Auteur de Accents toniques. Journal de théâtre (1973 – 2017)
Auteur wallon, né en 1944. Licence en philologie romane, doctorat en philosophie et lettres de l'université de Liège (Thèse: La propagande inavouée, ed Christian Bourgois, 10/18, 1974). Licence d'études théâtrales à la Sorbonne. Dramaturge à l'opéra de la Monnaie (dir: Gerard Mortier). Professeur à l'Insas depuis 1990. Il a publié des essais sur le théâtre dans diverses revues belges et étrangères. Après ses études à l'Université de Liège et à l'Institut d'études théâtrales de la Sorbonne, il a travaillé comme dramaturge au Théâtre Royal de la Monnaie et dans plusieurs compagnies théâtrales à Bruxelles. Il enseigne l'histoire des textes dramatiques et de la mise en scène à l'INSAS. Il a écrit de nombreuses pièces qui ont été représentées en France et en Belgique. Citons entre autres: Neige en décembre (1988), Sans mentir (1989), Commerce Gourmand (1991), Le badge de Lénine (1992), Scandaleuses (1994), Les forts, les faibles (1994), Pièces d'identité (1997), 1953 suivi de Les adieux et Café des Patriotes (1998), Ventriloque (1998), Toréadors (1999).
Ses prix : Eve du théâtre (Belgique 1990). Prix triennal de la Communauté française de Belgique 1991 et 2002 . Prix “ Nouveaux talents ” de la SACD France 1992. Prix RFI (Radio France International 1994) pour sa pièce “ Les forts, les faibles ”. Prix Herman Closson de la SACD Belgique. Prix ado du théâtre contemporain ( Amiens/Picardie 2009/2010) pour “Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis”. Prix du lycée André Maurois de Bischwiller ( 2010) pour Spoutnik. Prix Soni Labou tansi pour Dialogue d’un chien…2015 Prix quinquennal de littérature de la Fédération Wallonie Bruxelles (avec Jean Louvet).
Le théâtre vu, regardé, lu, écrit, analysé, raconté par Jean-Marie Piemme en trois tranches temporelles permettrait de lire le presque demi-siècle qu’il nous donne à revisiter sur les scènes du monde et en Belgique francophone en particulier.Le public, l’intelligence du jeu, Brecht, le peuple (ce qu’on appelait il y a peu la « classe ouvrière »…), les systèmes de productions théâtrales dans tous leurs détours, les explorations répétées de certains auteurs de prédilections, la mise en scène qui résiste aux exigences du plateau et le transforme, les conflits idéologiques et esthétique majeurs qui ont marqué l’histoire de notre théâtre depuis ce que l’on a appelé le « jeune théâtre » (les années septante), le corps à l’opéra, l’École,…voilà…
Éloge du génie – Vilhelm Hammershøi, Glenn Gould, Thomas Bernhard
Dès les premières pages de son Éloge du génie , Patrick Roegiers nous livre une définition très personnelle des génies (en tout cas dans le domaine artistique car ne sont pas abordé.e.s ceux ou celles issu.e.s du monde scientifique par exemple). À ses yeux, ils « ne sont pas de doux dingues, des individus anormaux, bizarres ou délirants (…) », mais « des êtres singuliers dans leur façon d’exister, de voir ou de raconter le monde, et de créer (ou de crier ?) . » S’intéresser à des artistes n’est pas une première pour Patrick Roegiers qui, rappelons-le, fut homme de théâtre à ses débuts. Son imposante bibliographie qui compte plus de cinquante titres, essais compris, mentionne de nombreux talents comme Fragonard, Simenon, Lewis Carroll, Diane Arbus, Topor, Lartigue, Magritte, Doisneau pour n’en citer que quelques-uns, sans oublier les recueils de textes L’œil vivant , L’œil multiple , L’œil complice et L’œil ouvert , consacrés à la photographie.Cette fois, il nous donne une vision singulière sur le parcours de trois artistes sur lesquels il porte un regard singulier, pour avoir côtoyé intérieurement leur œuvre. Un peintre, un musicien, un écrivain avec lesquels il entretient une relation intime : « Les trois créateurs qui font l’objet de ce livre n’ont pas été choisis par hasard. Je les admire et j’aime leur œuvre depuis longtemps. Vilhelm Hammershøi en peinture, Glenn Gould en musique et Thomas Bernhard en littérature ont consacré leur vie à leur art avec une exigence, une modernité et une audace incomparables. Leur