Auteur de Éloge du génie – Vilhelm Hammershøi, Glenn Gould, Thomas Bernhard
Dès les premières pages de son Éloge du génie, Patrick Roegiers nous livre une définition très personnelle des génies (en tout cas dans le domaine artistique car ne sont pas abordé.e.s ceux ou celles issu.e.s du monde scientifique par exemple). À ses yeux, ils « ne sont pas de doux dingues, des individus anormaux, bizarres ou délirants (…) », mais « des êtres singuliers dans leur façon d’exister, de voir ou de raconter le monde, et de créer (ou de crier ?). »S’intéresser à des artistes n’est pas une première pour Patrick Roegiers qui, rappelons-le, fut homme de théâtre à ses débuts. Son imposante bibliographie qui compte plus de cinquante titres, essais compris, mentionne de nombreux talents comme Fragonard,…
Pédagogue de terrain au long cours, Françoise Chatelain est une praticienne passionnée, une vraie : professeur de français dans un athénée hennuyer pendant près de trente ans, elle est aujourd’hui inspectrice « de l’officiel » après avoir obtenu un doctorat à l’ULB (chez le Prof. Paul Aron, avec qui elle a signé un Manuel et anthologie de littérature belge à l’usage des classes terminales de l’enseignement secondaire , publié au Cri en 2009). Explicitement sous-titré Anthologie historique commentée , son dernier-né, intitulé Enseigner la littérature française en Belgique francophone , est le fruit ô combien comestible de cette thèse de doctorat. Car l’ouvrage est à la fois roboratif et digeste, savoureux et piquant. Parcourant plus d’un siècle et demi de programmes et de manuels, de théories et de pratiques pédagogiques dans l’enseignement du français, il ne cache rien des us et coutumes réellement vécus dans les classes ni des coups de sang et de gueule de francs-tireurs du métier. Pas plus d’ailleurs que des récits d’anciens potaches, quand ceux-ci, devenus écrivains, en font la matière même de leurs œuvres.Cela nous vaut de délicieux morceaux… d’anthologie ! Ainsi le grand Verhaeren n’hésitait-il pas à écrire au début du siècle dernier : « L’enseignement d’il y a vingt ans avait pour but sournois de vous dégoûter du génie. On choisissait les chapitres qui voisinaient avec les lieux communs les plus aplatis. On n’étudiait point un écrivain ; on vérifiait l’observation des règles dans un livre. »Le poète et essayiste Iwan Gilkin, un des « patrons » du mouvement littéraire de la Jeune Belgique, qui termina sa rhéto en 1876 à l’Institut Saint-Louis de Bruxelles, dénonce ci-après l’apprentissage des figures de style (pensum artificiel qu’on impose pourtant toujours à nos collégiens d’aujourd’hui !). « Il est nécessaire que les écoliers apprennent à distinguer le langage simple ou exact du langage figuré, mais la nomenclature et la classification des figures ne sont que passe-temps de grammairiens sur lesquels il est ridicule de les faire pâlir. C’est le picotin des Vadius et des Trissotin ; le véritable écrivain les emploie sans même y penser, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Tout ce que les écoliers en tirent, c’est un répertoire d’injures savantes qu’ils se lancent à la tête durant les récréations : sale catachrèse ! ou prosopopée de malheur ! » Manifestement, Hergé et le capitaine Haddock avaient pratiqué Iwan Gilkin…Mais, trêve de plaisanterie, l’anthologie de Françoise Chatelain est avant tout un solide ouvrage sérieux qui offre à son lecteur une éclairante dimension historique explicitée par des commentaires jamais pédants. De plus, les pratiques récentes et contemporaines ne sont pas oubliées, loin de là, puisque nombre d’acteurs et de témoins de ces dernières années sont appelés à la barre. Témoignent ici les Quaghebeur, Klinkenberg, Aron, Rosier, Dumortier, Dufays… Passionnant !Un livre à conseiller à tout prof de français, à imposer à chaque inspecteur de la discipline, à faire mémoriser par tout chercheur en pédagogie, à injecter en intraveineuse à chaque ministre de l’Enseignement. Christian LIBENS…
Promenade sur Marx : Du côté des héroïnes
