Les mondes et langages que crée Hélène Cixous seront interrogés sous le prisme de la genèse de l’écriture, de ses scènes primitives. Active dans l’oeuvre de Cixous, la question du « qu’estce qu’écrire ? » recoupe le motif central du « livre que je n’écrirai pas ». Où l’on tournera autour de l’invention d’une langue, le cixous, de l’injonction de phraser, de l’écriture féminine en tant qu’excès, dépense, ancrage dans le corps, des constellations électives où bruissent les voix de Clarice Lispector, Ingeborg Bachmann, Marina Tsvétaïeva. De la littérature comme chamanisme et comme puissance alchimique.
Autrice de Hélène Cixous : La langue plus-que-vive
Parfois, l’on comprend la nécessité impérieuse qui voudrait que seuls les écrivains soient habilités à parler d’autres écrivains. Le livre de Véronique Bergen sur Hélène Cixous en est une preuve probante. Paru dans une collection académique, cet ouvrage se démarque par sa langue virtuose. Cependant, la force de l’analyse qui y est déployée n’est en rien déforcée par la présence entêtante du style singulier de l’auteur de Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent : au contraire, ce livre éclaire avec finesse une œuvre aussi complexe que souvent jugée peu accessible, alors que les livres de Cixous sont, comme les décrit Bergen, « textes de vent et de soleil turquoise ».C’est au cœur même de ce…
Présence au monde. Essai sur la poétique de Georges Thinès
« Il importe de voir toujours plus haut, toujours plus loin, pour atteindre une vérité sans doute quasi inaccessible. »La première phrase donne le ton de l’essai que Valérie Catelain consacre à Georges Thinès, et qui paraît quelques semaines après la mort de celui-ci, le 25 octobre 2016 , sous le beau titre Présence au monde .Une présence intense, portée par une curiosité et une exigence indéfectibles. Homme de sciences et écrivain, Georges Thinès nous laisse une œuvre multiple, foisonnante, qui allie l’art d’écrire et la passion de la connaissance.Quelques repères sur le chemin d’une vie : né à Liège en 1923, il a connu une enfance heureuse en Campine dont le paysage s’est fixé en lui. Marquée par l’empreinte du père ingénieur, merveilleux pédagogue, qui l’initie aux sciences naturelles lors de leurs promenades dans la campagne, lui apprend les langues pour lesquelles l’adolescent manifeste un don certain, qu’épingle Valérie Catelain : « Georges Thinès peut enseigner ou écrire avec la même faconde en français, en néerlandais, en anglais ou en allemand, mais encore, improviser un discours en latin ou en grec ! Il a écrit une série de poèmes latins – de superbes hexamètres dactyliques – sous le pseudonyme de Vulturnius, qui ont mystifié plus d’un philologue chevronné. »Son père l’ouvre aussi à la musique : dès ses dix ans, il commence l’étude du violon, qui ne le quittera plus. La musique le pénètre, l’exalte, comme la littérature.Georges Thinès enchaîne humanités gréco-latines, qu’il achève à Bruxelles où la famille s’est installée ; candidature en philosophie et lettres à la faculté Saint-Louis ; licence en psychologie à l’université de Louvain.« Le choix de la psychologie , observe l’auteur, représente un tournant décisif parce qu’il y voit le moyen de concilier intérêts philosophiques et intérêts scientifiques. »Il fonde en 1965 le Centre de psychologie expérimentale et comparée de l’université et, deux ans plus tard, la faculté de psychologie.Parallèlement, il s’est lancé dans des recherches en éthologie dont il deviendra un spécialiste reconnu, premiers jalons d’une œuvre scientifique largement centrée sur le comportement animal, dans la ligne de Konrad Lorenz. Œuvre couronnée par le prix Francqui en 1973. Professeur visiteur à de nombreuses universités (Copenhague, Southampton, Cracovie…) et au Collège de France, Georges Thinès est élu en 1979 à l’Académie royale des sciences de Belgique. Un an après son élection à l’Académie de langue et de littérature, au