" Pourquoi c'est bizarre? " (in Jeune public)

Faire de la philosophie avec les enfants en prenant comme support la danse contemporaine ? Le défi peut sembler ambitieux, voire impossible à relever. La philosophie constitue pourtant une des dimensions des projets Danse à l’école proposés par le Centre dramatique et chorégraphique Pierre de Lune.

                                                                    * Lorsqu’une classe prend part à ce type de projet, les élèves sont en effet invités à faire de la philosophie à plusieurs reprises au long du travail dans lequel ils sont engagés avec un/e chorégraphe. Qu’on ne s’y méprenne pas, il ne s’agit pas ici de leur donner des cours de philosophie mais plutôt de créer un cadre qui leur permette de formuler les questions qu’ils se posent lorsqu’ils sont confrontés à la danse…

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Le tandem de Cuistax. Rencontre avec Fanny Dreyer et Chloé Perarnau

En janvier 2013 apparait sur les tables de librairies bruxelloises un étonnant fanzine pour enfants. Imprimé en bleu et rouge, le Cuistax numéro zéro débarque comme « une boite de chocolats de Noël qui arrive en retard » XX , c’est-à-dire comme une délicieuse surprise au creux de l’hiver. Onze auteures/illustratrices bruxelloises y racontent des histoires de chaussettes, proposent un tour de magie, un zoo à découper, expliquent la recette du cougnou ou tracent un ciel polaire à colorier. Depuis ce numéro inaugural, deux Cuistax paraissent chaque année. Ce joyeux magazine, ludique et graphiquement audacieux, tient grâce à la volonté de ses deux fondatrices, Fanny Dreyer et Chloé Perarnau, ainsi qu’à l’enthousiasme d’artistes qu’elles côtoient. Comme sur les voiturettes bien connues des digues belges, ils sont nombreux à pédaler pour faire avancer Cuistax. Nous avons rencontré le tandem dynamique qui le coordonne. Origine d’un collectif Fanny Dreyer et Chloé Perarnau font partie d’une génération prolifique de jeunes illustrateurs bruxellois, aussi motivés que talentueux. Lorsqu’elles sortent de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, elles nourrissent l’envie de créer une publication et développent l’idée d’un fanzine pour faire « autre chose » que ce qu’elles vont créer pour le monde de l’édition, pour « gérer un projet de A à Z, pour ne pas être dépendant d’un éditeur » XX . À ce désir d’indépendance, de faire ce qu’elles veulent et comme elles le veulent, s’ajoute celui de s’entourer d’artistes, de travailler collectivement plutôt qu’individuellement. C’est la proposition d’une exposition à la Maison des Cultures de Saint-Gilles qui les aide à concrétiser ce projet en leur donnant l’occasion de fédérer un groupe et de publier ensemble. Elles organisent alors une première réunion, afin de rassembler ceux qui sont prêts à s’associer à cette publication alternative. Le collectif Cuistax est né. Petit à petit, celui-ci s’élargit, au gré des sollicitations et propositions, de la part d’auteurs comme de la part de Cuistax. De rencontres en découvertes, le groupe évolue. Certains ne participent qu’à l’un ou l’autre numéro, d’autres sont présents à tous les niveaux, depuis le début. Un véritable noyau dur s’est formé : Anne Brugni, Sarah Cheveau, Loïc Gaume, Nina Cosco, Adrien Herda, Sophie Daxhelet, Caterine Pellin, Isabelle Haymoz, Jina Choi, Bi-Hua Yang, Jasper Thys, Liesbeth Feys et la graphiste Myriam Dousse. Autant de talents pour qui Cuistax est l’occasion de faire « autrement », avec parfois plus de liberté, ce qu’ils aiment, tout en développant des projets individuels, en tant qu’auteurs de livres pour enfants ou en publiant dans la presse. Cette publication indépendante et atypique leur offre un espace de création unique en son genre. Ainsi, Chloé Perarnau et Fanny Dreyer ont à leur actif de très beaux albums jeunesse : la première a illustré sept livres pour enfants, dont Il y a belle lurette au Seuil et L’orchestre aux éditions L’agrume, tandis que la seconde a publié six albums dont Moi, canard chez Cambourakis et La poya à