D’où viennent les voix évoquées par le poète Sébastien Fevry ? Ces « on », ces « je », ces femmes et ces hommes ? Certainement, ces voix sont les nôtres. Elles traversent les époques et les lieux sans toujours comprendre ce qui se joue.
Malgré les choses simples et familières décrites dans ces poèmes, ce qui s’y passe échappe sans cesse. Nous naviguons dans des pays brumeux, des démocraties fatiguées, peut-être des périphéries de grandes villes d’Occident, des endroits que nous reconnaissons mais ne pouvons nommer exactement. En ces lieux, chaque voix exprime une délibération intérieure en même temps qu’elle demande à être entendue.
Dans ces poèmes larges comme des écrans de cinéma, « le paysage dissimule l’essentiel » et l’illusion s’éclaire d’une troublante netteté.
Auteur de Pêches de Géorgie
Saluée par plusieurs récompenses, dont le prix Marcel Thiry en 2021 pour Brefs déluges, l’œuvre de Sébastien Fevry se dessine patiemment autour d’une géographie à la fois intime et spatiale. La cohérence qui la caractérise est renforcée sans nul doute par la fidélité aux éditions Cheyne puisque ce nouvel opus Pêches de Géorgie constitue le quatrième recueil que l’auteur publie chez l’éditeur ardéchois depuis 2018.On pourrait dire de la langue de Fevry qu’elle est de terrain ou plutôt de territoire. Mais un territoire aux contours volontairement floutés qui se perdrait dans la brume visqueuse d’une aube d’après déluge. L’équivoque entretenue dès le titre brouille déjà les frontières et…
Réinventer le vers : Philippe Beck en conversation avec Jan Baetens
La collection d’essais des Midis de la poésie propose un dialogue intense et serré entre deux poètes, deux philosophes, deux chercheurs. Jan Baetens interroge Philippe Beck et, à travers leurs échanges, se déploie une réflexion sur la poésie d’aujourd’hui, sur sa place dans la vie de la langue et sa position dans la société. Lire aussi : « Portes et livres ouverts : Midis de la poésie » ( C.I. n° 198)Philippe Beck propose un portrait du poète en ostéopathe. Le travail du poète fait en effet craquer les articulations de la langue ; il les déplace pour en faire entendre les possibles. Il réfute ainsi l’idée que le poème invente une autre langue. Cette notion d’articulation, centrale dans sa pensée, le conduit à sonder le rapport de la poésie au discours logique. Tout un pan de la poésie contemporaine refuse en effet les articulations logiques et privilégie la parataxe. Philippe Beck ne s’inscrit pas dans ce refus et tente de faire sonner les différences entre la poésie et la philosophie, sans nier leurs zones de convergences et d’interférences possibles.La question du vers, que pratique Philippe Beck, occupe une place importante dans le dialogue. Philippe Beck rappelle l’antériorité du vers sur la prose et son rôle dans la transmission. La question centrale de la poésie est ainsi celles des conditions qui rendent un énoncé vivant et lui permettent de réveiller les conditions d’une communauté. Une forme de musicalisation de la langue permet, pour Philippe Beck, de réveiller le rapport de chacun à la langue commune dans laquelle il baigne. Une langue « éveillée » serait une langue en expérimentation perpétuelle. Son but n’est pas de détruire le langage ordinaire, mais de combler ses manques, de les souligner, de les renforcer, de jouer avec ses ombres.Jan Baetens souligne, à ce sujet, l’une des particularités de la poésie de Philippe Beck : la façon dont elle ne se contente pas de la cadence, c’est-à-dire du nombre de syllabes, mais joue aussi sur les accents et la longueur relative des voyelles à la manière du système anglo-saxon.La question de l’articulation de la poésie et du discours théorique est ensuite abordée. Philippe Beck est en effet l’auteur d’un art poétique : Contre un Boileau. La théorisation est cependant venue chez lui après la pratique, au fil de l’écriture comme un désir de lutte contre la naïveté.Cet art poétique permet d’interroger l’articulation de la poésie et de la prose. Philippe Beck réfute leur séparation totale. Il s’intéresse, au contraire, aux proses qui circulent dans la poésie et au devenir-prose qui guette le poème. Il s’agit alors de jouer avec le risque du poème dans la prose et de la prose dans le poème pour empêcher que chaque discours ne se fige. François-Xavier Lavenne Philippe Beck est poète et philosophe et sa pratique de la poésie est inséparable d’une réflexion sur la place de l’écriture dans la vie de la langue et dans la société en général. Son travail poétique donne une place essentielle au vers, qu’il est un des rares à considérer comme élément clé de la poésie d’aujourd’hui. Nourrie d’une grande érudition et d’un sens très aigu de la responsabilité sociale du poète, l’écriture de Philippe Beck s’interroge sur la possibilité de refaire poétiquement la langue et, partant, la vie. Ce volume retranscrit un entretien entre Philippe Beck et Jan Baetens qui s’est tenu à Bruxelles dans le cadre des conférences des Midis de la…