personnalité n’est pas celle de chacun. Les manies, les obsessions, les phobies, qui vont parfois jusqu’à la folie, m’ont toujours fasciné. Les génies ne sont pas des excentriques, mais des excentrés. » Du peintre Hammershøi, né à Copenhague en 1864, Roegiers admire la peinture quasi domestique, reflet de la vie conjugale, en retrait du monde, dans un temps suspendu qui serait précisément celui du génie. Tout semble abordé en retenue : la présence humaine, celle de « l’épouse modèle », est réduite à l’essentiel, les teintes et les couleurs sont estompées.De Glenn Gould, Roegiers met en exergue le dernier concert, à Los Angeles, le 10 avril 1965, devant deux mille spectateurs alors que le génial pianiste préférait jouer pour lui-même, car « l’art implique de se retrancher du monde ». Il a 32 ans. Il ne fera plus que du studio pour les dix-huit ans qui lui reste à venir. « Sa vie est une énigme », écrit Roegiers en auscultant les manies assez extravagantes de l’artiste, des manies qui lui permettaient d’affronter son public dans une forme de combat au sommet. Des combats de légende.Avec Thomas Bernhard, Patrick Roegiers approfondit ce sentiment que les génies auraient de vivre en périphérie de l’existence commune. Pour y arriver, l’écrivain autrichien va construire, jusqu’à la perfection, un sentiment d’échec, enraciné dans des catastrophes de l’enfance. Son diagnostic sera sans appel : « Tout a été détruit en moi ». Misanthrope et provocateur, il cultive la haine des autres comme un révélateur de la haine de soi, qu’il va entretenir en haute solitude.Roegiers partage son admiration pour ces artistes hors du commun auscultant des chapitres de leur existence tourmentée avec érudition et attachement. On le sent proche d’eux. On ressent la tendresse lucide et fraternelle qu’il éprouve à leur égard. Et on sort de ce livre court mais dense avec une envie singulière de se confronter à ces œuvres nées d’un tumulte intérieur. Ou d’y retourner avec Roegiers…
Cultures des lisières. Éloge des passeurs, contrebandiers et autres explorateurs
Cultures des lisières. Un beau titre, plein de promesses, au sous-titre excitant Éloge des passeurs, contrebandiers et autres explorateurs , pour le livre dans lequel Jean Hurstel, acteur passionné, engagé de la vie culturelle, particulièrement dans le domaine théâtral, retraverse son parcours avec autant de rigueur que de franchise et de sensibilité.De Strasbourg où il s’inscrit à seize ans à l’École supérieure d’Art dramatique, qui vise à former des acteurs pour aller au-devant des publics populaires, puis, étudiant en philosophie à l’Université, y créait le Théâtre universitaire, à Bruxelles où il préside depuis dix ans les Halles de Schaerbeek, c’est un itinéraire aux multiples étapes qu’il revit avec nous. Porté par l’ardente conviction que toute politique culturelle doit se fonder sur l’histoire de l’art, la création artistique, mais aussi sur la rencontre avec les populations trop souvent oubliées de la culture officielle, celles des zones industrielles désaffectées, des périphéries urbaines, des campagnes abandonnées. Tout juste sorti du Centre dramatique, il participe avec d’autres jeunes comédiens aux Tréteaux de l’Est qui partaient, à bord d’un autocar brinquebalant mais « dans la grande ferveur des commencements », convertir les populations villageoises de la plaine d’Alsace aux beautés de la culture par la grâce du théâtre. Mais ces militants enfiévrés du théâtre populaire ne trouvaient, au bout de leurs périples, qu’une maigre assistance de notables (sous-préfet, maître d’école, pharmacien…) et jamais le public populaire espéré.Impossible d’en rester là, de renoncer à ce rêve de porter la culture à ceux qui en sont éloignés.Jean Hurstel fait ses premières armes d’animateur culturel à Belfort (1969-1970), invité par le comité d’entreprise de l’usine Alsthom. Il propose aux ouvriers de mettre sur pied un atelier théâtral pour monter deux œuvres originales qui seront pleinement d’eux et à eux. La réponse sera magnifique. Nous suivons la construction collective d’une fiction à partir des récits-témoignages