la Joie de lire. D’autres acteurs de Cuistax sont des auteurs publiés : Sophie Daxhelet, Anne Brugni ou encore Loïc Gaume. L’aspect collectif donne à chacun l’élan nécessaire pour élaborer le fanzine. « Ce qui est super avec Cuistax, c’est de défendre un projet que nous sommes plusieurs à porter. C’est alors beaucoup plus facile d’y croire, parce qu’on n’est pas seule face à ses doutes. » Les membres de cette association de passionnés travaillent tous bénévolement pour Cuistax. Mais les avantages par rapport aux magazines classiques en valent la chandelle : indépendance éditoriale, pas de censure, une belle liberté graphique. « Notre seule limite, c’est la compréhension. » Les illustrateurs ont une liberté presque totale. Pas de comité pédagogique ou de psychiatre pour leur dire ce que les enfants doivent voir ou lire. Ici, on sort des cadres prescrits, on propose des images qui sortent des sentiers battus, on donne à voir autre chose aux enfants. En route / op weg met Cuistax Chaque Cuistax est axé sur un thème, décliné selon les histoires et rubriques du magazine. Il s’agit d’un sujet parfois saisonnier (Été indien), parfois tout autre selon l’inspiration du moment ou le couple de couleurs choisies en amont (En route, consacré aux moyens de transport). Une fois le thème choisi, les différentes rubriques se répartissent entre auteurs. « On essaie de garder un équilibre entre les histoires, les jeux et les bricolages. On aime que l’enfant puisse découper, colorier, puis qu’il y ait aussi une part pour la narration et de belles images », nous dit Fanny Dreyer. Le lecteur est invité à s’approprier l’objet. Chaque numéro propose un poster et un petit cadeau ludique, comme un sticker, des graines à faire pousser, un attrape-rêve à réaliser, un masque à découper, des tatouages… Ce petit plus fait pleinement partie de l’esprit du projet. Certaines rubriques se retrouvent de numéro en numéro, avec parfois un/e illustrateur/trice qui y est attaché/e. Ainsi, « Caterine Pellin a commencé dans le numéro zéro avec Lucius, son petit loup. Depuis, il revient régulièrement. » Sophie Daxhelet a installé de numéro en numéro sa rubrique magie, farce et attrape. D’autres rubriques récurrentes sont la recette de cuisine, l’interview, le jeu des sept erreurs, ainsi que de petites histoires sur deux ou quatre pages. En fonction du thème, Chloé Perarnau et Fanny Dreyer choisissent l’illustrateur qui réalisera la couverture et le poster. Les deux fondatrices passent un temps tel à toutes les étapes de la réalisation qu’il leur en reste peu pour contribuer au contenu de Cuistax. Elles disent se réserver de « petites choses ». Dernièrement, elles se sont accordé le plaisir de créer, ensemble, le poster de Dedans / dehors – Binnen / buiten, le numéro paru au printemps 2017. L’identité belge fait pleinement partie du projet éditorial initial de Cuistax. Le nom du fanzine a été bien évidemment choisi en tant qu’emblème de belgitude. C’est aussi pour cette raison que les deux langues s’imposent dès le départ : Cuistax est entièrement bilingue, adressé tant aux petits francophones qu’aux néerlandophones. Si les deux fondatrices et les différents auteurs sont loin d’être tous originaires du plat pays (Fanny Dreyer est suisse et Chloé Perarnau française), ils ont tous un lien avec Bruxelles. En ce qui concerne sa teneur, le fanzine comprend toujours une rubrique ou une interview en lien avec la capitale. La rubrique Un enfant et Bruxelles interroge un petit Bruxellois sur sa ville au quotidien. Alice, cinq ans, propose que les gens décorent leurs voitures avec des autocollants pour améliorer les routes tandis qu’Émilion, huit ans, explique qu’il ne peut pas faire de roller sur son trottoir parce qu’il est cabossé mais que l’herbe qui pousse entre les pavés, c’est rigolo. Le numéro 8, Dedans/dehors – Binnen/buiten, nous raconte la visite d’un botaniste martien au Parc Josaphat : c’est l’occasion pour Charline Colette et Myriam Raccah d’inviter les petits Bruxellois à observer leur environnement par le biais d’une