Le poète « cachotier des manques » évoque avec nostalgie le temps béni d’avant les réseaux dits sociaux, le temps où les réseaux étaient « des poignées de mains qui aujourd’hui se comptent sur le bout des doigts ».
Auteur de Ne le dites à personne
Poète prolifique, Patrick Devaux publie ses recueils avec une régularité de métronome. Sa bibliographie (partielle !) donne le vertige et pourrait donner à craindre une profusion développée au détriment de l’inspiration. Ce n’est certes pas le cas ici.Avec Ne le dites à personne, Devaux se laisse porter par la nostalgie d’un temps qu’il regrette de n’avoir pu sauvegarder. Loin des réseaux sociaux (qu’il pratique pourtant avec une gourmandise allègre), ce temps-là préservait les vrais contacts (que le poète développe avec une non moins grande affabilité, ne serait-ce que dans l’exercice de ses responsabilités au sein de l’AREAW dont il est le président).Il alterne ce que la nostalgie véhicule de tristesse…
Guy GOFFETTE , Pain perdu. Poèmes , Gallimard, 2020, 150 p., 18 € / ePub : 12.99 € , ISBN :…
À soixante-huit ans, Patrick Devaux prend désormais son temps. Surtout celui de la réflexion, se tournant face au passé comme devant un miroir. Il y mire ses souvenirs, y reconnait la nostalgie, y revoit des gens rencontrés et ceux qui ne sont déjà plus là. « Un souvenir est un acquis, ce n’est pas du temps perdu », m’explique-t-il par téléphone. Ainsi, le titre de son recueil, Le temps appris , signifie que ce dernier n’a rien pris sans laisser quelque chose, des bribes, des fragments, des poussières d’étoiles ; leur scintillement. Car fort de ses promenades nocturnes, au petit matin, sevré du silence de Rixensart où il vit, d’un jet continu, l’auteur écrit sa poésie, forme d’écriture « la plus proche de la réflexion ». Il s’y met dès lors d’un coup et « ça fuse, c’est presqu’instantané, comme une photo du passé vécu, alors transformé en acquis » grâce à la pointe d’encre sur le papier de l’aurore ; à l’heure où blanchit la campagne ne puis-je m’empêcher de réciter à part moi. Patrick Devaux remplit donc son carnet à la main avant de le « retravailler dans tous les sens », capable de bouleverser les vers et « même l’ordre des pages » en vue de construire ce qu’il décrit comme une « écriture en chute ascensionnelle, une échelle d’acides aminés, torsadés de mots qu’on peut lire, si on veut, autrement que selon leur présentation ».Effectivement, ses poèmes se dévalent et s’escaladent allègrement, chaque vers comme un échelon très court, très étroit, ramassé entre de larges marges aériennes. La lecture suscite ainsi le rythme et le souffle, oui : la marche réflexive et l’absorbante flânerie, toute mentale car les pas ne comptent plus et le corps connait par cœur le chemin, le circuit, la voie. « Qui peut prendre un sens bouddhique » où toute vie vaut une vie, et qui jamais ne s’enlèvent et s’interchangent. Tels les mots. Qui ne doivent compter ni majuscule, ni ponctuation, juste leur émanation vitale, l’haleine de leur âme avec l’inspiration profonde de l’air sous l’effort du pied. que faire d’un miroir qui t’invite à la danse de mots inconnus ? il garde de toute façon pour lui la tendre grimace des non-dits À la fois lointaine et présente, pendant notre échange, l’enfance de l’auteur lui remonte aux lèvres, lorsqu’il cachait ses bouts de papiers, des phrases écrites sous les couvertures et puis glissées dans les barreaux de son lit pour en garder l’absolu secret. Lointain donc dans le temps mais très présent dans le besoin : celui d’élévation vers le sacre du ciel contre les douleurs du temps, mais pour ce qu’on apprend de lui — l’auteur insiste —, à savoir ce qu’on fait du temps inaccompli en vue de relancer l’action, de retrouver le bonheur, de partager la joie.Autant d’élans que l’on perçoit dans les aquarelles de Catherine Berael et qui ravissent le poète. Il retrouve dans les brumes des montagnes colorées et très liquides de la peintre et poétesse, une mutuelle aspiration, force, persistance, volonté. Et de citer, passé oblige encore, le recueil d’Anne-Marie Wilwerth, Cri voilé de l’enfant-lune , un tournant dans son écriture : « Je ne cessais d’écrire de longues pages, mais avec elle j’ai découvert les formes courtes, très courtes ».Dont acte dans le présent recueil où les mots sont des lucioles s’évanouissant dès les prémisses de la clarté matinale, à l’instar des crépitements d’un feu s’éteignant sous la domination majestueuse de l’astre montant doucement, signalant la fin des flammes autour desquelles une douce tristesse console chacun en attendant l’avènement d’un éternel miracle : le…