Rimbaud Révolution

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Le Carnet et les Instants

Avec ce nouveau livre, Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques, poursuit son exploration de la trajectoire politique rimbaldienne. L’homme est loin d’en être à son coup d’essai puisqu’on lui doit déjà quelques textes devenus, depuis leur publication, des ouvrages incontournables sur le sujet. Après une étude rigoureuse publiée en 2007 sous le titre Rimbaud et Marx : une rencontre surréaliste ainsi que Salut et Liberté, regards croisés sur Saint-Just et Rimbaud en 2009, Frédéric Thomas a rassemblé en 2012, sous forme d’anthologie commentée, un choix des poèmes politiques du poète. Collaborateur également du Dictionnaire Rimbaud paru dans la collection « Bouquins », l’auteur est, depuis quelques mois, au centre d’une autre…


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Le poète André Doms nous livre, en trois denses volumes – Italiques , Ibériques…

Dépassons l’anti-art. Écrits sur l’art, le cinéma et la littérature

Nous sommes en 1960. Une revue danoise sollicite Christian Dotremont pour retracer l’apport spécifique des artistes danois à l’art expérimental et au mouvement CoBrA. Mais CoBrA s’est dissout en 1951, peu après sa 2e et dernière exposition internationale qui s’est tenue à Liège. Les artistes du groupe, qu’ils soient hollandais, danois, belges, français, et autres, ont continué à tracer leur chemin, n’ignorent plus Paris dont ils s’étaient écartés en 1948, et la capitale française les accueille plutôt mieux. Alors Dotremont, un peu ennuyé, revient aux sources, vingt ans plus tôt : la création en 1941 d’un périodique danois, Helhesten , et d’un groupe réunissant des créateurs, architectes, peintres, dessinateurs, sculpteurs, poètes… dans une spontanéité expressionniste, un intérêt pour le primitivisme et une effervescence interdisciplinaire qui sera l’une des clés à venir de CoBrA. Du pays nordique, un peu plus « provincial », et moins influencé par les grands courants en « isme » de l’avant-garde artistique internationale, Dotremont retient encore sa capacité à résister à une civilisation de la mécanisation, de l’esprit technique (on dirait aujourd’hui : technologique), « tactique et scientifique qui gangrène l’esprit humain » . À la peinture constructiviste ou « abstraite-froide » , aux « constructions pures et parfaites (…) tracées à la règle et au compas » des bâtiments de l’Expo universelle de 1958 à Bruxelles, Dotremont oppose la capacité de l’art nordique à s’ancrer étroitement dans les éléments naturels (la terre, la mer) et à devenir de plus en plus «  un refuge pour la sensibilité immédiate, pour la joie éternelle des ponts, et pour la poésie cosmique de la nature  ». Cette prédominance de la nature et du vivant, si justement réaffirmée avec force de nos jours, demeure une présence constante chez l’artiste des « logoneiges » : un poème de peu de mots, tracé avec un bâton dans la neige de Laponie, donc par essence éphémère, et qu’on peut apparenter à une forme de Land Art. Art et expérimentations Et ce texte, aussi éclairant sur le corpus de pensée et d’écriture du poète-voyageur en 1960 que sur sa relecture, après-coup, de l’histoire de CoBrA et de ses composants, est l’une des découvertes que l’on peut faire dans Dépassons l’anti-art (titre emprunté à un logogramme), un imposant ensemble de textes en prose de Dotremont, réunis et édités par Stéphane Massonet . Les