Sara Gréselle est comédienne, marionnettiste et dessinatrice. Avec son compagnon Ludovic Flamant, elle a publié en 2021 Bastien, ours de la nuit, qui a reçu le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est lauréate d’une Bourse Découverte 2019.
Sara Gréselle, qui êtes-vous ? Comment en êtes-vous arrivée à la littérature de jeunesse ?
Née en région parisienne, j’ai vécu dans le sud de la France avant d’entamer des études de design d’espace à l’ENSAAMA (École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Arts) à Paris. Ces études devaient me former à la conception d’espaces de vente pour promouvoir des produits et à la réalisation de packaging, domaine éloigné de la littérature jeunesse ! J’en retiens la découverte du dessin d’observation et du modèle vivant. J’y ai découvert que le dessin comme expression artistique m’intéressait. J’ai rempli beaucoup de carnets de croquis, et ce jusqu’à aujourd’hui. À l’époque, je m’intéressais aussi de près au théâtre de masques (type commedia dell’arte) que je pratiquais en amatrice. Je me suis donc installée en 2012 à Bruxelles pour rentrer à l’École internationale de théâtre de mouvement LASSAAD. J’avais besoin d’explorer la dynamique du mouvement dans le jeu d’acteur plutôt que de passer par une formation classique où les mots, la parole, sont prédominants. Pendant ces deux années intensives, j’ai continué à dessiner sur des carnets que j’appelais « carnets de rêves » avec des dessins automatiques. Cette production a donné lieu à ma première exposition en 2016 à la sortie de mon école. J’ai découvert un peu plus tard l’univers de la marionnette, j’ai suivi des formations et créé par la suite des formes courtes jouées dans des festivals et théâtres bruxellois. Aujourd’hui, je peux dire que lorsque je dessine, mon bagage théâtral me sert pour créer mes personnages. Le dessin tout comme le théâtre sont des outils de compréhension des comportements humains et du monde.
Princesse Bryone
Ma première publication, Princesse Bryone, est marquée par ma rencontre avec Ludovic Flamant. Je lui avais montré un carnet de fin d’études de design qu’il a lui-même montré à l’éditrice Anne Leloup. J’ai persévéré et, après trois propositions différentes, celle-ci en a accepté une mêlant collage et dessin. Ces images-là mélangent des représentations d’objets quotidiens avec des formes plus abstraites et font écho à ce conte très mystérieux.
Un autre projet est sorti en février 2021 dans la même maison d’édition : Les Souvenirs et les regrets aussi, avec mes propres textes. Un objet hybride entre poésie, journal et herbier amoureux.
Un lien entre le jeu d’acteur et le dessin
Le théâtre et le dessin nécessitent un sens du rythme. Que ce soit dans l’élaboration de l’histoire, des dialogues ou dans les traits d’un personnage. Dessiner un personnage, c’est aussi l’incarner. Saisir les émotions qui passent d’abord par ses attitudes corporelles. J’avoue avoir un faible pour les albums presque muets, précisément car ils doivent bien utiliser ce langage corporel. Quand je dessine l’ours Bastien, je deviens « ours », je le mime à l’intérieur de moi-même et je donne l’énergie juste à ma main pour dessiner son pelage et son attitude. Ce qui m’intéresse dans le théâtre autant que dans le dessin, c’est « jouer à… » et faire « comme si… ». L’enfant fait cela naturellement, il est tout le temps dans l’imitation. Dans mon école de théâtre, on parlait de l’intussusception, le fait d’assimiler de manière intuitive le monde extérieur. L’acteur rejoue les dynamiques de la nature, les matières existantes, les animaux, etc., et cela a à voir avec une certaine porosité qui exclut le jeu purement psychologique.
Pour Roquet’roll, j’ai envisagé l’espace de la page comme une scène de théâtre où viennent jouer les chiens musiciens. L’improvisation théâtrale apprend aussi une règle d’écriture qui est essentielle selon moi : aller jusqu’au bout d’une situation, ne jamais revenir en arrière et ne pas oublier quels éléments sont posés dès le départ afin de les exploiter par la suite… Lorsque je manipule une marionnette, la question très technique (presque musicale d’ailleurs) du rythme se pose également pour rendre vivant quelque chose qui ne l’est pas. Côté technique ? Je ne suis pas attachée à une technique en particulier. Mais celle qui revient souvent est celle du crayon. J’aime l’énergie que peut dégager un crayonné. Pour Princesse Bryone, j’ai fait un mélange entre encre de Chine, collage et dessin au crayon qui me paraissait le mieux correspondre à l’atmosphère que dégageait l’écriture. Pour chaque projet, la technique est au service de ce qui se raconte.
