Dominique Rolin   1913 - 2012

PRÉSENTATION
Dominique Rolin naît à Bruxelles, rue Saint-Georges, le 22 mai 1913. Fils d'un magistrat belge, son père, Jean Rolin, est directeur de la Bibliothèque du ministère de la Justice. Sa mère, fille de l'écrivain naturaliste français Léon Cladel, est professeur de diction. Rapidement ce couple s'avère aussi invivable que remarquable, sombrant dans une violence dont l'œuvre de la fille aînée explorera, avec passion et rigueur, les soubassements et les effets. Cette saisie du drame familial par éclairages successifs et variés est déjà au cœur tant des premiers récits, publiés dans Le Flambeau et Cassandre, que d'un roman refusé par Gallimard en 1939 et détruit ensuite par la romancière. C'est en 1942, au plus sombre de la guerre et en plein enfer privé que Dominique Rolin produit son premier chef-d'œuvre, salué avec ferveur par Max Jacob et Jean Cocteau. Publié par Denoël, roman à la fois onirique et d'une précision cruelle, Les Marais invente un lieu (une maison à l'orée de la forêt) et un groupe familial déchiré, éléments qui feront l'objet d'un étrange étoilement à travers les trente-sept volumes que Dominique Rolin a signés jusqu'à ce jour. En 1946, elle quitte la Belgique et s'installe définitivement en France. Elle collabore en tant qu'illustratrice aux Nouvelles littéraires à Paris, où elle rencontre le dessinateur et sculpteur Bernard Milleret qu'elle épouse en 1955. Milleret meurt le 12 mars 1957. Ce choc produira, trois ans plus tard, un superbe roman : Le Lit, porté à l'écran en 1982 par la réalisatrice Marion Hänsel. En 1958, elle est élue membre du jury du prix Fémina et rencontre l'écrivain qui, dans ses romans futurs, s'appellera Jim. histoire de cette relation exceptionnelle sera racontée, avec force et délicatesse, dans Trente ans d'amour fou (1988) et dans Le Jardin d'agrément (1994). Son engagement aux côtés des protagonistes du Nouveau Roman, à partir des années soixante, est à l'origine de sa révolte contre le caractère sclérosé du prix Fémina. Une vive polémique dans la presse aboutira à son exclusion, en 1964, ce qui ne l'empêchera pas, par la suite, de devenir membre d'autres jurys littéraires prestigieux (le prix Valery Larbaud, le prix Rossel). Le 11 juin 1988, Dominique Rolin est élue à l'Académie royale de langue et de littérature françaises où elle succède à Marguerite Yourcenar. Souvent déconcertante, mais d'une cohérence exemplaire, l'œuvre romanesque de Dominique Rolin connaît quatre phases essentielles. La première, qui va des Marais jusqu'aux Deux sœurs (1946), nous présente des romans dans lesquels s'opère une transposition romantique du drame familial : le décor est nordique, la perplexité flamboyante et les noms des personnages ont tous une résonance germanique sinon flamande; ensuite, après le départ à Paris, le ton change : un réalisme apparemment plus français prédomine, les personnages de L'Ombre suit le corps, Souffle (1952, prix Fémina) ou d'Artémis portent des noms qui n'ont plus rien d'exotique, leur milieu social varie, mais le noyau familial et ses radiations restent souvent les mêmes. Dans la période cruciale qui suit 1960, marquée par le bouleversement de la conception et de la technique romanesques sous l'influence des expériences en cours à Paris (Tel Quel et le Nouveau Roman), Dominique Rolin retrouve sa mémoire propre, tout en la fragmentant au fil d'une écriture constamment présente à elle-même (La Maison la forêt, Maintenant, Le Corps, Les Éclairs…), allant ainsi jusqu'à inscrire son nom et celui des siens dans la texture même de ces magnifiques romans d'avant-naissance et d'outre-tombe que sont L'Infini chez soi (1980), Le Gâteau des morts (1982) et La Voyageuse (1984). Ayant de ce fait subverti le pacte autobiographique traditionnel, Dominique Rolin poursuit un voyage romanesque très singulier au cours duquel des fictions vraies (tels Trente ans d'amour fou ou Le Jardin d'agrément) redistribuent et transfigurent à nouveau les récits de sa mémoire, en les mêlant à des versions imagées, possibles. Pareille stratégie permet à la romancière de s'éloigner quelquefois du registre autobiographique (L'Enfant-roi, Vingt chambres d'hôtel), d'écrire de superbes essais (Un convoi d'or dans le vacarme du temps), de noter ses rêves avec une étonnante franchise (Train de rêves) ou d'inventer un somptueux monologue intérieur du peintre Pieter Breughel récapitulant sa vie et ses combats d'artiste (L'Enragé). Il convient d'ailleurs de souligner le rôle primordial joué par la peinture, principalement vénitienne et flamande, dans cet univers romanesque. Au cœur de plusieurs textes, des tableaux de Guardi, de Van der Weyden ou de Vermeer déclenchent des mises en scène très particulières d'un amalgame de souvenirs et de projections. Enfin, la superposition d'un chef-d'œuvre de Breughel et de la mort du père de la romancière a produit un des livres les plus forts de Dominique Rolin : Dulle Griet (1977). En 1994, elle publie Le Jardin d'agrément, roman où se produit une chose étrange et inédite : la rencontre à Paris, dans une sorte de collision-annulation des temps, entre, d'une part, Dominique enfant devenue jeune fille puis jeune femme et, d'autre part, la Dominique âgée qui écrit. C'est bien entendu cette rencontre détonante qui fait que l'autobiographie, ou même l'autofiction, se voient à nouveau troublées ou détournées. Quant à l'absence d'indications de temps dans les intitulés des chapitres de ce roman, elle augure d'une nouvelle simultanéité des temps, plus rassérénée, laquelle enveloppera les cinq brefs romans qui achèvent la quatrième phase de l'œuvre : L'Accoudoir (1996), La Rénovation (1998), Journal amoureux (2000), Le Futur immédiat (2002) et Lettre à Lise (2003). Elle a conservé pour la Belgique un attachement profond. Souvenirs de jeunesse et de voyages tissent dans son œuvre une toile de fond où se retrouvent notamment la ville d'Ostende ou Bruges la vive (1990). Dans ce dernier ouvrage, elle insuffle à la cité que Rodenbach voyait morte une densité et une présence que lui confère la mémoire des paysages, de l'art et des traditions. Les brumes de la mer du Nord accompagnent ses visions intérieures… Ainsi les métamorphoses d'un style riche et précis, de même que l'extrême mobilité dans une approche presque physique de la mémoire et de l'imaginaire, marquent une œuvre à la mesure d'un siècle intimement vécu dans ses horreurs et ses merveilles. Nous confrontant sans cesse à une vision abrupte et sensuelle du corps humain, de son engendrement et de son langage, Dominique Rolin vient incarner au mieux le propos d'Auguste Rodin, le grand sculpteur français dont Judith Cladel, tante de la romancière, fut très proche : «Il n'y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n'y a qu'une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle.»
PRIX
  •   Prix Frans Hellens 1978
  •   Prix Femina 1952 (Le souffle)
  •   Prix Kleber Haedens
  •   Prix Fémina (Le souffle)
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NOS EXPERTS EN PARLENT
Le Carnet et les Instants

