Lire un extrait On découvre régulièrement Henry-David Thoreau, cet écrivain américain de la première moitié du dix-neuvième siècle qui fut un disciple d'Emerson avant de devenir une sorte de trappeur érudit, un Rousseau de l'ère pré-atomique.
Avec
Walden ou la vie dans les bois, Thoreau a illustré la littérature forestière : Nathaniel Hawthorne disait de lui qu'il «tirait plus de joie de la fréquentation d'un pin que de celle d'un humain». On a considéré ce prophète sylvestre comme un robinson volontaire répondant à l'appel de la vie primitive.
Préfaçant le
Journal de Thoreau, Régis Michaud écrivait que cet explorateur nostalgique adorait la nature inviolée : «Il s'élevait alors à un panthéisme sombre et saturnien; il écoutait parler l'Esprit de la Terre. Il se passait en lui d'étranges métamorphoses. Le souvenir de l'homme sauvage le hantait. Il se sentait redevenir Peau-Rouge, cruel chasseur qui se nourrissait de la chair crue de l'antilope, ce même instinct des origines, qui refaisait un loup du chien Buck de Jack London. Cet instinct isole Thoreau de la ligne polie des écrivains américains, il le rapproche de la lignée des aventuriers, des errants, des coureurs de mer, Melville, Whitman, London
Plus encore que
Walden, le
Journal de Thoreau nous donne la mesure de cette personnalité complexe où il y avait du bon sauvage et du botaniste, du moraliste et du philosophe, du comptable et du mystique, du poète et du prophète : «Mon journal contient de moi ce qui autrement déborderait et se perdrait; glane du champ que, dans l'action, je moissonne. Je ne dois pas vivre pour lui, mais en lui, pour les dieux. Ils sont mes correspondants à qui j'envoie, chaque jour, cette page, port payé. Je suis comptable dans leurs bureaux et, le soir, reporte le bilan du jour sur le grand livre. Ainsi une feuille suspendue au-dessus de ma tête, dans le chemin : je courbe le rameau, écris mes prières sur la feuille, puis le lâche, et le rameau se redressant présente au ciel mon griffonnage. Bien que je le garde enfermé dans mon pupitre, il est aussi public qu'une feuille dans la Nature. C'est le papyrus sur le bord du ruisseau, le vélin dans les prés, le parchemin sur la montagne. Je le vois partout, aussi libre que les feuilles qui s'amassent dans les allées en automne. Le corbeau, l'oie, l'aigle tiennent ma plume, et le vent emporte ces pages aussi loin que je vais. Ou bien, si mon imagination manque d'essor et se traîne dans la vase et la boue, c'est avec un roseau que j'écris.»
Ce long passage vaut toute une exégèse, on retrouve les motifs modernes de la communication cosmique, de l'écriture considérée comme un rite sacerdotal, de l'écrivain tenu pour un greffier de l'invisible, du prophétisme littéraire où les mots se chargent d'un message mystique.
Retournant dans un monde élémentaire, Thoreau recouvre l'innocence perdue. Et on observera que la femme est absente de son éden sans que cela exclue une sorte de sensualisme mystique.
Il y avait dans ce puritain des poussées naturistes analogues à celles de Chateaubriand affrontant la forêt vierge : «Des enfants se baignent, jouent avec un bateau (je suis dans les saules). La couleur de leur corps, à cette distance, est plaisante, la couleur si rarement entrevue de la chair. Le bruit de leurs ébats m'arrive au-dessus de l'eau. Comme il paraîtrait singulier à un ange qui visiterait la terre d'inscrire sur son carnet de notes qu'il est défendu aux hommes, sous les peines les plus sévères, de montrer leur corps. Rose pâle que le soleil brunirait bientôt! Des hommes blancs! Il n'y a pas d'hommes blancs à opposer aux rouges et aux noirs : ils sont de la couleur que le tisserand leur donne. Je me demande si le chien reconnaît son maître quand celui-ci se baigne, et s'il ne reste pas à côté des vêtements.»
Réaction naturiste contre un puritanisme qui persiste à travers toutes les licences d'aujourd'hui.
Délibérément Thoreau parlera de lui-même en poète uniquement soucieux de s'abandonner à la joie d'être, dans un loisir laborieux : «L'art de la vie, de la vie du poète, c'est d'être occupé sans avoir rien à faire.» La poésie, c'était, pour Thoreau, la recherche d'une communion non pas avec l'homme mais avec le cosmos. C'était aussi l'attente d'une réponse transmise de l'au-delà, d'un outre-monde qui deviendrait «le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui.»
Table des matières De la confession littéraire
1 / Saint Augustin (354-430)
2 / Héloïse (1101-1164) et Abélard (1079-1142)
3 / Pétrarque (1304-1374)
4 / François Villon (1431-1463)
5 / Michel de Montaigne (1533-1592)
6 / Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
7 / Maine de Biran (1766-1824)
8 / Benjamin Constant (1767-1830)
9 / René de Chateaubriand (1768-1848)
10 / Stendhal (1783-1842)
11 / Lord Byron (1788-1824)
12 / Eugène Delacroix (1798-1863)
13 / Sainte-Beuve (1804-1869)
14 / Alfred de Musset (1810-1867)
15 / Kierkegaard (1813-1855)
16 / Henry-David Thoreau (1817-1862)
17 / Charles Baudelaire (1821-1867)
18 / Henri Frédéric Amiel (1821-1881)
19 / Léon Tolstoï (1828-1910)
20 / Paul Verlaine (1844-1896)
21 / Arthur Rimbaud (1854-1891)
22 / André Gide (1869-1951)
23 / Valéry Larbaud (1881-1957)
24 / Franz Kafka (1883-1924)
25 / Marie Noël (1883-1967)
26 / François Mauriac (1885-1970)
27 / Julien Green (1900-1998)
28 / Françoise Mallet-Joris (1930)
Une dramaturgie intérieure