histoire documentée. Collaborations et projets parallèles Au fur et à mesure des numéros, le fanzine bilingue et bicolore a gagné en reconnaissance et en notoriété et suscite intérêt et enthousiasme. Il donne à ses illustrateurs une visibilité certaine, grâce aux nombreux salons de microédition, autant de laboratoires de l’image, auxquels Cuistax est régulièrement convié. Ses deux fondatrices s’y nourrissent de rencontres et influences. Espace d’expression pour de jeunes illustrateurs pour qui il s’agit parfois d’une première publication, le magazine est également devenu le lieu de collaborations diverses. Ainsi, c’est le collectif qui a réalisé Le…

« Vive la rigolade ». La frivolité sexuelle dans les «sixties » et les «seventies»

( Traduit du néerlandais par Marcel Harmignies.  Les notes sont du traducteur ) « Ça picolait et ça baisait / l’Europe entière n’était qu’un grand matelas », écrivit dans un poème l’écrivain néerlandais Remco Campert (° 1929) à propos des années d’après-guerre, même si la griserie de cette nouvelle liberté demeura limitée à un petit groupe d’artistes et d’auteurs qui vivaient à la petite semaine dans le lointain Paris. Le reste de l’Europe s’activait au relèvement dans le cadre des valeurs et des normes d’avant-guerre. C’est seulement dans le courant des années 1960 que l’image du matelas associée à la consommation d’alcool commença à sortir de la sphère bohème, pour s’épanouir totalement dans les années 1970. À la base de ce qui est maintenant connu comme «la révolution sexuelle» se trouvent deux éléments: l’argent, autrement dit l’expansion économique, et une contraception fiable (la pilule). Sans ces deux conditions, le concept du matelas n’aurait pas eu l’ombre d’une chance. Beaucoup trop dangereux pour les jeunes filles et les femmes. Née en 1954, j’appartiens moi-même à la fin de la génération du baby-boom, et n’ai jamais connu autre chose que la liberté sexuelle. À dix-sept ans, lorsque je partis étudier et emménageai dans une chambre d’une résidence universitaire, il régnait là une totale liberté. C’était un immeuble qui venait juste de devenir mixte (auparavant ne résidaient là que des garçons) avec un seul WC, un urinoir, une seule douche et une petite cuisine pour seize occupants. Un couple vivait dans une chambre de 3 m sur 3,5 m, des filles se baladaient, qui n’habitaient pas là, mais venaient passer la nuit avec leur petit ami. Rien de tout cela ne me semblait curieux ou déplacé, même si la cohabitation hors mariage et le flirt avec des petits copains ne faisaient certainement pas partie des valeurs inculquées à la maison. Je n’avais moi-même pas franchi le pas durant cette première année d’études, mais je savais que, le moment venu, ce serait en toute liberté. De la révolte étudiante parisienne de mai 1968 on dit parfois que la revendication portait en fait sur l’abolition de la ségrégation sexuelle dans les résidences étudiantes, le libre accès des garçons aux chambres des filles et réciproquement. Évidemment, dans l’ensemble du monde occidental, les étudiants étaient remontés contre les structures de pouvoir autoritaires, ils revendiquaient la participation à tous les niveaux et occupèrent un an plus tard la Maagdenhuis XX à Amsterdam. En Amérique, les contestations émanèrent du civil rights movement et de la fureur suscitée par la guerre du Vietnam, mais, cela mis à part, les étudiants revendiquaient aussi l’abolition de réglementations restrictives relatives à leurs conditions d’hébergement. Une exigence qui fut satisfaite rapidement et sans bruit, car comment continuer à interdire les relations sexuelles à de jeunes adultes qui ont le droit de conduire et de voter, et qui peuvent être mobilisés dans l’armée pour périr à l’autre bout du monde? La mise à disposition de la pilule pour les femmes célibataires (ultérieurement même pour les jeunes filles mineures, sans autorisation parentale) constitua une énorme impulsion pour la libération sexuelle de la femme. Par la simple prise d’une petite pilule quotidienne, une femme pouvait avoir des