Yves Tenret, dans son dernier livre, nous ouvre son journal de presqu’outre-tombe. Il a été victime d’un AVC, il s’en est tiré, mais il a senti que la faucheuse n’était pas passée loin. Alors, encore scandalisé par la trouille, il crache. Les crachats de Tenret maculent sa chambre, et dessinent un dialogue envoûtant entre les bribes de diagnostics et les ricanements, les morceaux de bravoure technico-médicaux et les pièces de verve inquiète : un livre comme un bras d’honneur aux asticots.Mon AVC est une réponse à la Camarde, mais aussi un récit de la peur. La peur d’être déshumanisé par l’hôpital, la peur d’être oublié dans un coin, la peur de ne pas exister, la peur de perdre le contrôle, la peur de n’avoir pas vécu,…
Isabelle WÉRY , Rouge western, Au diable vauvert, 2023, 286 p., 20 € / ePub : 9,99 € , ISBN : 9791030706079Giclures…
Le ballet des retardataires : Tokyo, tambours et tremblements
Maïa ABOUELEZE , Le ballet des retardataires : Tokyo, tambours et tremblements , Intervalles, 2019, 152 p., 16 €, ISBN : 978-2-36956-082 En lisant le roman Le ballet des retardataires (Tokyo, tambours et tremblements) , nous marchons avec Maïa Aboueleze en plein cœur de Tokyo où l’autrice s’est immergée durant plusieurs mois pour perfectionner sa connaissance du taïko, une discipline qui la passionne et qui englobe à la fois la pratique du tambour, de la danse, des arts martiaux et de la méditation.Bien sûr, l’exil n’est pas toujours chose facile pour la protagoniste qui ne parle pas japonais et dont la maîtrise de l’anglais est superflue sur l’île. Elle ne possède pas non plus les codes de la société dans laquelle elle évolue, même si elle sait que la dignité et la discipline y sont des valeurs importantes. Alors elle observe, elle imite. Et elle doit souvent serrer les dents, elle qui a si peur de la douleur. Mon épaule gauche brûle. Je me baisse un peu et regarde l’heure. Trois minutes. Ça ne fait que trois minutes. Il en reste 80. Je vois Takeshi m’observer du coin de l’œil. Je tape, je tape. Je respire, me concentre sur la peau du tambour. Mes yeux se rétrécissent. J’ai envie de pleurer. Quatre minutes. Je croise un nouveau regard du bourreau. […]Je quitte l’école les jambes tremblantes. L’intérieur de mes mains est à vif. Les ampoules formées en jouant ont éclaté et la peau s’est soulevée, laissant apparaître une chair rouge et brillante. Je tâte le dernier bout de Xanax qu’il me reste de mon vol, coincé dans ma poche, et entre dans le métro. Ce cauchemar va-t-il continuer tous les jours, toutes les semaines, tous les mois ? Dans ce roman, le langage des corps signifie davantage que les mots prononcés, ces derniers ne permettant (presque) pas la communication. Maïa est donc attentive au regard de l’autre, ce regard qui prend dans l’intrigue une dimension fantastique et inquiétante.D’ailleurs…Quelle est cette présence derrière le rideau ? La maison de thé du parc Yoyogi existe-t-elle vraiment ? Y a-t-il un serpent dans le mur de l’école ? Est-ce le vent qu’on entend ?Le parcours halluciné de Maïa commence un peu comme le poème d’Apollinaire, par « un rire qui s’était confondu avec un verre brisé », et se poursuit derrière les talons roses de la logeuse Fumiko-San pour s’achever par « des semaines aussi impalpables qu’un rêve » et un demi-Xanax tombé à l’eau.Maïa Aboueleze a dû s’étonner en arrivant au Japon. Elle y a découvert, entre typhons et secousses sismiques, le monde exigeant du tambour traditionnel japonais où elle a pénétré grâce à l’obtention d’une bourse.Mais c’est parce qu’elle bascule dans la fiction que nous pouvons la suivre, que nous ressentons avec elle l’étrangeté de son expérience, le choc des cultures et l’isolement qu’elle a vécu durant plusieurs mois. Le ballet des retardataires , premier roman de l’autrice, est un récit de voyage qui présente de façon singulière un territoire inexploré du Japon : une école où est enseignée la pratique du taïko. Nous sommes au cœur d’un monde inconnu, et nous nous sentons privilégiés d’y accéder grâce à la narration fraîche, rythmée, et pleine d’humour de Maïa Aboueleze. Un coup de cœur. Violaine…