Depuis qu’elles existent, les sciences dites exactes se prétendent différentes des autres savoirs. Comment comprendre cette prétention ? Faut-il, à la manière des épistémologues anglo-saxons ou de Karl Popper, tenter d’identifier les critères qui la justifient ? Peut-on, suivant le modèle nouveau des études sociales des sciences, y voir une simple croyance ? Ce livre propose un dépassement fructueux de l’opposition, apparemment irréconciliable, entre ces deux approches des sciences. Et si la tension entre objectivité scientifique et croyance était justement constitutive des sciences, enjeu des pratiques inventées et réinventées par les scientifiques ? Réussir à parler des sciences avec humour, sans en faire un objet de vénération, ni de dénonciation, en restant au plus proche de la passion des scientifiques, tel est ici le pari d’Isabelle Stengers. Mais ce livre ne se limite pas à un discours sur les sciences. Il s’agit bien plutôt de prolonger l’histoire de leur invention. Comment comprendre les liens multiples entre la science et les pouvoirs qui la mobilisent aujourd’hui ? Comment concevoir les rapports entre science, expertise et démocratie ? La nouveauté de L’invention des sciences modernes est de faire de ces différents problèmes intellectuels, pratiques et politiques les enjeux du processus par où pourrait s’inventer et se renouveler l’identité même des sciences.
Auteur de L’invention des sciences modernes
Isabelle STENGERS , Cosmopolitiques , La découverte/ Les empêcheurs de penser en rond, 2022, 628 p., 26 € , ISBN : 978-2-35925-222-4 Accompagnée d’une préface,…
Présence au monde. Essai sur la poétique de Georges Thinès
« Il importe de voir toujours plus haut, toujours plus loin, pour atteindre une vérité sans doute quasi inaccessible. »La première phrase donne le ton de l’essai que Valérie Catelain consacre à Georges Thinès, et qui paraît quelques semaines après la mort de celui-ci, le 25 octobre 2016 , sous le beau titre Présence au monde .Une présence intense, portée par une curiosité et une exigence indéfectibles. Homme de sciences et écrivain, Georges Thinès nous laisse une œuvre multiple, foisonnante, qui allie l’art d’écrire et la passion de la connaissance.Quelques repères sur le chemin d’une vie : né à Liège en 1923, il a connu une enfance heureuse en Campine dont le paysage s’est fixé en lui. Marquée par l’empreinte du père ingénieur, merveilleux pédagogue, qui l’initie aux sciences naturelles lors de leurs promenades dans la campagne, lui apprend les langues pour lesquelles l’adolescent manifeste un don certain, qu’épingle Valérie Catelain : « Georges Thinès peut enseigner ou écrire avec la même faconde en français, en néerlandais, en anglais ou en allemand, mais encore, improviser un discours en latin ou en grec ! Il a écrit une série de poèmes latins – de superbes hexamètres dactyliques – sous le pseudonyme de Vulturnius, qui ont mystifié plus d’un philologue chevronné. »Son père l’ouvre aussi à la musique : dès ses dix ans, il commence l’étude du violon, qui ne le quittera plus. La musique le pénètre, l’exalte, comme la littérature.Georges Thinès enchaîne humanités gréco-latines, qu’il achève à Bruxelles où la famille s’est installée ; candidature en philosophie et lettres à la faculté Saint-Louis ; licence en psychologie à l’université de Louvain.« Le choix de la psychologie , observe l’auteur, représente un tournant décisif parce qu’il y voit le moyen de concilier intérêts philosophiques et intérêts scientifiques. »Il fonde en 1965 le Centre de psychologie expérimentale et comparée de l’université et, deux ans plus tard, la faculté de psychologie.Parallèlement, il s’est lancé dans des recherches en éthologie dont il deviendra un spécialiste reconnu, premiers jalons d’une œuvre scientifique largement centrée sur le comportement animal, dans la ligne de Konrad Lorenz. Œuvre couronnée par le prix Francqui en 1973. Professeur visiteur à de nombreuses universités (Copenhague, Southampton, Cracovie…) et au Collège de France, Georges Thinès est élu en 1979 à l’Académie royale des sciences de Belgique. Un an après son élection à l’Académie de langue et de littérature, au fauteuil de Marcel Thiry.Ainsi était saluée l’œuvre littéraire, qui débutait par un recueil de poèmes aux éditions des Artistes, en 1959, Poésies , mais embrasse tous les genres.Le roman, dont il disait se méfier, ce qui ne l’empêchera point d’en écrire plusieurs, qui le révèlent « romancier de l’enfance et de l’ambiguïté du réel » : Les effigies , Le tramway des officiers , prix Rossel 1974, L’œil de fer , La face cachée …Le récit : La statue du lecteur , Le désert d’Alun …La nouvelle : L’homme troué , Le quatuor silencieux …La poésie : L’aporie suivi de Stèle pour Valéry , le poète dont l’influence fut déterminante, Théorèmes pour un Faust , Connaissance de l’Erèbe , L’exil inprononcé , Mer intérieure …Le théâtre, souvent insolite : Orphée invisible , La succursale , L’horloge parlant. L’essai : Le mythe de Faust et la dialectique du temps , un mythe qui a hanté Georges Thinès et dont il propose une vision résolument originale, Victor Hugo et la vision du futur , Rimbaud, maître du feu …Ce parcours brillant, fêté, honoré, Georges Thinès le considérait d’un œil serein : « Je n’ai pas cherché le succès, mais toutes les récompenses m’ont été offertes : le prix Francqui pour mon œuvre scientifique, le prix Rossel pour un roman, l’élection aux Académies… J’ai toujours voulu être gagnant, je le reconnais, mais pour la bonne cause, celle de la création intellectuelle. »L’auteur sonde les différentes formes qu’a prises l’écriture de Georges Thinès, « vécue comme une aventure au cours de laquelle la vie se recrée ».Dégage des thèmes majeurs : entre tous, le temps (« La fatalité du temps détermine l’irrésistible impulsion à écrire. Écrire revient à refuser l’oubli, à contrer la mort, c’est recomposer d’instant en instant le monde qui se désagrège sans fin autour de soi »).La musique, dont la présence est constante (Mozart, Beethoven, Schubert, Mahler…). Mais aussi « la précarité des civilisations, la fascination que leurs traces laissent à notre méditation, la recherche du père ».S’il n’a jamais été attiré par la poésie surréaliste, l’écrivain a été sensible aux enjeux de ce mouvement ; à ces « perpétuels chevauchements entre le monde réel et le monde du rêve ». À la peinture surréaliste aussi, singulièrement celle de Magritte.Sur les pas de Valérie Catelain, nous retraversons une œuvre qui s’apparente à une réflexion vivante, inépuisable, appuyée sur la quête essentielle de la connaissance, et au cœur de laquelle se conjuguent création artistique et métaphysique. Le mystère poétique et l’idée philosophique.« Vivre est aussi sans doute rêver ce que l’on vit. La vision intérieure a bien plus de consistance que la réalité. »…