de chacun. Œuvre commune, transposée à la scène et jouée dans des cantines d’usines, sous une tente de cirque, dans les combles d’un collège… L’animateur novice n’oubliera jamais « l’énorme potentiel de créativité et d’énergie de ceux d’Alsthom ».Après Belfort-Alsthom, Montbéliard-Peugeot. Engagé au Centre d’Action culturelle de la ville dont Peugeot est « le moteur, l’aimant, le centre », il décrit « un intense voyage de sept ans » qui commença par les visites aux ouvriers de l’usine Peugeot, dans leurs blocs bétonnés, qui accueillent amicalement « cet hurluberlu venu d’une planète inconnue appelée la culture ». Entretiens, échanges, reconnaissance mutuelle. « Petits brandons allumés soir après soir dans les salons des tours HLM », qui produiront, ici un feuilleton théâtral ; là un atelier créatif pour les jeunes, prompts à la bagarre, où la sœur de Simone de Beauvoir, Hélène, plasticienne, invitée à s’y investir, fera merveille, désamorçant les querelles par ses façons délicates et respectueuses envers eux. Les idées germent, des liens se nouent. Culminant dans une grande fête envahissant le centre-ville, le quartier « des gens bien », pris d’assaut dans l’allégresse de cortèges hauts en couleur.À cette époque, Jean Hurstel prend part à des sessions du Conseil Européen et se lie d’amitié avec des représentants de notre ministère de la Culture, tel Henry Ingberg, et collabore à diverses initiatives en Belgique, notamment l’action du Théâtre de la Communauté de Seraing et le lancement de la Formation des comédiens-animateurs.L’aventure se poursuit, contée avec verve, émaillée d’anecdotes, de portraits croqués sur le vif, d’expériences variées, de hauts et de bas, mais gardant le cap : « Allumer de minuscules feux en espérant grande flambée ».Objectif : varier les démarches, chercher toujours de nouveaux chemins vers l’autre, inventer des approches d’un échange vrai, découvrir et promouvoir un imaginaire populaire, ouvert et fraternel. « Il faut toujours rêver ses révolutions avant de les accomplir. »En 1978, il est nommé directeur de l’Action culturelle du Bassin houiller lorrain, sa terre natale, « le pays des mines et des frontières », appelé aujourd’hui Moselle Est, comme s’il fallait effacer toute trace de son passé, « faire table rase de tout repère ».Jean Hurstel n’a cessé de combattre pour la diversité des cultures, contre la hiérarchie établie entre la Culture unique, universelle, l’Art, et les cultures populaires, regardées avec une sympathie condescendante. Or elles ne sont pas antagonistes mais complémentaires.Autre enjeu : dépasser les clôtures non seulement sociales mais aussi nationales. Avec quelques amis, il fonde en 1990 le réseau Banlieues d’Europe, sous l’invocation « l’art dans la lutte contre l’exclusion », qui se voue à repérer, éclairer des projets artistiques, au plus près des quartiers populaires, le plus souvent ignorés des autorités et des médias. À forger entre eux une chaîne de solidarité, de Belfast à Bruxelles, de Lyon à Bucarest. C’est ainsi qu’il salue Bernard Foccroule, à la base de l’association Culture et Démocratie, très active en faveur de la diversité culturelle et sociale de notre pays. Banlieues d’Europe, que Jean Hurstel préside pendant plus de dix ans, tient des réunions annuelles, notamment à Bruxelles, Anvers, Liège…Sur la proposition de la municipalité, il revient à Strasbourg pour diriger un futur centre consacré à la diversité des cultures. À ce Centre Européen de la jeune Création succède le Théâtre des Lisières, qui déploiera une activité effervescente, passionnante (entre toutes, il se souvient de la lisière avec les cultures turques), mais sera bientôt menacé, puis condamné.Et pourtant, « le monde des cultures reste à explorer, à faire vivre, à mettre en lumière ». Face au « royaume sublime des institutions culturelles officielles, légitimes, seules habilitées à nous offrir les biens et services culturels de ce temps », il importe de célébrer les passeurs, contrebandiers et autres explorateurs, qui franchissent hardiment la frontière et s’aventurent dans l’autre monde, complexe…