Auteur de La conférence de Charleroi
Aux bouillonnantes Éditions Lamiroy qui ont, entre autres, déjà publié les Abécédaires Doors, Kiss, Allo Bowie ? C’est David ! et lancé une collection de nouvelles hebdomadaires (Opuscule), le trio composé des journalistes rock Jacques de Pierpont et Patchouli et de l’illustrateur, auteur de bandes dessinées, Alain Poncelet, sort un abécédaire trempé dans la passion viscérale du rock. Loin de livrer une analyse à froid du phénomène Motörhead, loin de retracer du dehors la trajectoire du mythique groupe de heavy metal, ils dessinent un voyage à l’intérieur de l’univers de Lemmy Kilmister et de ses musiciens, creusant aussi bien la nouveauté musicale, la signature du groupe (énergie rebelle, rythmique d’enfer, riffs rapides, ballades renversantes, jeu de basse très particulier de Lemmy qui donne ce fameux « son Motörhead »…) que sa place dans l’histoire du rock, ses thématiques, l’évolution au fil de leur vingt-deux albums, les frasques de leur vie privée. Si, illustré par Alain Poncelet, préfacé par la chanteuse, la Metal Queen Doro Pesch et par Philippe Close, ce Motörbook ravira les aficionados de ce groupe placé sous la devise « Everything Louder Than Everything Else », il séduira plus largement les amateurs de rock dur et sans concession, ralliera ceux qui font du rock une manière de vivre, un mode d’existence vertébré par l’esprit de la liberté et de la révolte contre l’asphyxie du système. Ni encens ni tapis rouge mais le partage d’une expérience, de la fièvre d’une musique qui change la vie : notre trio d’auteurs passe derrière le mythe Lemmy, derrière le power trio d’idoles Lemmy/Phil Campbell/Mikkey Dee (dernière composition du line up du groupe). Motörhead n’est pas une icône à qui on rend un culte, mais une bouffée d’adrénaline, un style musical qui, derrière l’image réductrice d’une esthétique de la violence, du speed rock et de la hargne, cache une sensibilité lyrique, des sommets mélodiques, un art des textes ciselés au scalpel (aberration de la guerre, aliénation de la religion, haine du conformisme, résistance au pouvoir, fringale sexuelle, profession de foi anarchiste…). De ses débuts comme roadie de Jimi Hendrix à sa collaboration au groupe de space rock Hawkind, de la formation de Motörhead en 1975 en pleine vague punk au succès mondial avec les albums Overkill, Ace of Spades, Lemmy forge un univers nourri par les racines du rock, la veine du blues, l’ heroic fantasy . Faisant sauter les faux-semblants, les entraves, dynamitant les barrières entre les genres musicaux, Motörhead a absorbé l’héritage du rock incendiaire, contestataire afin de le recréer. Il a sauvé la flamme d’une musique qui va droit aux tripes en bâtissant un langage qui influencera décisivement le speed metal, le trash metal. Que, durant quatre décennies, Motörhead ait balancé au monde non seulement une musique marquant un avant et un après-Motörhead mais aussi une philosophie de vie, un style d’être au monde, les témoignages recueillis à la fin du volume l’attestent (ceux d’Anik De Prins, de Michel Stiakakis, Marc « Temple » El Khadem…). De l’Umlaut, du tréma qui surmonte le second O de Motörhead aux bootlegs, de la créature Snaggletooth — emblème du groupe — aux collaborations musicales entre Lemmy, Slash, Brian Robertson ou des girls bands, des chanteuses comme Girlschool, Doro…, le Motörbook délivre mille et…
