RÉSUMÉ

Cet ouvrage, dont la publication a été dirigée par Ginette Michaux, rassemble les conférences de trois des quatre auteurs invités à la session 2001 de la Chaire de Poétique de l’Université catholique de Louvain, qui avait pour thème « Histoire et fiction ».
A côté du texte de Pierre Mertens figurent les contributions de Jacques Sojcher et Jean Claude Bologne.

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À PROPOS DES AUTEURS
Jacques Sojcher

Auteur de Histoire et fiction

Jacques Sojcher est un écrivain belge francophone né à Bruxelles le 8 septembre 1939, de père slovaque et de mère polonaise. Il est écrivain et professeur de philosophie et d'esthétique à l'Université libre de Bruxelles depuis 1991.
  • La démarche poétique, Éditions Rencontre, 1969. (Solstices).
  • Le professeur de philosophie, Montpellier, Fata Morgana, 1976.
  • La mise en quarantaine, idem, 1978.
  • Le rêve de ne pas parler, Le Roeulx, Tailus d'approche, 1981.
  • Essai de n'être pas mort, Montpellier, Fata Morgana, 1984.
  • Petite musique de chambre, Talus d'approche, 1984.
  • Crimen Amoris, poèmes choisis.
  • L’idée du manque, Fata Morgana, 2013. Dessins d’Arié Mandelbaum.
  • Trente-huit variations sur le mot juif, Fata Morgana, 2014. Illustrations de Richard Kenigsman. Prix Maurice Carême 2015.
  • C'est le sujet, Fata Morgana, 2014. Dessins de Lionel Vinche.
  • Pierre Mertens

    Auteur de Histoire et fiction

    Toujours soucieuse de gratifier les œuvres d'un projet cohérent, la critique a souvent choisi celle de Mertens comme celle d'un observateur impitoyable de notre temps. Comme l'écrivait Paul Émond, «il constitue un point de repère symbolique pour toute une génération». Avec Mertens, c'est, en effet, différentes régions de l'esprit qui sont traversées : littérature et philosophie, critique littéraire et politique, droit international, cinéma, musique, opéra, théâtre. Sa passion de l'art n'a d'égale qu'un souci rigoureux du politique. Une même tension l'anime, dans son combat pour la modernité et contre les maquignonnages culturels lorsqu'il s'attache à faire entendre Semprun, Kundera ou Cortazar, ou quand il constitue, en 1976, le dossier spécial des Nouvelles littéraires, intitulé «L'Autre Belgique», et dans lequel apparaît le concept de belgitude. Pierre Mertens naît à Boitsfort, le 9 octobre 1939, date, se plaît-il à rappeler, qui est aussi celle de la décision prise par Hitler d'envahir la Belgique… Son père, journaliste, et sa mère, biologiste, se séparent pendant l'enfance du petit Pierre qui prétendra avoir eu l'avantage de pouvoir, dès lors, puiser à deux bibliothèques : celle plus spiritualiste et catholique de son père, celle plutôt laïque et de gauche, de sa mère. Lecteur boulimique, passionné dès l'école primaire, Pierre Mertens naît vraiment à la littérature lorsqu'il découvre, à l'âge de quinze ans, le journal de Kafka. Il dira plus tard : «Cette page tournée, une page de ma vie s'était tournée aussi : c'est la page qui m'a fait écrivain. L'homme qui avait pu écrire cela m'apportait la seule consolation écrire. C'était à la fois la maladie et le remède… On pouvait en mourir, donc en vivre.» Il entre en philologie romane à l'Université libre de Bruxelles, pour en sortir quelques semaines plus tard, de crainte de se dessécher et opte pour des études de droit. Cela ne l'empêche nullement d'écrire, pendant ses trois premières années universitaires, un manuscrit de deux mille pages intitulé Paysage avec la chute d'Icare qu'il retravaille et rebrasse : ses deux premiers romans, L'Inde ou l'Amérique et La Fête des anciens, ainsi que son premier recueil de nouvelles, Le Niveau de la mer, reprendront à leur manière des éléments de Paysage… Ils sont l'aboutissement d'un questionnement autobiographique détourné à propos de l'enfance et de ses