Président de l’Union générale des étudiants (UG) de l’université de Liège, de mars 1968 à mars 1969, soit en pleine tourmente Mai 68, Thierry Grisar ne nous livre pas un roman ou un journal intime, un essai ou une synthèse exhaustive mais un récit/témoignage. Il conjugue chronologie des faits, discours clés, humour mordant, écriture fluide, documents historiques (caricatures). Et esquisse le portrait d’une jeunesse privée d’une liberté fondamentale : devenir adulte.Mai 68 a levé le voile sur un paradoxe rongeant l’université : la capacité de celle-ci à penser le monde extérieur masquait son incapacité à se penser elle-même. Son ouverture déguisait une fermeture, ses connaissances cachaient une profonde…
Charlotte princesse de Belgique et impératrice du Mexique (1840-1927)
Un destin qui a soulevé beaucoup de curiosité, c’est celui de Charlotte de Belgique (1840-1927) dont la longue vie sombra très tôt dans la folie. Elle la termina dans le calme d’un délire installé, mais dans un état physique relativement stable et constant. Nombre d’études, commentaires ou histoires figurent parmi les références bibliographiques du dernier ouvrage en date qui lui est consacré par André Bénit, professeur à l’Université Autonome de Madrid. Charlotte princesse de Belgique et impératrice du Mexique s‘inspire en effet des plus récentes recherches historiques et psychiatriques concernant cette princesse, un ouvrage commenté ainsi dès sa première de couverture : un conte fées qui tourne au délire. Ce qui se confirme au regard d’un bref résumé. Charlotte est la petite-fille de Louis-Philippe, la fille chérie de Léopold Ier, la cousine de la reine Victoria. Elle devient archiduchesse d’Autriche à la suite de son mariage avec Maximilien de Habsbourg et impératrice du Mexique à l’âge de 24 ans. Elle est aussi la sœur de celui qui deviendra Léopold II. Maximilien est nommé gouverneur de Vénétie-Lombardie par son frère François-Joseph qui mettra pourtant fin à sa charge. Ce séjour n’excédera pas la défaite de Magenta et de Solferino en 1859, mettant fin à la présence de l’Autriche en Italie, et le couple se retire à Miramar, près de Trieste. Mais les feux d’un empire nouveau brillent et ils quittent l’Europe pour le trône du Mexique qui plaît peut-être davantage à Charlotte qu’à son mari. Les années mexicaines sont finalement assez brèves : elle rentre en Europe en 1866 et d’abord à Paris pour plaider la cause mexicaine auprès de Napoléon III. Elle y affronte une fin de non-recevoir. De même, peu après, lors de sa requête à Rome auprès du Pape Pie IX : deux entrevues dont l’échec sera péniblement vécu.Selon les témoignages d’époque, elle a manifesté dès le Mexique, pendant la traversée et surtout au moment du retour, des tendances paranoïdes, notamment l’effroi devant certaines nourritures ou boissons, la peur d’être empoisonnée, la certitude d’être une cible, sans parler d’une secrète absence d’entente conjugale véritable avec Maximilien qui aurait précédé…Mais l’auteur fait référence à des sources plus récentes et notamment à l’étude du psychiatre Émile Meurice, Charlotte et Léopold II de Belgique. Deux destins d’exception entre histoire et psychiatrie (2005), selon qui les troubles remonteraient aux remaniements du psychisme dès l’enfance. Les travaux de l’historienne Dominique Paoli, L’impératrice Charlotte. « Le soleil noir de la mélancolie » (2008) et de la psychanalyste Coralie Vankerkhoven, Charlotte de Belgique : une folie impériale (2012) qui ont pour l’une accès à des archives inédites et pour l’autre à la totalité de la correspondance de la princesse, ont mis plus récemment en lumière la longue période qui va du retour de Miramar, lieu de la retraite forcée, à Bruxelles, et jusqu’à la fin de Charlotte. En raison des troubles déjà très remarqués par ses proches et ses