Au lieu de suivre la piste de ceux qui font l’histoire, Valérie Lefebvre-Faucher propose avec Promenade sur Marx de faire attention à l’implication de ces femmes bien souvent en marge du cadre. Car si le chemin le plus connu est bien souvent le plus réducteur, faisons ce détour (bienvenu) pour comprendre l’histoire des écrits de Marx, que dis-je, des femmes Marx. Au lieu de suivre la piste de ceux qui font l’histoire, Valérie Lefebvre-Faucher propose avec Promenade sur Marx de faire attention à l’implication de ces femmes bien souvent en marge du cadre. Car si le chemin le plus connu est bien souvent le plus réducteur, faisons ce détour (bienvenu) pour comprendre l’histoire des écrits de Marx, que dis-je, des femmes Marx. Valérie Lefebvre-Faucher, titulaire d’une maîtrise en création littéraire et autrefois éditrice au Remue-ménage et chez Écosociété, a un goût pour les écrivaines. Dans un style clair et parsemé d’humour, l’auteure inscrit parfaitement son propos dans la collection micro r-m qui propose, à travers des courts textes, d’enrichir la réflexion politique et philosophique autour des enjeux du féminisme. Ce qu’aime Valérie Lefebvre-Faucher, c’est enquêter sur les liens qui unissent les écrivains, et tout particulièrement les écrivaines, et c’est bien là que se joue son projet d’écriture dans Promenade sur Marx . C’est une découverte qui l’obligera (pour son grand plaisir) à s'éloigner du sentier tout tracé de l’histoire, balisé depuis des années et tenant comme seul et unique chemin praticable. Avant de prendre l’autoroute des idées, il a d’abord fallu construire collectivement des chemins alternatifs, au grand dam de celles et ceux qui aiment les choses bien rangées. « Je suis toujours étonnée de croiser ceux qui ne marchent que sur les grands boulevards, qui ne lisent que les majuscules prétentieuses de l’histoire. Tout le monde sait pourtant que pour connaître une ville il faut en arpenter les ruelles. » Ce que Lefebvre-Faucher nous fait comprendre d’emblée est la toile de relations qui se cachent derrière chaque grand concept. Loin de l’idée romantique d’un génie créateur aux réflexions individuelles, Promenade sur Marx met en lumière ces femmes cachées dans l’ombre des statues élevées à la gloire de ces hommes-penseurs. Car, de l'œuvre de Karl Marx, qui connaît l’influence de Jenny Caroline et Laura Marx sur les idées de leur père ? Qui a pris connaissance des écrits d’Eleanor Marx ? Dans une pensée qui prône l’égalité, qu’en est-il de celle entre hommes et femmes ? « Rien n’est simple quand on cherche les femmes de l’histoire, car les bons filons finissent souvent en cul-de-sac. » Les deux filles aînées de la famille, Jenny Caroline et Laura Marx, autour de 1865. (photographe inconnu.e, Wikimedia Commons) C’est ici que le féminisme entre en piste, un féminisme matérialiste (lié à la pensée marxiste). Notre auteure s’étonne du peu d’informations disponibles à propos des femmes de la famille Marx, malgré leur implication : Jenny, la femme de Marx, professeure à l’université et auteure de critiques de théâtre, sera surtout la recherchiste, la transcriptrice, l’éditrice et la correctrice de son mari et de ses amis penseurs, tandis que Laura Marx traduira en français Le Manifeste du parti communiste . On retrouve aussi chez Eleanor Marx des réflexions sur le travail domestique et la condition féminine : comment militer pour l’égalité de toutes les femmes et de leur émancipation si le travail du foyer, qu’elles doivent endurer, doit alors être pris en charge par une domestique ? Dans ce court essai, Valérie Lefebvre-Faucher nous fait comprendre que, si la pensée des femmes n’a pas toujours eu la place pour éclore, c’est aussi par un manque de possibilités. Si votre vie est rythmée par les tâches du foyer et l’éducation de vos enfants, cela vous laisse moins de temps pour débattre d’émancipation sociale en fumant le cigare avec vos amis, n’est-ce pas ? Il est intéressant d’observer notre monde à travers cette réflexion, et on remarque ainsi que les personnes qui peuvent engager un changement sont aussi ceux et celles qui en ont les moyens : le temps, l’espace de pensée et l’aspect financier. Il en va de même pour ceux et celles qui façonnent leur pensée, par la lecture, comme vous et moi en ce moment-même. Alors, si vous trouvez le temps d'entamer une promenade parmi les idées, je vous invite à ne pas toujours suivre les sentiers balisés, et vous serez peut-être surpris de la diversité des pistes délaissé e s et oublié e s. « Chaque route bifurque vers une nouvelle vie, une œuvre de plus à découvrir. Il n’y a rien de surprenant : les humains pensent et créent ensemble. Écrire se fait à plusieurs. La philosophie est une forêt. » Avez-vous remarqué ce personnage en marge du cadre, dont on ne nous raconte pas l’histoire? Une enquêtrice décide de suivre la piste des femmes entrevues dans les portraits de Marx. Ses antennes féministes remuent en direction de l’héritage marxien: tant de gloire virile recouvrant une pensée d’égalité, c’est louche. Quel risque courons-nous si nous nous intéressons aux femmes qui étaient là? Une simple promenade qui, au final, chamboule tout. Vous qui possédez Le petit Karl comme un catalogue d’outils à dégainer dans toutes les situations, que savez-vous de l’œuvre d’Eleanor Marx? De l’influence de Jenny ou de Laura Marx? Camarades, quelqu’un vous a-t-il parlé d’elles pendant ces nombreuses années…