Faire de la philosophie avec les enfants en prenant comme support la danse contemporaine ? Le défi peut sembler ambitieux, voire impossible à relever. La philosophie constitue pourtant une des dimensions des projets Danse à l’école proposés par le Centre dramatique et chorégraphique Pierre de Lune.
* Lorsqu’une classe prend part à ce type de projet, les élèves sont en effet invités à faire de la philosophie à plusieurs reprises au long du travail dans lequel ils sont engagés avec un/e chorégraphe. Qu’on ne s’y méprenne pas, il ne s’agit pas ici de leur donner des cours de philosophie mais plutôt de créer un cadre qui leur permette de formuler les questions qu’ils se posent lorsqu’ils sont confrontés à la danse…
Les langues en indonésie. Pas de néerlandisation, mais une anglicisation
[ Traduit du néerlandais par Marcel Harmignies.] Les indonésiens sont extrêmement susceptibles quand il s’agit de leur territoire, mais n’ont jamais éprouvé le besoin de se battre pour leur propre langue. néanmoins, le néerlandais n’a jamais réussi à s’imposer dans les anciennes indes néerlandaises. * * * Une évolution de la langue indonésienne me chiffonne et me met mal à l’aise, il s’agit du mélange avec l’anglais. Au cours des quarante dernières années, de plus en plus de mots et d’expressions anglais ont été introduits, mais on éprouve moins le besoin de les transposer en indonésien. Les personnes que je qualifie d’anglicisées (keminggris en javanais) sont de plus en plus nombreuses. Comme si tous ces emprunts étaient généralement acceptés et compris par tout un chacun. Pourquoi les Indonésiens font-ils un tel méli-mélo de leur langue et sont-ils à ce point dépourvus de nationalisme linguistique? Pourtant, les Indonésiens ne sont-ils pas réputés pour le nationalisme qui les a délivrés du colonialisme néerlandais? Les réponses à ce genre de questions, on ne les obtient qu’en analysant plus de trois cents ans d’histoire coloniale. Colonisés par une entreprise Qui connaît l’histoire de l’Indonésie supposera peut-être que l’indonésien est plus proche du néerlandais que de l’anglais. Les Néerlandais ont quand même régné sur l’archipel trois siècles durant. Alors pourquoi les Indonésiens ne parlent-ils donc plus le néerlandais, tandis que dans le Timor oriental, petit pays voisin, le portugais est toujours utilisé ? Quand on appelait encore «malais» la langue indonésienne, elle cohabitait bien avec les langues locales et le néerlandais. J’ai été élevé par mes grands-parents à Malang, Est de Java, dans les années 60 et 70 du siècle dernier, et je baignais dans trois langues: le néerlandais, le javanais et l’indonésien. Mes grands-parents parlaient néerlandais entre eux car ils avaient fréquenté des écoles néerlandaises, et ils m’apprirent à le parler et à l’écrire. Mes premiers petits mots furent peut-être du néerlandais et non du javanais. Le javanais, je l’ai appris dans la rue, et il me fut ensuite enseigné à l’école, avec l’indonésien. J’ai appris cependant aussi à ne pas mélanger ces langues. Ma grand-mère soulignait que beaucoup de ceux qui parlaient javanais et indonésien ne comprenaient pas du tout le néerlandais. Plus tard, j’ai appris également à l’école l’anglais et l’allemand, mais les professeurs veillaient à nous éviter que nous mélangions les langues. Le faire était pécher par insuffisance linguistique. Je suis convaincu que ma maîtrise du néerlandais est une exception. Les gens de ma génération et de celle de mes professeurs ne le parlent guère. Seule la petite communauté des Indos, métis ayant choisi de rester en Indonésie après l’indépendance, l’utilise encore. Je parlais aussi néerlandais avec mes trois camarades de classe indos quand nous étions entre nous. Quand je suis parti en 1980 à l’université de Salatiga, Java central, j’ai pu continuer à le pratiquer avec les Indos et les enseignants néerlandais qui travaillaient là. Mais j’ai déjà remarqué alors que le nombre d’Indonésiens parlant encore le néerlandais diminuait rapidement, tandis que l’usage de