Le doute, la mémoire, l’amour, le double, Venise, la musique, les Primitifs flamands, les visages, les miroirs, la Belgique… autant de portes d’entrée du voyage qui mena Dominique Rolin et Patricia Boyer de Latour à tisser un ensemble d’entretiens réunis sous le titre Plaisirs. Dès 1999, bien après Les marais, Le lit, La maison la forêt, Le corps, Les éclairs, à l’époque où paraissent des œuvres majeures comme La rénovation, Journal amoureux, débute une série d’échanges placés sous le signe de « la promenade dans un jardin » (Rolin), le jardin Rolin dont les fleurs s’appellent le doute, la passion, l’enfance, l’écriture comme « investissement total de l’être ».Une des lames de fond de l’univers existentiel et créateur de Dominique Rolin, sur…


Le Carnet et les Instants

Dans Lettre à Lise, dernier roman de Dominique Rolin paru en 2003, l’auteure mettait fermement en garde sa petite-fille, face à cette « piqure de mouche au poison mortel » qu’est le chagrin : « L’être humain est lié aux sangs douloureux des ancêtres, et nous leur devons la plus affreuse redevance qui soit. Ma chérie, n’en fais donc pas un plat, ce qui t’arrive est d’une exténuante banalité psychologique, par conséquent annulée d’office ».Tout Dominique Rolin est là, dans cette dualité qui fait écarter comme facilement négligeables des sentiments pourtant violents qu’elle a éprouvés durablement dès sa jeunesse, dans le noyau familial, et qu’elle n’a cessé de combattre par la suite quand elle les voyait à nouveau entrer en action au cours…


