En matière de traduction, on peut légitimement s’inquiéter de ce que deviendraient les cultures humaines et la pensée humaine, le jour où tout échange inter-linguistique serait confié à une intelligence artificielle. Il s’ensuivrait un cloisonnement et un repli sans précédent dans l’histoire, une histoire qui, aussi loin que remonte la mémoire écrite, est faite de migrations d’idées, d’usages et d’hommes, de fécondation du même par l’autre, de transferts, de réinterprétations et de réappropriations.
[…] La traduction n’est pas seulement mon travail alimentaire. C’est mon métier, et je suis attachée à ce mot avec tout ce qu’il connote de soin, de savoir-faire, de travail minutieux sur la trame de l’écrit. La traduction est mon métier, elle a forgé ma personnalité, y compris en tant qu’autrice : j’écrirais sans doute autre chose, et autrement, si je ne passais pas une partie de mon temps à traduire depuis deux langues étrangères, si j’étais ancrée dans une seule langue, une seule culture, un seul territoire. Cesser de traduire, ce serait renoncer à ce qui m’a faite telle que je suis.
Voilà pourquoi je n’ai pas hésité à accepter la proposition de mes collègues. Dans ce volume qu’on m’offrait de rédiger, je matérialiserais mon bilan, j’explorerais les liens entre la traduction qui (je le maintiens) est une écriture, et l’écriture qui, à mes yeux, est un peu une traduction. J’y évoquerais mon sentiment d’être toujours « entre les rives » – je pense moins ici à l’image désormais classique du traducteur comme passeur, qu’au voyageur qui a quitté les eaux territoriales de son continent d’origine, n’est pas encore entré dans celles du continent d’en face et n’a peut-être même pas l’intention d’y pénétrer un jour. Préférant la pleine mer, là où les eaux appartiennent à tous et n’appartiennent à personne.
Auteur de Entre les rives
Diane MEUR, Entre les rives. Traduire, écrire dans le pluriel des langues, Contre allée, 2019, 183 p., 18 €, ISBN : 978-2-376650-546Quand des collègues lui ont proposé de prendre place dans une collection de « Paroles de traducteurs », Diane Meur a accepté avec enthousiasme, tout en précisant qu’elle ne pourrait en dissocier ses « paroles de romancière ». Et c’est ce qui fait l’intérêt de ce livre qui vaut tant par la finesse des considérations sur la traduction que par la réflexion sur l’influence réciproque de ses deux passions : la migration d’une langue à l’autre et l’écriture personnelle. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un essai. Le livre est fait de textes s’étendant sur plus de quinze ans, montrant une réelle…
Lamartine critique de Chateaubriand dans le Cours familier de littérature
À propos du livre (4e de couverture) Les historiens contemporains des lettres françaises de Belgique tiennent avec raison que La Légende d'Ulenspiegel en est le livre fondateur. Toute fondée qu'elle soit, cette assertion a tardé à prendre forte d'évidence. Lorsque Charles De Coster fait paraître sont livre, en 1867, seuls quelques lecteurs perspicaces y prêtent attention sans parvenir à lui assurer une quelconque reconnaissance. Et c'est aussi pauvre qu'inconnu que l'écrivain meurt en 1879. Il est vrai que «La Jeune Belgique», quinze ans plus tard, reconnaît son rôle, mais le statut de son livre n'en est en rien changé : il a peu de lecteurs, il n'est pas pris au sérieux. Tel n'est pas le cas du jeune Joseph Hanse dont l'Académie royale de langue et de littérature françaises s'empresse, dès 1928, de publier la thèse de doctorat consacrée à Charles De Coster et dont Raymond Trousson écrit aujourd'hui dans sa préface : «Ce coup d'essai était un coup de maître. Soixante-deux ans après sa publication, ce livre demeure fondamental, indispensable à quiconque entreprend d'aborder l'uvre magistrale qu'il mettait en pleine lumière.» Devenu introuvable, enfin réédité aujourd'hui, le Charles De Coster de Joseph Hanse, qui a ouvert la voie à toutes les études ultérieures et internationales sur le sujet, fera figure, pour beaucoup, d'une découverte et d'une…
