Dominique Rolin   1913 - 2012

PRÉSENTATION
Carrière étonnante, mais exemplaire, que celle de cette petite Bruxelloise surdouée (en littérature, certes, mais aussi en dessin, même si elle s'est moins souvent manifestée dans ce domaine). Sur un coup de tête, dirait-on, elle part pour Paris, s'y fait un nom en quelques années et y produit une oeuvre romanesque comptant au petit nombre de celles qui dominent la littérature française de la seconde moitié du siècle. Pour qui tente de caractériser sa manière, au prix d'une lecture critique méthodique et tout en profondeur (travail considérable vu qu'en plus de quarante années, l'écriture de Dominique Rolin a évolué), ce qui reste la marque profonde, irrécusable, d'un talent original et bouleversant est peut-être son extraordinaire faculté d'analyse et, surtout, depuis la fin des années cinquante, d'auto-analyse. Il est vain de disputer des rapports de cette partie récente de l'oeuvre avec le Nouveau Roman : celui-ci offre assez de diversité pour pouvoir accueillir Dominique Rolin parmi ses meilleurs représentants, mais la question, à tout prendre, est dénuée d'importance. Dominique Rolin est née le 22 mai 1913 à Ixelles. Son père était bibliothécaire au Ministère de la Justice. Sa mère, Esther, parisienne, fille du romancier naturaliste Léon Cladel, et soeur de Judith Cladel, elle aussi écrivain, enseignait la diction. Un frère est né en 1915 et une soeur en 1918. Les trois enfants ont grandi dans un climat familial peu commun dont les traces apparaissent dans plusieurs romans. Très jeune, Dominique Rolin inventait des histoires qu'elle transcrivait et illustrait. Adolescente, elle fait des études de bibliothécaire et de dessin. Elle est engagée à la bibliothèque de l'Université libre de Bruxelles où elle restera dix ans. Elle a vingt et un ans quand une revue publie l'un de ses récits. Deux ans plus tard, elle est lauréate d'un concours international organisé par une autre revue, Mesures. En 1937, elle se marie et, l'an d'après, donne le jour à une petite fille, Christine (la Ma-Ta présente dans plusieurs romans). Elle achève Les marais, que publieront en 1942 les Éditions Denoël. Ce roman, typique de sa première manière, a été très favorablement accueilli par la critique. L'entente est loin de régner entre Dominique et son mari. Elle s'en sépare en 1946 et, courageusement, va s'installer à Paris où paraît déjà son troisième livre. Désormais, elle ne cessera plus d'écrire et ses romans seront édités à la cadence presque immuable d'un tous les deux ans. Elle rencontre le sculpteur Bernard Milleret et, avec lui, le bonheur, même si les conditions matérielles sont dures pour les artistes dans le Paris d'après la guerre. Une part des minces revenus du couple provient des illustrations que la jeune femme exécute pour des périodiques. Mais tout va changer. En 1952, elle remporte le Prix Femina avec Le souffle. Ce succès lui permet d'acquérir une vaste propriété à une quarantaine de kilomètres de Paris. Elle s'y installe avec sa fille Christine et Bernard Milleret, qu'elle épouse en 1955, devenant ainsi française. En 1957, elle remporte le prix Lugné-Poe avec une pièce, L'épouvantail, que crée le Théâtre de l'Oeuvre. Bernard Milleret meurt en mars de cette année-là. Dominique Rolin en est cruellement blessée. Trop seule dans sa résidence campagnarde, elle revend sa maison et se réinstalle à Paris. Elle siège au jury du prix Femina. La mort de son mari a provoqué, pendant quelques mois, un repli sur soi, et il semble que la solitude ait incité l'écrivain à réfléchir sur son art et imposer de nouvelles exigences à sa création. Dès 1962, avec Le for intérieur, s'annonce sa deuxième manière, une espèce de transition. Dominique Rolin quitte en 1963 le jury du Femina et devient membre de celui du prix Roger Nimier. Un nouveau deuil la frappe en 1965 : sa mère, à laquelle elle était très attachée, décède à Bruxelles. C'est alors que débute la troisième période de la carrière littéraire. On s'en rend compte en 1967 avec Maintenant, premier d'une série de neuf romans aussi étonnants par leurs qualités formelles que par la profondeur parfois austère de l'introspection à laquelle leur auteur va systématiquement se livrer. Dominique Rolin publie aussi, en 1978, un roman «hors-série» qui présente toutefois les traits caractéristiques et bien connus de son écriture. C'est L'enragé, une biographie romancée de Brughel l'Ancien qui lui vaudra, à Bruxelles, le prix Franz Hellens. Le père de Dominique, son meilleur ami, est mort en 1975. Elle continue de travailler et obtient, en 1980, le prix Kleber Haedens. En 1988, elle est élue comme membre étranger à l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises, pour succéder à Marguerite Yourcenar. Elle y est accueillie le 22 avril 1989.