relations sexuelles, comme les hommes en avaient l’habitude: les avantages, pas les inconvénients. Ce qui, d’ailleurs, ne faisait pas des hommes et des femmes des partenaires équivalents dans le domaine du sexe et des relations. On était encore loin de la modernisation des rapports homme-femme. Je voyais ça dans ma résidence où, chaque jour, l’élément féminin de ce couple en concubinage s’affairait devant ses casseroles, après quoi ils prenaient leur repas ensemble dans leur chambre. Une routine qui m’horrifiait - pas tant le fait de voir la fille à son fourneau, mais le spectacle de ce petit couple étriqué me semblait d’une monotonie étouffante. Comme s’ils reproduisaient la vie de leurs parents! Le féminisme fit son apparition quelques années après la révolution sexuelle. Ce n’est pas une question de hasard si les deux mouvements de libération n’eurent pas lieu en même temps, comme ce fut le cas avec le combat pour les droits civiques des Noirs et la révolte générale de la jeunesse contre les autorités. En plus d’une lutte autonome des femmes pour se dégager des structures patriarcales (discrimination dans l’enseignement et sur le marché du travail), le féminisme était aussi une réaction à cette même révolution sexuelle. La pilule s’était révélée une arme à double tranchant qui certes accordait aux femmes la liberté d’avoir des relations sexuelles quand et avec qui elles voulaient, mais en même temps rendait plus difficile d’éconduire les hommes. La crainte de la grossesse, excuse éprouvée durant des siècles pour parer des avances importunes, ne pouvait soudain plus être invoquée comme argument pour refuser un rapport. Ce n’était plus possible dans le cadre de relations stables, mais pas non plus dans celui des relations amoureuses libres, où toute jeune femme se devait de prendre la pilule, ne serait-ce que par mesure de précaution. Deux tendances du féminisme se dessinèrent dès le début: l’égalitarisme à orientation sociétale, qui tendait à un traitement identique des sexes dans tous les domaines, et le différentialisme qui brandissait le mot d’ordre «ce qui est personnel est politique». Dans l’égalitarisme, les différences biologiques liées au sexe étaient minimisées. Dans le différentialisme qui avait tendance à présenter la femme ou bien comme faible et victime potentielle, ou bien juste comme d’une essence (moralement) supérieure, elles étaient maximisées. Les deux courants de pensée visaient à la libération de la femme et, sans surprise, le sexe était le grand sujet de controverse. La révolution sexuelle, c’était en premier lieu «vive la rigolade». À une allure rapide on se défaisait des entraves sociales et inspirées de la religion. Le sexe pouvait fort bien exister avant et hors mariage sur un mode ludique, il était bien admis qu’avoir une liaison n’était même pas nécessaire, l’homosexualité, la sexualité de groupe, le sadomasochisme et les clubs échangistes avaient leur place - même la pédophilie connut une certaine faveur dans les années 1970. Une piqûre d’idéologie inspirée de la pensée marxiste populaire à l’époque mena à l’expérimentation de communautés dans lesquelles toute propriété privée, y compris les relations personnelles, était bannie. La jalousie et la revendication passaient dans ces cercles pour des inclinations bourgeoises entravant la véritable liberté. Ce furent les féministes du différentialisme qui mirent un coup de frein à la liberté sexuelle sans limites en pointant les différentes situations initiales encore inhérentes aux sexes. «Vive la rigolade», c’était très bien, mais des femmes continuaient à être exploitées dans la pornographie et la prostitution, couraient le risque d’être maltraitées et violées dans et hors le cadre de relations, étaient harcelées, jugées sur leur apparence, confrontées au date rape XX et, si elles disaient «non», elles n’étaient pas prises au sérieux ou traitées de bégueules. Bref, les femmes étaient non seulement reléguées au second plan et victimes de la domination masculine dans la société, mais aussi, précisément, dans leur environnement personnel. La révolution sexuelle servait surtout les appétits masculins démesurés, tandis qu’on méprisait les souhaits des femmes elles-mêmes. Mélancolie La révolution sexuelle est calmée depuis assez longtemps. Le déclin fut amorcé avec l’apparition du virus du sida au milieu des années 1980. Même si les homosexuels et les héroïnomanes…

