Auteur de Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande. Réflexion sur l’autogestion de la vie quotidienne
Né en 1934 à Lessines (Hainaut), Raoul Vaneigem a participé aux activités de l’Internationale situationniste. Son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, paru en 1967, n’a pas été étranger à la naissance et à la radicalité du Mouvement des occupa- tions de mai 1968. Son œuvre s’attache à la critique de la civilisation marchande, qu’il confronte à l’émergence d’une civilisation humaine, fondée sur l’autogestion de la vie quotidienne.
L’effondrement des valeurs anciennes – patriarcat, autorité, discipline militaire, célébration du sacrifice – a permis que se dégage de la nuit et du brouillard suscités par leur chute une reviviscence de ces aspirations humaines que les assauts de la barbarie n’ont jamais entamées durablement : solidarité, entraide, alliance avec la nature, autonomie, gynocentrisme. Voici un demi-siècle, le Traité du savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Folio éd.) de Raoul Vaneigem en même temps que La société du spectacle (Folio éd.) de Guy Debord marquaient l’irruption fracassante du situationnisme dans la pensée contemporaine. À la fois radicales (anticapitalistes et anticommunistes), prémonitoires (de Mai 68), banalisées (et impuissantes :…
L’Âge de l’anesthésie. La mise sous contrôle des affects
Un nouveau livre de Laurent de Sutter ne se fait jamais attendre, et pour cause : le travail de réévaluation de nos sociétés et des mécanismes d’oppression qui les régissent, mené par ce professeur de théorie du droit de la VUB, se poursuit par salves continues, avec le méthodisme et l’acuité d’un sniper. Après sa Théorie du kamikaze , il s’en prend au plus insidieux dispositif de mise sous contrôle de nos affects, partant de nos libertés fondamentales, qui s’insinue en nous via les innombrables substances chimiques qu’il nous est loisible, quand ce n’est prescrit, d’ingérer quotidiennement. Alors que Marx qualifiait la religion d’« opium du peuple », Laurent de Sutter voit dans les antidépresseurs, somnifères, cocaïne et autre pilule anticonceptionnelle, la pharmacopée (légale ou non) constituant le bras armé du « narcocapitalisme ». Il identifie la genèse de l’« âge de l’anesthésie » que nous traversons en 1846 aux États-Unis, avec le dépôt de brevet du letheon , premier produit destiné à maîtriser le patient lors d’une opération chirurgicale. De l’application du principe d’insensibilisation du corps à celui d’annihilation de l’excitation auprès des psychotiques maniaco-dépressifs, il n’y aura qu’un pas, franchi en quelques décennies…Le premier mérite de Laurent de Sutter est de faire ressortir des noms de penseurs ou de savants oubliés, méconnus, mais dont l’influence fut déterminante dans le bouclage du système idéologique global qui nous enserre encore aujourd’hui. Il en va de la sorte pour Emil Kraepelin, un nom familier aux seuls spécialistes de la psychiatrie, dont le Lehrbuch der Psychiatrie paru en 1899 tint longtemps lieu de référence pour le classement et la nosographie des maladies mentales. À partir de son diagnostic, l’état d’excitation devient le symptôme à combattre, la manifestation individuelle déviante par excellence.La seconde qualité de notre essayiste de choc est de créer du lien en articulant habilement entre elles des découvertes qui, de prime abord, paraissent indépendantes, mais dont on retrouve une application inattendue ou non recherchée, dans un autre champ. Ainsi, Laurent de Sutter nous explique-t-il que le chloral, appliqué d’abord au traitement de l’insomnie, fit florès dans les milieux cliniques pour gérer la patientèle la plus récalcitrante, la plus agitée,…
Avec ce nouveau livre, Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques, poursuit…