Faire de la philosophie avec les enfants en prenant comme support la danse contemporaine ? Le défi peut sembler ambitieux, voire impossible à relever. La philosophie constitue pourtant une des dimensions des projets Danse à l’école proposés par le Centre dramatique et chorégraphique Pierre de Lune.
* Lorsqu’une classe prend part à ce type de projet, les élèves sont en effet invités à faire de la philosophie à plusieurs reprises au long du travail dans lequel ils sont engagés avec un/e chorégraphe. Qu’on ne s’y méprenne pas, il ne s’agit pas ici de leur donner des cours de philosophie mais plutôt de créer un cadre qui leur permette de formuler les questions qu’ils se posent lorsqu’ils sont confrontés à la danse…
Le Pari (s) littéraire du Centre Wallonie-Bruxelles (in Vues d'ailleurs)
Au cœur de Paris, à deux pas de Beaubourg et du Marais, la culture belge de langue française a son îlot de visibilité, d’exposition, d’animation et de convivialité : le Centre et la Librairie Wallonie-Bruxelles. Ils offrent une vitrine exceptionnelle aux écrivains et aux éditeurs de notre pays. Une vitrine comme à Saint-Nicolas et à Noël, mais toute l’année. L’histoire commence en 1976, quand le Ministère de la culture acquiert un immeuble de mille mètres carrés pour y promouvoir l’art et la culture francophones de Belgique. Une belle intuition. Un geste heureux. Trois ans plus tard, le 26 septembre 1979, le Centre culturel de la Communauté française de Belgique, devenu par la suite le Centre Wallonie-Bruxelles, ouvre grand ses portes. Il y présentera les créateurs belges francophones de tous horizons et de toutes disciplines : danse, théâtre, chanson, jazz, cinéma, littérature, on en oublie sûrement. Y recevra le public venu les découvrir. Les applaudir. Et répandre la bonne nouvelle, à Paris et ailleurs : la culture belge francophone est vivante, bien vivante. Il faut compter avec elle. Comme toutes les institutions culturelles, le Centre a pris ses inclinations, ses couleurs, en fonction de ses directeurs et de ses directrices, de leur personnalité, de leur style. Il a évolué avec le monde institutionnel et politique, s’est transformé sous l’impulsion des artistes et des écrivains qu’il a accueillis. Aujourd’hui, il est un endroit incontournable pour la diffusion, la découverte et le rayonnement du patrimoine et de la création contemporaine de Wallonie-Bruxelles en France. Parmi les artistes qui s’y sont produits, ont vu leurs films projetés, leurs pièces jouées ou dansées, leurs livres lus et discutés, leurs œuvres exposées, citons, en toute subjectivité : Luc et Jean-Pierre Dardenne, Stéphane Lambert, Annie Cordy, Henry Bauchau, Steve Houben, Vera Feyder, Hergé, Dominique Rolin, Claudio Bernardo, William Cliff, Chantal Akerman, Jean-Marie Piemme, Pietro Pizzuti, Guy Goffette, Marion Hänsel, Patrick Roegiers, les Irréguliers du langage et les plus réguliers, les primés du prix Rossel et les recalés, les poètes oraux et ceux qui écrivent dans le silence... * Le Carnet et les Instants oblige, nous n’évoquerons que les activités littéraires du Centre et celles de la Librairie. Plus précisément : les activités organisées par la présente équipe. Nous avons rencontré Anne Lenoir et Pierre Vanderstappen , respectivement directrice et conseiller littéraire du Centre Wallonie-Bruxelles, et Muriel Collart , responsable de la Librairie. Ils nous ont expliqué les enjeux et les missions du Centre, de la Librairie. Ce qu’ils n’ont pas dit, et que l’on peut entendre dans leurs mots, c’est l’enthousiasme qu’ils mettent à préparer et proposer les rencontres avec les écrivains, à promouvoir et vendre leurs livres. À créer un climat de convivialité lors des brunchs ou des bistrots littéraires, des lectures spectacles ; d’un conseil à la librairie. Avec eux, la littérature, (devenue) art de la solitude, tant pour l’auteur que le lecteur, (re-)devient un moment de vivre ensemble, d’amitié et de partage. Une expérience commune. - Anne Lenoir, femme d’ouverture Directrice passionnée et chaleureuse, Anne Lenoir a presque