blessures. Les romans qui suivent ne quitteront pas les thématiques individuelles, mais y associeront de plus en plus l'espace de l'Histoire : l'année de publication des Bons Offices (qui narre les rendez-vous ratés de Paul Sanchotte avec les grands événements de son temps et le dérisoire de ses médiations d'observateur international) sera aussi celle de L'imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l'humanité, un essai juridique. Menant de front son activité littéraire et ses exigences de juriste-citoyen, Mertens continue à s'intéresser au droit international et à la sociologie (il est docteur en droit et licencié en droit international de l'Université libre de Bruxelles). Professeur de littérature comparée à l'Institut national supérieur des arts du spectacle (I.N.S.A.S.) et chroniqueur littéraire au Soir depuis 1971, critique dans diverses revues françaises et étrangères, chargé de nombreuses missions d'observateur au Proche-Orient, en Europe de l'Est et dans le bassin méditerranéen, Pierre Mertens ne renonce ni à ses activités dans le siècle, ni à l'écriture. Il serait plutôt de ceux – très rares – qui parviennent à alimenter l'écriture à l'histoire et à nourrir cette dernière d'une vision politique et morale. C'est à cette veine étonnante qu'appartiendront Terre d'asile, roman intimiste sur le laminage de l'individu par le politique, Les Éblouissements, qui retrace le cheminement spirituel, les angoisses et les fragilités du poète et médecin allemand Gottfried Benn, Uwe Johnson, le scripteur de mur et Lettres clandestines. Son dernier roman, Une paix royale, concilie, dans son baroque chatoyant, d'une part, l'interrogation sur l'Histoire, de l'autre, les confidences très intimes dont Perdre, roman d'amour fou, théâtral, figure la tentative-limite. Par son insertion directe dans les événements qui ont entraîné l'abdication de Léopold III, Une paix royale a connu un large retentissement et suscité une action en justice qui lui a valu le soutien de plusieurs écrivains célèbres. Mertens semble donc bien, comme on l'écrivait dans Pierre Mertens, l'arpenteur, un écrivain de l'entrelacement de l'autobiographique et du mondial, du quotidien et des apocalypses toujours fiancés. Les ouvres critiques comme L'Agent double, les recueils de nouvelles, le livret d'opéra La Passion de Gilles, ainsi que les pièces Collision et Flammes rejoignent cette coulée d'écriture qui dessine l'épaisseur d'un imaginaire personnel hanté par l'éclatement et la dispersion, par la violence fondamentale du monde, les déchirements et les maladies du corps social et de l'histoire. Œuvre tragique que celle de Mertens, mais que le combat habite comme sa condition. Lutte incessante contre toutes les formes d'oppression et d'humiliation, contre l'exil extérieur ou intime. Et si ses personnages sont, on le sait, des êtres déchirés, en position essentiellement transitive, des dépossédés, le plus souvent, les textes leur font accomplir une curieuse dérive au-delà de la détresse, comme si la perte offrait aussi l'obscure possibilité d'un lointain dans une passion de l'ouvert, absolue. Jouant tantôt dans le registre de la simplicité nue, tantôt sur la causticité des dialogues, tantôt sur la gravité ou la sophistication raffinée, l'écriture de Mertens est aussi contestation esthétique et idéologique du récit classique comme des structures élémentaires d'un certain Nouveau Roman. L'Inde ou l'Amérique a obtenu le prix Rossel, tandis que le Prix triennal de la Communauté française récompensait les nouvelles d'Ombres au tableau (1982) et le prix Médicis 1987 Les Éblouissements. Traduite en plusieurs langues, l'œuvre de Pierre Mertens est largement reconnue au niveau international. Il a été élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises le 11 février 1989.
    Jean Claude Bologne