médecins, Léopold II prend la décision et c’est la reine Marie-Henriette qui accompagne son retour au pays où on lui cache l’exécution de Maximilien en 1867 par les hommes de Benito Juarez. Elle séjournera successivement à Tervueren, Laeken, puis de nouveau à Tervueren, palais quitté après un incendie, avant de terminer sa vie au château de Bouchout. La période dite de délire épistolaire se situe en 1869.L’ouvrage d’André Bénit est d’une lecture passionnante et déborde de références autorisées. L’auteur est spécialiste des reconstitutions historiques, étudiant tout particulièrement l’interprétation que s’autorisent les écrivains. Il est par ailleurs l’auteur d’une thèse sur la présence de la Guerre d’Espagne dans les lettres belges francophones.…
Cinquante nuances de rose. Les affinités électives du Prince de Ligne
Pouvait-on s’attendre à ce qu’une revue universitaire pût rendre un portrait aussi enlevé d’un auteur ? Il est vrai que l’évocation du Prince de Ligne (1735-1814) ne souffre aucun académisme sclérosant, tant ce bel esprit s’inscrit dans les dynamiques propres de son temps, celles oscillant entre respect du classicisme et tension vers la modernité, entre libertinage et sagesse, entre circulation mondaine dans toutes les cours d’Europe et retraite au calme dans son domaine de Beloeil. Chacune des monographies rassemblées dans ce volume éclaire une facette du personnage et recompose, en kaléidoscope à dominante rose, le portrait d’un homme dont l’ambition principale fut d’éprouver pleinement le bonheur de vivre. Ligne, s’il n’a connu ni la Belgique indépendante ni même le joug du Hollandais, annonce, par certains partis pris d’écriture, des veines qui innerveront nos Lettres. Comment en effet ne pas entrevoir, dans l’une de ses devises « J’aime mieux sentir que juger », celle sur laquelle Simenon fondera son art du roman ; dans sa propension à multiplier les « égodocuments », une « réorientation de la littérature vers l’autobiographie » qui sera l’apanage de beaucoup de Belges (Michel Brix signale notamment la parenté de Ligne avec les écrits introspectifs de Grétry) ; et dans la relation de ses rêves ou les aphorismes parfois ponctués de jeux de mots de Mes Écarts , un décloisonnement de la notion de genre qui sera la marque de nos surréalistes ?Voilà un natif de Bruxelles qui tutoyait Casanova et à qui l’immense Goethe rendit un hommage vibrant quand il apprit avec une profonde tristesse sa disparition. Son éclectisme naturel l’a aussi bien incliné à écrire les variations de ses humeurs ou les caprices de sa mémoire que des traités sur l’art du théâtre ou l’hortomanie, ou encore des manuels de stratégie qu’il nourrissait de lectures puisées dans sa vaste collection de militaria (tous solidement reliés en peau de truie, d’où leur surnom de « bibliothèque rose »). Et puis quel voyageur ! La très riche contribution de Christophe Loir et Fabrice Preyat aborde Ligne sous l’angle original des mobility studies et le campe en « Prince hypermobile », empruntant volontiers des voitures de type wurst mais aussi une kyrielle de barques , coches , fiacres , chaises et autres pousse-culs qui lui permettent de joindre en quelques jours Paris, Londres, Vienne, Spa ou Versailles dans une Europe qui ignorait le chemin de fer…Rien ne manque à ce volume, qui permet de comprendre l’imprégnation de la théologie joséphiste sur ce lointain disciple de Montaigne, son rapport à l’argent, ses activités de diplomate, sa vision des Révolutions (française, brabançonne…), ses affinités musicales ou théâtrales – rien, si ce n’est une étude de son maçonnisme, une part pourtant non négligeable dans la formation intellectuelle, philosophique et morale de cet homme libre.Un volume qui se dévore en gourmet et en gourmand, deux attitudes non contradictoires quand il est question de Ligne……