Avec Lettres du Goulag, Jean-Louis Rouhart a fait paraître un ouvrage essentiel sur le monde du Goulag en Union soviétique. Il y a quelques années, ce germaniste professeur émérite à la Haute École de la Ville de Liège avait réalisé une étude consacrée à la correspondance clandestine – déjà – dans les camps nazis, essai qui avait reçu le Prix de la Fondations Auschwitz – Jacques Rozenberg en 2011. Il s’attaque maintenant à la même problématique dans le monde soviétique. Il s’agit d’un ouvrage scientifique, fort d’une rigueur absolue dans l’approche et le traitement systématique du sujet et pourvu d’un important appareil de notes et d’un grand nombre d’annexes (glossaires, schéma, dates-clés,…)…
Jean Ray / Thomas Owen. Correspondances littéraires
Commençons par la préface qui cadre bien les enjeux du livre. Arnaud Huftier y fait remarquer l’importance du « principe associatif » dont use la critique : un nouvel auteur est comparé à un auteur bien connu. Comparaison nécessairement réductrice car elle néglige des qualités de l’écrivain mais aussi d’autres aspects du champ littéraire. Mais, à terme, elle permet cependant à ce nouvel auteur de jouer de cette référence, de se positionner et de se construire une personnalité littéraire propre, en accentuant ce qui le différencie de l’auteur à qui il est comparé : il peut devenir « autonome ». Avant éventuellement – mais après combien de temps ? – de devenir lui-même une référence. C’est ainsi que l’on a qualifié Jean Ray d’« Edgar Poe belge » ou de « Lovecraft flamand », avant qu’il ne devienne lui-même la référence pour Thomas Owen. A. Huftier propose encore une autre réflexion intéressante : cette démarche associative postule une « communauté d’esprit » qui délimite un « genre », mais sans qu’il faille théoriser ce genre. Aux yeux des lecteurs, un texte sera fantastique ou belge parce que la critique aura établi des associations qui justifient de le placer dans le même « rayon ». Ce qui ne va pas sans clichés et lieux communs, non argumentés ou non prouvés.Dans ce cadre ainsi résumé, le livre de Jean-Louis Étienne présente les rapports entre Jean Ray et Thomas Owen et leur évolution dans le temps au fur et à mesure que leur statut respectif change, dans le contexte du développement de la notion, justifiée ou non, d’école belge de l’étrange.Thomas Owen a, très jeune, admiré l’œuvre de Jean Ray, de 33 ans son aîné. Au début de sa carrière, il va ouvertement revendiquer une filiation par rapport à celui-ci, qui sera petit à petit retravaillée, jusqu’à être finalement niée. Au début, il va faire de nombreuses mentions des textes de Ray, en répétant cependant trois leitmotivs : il n’est pas un disciple de son aîné ; il n’a pas été influencé par ses thèmes ou son style ; Jean Ray a été « un révélateur, toujours encourageant, pittoresque ». En 1987, Owen résume ce qui, à ses yeux, le différencie de son prédécesseur en fantastique : « Chez Jean Ray, le monstre enfonce la porte. Chez moi, il souffle un peu de fumée à travers la serrure. »De son côté, Ray va, après la Seconde Guerre, s’approprier Thomas Owen, confortant ainsi son statut de « maître » et singulièrement de maître de la dite école belge de l’étrange. Au vu des extraits de leur correspondance repris dans l’ouvrage, les relations entre les deux hommes semblent être vraiment cordiales et même amicales. À la mort de son mentor en 1964, Owen va cependant, plus librement, se distancier de celui-ci et s’autonomiser. Les notices accompagnant ses publications, qu’il rédige ou relit alors, ne font progressivement plus mention de son « maître ès fantastique ».Sur un point, Owen ne s’est pourtant jamais repris : la « légende » de Jean Ray. Il avait été un des principaux propagateurs des faits à la fois sombres et héroïques attribués au Gantois (trafic d’alcool, marin expérimenté, ascendance sioux, etc.), allant même jusqu’à décrire dans une de ses nouvelles une visite au cimetière de Bernkastel en compagnie de Ray – où celui-ci ne s’est jamais rendu – et continuant à l’affirmer véridique. Étrangement, dans l’entretien de 1987, il regrette même la disparition de la légende au profit de la vérité historique. : « Henri Vernes s’efforce de maintenir la légende, comme Van Herp, comme moi-même. Nous menons un combat qui devient de plus en plus difficile. Pourquoi ce combat ? C’est tellement plus beau… Je l’aimais bien, je l’aimais pirate, et lui aimait d’être aimé pirate. »L’étude, foisonnante, s’appuie sur de nombreux documents illustrant le propos. Joseph DUHAMEL…