l’anglais était précisément en plein essor. Lorsqu’en 1987 je me suis installé aux Pays-Bas pour travailler au département indonésien de Radio Pays-Bas internationale, je n’ai eu aucune peine à pratiquer le néerlandais. Il m’a suffi de deux semaines de cours chez les chanoinesses de Vught, dans le Brabant-Septentrional. Dans le cadre de mon travail, je n’avais pas à écrire en néerlandais. Je devais seulement être capable de traduire des dépêches du néerlandais en indonésien. Mon expression écrite en néerlandais s’en est trouvée négligée. Si je l’avais aussi appris à l’école, il en aurait sans doute été autrement. Aux Pays-Bas, je me suis consacré de plus en plus à l’histoire, surtout à ce que nous appelons l’époque néerlandaise (zaman Belanda). J’ai découvert que l’Indonésie est le seul pays où l’on ne parle plus la langue de l’ancien colonisateur. Dans les anciennes colonies britanniques de Malaisie et Singapour, on continue à parler l’anglais et beaucoup d’auteurs locaux écrivent dans cette langue. Aux Philippines aussi, qui furent cédées au XIXe siècle par les Espagnols aux Américains, de nombreux auteurs publient en anglais. Le Timor oriental, à la fin de l’occupation indonésienne, a choisi le portugais comme première langue nationale. De même, dans les anciennes colonies françaises du Maghreb, l’enseignement supérieur est toujours bilingue: arabe et français. L’auteur marocain Bensalem Himmich écrit ses romans en français et en arabe. En Indonésie, il n’est plus un seul auteur qui écrive en néerlandais. C’était déjà un peu ce qui se produisait durant l’époque néerlandaise. En néerlandais ne publièrent guère que Raden Adjeng Kartini (1879-1904), Noto Soeroto (1888-1951) et Soewarsih Djojopoespito (1912-1977). Leurs livres furent reconnus aux Pays-Bas aussi comme des œuvres littéraires, mais on peut les considérer comme des accidents de l’histoire. Je croyais initialement, conformément au fanatisme historique que j’avais apporté d’Indonésie, que le nationalisme indonésien avait évacué tout ce qui évoquait les Néerlandais. Le Soempah Pemoeda (Serment de la jeunesse), prêté en 1928 par les jeunes nationalistes, joua un rôle majeur en la circonstance. Il exhortait à: une terre, une nation et une langue. Mais peu à peu cette conviction disparut qui, à mon avis, est dépourvue de tout fondement historique. Ainsi je découvris que Soewarsih Djojopoespito publia son roman Buiten het gareel (Au-delà du harnais) en 1940, douze ans après le Serment de la jeunesse. Soewarsih aurait-elle dû l’écrire en indonésien pour rester fidèle à ce serment? Pourquoi a-t-elle pourtant rédigé son roman nationaliste dans la langue de l’oppresseur? Je me rendis compte alors aussi que mes grands-parents avaient continué de parler néerlandais jusqu’à leur décès. Par conséquent je suis convaincu que le Soempah Pemoeda n’est pas une raison suffisante pour expliquer la disparition du néerlandais en Indonésie. Au beau milieu de cette recherche, j’ai vu une interview de Benedict Anderson* à la télévision néerlandaise. Cette spécialiste réputée du nationalisme relevait que l’Indonésie est la seule colonie à avoir été administrée sans utiliser une langue européenne. Par ailleurs, l’Indonésie avait été colonisée non par un État, mais par une entreprise, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC). Cette interview m’ouvrit les yeux. Pour la VOC, l’optimisation des profits était importante et les charges de la colonie devaient être contenues à un bas niveau. Naturellement, la VOC possédait aussi d’autres moyens pour générer des profits, comme le monopole des épices. Diffuser la langue néerlandaise aurait cependant aussi coûté de l’argent. Il revenait moins cher d’enseigner le malais, embryon de la langue indonésienne, aux proches collaborateurs que le néerlandais à toute la population. Quand la VOC fit faillite vers 1800, l’État néerlandais prit le relais, mais la politique linguistique de la compagnie fut poursuivie. Les Européens parlaient bien le néerlandais dans la capitale Batavia, et le portugais se trouva relégué derrière le malais en position de seconde langue utilisée, mais l’usage du néerlandais ne fut pas encouragé. On invoquait comme prétexte le fait que les Indes néerlandaises possédaient déjà…