Il fallait un poète pour rencontrer l’œuvre de Jacques Crickillon, pour donner lieu à une danse de planètes mue par la question du geste poétique. Après la très belle étude de Christophe Van Rossom, Éric Brogniet livre en poète une traversée des créations de l’Apache Crickillon, des cycles d’écriture qui, de La Défendue à L’Indien de la Gare du Nord , de Colonie de la mémoire à Ténébrées , du Tueur birman à Sphère, À Kénalon I et II , portent le verbe au bord du gouffre, sur les cimes de la sécession, loin des bonnes mœurs littéraires. Taillés dans le vif-argent d’une langue réinventant ses pouvoirs comme ses impuissances, la poésie, les nouvelles, les romans de Crickillon se tiennent sur la corde du funambule qui vit la parole comme une expérience de la dépossession, comme une initiation à la diffraction du moi et à la contrée du vide. Si la littérature dans ce qu’elle a de sismique, de réfractaire à l’ordre social naît avec Homère, l’aède aveugle, elle semble parachever son cycle de nos jours, la cécité doublée de la surdité se logeant désormais dans le cirque d’une scène littéraire acquise à l’embourgeoisement, aux grelots du divertissement et du conformisme. La question du devenir, de l’incidence du poème dans un monde qui lui tourne le dos et le piétine — question que pose Jacques Crickillon dans « La poésie est une guerre indienne », son texte en postface — porte en elle le souffle des insurgés, lesquels ne sont les apôtres d’aucune vérité. Le poète comme « inquiéteur » (Crickillon), comme horloge qui refuse de marquer l’heure est l’artisan d’une expérience existentielle qui côtoie les gouffres et l’inconfort. On mesurera toute la démesure de l’œuvre « explosante-fixe » de Crickillon et de l’analyse qu’en produit Brogniet à sa prégnance relativement clandestine comme si l’époque tenait loin d’elle ce qui la subvertit, ce qu’elle ne peut recycler dans la littérature trendy , minimalisme creux ou verbiage boursouflé de graisse. Un Indien des lettres ensauvage la grammaire, la sémantique, la Terre, les nerfs, le sang, propage la rigueur de l’anarchie dans une poétique du « contre », sœur de celle de Michaux (contre l’état de choses et ses séides). Éric Brogniet plonge à mains nues dans les grands cycles formant des « cosmographies », des mondes mythologiques vertébrés par l’amour, le questionnement de la mémoire, la fusion du polar et du chamanique, de l’ivresse et de l’extase. Déchiffreur des convulsions intérieures et extérieures, à rebours de l’assassinat programmé de la poésie auquel on assiste, l’auteur de Vide et Voyageur , de Talisman révèle la nécessité, l’urgence d’un verbe poétique transfigurateur. La ténacité du paria, de l’« horrible travailleur » (Rimbaud) enraiera l’extermination des poètes, des Indiens du « Cinquième Monde ». Au cœur de sa geste poétique, de son œuvre-spirale comme l’énonce Éric Brogniet, un feu central, le feu de l’amante, de la muse qui a impulsé la poésie de l’amour dont Crickillon est l’un des grands chantres, Ferry C., auteure de nombreux collages qui accompagnent les recueils Région interdite, Nuit la Neige. Poète, muletier sans provende, qu’on chasse d’une cabane à l’autre, et qui s’en va dormir dans les chapelles abandonnées. Poète : fantôme du muletier sur sa montagne fantôme Élégies d’Evolène. Véronique Bergen Jacques Crickillon, né à Bruxelles en 1940, nous a donné, depuis La Défendue, son premier livre publié en 1968 par André De Rache, jusqu’à Litanies, publié par Le Taillis Pré en 2016, un matériau poétique singulier et brûlant. Et pour tout dire fascinant. Il faut mettre en perspective cette musique lancinante, tour à tour tendre ou violente, qui court tout au long des pages de cette œuvre et la perspective d’écriture qui tend à son propre effacement. Basé sur une respiration interne, qui lui permet, sous la dictée des puissances obscures du lyrisme, d’épouser toutes les formes stylistiques imaginables et de puiser à un vaste répertoire à la fois prosodique et métaphorique, le texte poétique explore, avec une constance remarquable, de vastes territoires imaginaires, fantasmés ou réels, des contrées étranges, une flore et un bestiaire singuliers, souvent, mais pas toujours, exotiques. Le style sensuel, fait de rythmes variés, d’un double registre verbal, poétique et prosaïque, le recours au procédé de la science-fiction, souvent américaine, à celui des sagesses orientales, du polar, des grands romans d’aventure…