Le parti de l’étranger. L’Image du «réfugié» dans la littérature néerlandophone d’aujourd’hui

[Traduit du néerlandais par Christian Marcipont.] Le sort du réfugié est devenu un thème de la littérature contemporaine, y compris des lettres de langue néerlandaise. quels sont les auteurs qui, dans les plats pays, ont eu le courage d’aborder le thème du réfugié, montrant chacun à leur manière que la littérature peut apporter une plus-value parce qu’elle sait observer ce sujet sensible sous une multitude d’angles différents? * De nos jours , il est un thème – avec le climat et le terrorisme – qui domine et détermine l’actualité: celui de la migration. C’est surtout depuis les années 1990, qui voient le déclenchement de la guerre civile en ex-Yougoslavie, que la question des « réfugiés » en Europe est devenue un sujet aux nombreuses implications éthiques, politiques et sociales, et que les brasiers en Syrie et au Moyen-Orient ont rendu plus prégnant encore. Il est devenu l’enjeu de campagnes électorales virulentes et est aujourd’hui instrumentalisé comme jamais auparavant par les politiques, et cela sur le dos de groupes de population qui ne se doutent pourtant de rien. C’est aussi une question qui attise la rhétorique belliqueuse des populistes européens. Que cette problématique ne soit pas sans influencer la culture et la littérature contemporaines, c’est là une quasi-évidence. La question s’est toutefois déjà posée à maintes reprises: le réfugié est-il devenu le cache-misère idéal pour l’artiste qui cherche à s’avancer armé de son engagement? Et, mutatis mutandis, cela vaut-il également pour le monde des lettres? S’agit-il d’un passage obligé, d’une thématique « prémâchée »? Toujours est-il qu’à l’heure actuelle les romans et récits dont les protagonistes sont des réfugiés s’accumulent. Nombre d’écrivains traitent dans leurs livres des motivations des migrants et plus particulièrement des réfugiés, des demandeurs d’asile et des sans-papiers. Ils racontent les obstacles à surmonter dans la quête d’une vie meilleure. Chose on ne peut plus logique si l’on considère que ce n’est pas d’hier que les écrivains observent les soubresauts du monde. Le sujet est au cœur de l’actualité et, de surcroît, ces dernières années les catastrophes se sont succédé sans relâche. Cependant, les écrivains ont parfaitement compris qu’il ne leur était pas permis de se jeter tête baissée dans la littérature pamphlétaire. Mieux vaut se tenir à quelque distance des versatilités de l’opinion. On ne peut sortir de son chapeau un « récit de réfugiés », sauf à espérer marquer un point par le biais du journalisme ou de l’essai. Il y a peu, par exemple, Valeria Luiselli a braqué les projecteurs sur les enfants mexicains qui traversent la frontière entre le Mexique et les États-Unis dans son livre de non-fiction Raconte-moi la fin, récit des expériences qu’elle a vécues comme interprète. Mais, récemment aussi, la même Valeria Luiselli leur a consacré un roman, Archives des enfants perdus, où elle raconte les vicissitudes d’une famille à la dérive, dans le contexte de la crise des réfugiés à la frontière du Mexique et des États-Unis. Or, les choses se présentent différemment dans un roman, qui est régi par d’autres règles: « Les récits qui trouvent leur origine dans la réalité nécessitent une plus longue période d’incubation s’ils veulent se transformer en fiction, beaucoup d’eau doit couler sous le pont avant que l’on atteigne la juste mesure », déclarait à ce propos l’auteur néerlandais Tommy Wieringa dans une interview accordée au quotidien flamand De Standaard. Si l’on considère la situation d’un point de vue international, on constate que les ouvrages dont les réfugiés