toujours travaillé à diffuser la culture belge francophone, notamment à Wallonie-Bruxelles international. Présente à toutes les manifestations du Centre, elle dévore les livres de chaque écrivain invité. Elle aime tant lire qu’elle voudrait être interdite de Librairie Wallonie-Bruxelles, comme on est interdit de casino, parce qu’elle ne peut résister à la tentation... Qu’avez-vous fait avant de diriger le Centre Wallonie-Bruxelles ? Après mes études en philosophie à l’Université de Liège, amoureuse des philosophes présocratiques, je suis partie enseigner le français, le latin, la morale et la philosophie au Congo, le Zaïre à l’époque. J’ai dirigé ensuite le centre culturel de l’ambassade de Belgique. J’ai eu l’occasion d’y organiser des concerts et des expositions notamment de Mulongoy Pili Pili, un artiste de l’école de Lubumbashi, décédé maintenant. C’est là que m’est venue la passion de la culture. J’ai ensuite travaillé au Centre Wallonie-Bruxelles à Kinshasa. Quand je suis rentrée dix ans plus tard, Roger Dehaybe m’a demandé de m’occuper de la partie audiovisuelle du service culturel de Wallonie-Bruxelles international. Puis s’est ajoutée la Foire du livre, enfin la direction du service culturel. Vous n’êtes pas la seule à avoir fait vos études à Liège, Pierre Vanderstappen et Muriel Collart aussi. Est-ce que cela s’explique ? C’est un hasard de circonstance. En même temps, on peut remarquer que dans la programmation figurent aussi beaucoup de Liégeois. Je pense qu’il y a un vrai dynamisme culturel dans cette ville. La programmation le reflète, à juste titre. Je ne connaissais pas bien Pierre en prenant mes fonctions, Muriel pas du tout. Je ne dirai jamais assez le bonheur que j’ai de travailler avec eux. D’avoir cette empathie. Pour eux comme pour moi, travailler c’est rechercher, se dire que rien n’est jamais acquis, essayer d’aller plus loin, ailleurs. Je vois maintenant comment, pour nos événements littéraires, la fréquentation du public a augmenté. Pour le bistrot littéraire, il y a jusqu’à septante personnes. D’ailleurs on ne sait plus comment faire, ou mettre le public... D’où vient ce succès ? Le bouche à oreille fonctionne bien. Il y a, évidemment, la qualité intellectuelle de Pierre, de ses échanges, il est particulièrement doué. Il travaille énormément. Combien d’heures de lecture, de préparation pour présenter le Dictionnaire amoureux de la Belgique de Jean-Baptiste Baronian, pour arriver à cette qualité d’entretien ? Pierre valorise les écrivains que nous recevons et cela mérite de l’audience. Nous travaillons à trouver le public. À chaque fois, nous nous demandons quel doit être l’angle d’attaque pour promouvoir tel écrivain, où dénicher un public qui n’est pas encore familier du Centre. Après avoir travaillé à l’international, ne travailler qu’à Paris, n’est-ce pas un rétrécissement de votre champ d’action ? Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas nomade. Je vis dans la ville, travaille dans un petit îlot dans la ville, mais grâce au réseau mis en place, cet îlot est un lieu d’ouverture. Mon pari est le partenariat et la collaboration avec les opérateurs français. Créer un réseau est important pour la mise en vente, la diffusion des créateurs. Quel pari formidable ! Quel est le public du Centre ? Il est majoritairement français. Nous ne nous regardons pas le nombril entre Belges, même s’il est important d’avoir, à certaines occasions, la présence de nos autorités. Quelle est votre touche personnelle dans l’organisation du Centre ? Avant tout, la notion d’ouverture vers les partenaires français. Lorsque je suis arrivée, on ne parlait pas de partenariat, de collaboration. Monter des projets avec d’autres institutions, d’autres maisons, rend plus fort, plus visible. Mobiliser l’attention de professionnels français plus performant. J’ai cette envie d’ouvrir les portes, de respirer, d’aller voir ailleurs. Mais aussi d’accueillir le public. Communiquer, parler, échanger avec lui est important. J’aime la chaleur et la convivialité, ce qui est très liégeois. J’aime cultiver cela dans mes rapports. D’ailleurs les Français apprécient beaucoup. - Pierre Vanderstappen, le goût du partage Que ce soit sur la scène du théâtre ou l’espace de son bureau, Pierre Vanderstappen, conseiller littéraire du Centre, ne semble avoir qu’une ambition : mettre en lumière les œuvres littéraires belges, ainsi que leurs auteurs. En partager…