Quand la vie prend le dessus. Les interactions entre l’utopie bâtie et l’habiter
Maintenant, dans le projet, les murs étaient de la même couleur pour tous. De la peinture blanche, et c’est tout. Mais ma mère, vu qu’elle n’avait pas d’argent pour le matériel scolaire ni pour beaucoup de papier, est allée à la quincaillerie centrale, elle a pris une boîte de peinture noire, et elle a peint un des murs, puis a obtenu de la craie et de la gomme, et c’est devenu notre mur des devoirs. Nous y résolvions les problèmes, nous y exercions notre calligraphie, nous avons tout fait sur ce mur. Puis nous avons reçu un avis du bureau de l’administration qui annonçait une inspection. J’avais tellement peur qu’ils nous excluent du projet, et quand la dame a vu ce mur noir, elle a dit : « Madame Blair, c’est quoi ça ? », et ma mère lui a répondu : « Je n’ai pas d’argent pour le papier et je veux que mes enfants réussissent à l’école, et ils doivent s’entraîner. » La dame était simplement terrassée, elle ne pouvait pas croire que c’était ça la raison, et elle a dit : « Vous savez quoi, vous êtes en train d’essayer d’élever vos enfants, laissez donc ce mur noir, et si vous voulez peindre un autre mur aussi, c’est très bien pour nous. » Jacquelyn Williams, ancienne résidente de Pruitt-Igoe, St. Louis (The Pruitt-Igoe Myth, 2011) XX Les simples changements apportés à l’un des murs des 2.870 logements qui composaient le complexe tristement célèbre de Pruitt-Igoe à Saint-Louis dans le Missouri signifient plus que la reconnaissance sommaire de la façon dont les habitants utilisent et ajustent leur milieu de vie sur la base de leurs aspirations et de leurs besoins essentiels. Le témoignage de Jacquelyn Williams démontre l’importance d’adapter son habitat par le biais de transformations matérielles spontanées, bien au-delà des besoins quotidiens de base. Dans ce qui est considéré comme le plus infâme complexe de logements sociaux de tous les temps, comme l’apothéose de tout ce qui a mal tourné dans la conception moderniste XX XX , les modifications entreprises par les résidents se révèlent comme une étape fondamentale dans la fabrication de leur espace de vie. Pruitt-Igoe pourrait être considéré comme un cas extrême. Certes, d’autres réalisations comparables à cet exemple nord-américain n’ont pas subi son destin. Pourtant, il est utile de reconsidérer cet ensemble de logements pour comprendre les tensions générées par l’écart entre l’envergure utopique des idéaux modernistes et leur héritage, une fois bâtis et utilisés au quotidien. Même si ce questionnement n’est pas neuf XX , son exploration reste néanmoins capitale pour les contextes du Sud planétaire XX où le modernisme a fait l’objet d’une double réinterprétation au fil du temps. D’un côté, les modèles modernistes prétendument universels ont dû se reconfigurer à chaque « atterrissage » dans un contexte spécifique, mais de l’autre côté, une fois construits, ils ont aussi souvent (mais pas toujours) été significativement transformés par l’usage. Dans ce dossier, les auteurs portent donc leur attention sur le décalage entre, d’une part, l’intention, la réalisation et l’appréciation des utopies bâties par les critiques et l’opinion publique, et, d’autre part, leur usage, qui implique le plus souvent des interventions sur le bâti aussi significatives que signifiantes. Les articles rassemblés ici se focalisent sur la transformation radicale des constructions réalisées – c’est-à-dire sur leur appropriation – sans pourtant négliger de considérer des cas de figure où les architectes modernistes ont pu s’emparer des pratiques sociospatiales locales pour revisiter les modèles que l’on pensait planétaires. Le Sud planétaire est, en effet, un contexte qui appelle des questions fondamentales. Au-delà du débat