Roman de mœurs sur fond liégeois, Musique du sang relate la mésaventure de Céline, mère de trois enfants (deux filles et un garçon) nés d’un mariage raté avec un homme devenu méprisable parce qu’alcoolique. Bien qu’ayant mis son mari à la porte, Céline commet l’erreur de compter encore sur les hommes pour subvenir aux besoins de ses enfants. Elle se choisit donc des amants qui se chargent de leur assurer le gîte, le couvert et tout le confort nécessaire.
Soucieuse du bien-être de ses enfants, Céline trouve son bonheur dans cet équilibre jusqu’au jour où Aurèle Landerlain, son amant depuis de nombreuses années, décide de mettre un terme à leur relation en reprochant à Céline les limites de sa vertu. Estomaquée de tant d’hypocrisie, Céline assomme son ancien amant d’un coup de chandelier vengeur, un geste malheureux qui lui vaudra de nombreuses années d’exil.
Humilié, Aurèle Landerlain décide en effet de porter plainte. De son côté, trop honteuse à l’idée de voir sa vie exposée à ses enfants, Céline préfère quitter la Belgique pour la France en laissant sa progéniture derrière elle. Quoique douloureuses, ces années d’exil et de séparation se révéleront formatrices pour Céline qui se tiendra éloignée des hommes et qui retroussera ses manches pour subvenir elle-même aux besoins de ses enfants.
Cependant, la musique du sang est à l’œuvre. Loin des yeux de leur mère, les deux filles de Céline tombent dans des travers identiques aux siens. Bien plus, l’ainée, Catherine, est devenue la concubine de Lambert Landerlain qui n’est nul autre que le fils d’Aurèle Landerlain.
Après de nombreuses années, la guerre grondant (nous sommes en 1940), Céline décide de regagner la Belgique. À son retour d’exil, son fils s’étant engagé dans l’armée et son autre fille vivant à Bruxelles, elle n’a d’autre choix que de s’établir chez Catherine (enceinte de Lambert). Sa présence, toutefois, dérange fortement le jeune Lambert qui menace de la livrer à la police de sorte qu’elle paye enfin pour le crime commis sur son père. C’est la goujaterie de trop : Catherine lui assène un coup de chandelier sur la tête et l’assomme. Céline ne saurait alors que trop lui conseiller de fuir avec son enfant, tandis qu’elle-même décide de rester et d’assumer la responsabilité du crime de sa fille.
Être son fils : parcours d’un enfant seul
Le récit d’ Isabelle Steenebruggen se présente comme une fiction inspirée de faits réels. Il retrace la biographie d’un narrateur s’adressant à une femme dont nous ne connaissons rien. Nous comprenons assez vite que nous allons lire un récit d’un homme mûr qui, tel Didier Eribon, nous relate sa vie avec une authenticité mâtinée d’un point de vue réflexif.Nous suivons ainsi le jeune Hidli, qui a grandi dans les terres cultivables au Sri Lanka avec une mère travailleuse, deux frères aînés et en filigrane, un père absent. Moins marqué par ses origines modestes que par le caractère bien trempé de sa mère, le héros se gorge de toutes les facettes de cette figure maternelle bienveillante avec qui il vit à son insu des moments fondateurs. Malheureusement, sa maman lui est arrachée beaucoup trop tôt par la maladie. La culture où il évolue fait peu de cas d’un enfant en deuil, c’est donc tout naturellement que le père part refaire sa vie ailleurs et que les deux frères prennent leur envol, laissant Hidli seul dans la maison familiale avec pour rôle d’accompagner sa mère dans l’au-delà. Terrassé par la déréliction et les repères brisés, il trouve un apaisement à sa détresse dans l’ivresse de l’alcool, alors qu’il n’a que treize ans. Terrible, cette période, tellement longue, tellement sombre ! Tout me faisait mal, respirer, parler, manger, marcher. Ne parlons même pas d’aller à l’école. Vivre n’était plus qu’une immense douleur que seul l’arack anesthésiait un peu, le soir. À l’époque, dans ce pays où on commençait déjà à tuer à tour de bras, le sort d’un enfant de treize ans abandonné à lui-même n’intéressait pas grand monde. Rien de ce que je vivais ne paraissait grave aux yeux de qui que ce soit, donc je n’en parlais pas. Seule Anusha semblait se rendre compte des ravages que ces chamboulements et ces disparitions causaient chez moi. Son parcours scolaire devient chaotique, il se laisse aller à la dérive, incapable de sortir de sa prostration, mais il a la chance de nouer de belles rencontres avec des personnes bienveillantes qui le traiteront avec dignité. D’aucuns le voient comme « celui qui a mal tourné », d’autres sont toutefois capables de comprendre ses silences et les blessures qui se cachent derrière. Consumé par le manque d’amour, Hidli se bat contre l’injustice et tente constamment de cheminer vers une vie meilleure, même si la honte et la culpabilité reviennent le tarauder lors de ses échecs, même si la violence et les exactions font rage dans son pays.Il grandit, devient un employé engagé dans la Croix-Rouge, un homme d’affaires accompli, un mari, un père. Nous lisons les grands tournants de sa vie, les nouvelles balises qui remplacent les repères perdus, mais également les histoires d’amours déçues, son attachement viscéral à son île, son désir de la quitter aussi et le réconfort constant de l’alcool. Malgré ses failles et ses évitements, il est toujours guidé par la lumière, sa seule obsession : s’en sortir. Je n’ai pas réfléchi ces soirs-là. Je sentais seulement qu’il y avait un moteur à l’intérieur de moi, qui m’indiquait ce que je devais faire. Ma grand-mère inerte sous les jets de pierres, les poules de Nimal qui hurlaient, terrorisées, la ruine de la famille, les odeurs d’essence et de chair brûlée, tout cela s’enchaînait dans un tourbillon de noirceur qui nous emportait tous, nous faisait dégringoler vers un enfer contre lequel il fallait lutter. Remonter à la surface, à tout prix, comme le jour où je me noyais. S’accrocher, s’agripper à la moindre prise pour remonter, pour éviter de se laisser emporter par la vague de haine. Sinon, nous allions tous y passer. Être son fils est un récit de fiction réaliste où l’histoire singulière du protagoniste est décrite avec minutie sur un fond historique tout aussi réaliste caractérisé par la violence des prémices d’une guerre civile. C’est à travers les sensations du héros que nous palpons l’ambiance sur son île, mais aussi les émotions qui ont forgé son caractère et ses décisions. Isabelle Steenebruggen nous offre ici un récit très sensible, authentique et lumineux d’une grande justesse sur le parcours remarquable d’un homme qui a louvoyé sa vie durant entre différentes formes de violences et qui a fait de son mieux pour avoir une vie décente.Une histoire qui fait résonner d’un accent particulier les propos de Jean-Paul Sartre : « L’important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous-mêmes nous faisons de ce qu’on a fait de nous ». Séverine Radoux…
Beyrouth, dans les années 1990. Ce sont les dernières années de la guerre civile. Hana, femme de ménage…