    Auteur de Histoire et fiction

    Jean Claude Bologne est né à Liège le 4 septembre 1956, dans une famille d’enseignants bien fournie en professeurs de français. Voie toute tracée pour des études de philologie romane à l’Université de Liège. Il nourrit aux sources originelles sa passion pour le Moyen Âge : mémoire sur la Genèse des mètres gallo-romans (IXe- XIe siècles), participation aux pièces médiévales montées par le Théâtre universitaire. Pendant trois ans, il enseigne le français et le latin à la Ville de Liège. Pourquoi alors cette rupture qui le mène à Paris où il s’installe en 1982? La coupure du service militaire semble décisive. Un an à mesurer l’âme des canons à l’arsenal de Rocourt (1981-1982) donne une furieuse envie de trouver la sienne. Surtout, il vit une série d’expériences qu’il évoque dans Le Mysticisme athée (Le Rocher, 1995) et dans Une mystique sans Dieu (Albin Michel, 2015). Une plongée dans le néant, nullement effrayante — il parle du «bain régénérateur du néant» — qui donne une autre consistance au présent. Il nourrit cette expérience à la lecture des mystiques rhéno-flamands des XIIIe-XIVe siècles, en particulier Hadewijch et maître Eckhart, auquel il consacre une «biographie spirituelle», Les Sept Vies de maître Eckhart (Le Rocher, 1997). C’est dans cette confrontation au néant qu’il puise l’inspiration romanesque, prêtant à l’occasion ses expériences à ses personnages — sœur L*** dans La Faute des femmes (Les Éperonniers, 1989, prix Rossel), Daniel dans Le Secret de la sibylle (Le Rocher, 1996), Armand Arouet dans Le Frère à la bague (Le Rocher, 1999)… Plus profondément, il se convainc qu’un personnage ne vit que par le retrait de l’auteur et que la langue se forge dans le «creux néant musicien» de Mallarmé. Même athée, la mystique n’est pas un état. Au retour du néant, il faut assumer la nécessité de vivre. Dépositaire d’un prénom évoquant à la fois l’envol de Patmos (Jean) et la claudication (Claude), sans qu’un trait d’union laisse entrevoir l’espoir d’un compromis, il se veut résolument du monde. Quand Jean s’envole vers les sphères éthérées, Claude assure le quotidien. Jean a fui l’enseignement, Claude l’y ramène du bout de l’aile — des cours d’iconologie médiévale assurés à l’Institut supérieur des carrières artistique de 1993 à 2017. Pour l’essentiel, après quelques métiers à la sauvette, Jean Claude Bologne vit de sa plume : livres (une quarantaine), conférences, critique littéraire (La WallonieRTBFMagazine littéraire…), les mots ont fini par le nourrir. Son premier livre, Histoire de la pudeur (Olivier Orban, 1986), connaît un large succès après un passage chez Bernard Pivot à Apostrophes, un prix de l’Académie française et celui des Jeunes Talents de la province de Liège. À la suite seront publiés une quinzaine d’essais d’histoire des mentalités, où il dissèque les clichés, les concepts, les systèmes qui déterminent les comportements humains. Plus que le fait historique où l’explication a posteriori des mœurs passées (il n’entend marcher ni sur les brisées de l’historien, ni sur celles du sociologue), il s’attache à comprendre une époque par le discours qu’elle produit et s’intéresse moins à l’événement qu’au regard que les contemporains portent sur lui. Ainsi furent conçues les histoires du célibat (Fayard, 2004), de la conquête amoureuse (Seuil, 2007), de la coquetterie masculine (Perrin, 2011), du couple (Perrin, 2016), du coup de foudre (Albin Michel, 2017), du scandale (Albin Michel, 2018)… Assumer de vivre, c’est aussi s’investir dans des combats communs. Militants, à la Société des Gens de Lettres, dont il est secrétaire général (2002-2008) puis président (2010-2014), à l’Observatoire de la liberté de création, dont il est co-délégué. Mais aussi littéraires, dans plusieurs groupes où il confronte sa pratique romanesque à celle de ses confrères. Le plus enrichissant est sans conteste la Nouvelle Fiction, dont il partage les activités entre 1992 et 2001. Dans cet archipel romanesque constitué, entre autres, autour de Frédérick Tristan, Hubert Haddad, Georges-Olivier Châteaureynaud, François Coupry, Marc Petit… se définit une fiction signifiante, qui puise dans le réservoir de l’imaginaire une matière structurante, donnant sens au réel en le libérant de l’aléatoire. Dans ce creuset, qui ne fut jamais dogmatique, se constitue le cycle du Troisième Testament, un livre sans cesse effacé et récrit, où chaque homme inscrit une expérience unique dans la trace de prédécesseurs dont il ne connaît pas le témoignage. L’histoire de ce livre est racontée depuis son origine dans les paroles perdues du Christ (Le Chanteur d’âme, Le Rocher, 1996), jusqu’à l’époque actuelle (Le Troisième Testament, Les Éperonniers, 1990, prix Marcel Lobet) en passant par le XIIe siècle (Le Dit des béguines, Denoël, 1993), le XVIIIe (Le Frère à la bague, Le Rocher, 1999), le XIXe (Le Testament de sable, Le Rocher, 2001)… Parallèlement, Jean Claude Bologne poursuit à travers ses personnages une quête de l’identité dont le noyau reste le néant fondateur : personnages gigognes (La Faute des femmes), arborescents (L’Homme-fougère, Fayard, 2004), hantés par des anges (L’Ange des larmes, Calmann-Lévy, 2010, prix Auguste Beernaert de notre Académie) ou par leur narrateur (L’Âme du corbeau blanc, maelstrÖm, 2019)… «Il y a comme une ébriété narrative que l’on diagnostique dans Requiem pour un ange tombé du nid ou dans L’Homme-fougère, un lâchez-tout de la fabulation que plus rien n’arrête» (Jacques De Decker). Il se reconnaît pleinement dans ce «lâchez-tout» qui résume sa quête personnelle par la fiction comme par l’histoire des mentalités : un territoire de liberté où il peut échapper à lui-même et ouvrir le vase scellé de toute éternité dans le temple de Vesta, à Rome. «Pour le trouver vide, ou plein de quel néant? Pour humer l’air des origines, et m’introduire en son flanc» (Rituaire, Le Taillis-Pré, 2020). Jean Claude Bologne a été élu à l’Académie le 9 avril 2011. Il succède à Jean Tordeur.

    – Yves Namu


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