En 1885, le peintre belge Émile Claus fixe sur sa toile l’image d’un vieil homme au pas de sa porte, un bégonia dans les mains. Le Vieux Jardinier a pris forme dans la lumière éclatante d’une matinée estivale, offrant un portrait saisissant. Christine Van Acker éclaire, dans une langue métaphorique, le coup de pinceau innovant de l’artiste qui saisit le jeu d’ombres et de lumières que crée le soleil. L’écrivaine imagine le labeur de ce vieil artisan, qui se devine dans ces mains usées par la terre, et nous raconte la simplicité de son quotidien, loin des préoccupations modernes.
Et le jardin, derrière, comme un havre de paix fourmillant de vie, qui invite à s’y faufiler. Une nature, belle et éphémère, qui est née avec le soleil et disparaîtra avec lui. Par le biais de l’art, ce livre nous invite à nous plonger dans le passé et à se confronter à « d’autres aujourd’hui, manières différentes d’être présents au monde ».
Autrice de Émile Claus : Le vieux Jardinier
Dans la très belle collection « Ekphrasis » des Éditions Invenit, basée sur le principe du dialogue entre un écrivain et une œuvre muséale, Christine Van Acker décline un texte floral-cosmique, d’une écopoésie subtile, consacré au tableau Le vieux jardinier du peintre Émile Claus. C’est à partir du rayonnement d’Hélios qu’elle approche cette œuvre exposée à La Boverie à Liège et qu’elle déroule un texte-tournesol autour d’un artiste qui fut une des figures marquantes du luminisme. La confrontation relève de multiples registres : du registre existentiel dès lors que l’éclat héliaque du Vieux jardinier « sauve des vies », sauve « quelques mois » de celle de l’autrice au creux de l’hiver…
Que Faire ? n°7 : Vincent Engel. L’absence révoltée
Créer des mondes de fiction, construire des « romansonges » dans le sillage du « mentir-vrai » d’Aragon, laisser courir sa pensée, son imaginaire sur une multitude de claviers d’orgue… telles sont les trois thèmes musicaux qui se dégagent si l’on tente de condenser l’œuvre de Vincent Engel, tout à la fois écrivain, dramaturge, professeur de littérature contemporaine à l’Université catholique de Louvain, directeur de revue (il a repris la direction de Marginales ), directeur du Pen Club Belgique, éditeur. Dans le numéro 7 de la revue Que faire ? , les écrivains Jean-Pierre Legrand et Philippe Remy-Wilkin consacrent un dossier éblouissant qui se focalise sur le cycle toscan intitulé Le monde d’Asmodée Edern (réédité en 2023, Asmodée Edern & Ker Éditions). Œuvre majeure de Vincent Engel, le quatuor Retour à Montechiarro (Fayard, 2001), Requiem vénitien (Fayard, 2003), Les absentes (Lattès, 2006), Le miroir des illusions (Les escales, 2016), précédé par Raphael et Laetitia (Alfil/L’instant même, 1996), couronné par Vous qui entrez à Montechiarro (Asmodée Eder, & Ker Editions, 2023), délivre une saga romanesque qui, traversant des générations, des époques, auscultant les dessous de l’Histoire, se tient sous le regard d’un personnage éternel, Asmodée Edern. Comme l’analysent Jean-Pierre Legrand et Pierre-Remy Wilkin, Asmodée Edern s’éloigne de la figure démoniaque d’Asmodée dans l’ Ancien Testament et campe un ange bienveillant.Afin d’interroger le cycle toscan de Vincent Engel, qui, sous certains aspects rappelle Le quatuor d’Alexandrie ou Le quintet d’Avignon de Laurence Durrell, les auteurs plongent à mains nues dans l’architecture de chacun des tomes, mettent en évidence la maestria du romancier dans les jeux de construction formelle, le fil rouge de la musique, les questions de la judéité, de la condition humaine (baignée par l’ombre lumineuse d’Albert Camus), des luttes au niveau individuel et collectif entre les forces du bien et du mal ou encore les amours magiques, impossibles. On voyage entre l’analyse des