Charlotte princesse de Belgique et impératrice du Mexique (1840-1927)
Un destin qui a soulevé beaucoup de curiosité, c’est celui de Charlotte de Belgique (1840-1927) dont la longue vie sombra très tôt dans la folie. Elle la termina dans le calme d’un délire installé, mais dans un état physique relativement stable et constant. Nombre d’études, commentaires ou histoires figurent parmi les références bibliographiques du dernier ouvrage en date qui lui est consacré par André Bénit, professeur à l’Université Autonome de Madrid. Charlotte princesse de Belgique et impératrice du Mexique s‘inspire en effet des plus récentes recherches historiques et psychiatriques concernant cette princesse, un ouvrage commenté ainsi dès sa première de couverture : un conte fées qui tourne au délire. Ce qui se confirme au regard d’un bref résumé. Charlotte est la petite-fille de Louis-Philippe, la fille chérie de Léopold Ier, la cousine de la reine Victoria. Elle devient archiduchesse d’Autriche à la suite de son mariage avec Maximilien de Habsbourg et impératrice du Mexique à l’âge de 24 ans. Elle est aussi la sœur de celui qui deviendra Léopold II. Maximilien est nommé gouverneur de Vénétie-Lombardie par son frère François-Joseph qui mettra pourtant fin à sa charge. Ce séjour n’excédera pas la défaite de Magenta et de Solferino en 1859, mettant fin à la présence de l’Autriche en Italie, et le couple se retire à Miramar, près de Trieste. Mais les feux d’un empire nouveau brillent et ils quittent l’Europe pour le trône du Mexique qui plaît peut-être davantage à Charlotte qu’à son mari. Les années mexicaines sont finalement assez brèves : elle rentre en Europe en 1866 et d’abord à Paris pour plaider la cause mexicaine auprès de Napoléon III. Elle y affronte une fin de non-recevoir. De même, peu après, lors de sa requête à Rome auprès du Pape Pie IX : deux entrevues dont l’échec sera péniblement vécu.Selon les témoignages d’époque, elle a manifesté dès le Mexique, pendant la traversée et surtout au moment du retour, des tendances paranoïdes, notamment l’effroi devant certaines nourritures ou boissons, la peur d’être empoisonnée, la certitude d’être une cible, sans parler d’une secrète absence d’entente conjugale véritable avec Maximilien qui aurait précédé…Mais l’auteur fait référence à des sources plus récentes et notamment à l’étude du psychiatre Émile Meurice, Charlotte et Léopold II de Belgique. Deux destins d’exception entre histoire et psychiatrie (2005), selon qui les troubles remonteraient aux remaniements du psychisme dès l’enfance. Les travaux de l’historienne Dominique Paoli, L’impératrice Charlotte. « Le soleil noir de la mélancolie » (2008) et de la psychanalyste Coralie Vankerkhoven, Charlotte de Belgique : une folie impériale (2012) qui ont pour l’une accès à des archives inédites et pour l’autre à la totalité de la correspondance de la princesse, ont mis plus récemment en lumière la longue période qui va du retour de Miramar, lieu de la retraite forcée, à Bruxelles, et jusqu’à la fin de Charlotte. En raison des troubles déjà très remarqués par ses proches et ses médecins, Léopold II prend la décision et c’est la reine Marie-Henriette qui accompagne son retour au pays où on lui cache l’exécution de Maximilien en 1867 par les hommes de Benito Juarez. Elle séjournera successivement à Tervueren, Laeken, puis de nouveau à Tervueren, palais quitté après un incendie, avant de terminer sa vie au château de Bouchout. La période dite de délire épistolaire se situe en 1869.L’ouvrage d’André Bénit est d’une lecture passionnante et déborde de références autorisées. L’auteur est spécialiste des reconstitutions historiques, étudiant tout particulièrement l’interprétation que s’autorisent les écrivains. Il est par ailleurs l’auteur d’une thèse sur la présence de la Guerre d’Espagne dans les lettres belges francophones.…