occupent la première place suffiraient à remplir une bibliothèque entière. Dans le genre, Le Grand Quoi de Dave Eggers représente incontestablement un jalon: l’auteur, à travers un roman, raconte l’histoire de Valentino Achak Deng, un enfant réfugié soudanais qui émigre aux États-Unis sous les auspices du Lost Boys of Sudan Program. Citons ensuite le très populaire Khaled Hosseini. Ce dernier a acquis une réputation planétaire grâce à son livre consacré aux atrocités vécues en Afghanistan sous le régime des talibans. En définitive, le protagoniste des Cerfs-volants de Kaboul, après un passage par le Pakistan, finira par débarquer aux États-Unis. Dans le roman qui lui fait suite, Mille soleils splendides, Hosseini évoque également les camps de réfugiés en Afghanistan. « Voilà plusieurs siècles que la littérature prend fait et cause pour l’étranger, l’« autre », le réfugié », observait Margot Dijkgraaf dans le quotidien néerlandais NRC, renvoyant explicitement à l’œuvre du Français Philippe Claudel, qui n’a jamais fait mystère de son indignation quant au sort réservé aux réfugiés. Amer, humain, allégorique, factuel, pamphlétaire ou moralisateur: les angles d’attaque ne manquent pas dès lors que des auteurs se penchent sur le sujet. À quoi il faut ajouter que la question ne divise pas seulement la société, mais les écrivains eux-mêmes. Tommy Wieringa, par exemple, s’est depuis peu rangé à l’idée qu’« une frontière extérieure européenne sûre est nécessaire », ce qui est un point de vue d’adoption récente. Pour ne rien dire ici de Thierry Baudet, chef de file du parti de droite populiste Forum voor Democratie, qui ne répugne pas à se présenter comme écrivain. Parmi les représentants de la littérature d’expression néerlandaise, Kader Abdolah, originaire d’Iran, fut l’un des premiers à coucher par écrit son vécu de réfugié, entre autres dans De adelaars (Les Aigles) et Le Voyage des bouteilles vides XX . Depuis lors, les textes en prose consacrés à l’immigration sont quasiment devenus un genre en soi. Pourtant, des années-lumière séparent Hôtel Problemski XX, Dimitri Verhulst s’immerge dans un centre pour demandeurs d’asile, et l’effrayant L’oiseau est malade XX d’Arnon Grunberg. Souvent, le réfugié offre matière à opter pour des thèmes plus vastes. C’est ce qu’a réussi à faire, par exemple, Joke van Leeuwen avec Hier (Ici), une parabole sur les frontières et sur les contours de la liberté. « Les frontières maintiennent une pensée de type nous / eux, ce qui ne ressortit pas exclusivement au passé. Au contraire, j’ai l’impression que ce type de pensée binaire s’est renforcé ces dernières années », déclare-t-elle à ce sujet. Jeroen Theunissen, de son côté, a introduit subrepticement le thème des réfugiés dans son roman Onschuld (Innoncence) XX , où l’on voit le photographe de guerre Manuel Horst se faire enlever et torturer par des djihadistes dans le guêpier syrien avant, la chance aidant, de parvenir à s’échapper. Il est très peu disert à propos de sa nouvelle liberté, assure qu’il n’a nul besoin d’un soutien posttraumatique et tombe amoureux de Nada, une réfugiée syrienne. Il rentre avec elle en Belgique, où il leur faut batailler pour se construire une nouvelle existence avec le jeune fils de Nada, Basil. Mentionnons également Rosita Steenbeek, auteure de Wie is mijn naaste? (Qui est mon prochain?), un ouvrage engagé non fictionnel s’apparentant au reportage et consacré à l’accueil des réfugiés à Lampedusa, en Sicile et au Liban. Présenter un miroir au lecteur Venons-en à trois œuvres néerlandaises en prose qui traitent du thème des réfugiés d’une manière beaucoup plus directe et qui, pour se baser sur un récit nettement personnel, n’en parviennent pas moins à donner à cette problématique une portée universelle. Elvis Peeters (° 1957) – qui écrit ses romans en collaboration avec son épouse Nicole Van Bael – est un de ces auteurs flamands qui abordent régulièrement ce thème avec maestria, quoique sans menacer quiconque d’un doigt moralisateur. Plus d’une fois on trouve chez lui un penchant…