périodes charnières de l’Italie que Vincent Engel met en scène, du repérage des récurrences de séquences historiques prises dans la répétition d’invariants anthropologiques et le décryptage des jeux littéraires, entre les lignes contrapuntiques des thèmes et des personnages et les mises en abyme du vécu, de la pensée de l’auteur dans les plis de la fiction. Vincent Engel a offert une machine de guerre romanesque et littéraire de très haut vol, qui combine la création pure et l’autofiction mais sans ostentation, sans « mauvais égocentrisme », l’appréhension du monde et de l’autre passant nécessairement par une quête de soi ouverte et généreuse, la construction d’un récit. Levier d’une action sur le réel, d’une relecture plurielle des faits soumis à l’imaginaire du créateur, la fiction s’inscrit, pour Vincent Engel, dans un art romanesque générateur de complexité. Au travers de ses dédales, de ses puissances illimitées, de ses brouillages entre vécu et réalité, par l’art d’une variation dans la focale, la fabulation permet de dévoiler des pans de réel, de faire de l’imaginaire un royaume à effets réels. Elle s’affirme comme une terre de mots apte à libérer des vérités cachées, insupportables ou désireuse d’enfouir les vérités intimes et extérieures sous des voiles qui les rendent inaccessibles. Évoquant le personnage d’Asmodée Edern, alias Thomas (ou Tommaso) Reguer, Vincent Engel écrit : « il n’a d’autre volonté que d’ouvrir les êtres qu’il croise aux multiples destinées qui s’offrent à eux. » On y lira un autoportrait du romancier. Le romancier en tant que jongleur qui assemble les facettes de vies diverses afin d’en jouer comme d’un miroir qu’il nous tend. Véronique Bergen Plus d’information Vincent Engel, né en 1963, est devenu assez jeune, au tournant des années 2000, dans le sillage de ses romans Oubliez Adam Weinberger (2000) et Retour à Montechiarro (2001), une figure référentielle de nos lettres. Un parcours très riche et très varié, dont rendent compte sa fiche Wikipedia ou son site personnel, impressionnants (il enseigne la littérature contemporaine à l’Université Catholique de Louvain, il a monté des spectacles avec Franco Dragone, écrit plusieurs pièces de théâtre, etc.). Celui d’un auteur aux dons multiples mais d’un homme très engagé aussi (il a repris la direction de la revue Marginales ou du Pen Club Belgique, créé le site mémoriel Liber Amicorum, etc.). J’ai lu naguère avec plaisir quatre de ses livres (Les diaboliques, Alma viva, Les vieux ne parlent plus, Le miroir des illusions) mais une cinquième lecture, celle de son renommé Retour à Montechiarro, m’a bouleversé : je me sentais plongé dans un ouvrage majeur, d’une puissance rarement croisée en francophonie. Une sollicitation de la Revue générale m’a présenté l’opportunité de lui consacrer un article, paru en mars 2023. Lors de la préparation de celui-ci, en fin 2022, un échange avec l’auteur m’a révélé ce que j’assimilais à un deuxième signe (une deuxième synchronicité jungienne ?) : l’ensemble du « cycle toscan » allait être réédité en mai 2023. Je me suis immergé dans la fresque complète. Sa richesse et sa capacité à se renouveler m’ont sidéré, elles appelaient un traitement original et approfondi, j’ai sollicité l’intervention de Jean-Pierre Legrand, mon complice de maints dossiers dialogiques (Véronique Bergen, Luc Dellisse,…
Les chroniques de Mapuetos (Volume 7) : Le totem d’Imyriacht, 252 portraits oniriques (2016-2023)