La création en langue(s), entre liberté d’expression et discriminations glottophobes
Il faut commencer par un constat : tous les textes juridiques internationaux de protection des droits humains et de protection contre les discriminations, dont plusieurs ratifiés et donc applicables par la France, considèrent les droits linguistiques comme des droits fondamentaux et l’empêchement d’utiliser sa langue / l’obligation d’en utiliser une autre pour accéder à ses droits comme une discrimination interdite et condamnée. Discriminer, c’est traiter des personnes de façon différente en s’appuyant sur un critère arbitraire, injuste, illégitime. Depuis 2001, certaines discriminations sont illégales en France : une loi, modifiée trois fois (la dernière fois en novembre 2016), a établi 23 critères illégaux de traitement différencié. Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour que le pays qui se dit des Droits de l’Homme et la République si fière de ses valeurs (parmi lesquelles le refus annoncé des discriminations), condamne des discriminations. Mais pas toutes : les discriminations linguistiques n’y sont illégales que depuis novembre 2016 (de façon qui reste ambigüe). Et pour cause, puisque la glottophobie est en France un principe politique instituéet central, revendiqué et réaffirmé sans vergogne à la moindre mise en œuvre ou revendication de Droits linguistiques en faveur de personnes s’exprimant dans une autre langue que le français ou dans un français non standardisé. On a alors affaire à des propos d’une violence, d’une ignorance et d’une arrogance rares qui tomberaient sous le coup de la loi et d’une certaine opprobre publique s’ils portaient sur les mêmes personnes en fonction de la couleur de leur peau, de leur sexe ou de leur précarité financière au lieu de leurs pratiques linguistiques. J’en rapporte de nombreux exemples dans mon livre et l’actualité en fournit presque quotidiennement XX . Évidemment, si on appliquait en France les textes juridiques internationaux cités au début de cet article, les auteur-e-s de ces propos seraient poursuivi-e-s et condamné-e-s devant les tribunaux. C’est pour insister sur le fait que la glottophobie, comme la xénophobie, l’homophobie ou l’islamophobie, en autres, stigmatise, discrimine, exclut des personnes et non des langues (qui sont des abstractions et ne sont pas sujets du Droit), de façon arbitraire, injuste, illégitime (et illégale selon le droit international) que j’ai forgé et diffusé ce terme. Il est en effet totalement arbitraire de considérer que telle langue serait supérieure à telle autre ou telle forme linguistique meilleure que telle autre. Nos langues et nos façons de parlers sont constitutives de notre humanité, de notre singularité, de notre être au monde et de nos existences collectives : les rejeter, c’est rejeter les personnes elles-mêmes en tant que sujets sociaux et humains. * Une idéologie linguistique un certain français comme religion d’État en France Il est frappant que l’immense majorité des décideurs politiques et juridiques ignorent totalement les textes internationaux ratifiés par la France et ne voient même pas qu’il s’agit de manquements graves au respect des Droits humains: c’est que l’idéologie aveugle, elle est même faite pour ça. Une idéologie est un système totalitaire d’explication du monde qui exclut toute alternative et toute discussion. Il relève de la croyance et non de la réflexion. Le français a été érigé en véritable religion d’État en France, totem central de l’unité nationale (pensée comme une uniformisation autour d’une langue commune unique et unifiée), depuis la Révolution de 1789 et surtout depuis le régime totalitaire de la Terreur à partir de 1793. De nombreux chercheurs analysent en ces termes de religiosité, à peine métaphoriques, le rapport au français entretenu en France depuis deux siècles, de B. Cerquiglini à H. Walter, d’E. Charmeux à J.