quatrièmes de couverture vendent parfois du vent. Mais ce n’est assurément pas le cas ici, face à cet ouvrage de près de mille pages, dévoilant effectivement « une encyclopédie des artistes expérimentaux de la seconde moitié du XXe siècle » et présentant « comment les échanges avec les peintres nourrissent profondément la réflexion de Dotremont autour de l’écriture et de sa graphie » . Ce travail colossal, mené durant plusieurs années par Stéphane Massonet, rassemble plus de deux cents articles, textes, notes de lectures, préfaces… disséminés dans différents livres, catalogues ou revues, et rédigés par Dotremont, depuis son entrée au sein du groupe surréaliste belge jusqu’aux derniers écrits du créateur des logogrammes, malade et reclus dans sa chambre-atelier de la pension « Pluie de roses » à Tervuren.Le volume s’ouvre tout d’abord sur un texte rédigé en 1958, où Dotremont documente longuement la naissance de CoBrA, après le passage par le surréalisme (Magritte, Nougé, Breton) et l’expérience déçue (et décevante) du Surréalisme-Révolutionnaire. Une première section présente ensuite les textes tournant plus explicitement autour du surréalisme. On peut y lire un Dotremont polémiste, attaquant à bon droit Jacques Van Melkebeke, peintre et journaliste ami de Jacobs et Hergé, qui dans les journaux autorisés par les nazis sous l’Occupation s’en était pris à Picasso – Melkebeke fut à la Libération condamné pour collaboration. Ou un éloge de Cocteau, qui froissa durablement ses amis surréalistes. Et encore un autre de Paul Eluard, laudateur de Staline dans ses Poèmes politiques qui venaient de paraître. S’il raille dans un tract «Les Grands Transparents » de Breton, Dotremont en garde des figures essentielles, Poe, Lautréamont, Baudelaire, Roussel, Picasso, et met en exergue, dans la « Nouvelle NRF », la singularité du langage et du surréalisme de Paul Nougé – dont Mariën en 1956 sortait de l’ombre les œuvres restées jusque-là clandestines. Vers la « cobraïde » La deuxième section, de loin la plus abondante, est placée sous l’égide de CoBrA. Elle est effectivement l’occasion pour Dotremont de rallier à lui, parfois stratégiquement, toute une série d’artistes qui sont passés par le Surréalisme-Révolutionnaire puis CoBrA, ou qui, par une exposition, une publication, ont rejoint à un moment donné ce qu’il nommait « La cobraïde ». Certains y sont évidemment au premier plan en tant que membres à part entière, Jorn, Alechinsky, Appel, Atlan, Jacobsen, Corneille, Constant, Heerup, Ubac, Reinhoud … D’autres sont là au titre de « compagnons de route » et d’affinités électives, tels Armand Permantier, Louis Van Lint, Oscar Dominguez, Maurice Wijckaert ou Marcel Havrenne. On retrouve également tout l’esprit (et l’humour distancié ou potache) de Dotremont, qui par transitions osées et parfois contradictions vivantes, élabore peu à peu sa propre définition d’un « art expérimental ». Sa principale caractéristique pourrait être de ne jamais succomber à un néo-académisme, en ce compris celui de « l’anti-art ». On l’aura saisi, cet ouvrage témoigne de l’impératif désir de vie et d’expériences nouvelles qui anima Dotremont, et constitue une lecture passionnante d’un bout à l’autre. Abordant par bien des angles des situations qui nous restent contemporaines, elle ne devrait pas combler que les seuls spécialistes…

Jacques Crickillon ou la littérature en instance d’oubli. Suivi de La poésie est une guerre indienne par Jacques Crickillon