Bastien, ours de la nuit
Bastien a été réalisé au crayon noir sur un papier blanc avec un grain épais, visible. L’origine de cet album[1]vient d’un rêve que j’ai fait ! Au matin, je me suis souvenue d’une phrase : « Bastien, ours de la nuit ». Je l’ai répétée à Ludovic qui, enthousiaste, s’est lancé en quelques jours dans l’écriture d’une histoire mettant en scène un sans-abri et un ours dans une ville en hiver.
Il y a eu beaucoup d’étapes dans mon dessin et un grand travail de recherches documentaires d’après photos pour arriver aux dessins finalisés. Au départ, je me concentrais surtout sur l’ours et les décors étaient simplement suggérés, un peu flous. Après discussion, l’histoire semblerait plus crédible si ancrée dans une ville en particulier et nous avons choisi Bruxelles ! Nous avons photographié un ami comédien, Vincent Eloy, qui a accepté de jouer Sébastien, le sans-abri du livre, dans le quartier d’Yser. Nous avons aussi fait intervenir la sœur de Ludovic, Lucie Flamant, également comédienne, pour interpréter la folle aux chiens sur la place Flagey. Le défi était de rendre vivants ces dessins qui partaient de photos… Versant-Sud utilise dans sa communication une expression qui décrit très bien l’ambiance de ce livre : « réalisme magique ». En effet, parmi ces images réalistes de ville et d’humains perdus, se dégage une vision plus onirique, plus douce : le rêve de l’ours Bastien qui montre une ville où des arbres sortent des maisons et envahissent la ville. Il y a quelque chose de cinématographique dans ce livre et l’onirisme de la double page dont je parle peut se rapprocher des images du cinéaste Andreï Tarkosvski que j’aime beaucoup, dans son film Nostalghia, notamment. Il nous importait de ne pas édulcorer la situation des sans-abris dans cette histoire adressée à des enfants mais de ne pas non plus les traumatiser en leur donnant une vision trop âpre.
Des influences ?
J’ai beaucoup observé l’album de l’autrice illustratrice japonaise Akiko Miyakoshi, Quand il fait nuit (Syros Jeunesse, 2016) pour son traitement des ombres et des lumières quand je réalisais Bastien. Une autre Japonaise, Komako Sakaï, avec L’ours et le chat sauvage (L’École des loisirs, 2009), est une référence pour moi. Les dessins de Joanna Concejo sont aussi très inspirants ; il y a une vibration très émouvante dans ses images. Mais je peux aussi aimer la légèreté et l’humour de Dorothée de Monfreid ou de Ian Falconer et sa série Olivia.
Roquet’roll
Lors d’un workshop de Gaëtan Dorémus au Wolf, celui-ci a proposé un exercice particulier à partir de son cahier de croquis où il invitait chaque participant.e à choisir une image et à commencer une histoire à partir de celle-ci avant de la passer à quelqu’un d’autre. Je suis ainsi partie du dessin d’un chien réalisé par Françoise Rogier, assise à côté de moi ce jour-là. Au moment où l’on m’a proposé de faire une plaquette pour La Fureur de lire, je suis partie de cet exercice. Voilà pourquoi Françoise est remerciée en fin d’ouvrage.
En projet ?
Toujours avec la complicité de Ludovic Flamant, mon prochain projet en cours sera au croisement entre la BD et l’album jeunesse. Nous sommes co-auteurs de cet ouvrage. Je réalise les dessins. L’histoire sera celle d’une fillette voulant mettre un ruban à son chat pour le photographier et de celui-ci peu enclin à se laisser faire.
[1] Une vidéo intitulée Rencontre avec Ludovic Flamant et Sara Gréselle, réalisée par la maison d’édition Versant Sud Jeunesse est disponible sur youtube via ce lien
© Isabelle Decuyper pour Lectures.Cultures N°21, Janvier-Février 2021