BIBLIOGRAPHIE


PRIX
  •   Prix Frans Hellens 1978
  •   Prix Femina 1952 (Le souffle)
  •   Prix Kleber Haedens
  •   Prix Fémina (Le souffle)


NOS EXPERTS EN PARLENT
Le Carnet et les Instants

Le doute, la mémoire, l’amour, le double, Venise, la musique, les Primitifs flamands, les visages, les miroirs, la Belgique… autant de portes d’entrée du voyage qui mena Dominique Rolin et Patricia Boyer de Latour à tisser un ensemble d’entretiens réunis sous le titre Plaisirs. Dès 1999, bien après Les marais, Le lit, La maison la forêt, Le corps, Les éclairs, à l’époque où paraissent des œuvres majeures comme La rénovation, Journal amoureux, débute une série d’échanges placés sous le signe de « la promenade dans un jardin » (Rolin), le jardin Rolin dont les fleurs s’appellent le doute, la passion, l’enfance, l’écriture comme « investissement total de l’être ».Une des lames de fond de l’univers existentiel et créateur de Dominique Rolin, sur…


Le Carnet et les Instants

Dans Lettre à Lise, dernier roman de Dominique Rolin paru en 2003, l’auteure mettait fermement en garde sa petite-fille, face à cette « piqure de mouche au poison mortel » qu’est le chagrin : « L’être humain est lié aux sangs douloureux des ancêtres, et nous leur devons la plus affreuse redevance qui soit. Ma chérie, n’en fais donc pas un plat, ce qui t’arrive est d’une exténuante banalité psychologique, par conséquent annulée d’office ».Tout Dominique Rolin est là, dans cette dualité qui fait écarter comme facilement négligeables des sentiments pourtant violents qu’elle a éprouvés durablement dès sa jeunesse, dans le noyau familial, et qu’elle n’a cessé de combattre par la suite quand elle les voyait à nouveau entrer en action au cours…


Le Carnet et les Instants

Avec ce deuxième volume des lettres de Dominique Rolin à Philippe Sollers, couvrant cette fois les années 1981 à 2008 – l’écrivaine disparaît quatre ans plus tard, le 15 mai 2012 – se clôture une aventure exceptionnelle et rare, à la fois amoureuse et littéraire, dont il y a peu d’équivalent dans l’histoire des lettres – et dans la vie, tout simplement. Exceptionnelle par sa fécondité d’écriture, certainement, tant les deux écrivains, depuis leur rencontre à l’automne 1958, ont conçu – outre leur œuvre personnelle, distincte mais par moments existant en miroir –  une prouesse qui défie le temps, les habitudes et les conformismes.Lire aussi : notre recension de Lettres à Philippe Sollers 1958-1980Exceptionnelle encore, par l’aimantation réciproque…


Le Carnet et les Instants

Dans le sillage du premier volume Lettres à Dominique Rolin 1958-1980 de Philippe Sollers (un volume établi, présenté et annoté par Frans De Haes, paru chez Gallimard en 2017), sort le premier tome des Lettres de Dominique Rolin. Fait rare, voire unique dans le champ de la correspondance, les épistoliers étant tous deux écrivains, les lettres de l’un et de l’autre sont scindées et non croisées. Le choix éditorial est celui d’un dialogue qui se fait entre les tomes et non au sein d’un même espace textuel. Œuvre sidérante, tout entière portée par la passion absolue que nouèrent Philippe Sollers et Dominique Rolin jusqu’à la mort de celle-ci en 2012, cette constellation épistolaire offre une plongée souveraine dans un lien électif, un amour d’exception. Du coup…


Le Carnet et les Instants

Dominique Rolin. Nous avons en main son premier livre, Les marais. publié en 1942, aujourd’hui réédité, et son dernier : Deux femmes, un soir. 1992. De l’un à l’autre, c’est toujours la bourgeoisie qui apparaît au premier plan mais, comme en témoigne l’écriture d’une de ses plus fines représentantes, ses mœurs ont évolué. De Mauriac on est passé à Sollers, en une trentaine de romans. Les marais nous plongeait dans les douloureuses tentatives de Ludegarde et Alban pour s’émanciper de l’oppression paternelle, dans une atmosphère de torpeur morbide. Dans Deux femmes, un soir, les vicissitudes du milieu bourgeois perdurent, mais elles sont bien différentes. Les formes ont changé ; un vide pourtant subsiste. Le poids des conventions sociales a fait place…


Le Carnet et les Instants

Dominique ROLIN, Dulle Griet, Postface de Maxime Thiry, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 320 p., 9,50 €, ISBN : 9782875685896Figure marquante de l’imaginaire de Dominique Rolin, liée au pays natal, aux racines belges, au roman familial, le peintre Pieter Brueghel l’Ancien s’incarne dans son œuvre, donnant lieu au récit L’enragé (1978) et à Dulle Griet (1977). Si L’enragé campe le peintre flamand sur son lit de mort, le roman Dulle Griet prend racine dans la mort du père de l’écrivaine, dans le lever de souvenirs provoqué par sa disparition.Les eaux de l’agonie ayant le lit pour cadre roulaient déjà dans le roman Le lit, lequel évoque la mort de son mari, le sculpteur Bernard Milleret. Dans le creuset d’un texte hors norme, d’une…


Le Carnet et les Instants

Dominique ROLIN, L’infini chez soi, postface de Pierre Piret, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 300 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-588-9« Toute invention, dis-je à mon tour non sans une certaine lâcheté retorse dont j’ai parfaitement conscience, toute invention est sanctifiée, rectifiée, justifiée vaille que vaille par le feu d’une réalité folle. » Insérée dans l’audacieuse architecture romanesque de L’infini chez soi – paru en 1980 chez Denoël et très heureusement à nouveau accessible aujourd’hui dans la collection Espace Nord, avec une postface appuyée de Pierre Piret – cette énonciation péremptoire de Dominique Rolin s’applique on ne peut plus exactement, pourtant, à l’étonnant échafaudage temporel dessiné et mis en place…