Il existe entre un livre et son auteur un espace d’exploration littéraire que Michel Joiret appelle en collaboration avec Noëlle Lans, « Voyage en pays d’écriture ». Le principe en est cristallin : partir sur les traces des écrivains, là où ils ont commis leur œuvre et y découvrir ce que les sens de la présence sur place peuvent offrir. C’est-à-dire les non-dits des auteurs et l’esprit des lieux d’écriture. Depuis 1995, la revue Le Non-Dit , entreprise compagnonique , guide ses lecteurs-voyageurs dans l’environnement des écrivains et fait « parler les pierres qui leur ont servi de refuge ». Il en est ainsi du premier colloque à Epineuil-Le-Fleuriel où est située l’école d’Alain-Fournier, auteur du Grand-Meaulnes. Plusieurs convives s’y sont réunis pour mesurer le livre aux lieux mais aussi aux grammairiens belges.De même en 1999 au Grand-Hôtel de Cabourg, « en front de mer, avec piano-bar et musique d’époque ! » pour diverses lectures de l’œuvre-cathédrale de Marcel Proust. À lire toutes les interventions d’alors, le verbe se lève et souffle tant que la plume se montre absolue : on se demande si l’écriture de Proust émane de lui ou bien si c’est Proust qui émane de l’écriture ?En 2000 aux refuges de Pierre de Ronsard et de Pierre Loti, il est question d’un fil rouge reliant les roses sur les lieux des cimes amoureuses du premier à « la lourde et odorante végétation de Nagasaki » du second. Soit à l’instar de tout l’ouvrage, un fil de textes courts et autonomes ; érudits sans assommer.Quelle somme justement ! de témoignages, de recherches, de lectures, d’extraits, de citations et d’anecdotes pour fonder ce livre de voyages qui se fondent en une déclaration de passion pour la littérature. Nous glissons la tête derrière des rideaux vers les coulisses de temps perdus, dont seuls l’air et la lettre peuvent encore témoigner.Voyager en pays d’écriture donne faim et soif de tout lire des auteurs visités, tant les frontières entre les livres deviennent aussi précaires voire absurdes qu’entre les pays, une fois que l’on est sur place. Un genre cependant ressort de l’ouvrage, celui du romantisme, destination en 2002 via Chateaubriand et George Sand.Michel Joiret y fait l’aveu de son propre romantisme : « Drôle de question pour une curieuse époque, la nôtre, où beaucoup se sait, où peu se sent, où tant d’émotions sont en jachères et où le non-dit des échanges gagne le terrain perdu des années… Déçus par les philosophes (anciens et nouveaux), beaucoup se tournent vers des cultures et des religions « éprouvées » et sûres. »« En 2003, Le Non-Dit propose une rencontre avec quelques écrivains belges établis dans la capitale française, un projet qui séduit une quarantaine de personnes, principalement des enseignants. » En effet, le projet en association avec l’Enseignement du Hainaut ne veut pas seulement interroger des frontières géographiques, mais aussi celles des élèves avec la lecture, à l’aide de leurs professeurs. Historique, culturel, romantique, pédagogique, tel est-ce de voyager en pays d’écriture.Et ainsi de suite jusqu’en 2017 avec Aragon et Cocteau entre Milly-la-Forêt et Saint-Arnoult-en-Yvelines. L’index du livre compte 228 auteurs interpellés par une écriture soignée. Michel Joiret est manifestement un grand amoureux, compulsif et pas jaloux, qui aime comme un fou et invite avec ses collaborateurs et intervenants à admirer, adorer la littérature. Tito Dupret Les écrivains du passé n’ont jamais cessé de nous parler. Il nous appartient de les écouter, même si l’écoulement du temps a pu érailler leurs voix, même si les relais de lecture intergénérationnels sont aujourd’hui moins assidus, même si la primauté de l’image a pu dérouter les chemins d’écriture. L’œuvre des Illustres est l’ADN de chacun de nous. Quand l’oreille intérieure et l’œil se font moins vifs et sortent du champ de lecture, il nous reste le trésor des pierres, des lieux signifiants – comme les aubépines de Marcel au Pré Catelan –, l’intimité d’une table, d’une plume et d’un encrier – comme l’écritoire de Jean-Jacques à Montmorency. Comme l’écrit Pierre Mertens dans son avant-dire : « Allons ! Comment se lasserait-on de ces retours aux sources sur les lieux du crime – ce crime fameusement “impuni” : la lecture ? » Ou la relecture ?… Au fil de ses voyages, ses rencontres et ses chemins d’écriture, la revue « Le Non-Dit » nous emmène sur les traces d’Alain-Fournier, Marcel Proust, Pierre de Ronsard, Pierre Loti, François-René de Chateaubriand, George Sand, Maurice Leblanc, Madame de Sévigné, Alexandre Dumas, François Rabelais, Michel de Montaigne, Erasme, Colette, Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan, Francis Carco, Georges Brassens, Jean-Jacques Rousseau, Maurice Maeterlinck, Marguerite Duras, Jean Cocteau,…