-M. Klinkenberg, de P. Bourdieu à L. - J. Calvet. Le français fait dès lors l’objet d’une adoration sans bornes (que j’appelle glottomanie), d’une croyance qui échappe à toute rationalité critique, d’une sacralité dont découlent de nombreux tabous (exprimés sous l’idée globale de « dialectes » ou de « patois » inférieurs à propos d’autres langues et sous le nom global de « faute » à propos de la diversité des pratiques « impures » du français –qui sont parfois rejetées hors de la langue par un « ce n’est pas français »). Dans un twit récent, une députée disait, de façon très illustrative de cet amalgame, « respecter la France, c’est d’abord respecter sa langue ». Car l’idéologie nationale française, construite à leur profit par les détenteurs du pouvoir étatique, a fait du français LA langue emblématique d’une certaine conception d’une identité française (comme communauté homogène) dans une certaine conception (ethnicisante XX ) de cette société, et en plus elle n’a retenu qu’un certain français et rejeté les autres (régionaux, banlieusards, populaires, jeunes, métissés, hors de France, etc.). Elle a posé comme modèle, comme filtre d’accès à la promotion sociale, au pouvoir politique et culturel, voire économique, le français surnormé élaboré par l’Académie française pour distinguer les dominants (aristocrates et grands bourgeois) et les dominé-e-s (le peuple, les « provinciaux », les paysans, les ouvriers...). Elle a ainsi instauré un deuxième niveau de discrimination : non seulement c’est la langue de certains Français qui a été imposée à d’autres Français (et à celles et ceux qui souhaitent le devenir, voir plus bas), mais c’est aussi le français artificiellement standardisé des dominants qui est exigé pour avoir accès au capital symbolique (linguistique, culturel, éducatif, politique et donc souvent aussi économique). Le français de la cour de France et de la bourgeoise parisienne, normalisé et volontairement complexifié par les satellites de la cour (écrivains, grammairiens, organisme de censure royale nommé « Académie française ») est ainsi devenu le français tout court et la seule langue « légitime » en France. Les locuteurs d’autres variétés linguistiques en sont exclus, sauf à renoncer et à se soumettre. L’École a été et reste le levier le plus puissant par lequel les dominants qui tiennent le pouvoir étatique ont imposé leur langue et leur idéologie linguistique, au point d’en convaincre les victimes elles-mêmes, par un processus d’hégémonie, de mise en insécurité linguistique et d’instillation d’une haine de soi. * Langues régionales ou immigrées, parlers populaires ou plurilingues, même combat! Toute forme de glottophobie est indigne et inadmissible. J’ai été frappé de voir à quel point la réception médiatique de grande ampleur de mon livre, tout en contribuant à faire admettre nationalement qu’il y a bien un problème, en a « spontanément » réduit la portée. La plupart des médias en ont retenu le caractère discriminatoire du rejet des « accents » régionaux, voire sociaux (mais beaucoup moins), en français. Très peu ont mentionné la question des autres langues que le français, probablement parce que ça va alors trop loin dans la contestation blasphématoire de la sacralité du français national, qui n’est pas discutable même et surtout du point de vue scientifique, rationnel et éthique, qui est le mien. Affirmer que c’est une politique totalitaire, attentatoires aux Droits humains, discriminatoire et condamnable, que d’interdire aux bretonnant-e-s de s’exprimer en breton en Bretagne pour avoir accès à leurs Droits et exercer leur citoyenneté, et de leur imposer de le faire en français (et pas en français de Bretagne) ou de les exclure, ça reste…
« Que pouvons-nous encore penser du théâtre et de ses pouvoirs, dès lors que l’on accepte que l’essentiel…