fauteuil de Marcel Thiry.Ainsi était saluée l’œuvre littéraire, qui débutait par un recueil de poèmes aux éditions des Artistes, en 1959, Poésies , mais embrasse tous les genres.Le roman, dont il disait se méfier, ce qui ne l’empêchera point d’en écrire plusieurs, qui le révèlent « romancier de l’enfance et de l’ambiguïté du réel » : Les effigies , Le tramway des officiers , prix Rossel 1974, L’œil de fer , La face cachée …Le récit : La statue du lecteur , Le désert d’Alun …La nouvelle : L’homme troué , Le quatuor silencieux …La poésie : L’aporie suivi de Stèle pour Valéry , le poète dont l’influence fut déterminante, Théorèmes pour un Faust , Connaissance de l’Erèbe , L’exil inprononcé , Mer intérieure …Le théâtre, souvent insolite : Orphée invisible , La succursale , L’horloge parlant. L’essai : Le mythe de Faust et la dialectique du temps , un mythe qui a hanté Georges Thinès et dont il propose une vision résolument originale, Victor Hugo et la vision du futur , Rimbaud, maître du feu …Ce parcours brillant, fêté, honoré, Georges Thinès le considérait d’un œil serein : « Je n’ai pas cherché le succès, mais toutes les récompenses m’ont été offertes : le prix Francqui pour mon œuvre scientifique, le prix Rossel pour un roman, l’élection aux Académies… J’ai toujours voulu être gagnant, je le reconnais, mais pour la bonne cause, celle de la création intellectuelle. »L’auteur sonde les différentes formes qu’a prises l’écriture de Georges Thinès, « vécue comme une aventure au cours de laquelle la vie se recrée ».Dégage des thèmes majeurs : entre tous, le temps (« La fatalité du temps détermine l’irrésistible impulsion à écrire. Écrire revient à refuser l’oubli, à contrer la mort, c’est recomposer d’instant en instant le monde qui se désagrège sans fin autour de soi »).La musique, dont la présence est constante (Mozart, Beethoven, Schubert, Mahler…). Mais aussi « la précarité des civilisations, la fascination que leurs traces laissent à notre méditation, la recherche du père ».S’il n’a jamais été attiré par la poésie surréaliste, l’écrivain a été sensible aux enjeux de ce mouvement ; à ces « perpétuels chevauchements entre le monde réel et le monde du rêve ». À la peinture surréaliste aussi, singulièrement celle de Magritte.Sur les pas de Valérie Catelain, nous retraversons une œuvre qui s’apparente à une réflexion vivante, inépuisable, appuyée sur la quête essentielle de la connaissance, et au cœur de laquelle se conjuguent création artistique et métaphysique. Le mystère poétique et l’idée philosophique.« Vivre est aussi sans doute rêver ce que l’on vit. La vision intérieure a bien plus de consistance que la réalité. »…
Le Voyage au bout de la nuit de Céline : roman de la subversion et subversion du roman
À propos du livre À travers les différents niveaux de sens que le texte romanesque du Voyage au bout de la nuit superpose, cet ouvrage serre de près le processus d'instauration du langage célinien, de la surface des mots à la totalité de la création. Transposant la rhétorique de l'argot en un formidable discours subversif, ce langage fonde l'identité symbolique de Bardamu, le héros-narrateur, mais aussi celle de Céline dans cette Nuit de l'écriture où, entre vécu et imaginaire, durée et Histoire, désir et néant, l'écrivain triomphe des discours sociaux de son temps par l'affirmation souveraine d'un style. Mythe romanesque du voyageur de la Nuit, hallucinant de vérité désespérée et de révolte ; mythe littéraire de l'écrivainargotier dont le propos embrasse dans sa revanche verbale toute la honte, toute la souffrance du Mal contemporain : deux niveaux de cette «écriture de la parole» qui entretiennent un subtil trompe-l'oeil entre le sens et la représentation. C'est dans ce travail que résident la modernité de Céline, son art réel d'écrivain comme sa compromission authentique de sujet face à la société et à l'Histoire. Cette étude est le fruit d'une technique magistrale et…