Le Carnet et les Instants

Avec ce deuxième volume des lettres de Dominique Rolin à Philippe Sollers, couvrant cette fois les années 1981 à 2008 – l’écrivaine disparaît quatre ans plus tard, le 15 mai 2012 – se clôture une aventure exceptionnelle et rare, à la fois amoureuse et littéraire, dont il y a peu d’équivalent dans l’histoire des lettres – et dans la vie, tout simplement. Exceptionnelle par sa fécondité d’écriture, certainement, tant les deux écrivains, depuis leur rencontre à l’automne 1958, ont conçu – outre leur œuvre personnelle, distincte mais par moments existant en miroir –  une prouesse qui défie le temps, les habitudes et les conformismes.Lire aussi : notre recension de Lettres à Philippe Sollers 1958-1980Exceptionnelle encore, par l’aimantation réciproque…


Le Carnet et les Instants

Dans le sillage du premier volume Lettres à Dominique Rolin 1958-1980 de Philippe Sollers (un volume établi, présenté et annoté par Frans De Haes, paru chez Gallimard en 2017), sort le premier tome des Lettres de Dominique Rolin. Fait rare, voire unique dans le champ de la correspondance, les épistoliers étant tous deux écrivains, les lettres de l’un et de l’autre sont scindées et non croisées. Le choix éditorial est celui d’un dialogue qui se fait entre les tomes et non au sein d’un même espace textuel. Œuvre sidérante, tout entière portée par la passion absolue que nouèrent Philippe Sollers et Dominique Rolin jusqu’à la mort de celle-ci en 2012, cette constellation épistolaire offre une plongée souveraine dans un lien électif, un amour d’exception. Du coup…


Le Carnet et les Instants

Dominique Rolin. Nous avons en main son premier livre, Les marais. publié en 1942, aujourd’hui réédité, et son dernier : Deux femmes, un soir. 1992. De l’un à l’autre, c’est toujours la bourgeoisie qui apparaît au premier plan mais, comme en témoigne l’écriture d’une de ses plus fines représentantes, ses mœurs ont évolué. De Mauriac on est passé à Sollers, en une trentaine de romans. Les marais nous plongeait dans les douloureuses tentatives de Ludegarde et Alban pour s’émanciper de l’oppression paternelle, dans une atmosphère de torpeur morbide. Dans Deux femmes, un soir, les vicissitudes du milieu bourgeois perdurent, mais elles sont bien différentes. Les formes ont changé ; un vide pourtant subsiste. Le poids des conventions sociales a fait place…


Le Carnet et les Instants

Dominique ROLIN, Dulle Griet, Postface de Maxime Thiry, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 320 p., 9,50 €, ISBN : 9782875685896Figure marquante de l’imaginaire de Dominique Rolin, liée au pays natal, aux racines belges, au roman familial, le peintre Pieter Brueghel l’Ancien s’incarne dans son œuvre, donnant lieu au récit L’enragé (1978) et à Dulle Griet (1977). Si L’enragé campe le peintre flamand sur son lit de mort, le roman Dulle Griet prend racine dans la mort du père de l’écrivaine, dans le lever de souvenirs provoqué par sa disparition.Les eaux de l’agonie ayant le lit pour cadre roulaient déjà dans le roman Le lit, lequel évoque la mort de son mari, le sculpteur Bernard Milleret. Dans le creuset d’un texte hors norme, d’une…


Le Carnet et les Instants

Dominique ROLIN, L’infini chez soi, postface de Pierre Piret, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 300 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-588-9« Toute invention, dis-je à mon tour non sans une certaine lâcheté retorse dont j’ai parfaitement conscience, toute invention est sanctifiée, rectifiée, justifiée vaille que vaille par le feu d’une réalité folle. » Insérée dans l’audacieuse architecture romanesque de L’infini chez soi – paru en 1980 chez Denoël et très heureusement à nouveau accessible aujourd’hui dans la collection Espace Nord, avec une postface appuyée de Pierre Piret – cette énonciation péremptoire de Dominique Rolin s’applique on ne peut plus exactement, pourtant, à l’étonnant échafaudage temporel dessiné et mis en place…