Nous est un autre : enquête sur les duos d’écrivains

RÉSUMÉ
A partir de manuscrits, d’éditions successives, de correspondances et d’entretiens, les auteurs se penchent sur le phénomène de l’écriture en collaboration et notamment de l’écriture en duo.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Benoît Peeters

Auteur de Nous est un autre : enquête sur les duos d’écrivains

Né à Paris en 1956, Benoît Peeters passe son enfance et son adolescence à Bruxelles. Après des études de lettres en Sorbonne puis en sciences sociales, à l’École pratique des Hautes Études, où il travaille sous la direction de Roland Barthes, il publie son premier roman aux éditions de Minuit (Omnibus). Spécialiste de la bande dessinée, il consacre plusieurs ouvrages à Hergé mais aussi à Chris Ware et Raoul Ruiz. Avec François Schuiten, il construit l’univers des Cités obscures en 16 volumes (de 1983 à 2009) qui sera couronné de nombreux prix et traduit dans une dizaine de langues. Il est également l’auteur de biographies de Jacques Derrida et Paul Valéry. Scénariste, critique et professeur à l’université de Lancaster, Benoît Peeters est aussi conseiller éditorial chez Casterman et directeur des Impressions Nouvelles.

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On connaît déjà les différentes collections littéraires et imagées des éditions belges Esperluète , cette maison qui soigne particulièrement les écritures singulières alliées à un art visuel de choix. La rentrée littéraire est pour Esperluète l’occasion de présenter une toute nouvelle collection, « Orbe », qui offre à lire, sous la forme des dialogues, des réflexions d’auteurs à propos de leur pratique d’écriture et de lecture. « Qui suis je ? C’est la question que les autres posent – et elle est sans réponse. Moi ? Je suis ma langue  » écrivait si justement le poète palestinien Mahmoud Darwish dans Une rime pour les Mu’allaqât en 1995. C’est par cette question complexe posée à l’auteur que s’entame chacun des dialogues d’« Orbe » . On habite sa langue moins qu’elle nous habite, moins qu’elle nous façonne et qu’elle nous hante. Disons-le : la langue évolue moins avec nous que nous auprès d’elle. 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Jacques Crickillon ou la littérature en instance d’oubli. Suivi de La poésie est une guerre indienne par Jacques Crickillon

Il fallait un poète pour rencontrer l’œuvre de Jacques Crickillon, pour donner lieu à une danse de planètes mue par la question du geste poétique.   Après la très belle étude de Christophe Van Rossom, Éric Brogniet livre en poète une traversée des créations de l’Apache Crickillon, des cycles d’écriture qui, de  La Défendue  à  L’Indien de la Gare du Nord , de  Colonie de la mémoire  à  Ténébrées , du  Tueur birman  à  Sphère, À Kénalon I et II , portent le verbe au bord du gouffre, sur les cimes de la sécession, loin des bonnes mœurs littéraires. Taillés dans le vif-argent d’une langue réinventant ses pouvoirs comme ses impuissances, la poésie, les nouvelles, les romans de Crickillon se tiennent sur la corde du funambule qui vit la parole comme une expérience de la dépossession, comme une initiation à la diffraction du moi et à la contrée du vide. Si la littérature dans ce qu’elle a de sismique, de réfractaire à l’ordre social naît avec Homère, l’aède aveugle, elle semble parachever son cycle de nos jours, la cécité doublée de la surdité se logeant désormais dans le cirque d’une scène littéraire acquise à l’embourgeoisement, aux grelots du divertissement et du conformisme. La question du devenir, de l’incidence du poème dans un monde qui lui tourne le dos et le piétine — question que pose Jacques Crickillon dans « La poésie est une guerre indienne », son texte en postface — porte en elle le souffle des insurgés, lesquels ne sont les apôtres d’aucune vérité. Le poète comme «  inquiéteur  » (Crickillon), comme horloge qui refuse de marquer l’heure est l’artisan d’une expérience existentielle qui côtoie les gouffres et l’inconfort. On mesurera toute la démesure de l’œuvre «  explosante-fixe  » de Crickillon et de l’analyse qu’en produit Brogniet à sa prégnance relativement clandestine comme si l’époque tenait loin d’elle ce qui la subvertit, ce qu’elle ne peut recycler dans la littérature  trendy , minimalisme creux ou verbiage boursouflé de graisse. Un Indien des lettres ensauvage la grammaire, la sémantique, la Terre, les nerfs, le sang, propage la rigueur de l’anarchie dans une poétique du «  contre  », sœur de celle de Michaux (contre l’état de choses et ses séides). Éric Brogniet plonge à mains nues dans les grands cycles formant des «  cosmographies  », des mondes mythologiques vertébrés par l’amour, le questionnement de la mémoire, la fusion du polar et du chamanique, de l’ivresse et de l’extase. Déchiffreur des convulsions intérieures et extérieures, à rebours de l’assassinat programmé de la poésie auquel on assiste, l’auteur de  Vide et Voyageur , de  Talisman  révèle la nécessité, l’urgence d’un verbe poétique transfigurateur. La ténacité du paria, de l’«  horrible travailleur  » (Rimbaud) enraiera l’extermination des poètes, des Indiens du «  Cinquième Monde  ». Au cœur de sa geste poétique, de son œuvre-spirale comme l’énonce Éric Brogniet, un feu central, le feu de l’amante, de la muse qui a impulsé la poésie de l’amour dont Crickillon est l’un des grands chantres, Ferry C., auteure de nombreux collages qui accompagnent les recueils  Région interdite, Nuit la Neige. Poète, muletier sans provende, qu’on chasse d’une cabane à l’autre, et qui s’en va dormir dans les chapelles abandonnées. Poète : fantôme du muletier sur sa montagne fantôme Élégies d’Evolène.    Véronique Bergen Jacques Crickillon, né à Bruxelles en 1940, nous a donné, depuis  La Défendue,  son premier livre publié en 1968 par André De Rache, jusqu’à Litanies, publié par Le Taillis Pré en 2016, un matériau poétique singulier et brûlant. Et pour tout dire fascinant. Il faut mettre en perspective cette musique lancinante, tour à tour tendre ou violente, qui court tout au long des pages de cette œuvre et la perspective d’écriture qui tend à son propre effacement. Basé sur une respiration interne, qui lui permet, sous la dictée des puissances obscures du lyrisme, d’épouser toutes les formes stylistiques imaginables et de puiser à un vaste répertoire à la fois prosodique et métaphorique, le texte poétique explore, avec une constance remarquable, de vastes territoires imaginaires, fantasmés ou réels, des contrées étranges, une flore et un bestiaire singuliers, souvent, mais pas toujours, exotiques. Le style sensuel, fait de rythmes variés, d’un  double registre verbal, poétique et prosaïque, le recours au procédé de la science-fiction, souvent américaine, à celui des sagesses orientales, du polar, des grands romans d’aventure…