter les interprétations phénoménologiques de Nietzsche à son texte.La stimulation de toutes ces lectures confirme combien la pensée de Nietzsche nous précède toujours, à distance des thèmes canoniques (surhomme, éternel…