Il fallait un poète pour rencontrer l’œuvre de Jacques Crickillon, pour donner lieu à une danse de planètes mue par la question du geste poétique.   Après la très belle étude de Christophe Van Rossom, Éric Brogniet livre en poète une traversée des créations de l’Apache Crickillon, des cycles d’écriture qui, de  La Défendue  à  L’Indien de la Gare du Nord , de  Colonie de la mémoire  à  Ténébrées , du  Tueur birman  à  Sphère, À Kénalon I et II , portent le verbe au bord du gouffre, sur les cimes de la sécession, loin des bonnes mœurs littéraires. Taillés dans le vif-argent d’une langue réinventant ses pouvoirs comme ses impuissances, la poésie, les nouvelles, les romans de Crickillon se tiennent sur la corde du funambule qui vit la parole comme une expérience de la dépossession, comme une initiation à la diffraction du moi et à la contrée du vide. Si la littérature dans ce qu’elle a de sismique, de réfractaire à l’ordre social naît avec Homère, l’aède aveugle, elle semble parachever son cycle de nos jours, la cécité doublée de la surdité se logeant désormais dans le cirque d’une scène littéraire acquise à l’embourgeoisement, aux grelots du divertissement et du conformisme. La question du devenir, de l’incidence du poème dans un monde qui lui tourne le dos et le piétine — question que pose Jacques Crickillon dans « La poésie est une guerre indienne », son texte en postface — porte en elle le souffle des insurgés, lesquels ne sont les apôtres d’aucune vérité. Le poète comme «  inquiéteur  » (Crickillon), comme horloge qui refuse de marquer l’heure est l’artisan d’une expérience existentielle qui côtoie les gouffres et l’inconfort. On mesurera toute la démesure de l’œuvre «  explosante-fixe  » de Crickillon et de l’analyse qu’en produit Brogniet à sa prégnance relativement clandestine comme si l’époque tenait loin d’elle ce qui la subvertit, ce qu’elle ne peut recycler dans la littérature  trendy , minimalisme creux ou verbiage boursouflé de graisse. Un Indien des lettres ensauvage la grammaire, la sémantique, la Terre, les nerfs, le sang, propage la rigueur de l’anarchie dans une poétique du «  contre  », sœur de celle de Michaux (contre l’état de choses et ses séides). Éric Brogniet plonge à mains nues dans les grands cycles formant des «  cosmographies  », des mondes mythologiques vertébrés par l’amour, le questionnement de la mémoire, la fusion du polar et du chamanique, de l’ivresse et de l’extase. Déchiffreur des convulsions intérieures et extérieures, à rebours de l’assassinat programmé de la poésie auquel on assiste, l’auteur de  Vide et Voyageur , de  Talisman  révèle la nécessité, l’urgence d’un verbe poétique transfigurateur. La ténacité du paria, de l’«  horrible travailleur  » (Rimbaud) enraiera l’extermination des poètes, des Indiens du «  Cinquième Monde  ». Au cœur de sa geste poétique, de son œuvre-spirale comme l’énonce Éric Brogniet, un feu central, le feu de l’amante, de la muse qui a impulsé la poésie de l’amour dont Crickillon est l’un des grands chantres, Ferry C., auteure de nombreux collages qui accompagnent les recueils  Région interdite, Nuit la Neige. Poète, muletier sans provende, qu’on chasse d’une cabane à l’autre, et qui s’en va dormir dans les chapelles abandonnées. Poète : fantôme du muletier sur sa montagne fantôme Élégies d’Evolène.    Véronique Bergen Jacques Crickillon, né à Bruxelles en 1940, nous a donné, depuis  La Défendue,  son premier livre publié en 1968 par André De Rache, jusqu’à Litanies, publié par Le Taillis Pré en 2016, un matériau poétique singulier et brûlant. Et pour tout dire fascinant. Il faut mettre en perspective cette musique lancinante, tour à tour tendre ou violente, qui court tout au long des pages de cette œuvre et la perspective d’écriture qui tend à son propre effacement. Basé sur une respiration interne, qui lui permet, sous la dictée des puissances obscures du lyrisme, d’épouser toutes les formes stylistiques imaginables et de puiser à un vaste répertoire à la fois prosodique et métaphorique, le texte poétique explore, avec une constance remarquable, de vastes territoires imaginaires, fantasmés ou réels, des contrées étranges, une flore et un bestiaire singuliers, souvent, mais pas toujours, exotiques. Le style sensuel, fait de rythmes variés, d’un  double registre verbal, poétique et prosaïque, le recours au procédé de la science-fiction, souvent américaine, à celui des sagesses orientales, du polar, des grands romans d’aventure…