Patrick Lowie est un drôle d’écrivain (comme on dit un drôle d’oiseau). Il imagine des projets littéraires pour l’emmener où seul Marceau Ivréa sait, Marceau Ivréa, cet écrivain énigmatique qui lui a confirmé l’existence rêvée de Mapuetos, « la ville qui n’existe pas dans un monde qui n’existe pas ». Des voyages oniriques pour se perdre, se re-trouver au-delà du monde réel, castrateur d’imaginaire et de poésie. Il rêve et conçoit ces aventures au long cours pour générer une écriture hors-piste, poétique, automatique, parfois ésotérique, toujours exploratrice d’inconscient. Mais pour que ces incursions en terres et mers inconnues puissent continuer leur excursion, ne pas s’épuiser, il a besoin, nous semble-t-il, de trois choses : un point d’attache, des balises, des gens pour lui emboîter le pas, prendre les devants et la tangente. Le point d’attache : son nom. Patrick Lowie. Qu’il dissémine et rive dans de nombreux portraits (mais pas dans le sien). Parfois il note : Monsieur Lowie, quand il est interpellé par ses portraiturés. À son nom, qui s’écrit « Lowie comme Bowie », il accole souvent ses fonctions, sortes d’autodéfinition : conteur de rêves, percepteur des invisibles, clinicien des rêves, motivateur, écrivain, éditeur, poète, polyglotte et éternel suspect, etc. Cette répétition obsessive et nominative le retient de s’anéantir dans les rouleaux et les éruptions d’écriture automatique, redonne force à son ego. Son nom est le signifiant auquel il s’agrippe pour revenir là d’où tout part et où tout ne finit pas, là où il est homme avec ses besoins de liberté et de passion.Les balises : les recueils des portraits oniriques qu’il écrit et publie sur internet depuis 2016 : deux volumes parus aux éditions P.A.T, l’un en 2017, 111 portraits oniriques, Les chroniques de Mapuetos n°4 , Next (F9), l’autre en 2020 , 66 autres portraits oniriques, Les chroniques de Mapuetos n°6 et une première intégrale, très bel objet de papier, sortie au mois de juin aux éditions Maelström reEvolution : Le totem d’Imyriacht, 252 portraits oniriques (2016-2023) . Ce dernier recueil reprend les textes des deux premières livraisons ainsi que ceux publiés depuis sur le site www.mapuetos.com [1] . Dès les premières pages, les portraits en eux-mêmes perdent de leur importance au profit des tribulations vers les « champs invisibles ». Cette compilation des textes en livre – atlas sans cartes – assure à Patrick Lowie la cohérence de sa démarche, l’existence de s/ces rêves les plus émancipés, étapes nécessaires, toujours recommencées et déplacées vers Mapuetos.Les gens pour lui emboîter le pas … : les compagnes et les compagnons de rêve, de voyage, sans oublier ceux des autres (non-)genres – Patrick Lowie n’exclut personne dans son exploration du monde inconscient, même ceux qui prétendent ne pas retenir leur rêve. Avec chacun·e, il crée une étape originale de sa folle équipée, et ce, à partir d’un rêve rêvé par elles, eus, eux, par lui, un rêve qui se métempsychose en texte onirique qui les dit elles, eus, eux, qui le dit lui, qui invente une géographie multilingue et multisite, une géographie mythique avec pour non-centre du monde Mapuetos et Imyriacht, son volcan totem en éruption. Comme nous ne pouvons citer tous ces gens du voyage – il y a des inconnu·es, des artistes, des personnes de plusieurs pays et de plusieurs disciplines, des mort·es aussi – nous préférons n’en nommer aucun, mais nous redisons simplement que sans elles, sans eus, sans eux, sans leur être-même, cette fabuleuse aventure littéraire vers Mapuetos resterait lettre morte, ce qui serait le plus affreux des cauchemars. Michel Zumkir [1] Le site internet Next (F9) sur lequel Patrick Lowie a publié nombre de ces portraits n’est plus tenu à jour et va disparaître, il est maintenant remplacé par le site http://www.mapuetos.com Plus d’information Depuis 2016, Patrick Lowie a écrit 252 portraits oniriques avec le consentement et la participation des portraituré∙e∙s : 118 femmes, 131 hommes et 3 autres genres. Ce recueil est le 7e épisode des Chroniques de Mapuetos. …