sur la préservation matérielle des œuvres modernistes, le Sud planétaire invite à repenser les alternatives à venir en matière de pratiques urbaines. Ila Bêka et Louise Lemoine ont bien montré la vulnérabilité de l’architecture européenne à travers des cas illustres, comme celui du Barbican Estate de Londres (Barbicania, 2014 XX ), mais ce sont les pratiques inattendues et spécifiques des espaces de Zouerate, Séoul ou Buenos Aires qui nous interpellent. La rencontre entre, d’une part, les résidus d’un contenu utopique étroitement associé au projet moderniste, et, de l’autre, l’appropriation de ces lieux au fil du temps, dessine des constellations susceptibles d’ouvrir à nouvelle compréhension du phénomène urbain. APPROPRIATE(D) MODERNISMS ou L’APPROPRIATION DES MODERNISMES POUR UN MODERNISME APPROPRIÉ Les vicissitudes de Pruitt-Igoe font écho à celles d’autres lieux construits pour abriter les plus vulnérables dans un monde en voie d’urbanisation, ainsi que pour accompagner l’expansion des villes : des équipements modernes, tels que des hôpitaux, des universités et des musées. Ces interventions, souvent de grande échelle et à forte intensité de capital, ont joué un rôle important dans la mise en valeur de la démocratisation, du processus de décolonisation et dans l’exportation internationale de l’État providence, comme l’a montré une abondante littérature scientifique (Avermaete et Casciato, 2014 ; Avermaete et al., 2010 ; Crinson, 2003 ; le Roux, 2003 ; Lim et Chang, 2011 ; Rabinow, 1989 ; Wright, 1991). Certaines études se sont concentrées sur la circulation internationale des modèles architecturaux et urbains en toute indifférence au contact de conditions autres, ainsi que sur la réception différenciée de ces conceptions modernistes dans divers contextes géographiques et culturels XX . L’« agentivité XX » des architectes, des urbanistes, des autorités locales et des résidents en ce qui concerne la modification et la contestation des projets a été également mise en avant afin de complexifier les récits occidentaux qui décrivaient le modernisme comme un processus facilement transposable et élaboré à partir d’un seul point d’origine. (Avermaete et al., 2015 ; Craggs et Wintle, 2015 ; Healey et Upton, 2011 ; Mercer, 2005 ; Nasr et Volait, 2003.) La diffusion, au cours du XXe siècle, du modernisme comme un style en soi et de la modernité comme un ensemble d’aspirations disponible à l’adoption est donc désormais aussi contestée par l’historiographie que par les usagers. En effet, les critiques se sont non seulement attaquées au transfert de modèles effectué sous et après la domination coloniale, mais aussi et surtout au pacte scellé entre, d’une part, l’architecture et l’urbanisme modernes, et de l’autre part, l’impératif du développement. (d’Auria, 2012 ; Lu, 2011 ; Muzaffar, 2007.) Avec le recul, il est devenu clair que, dans de nombreux pays du monde, l’association explicite entre la construction des villes et les formes et normes modernistes ne garantissait ni l’amélioration des conditions économique et sociale des résidents ni le bien-être des territoires au sens le plus large. Lorsque l’urbanisation et l’industrialisation se sont engagées sur des chemins séparés, les villes d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique n’ont plus été en mesure d’accueillir les nouveaux arrivants et de leur fournir un abri, de l’emploi et un environnement socialement juste. Au-delà des critiques spécifiques soulevées par les économistes à l’encontre du « développementisme XX », les théoriciens du post-colonialisme ont également pointé les contradictions inhérentes au processus de modernisation XX . Visant, tous-azimuts, toutes les sphères de la culture, du langage à la planification de villes nouvelles, ils ont dénoncé le caractère insidieux du modernisme et du «développementisme» dans l’élaboration de cultures et d’économies postcoloniales qui ont fini par reproduire les différences et les dépendances caractéristiques du colonialisme. En parallèle, des…