Ecrire après Auschwitz : Jorge Semprun, Primo Levi, Jean Cayrol, Imre Kertesz | Objectif plumes

Ecrire après Auschwitz : Jorge Semprun, Primo Levi, Jean Cayrol, Imre Kertesz

RÉSUMÉ

Écrire après Auschwitz ? Comment imaginer écrire, nommer l’innommable ?

Pierre Mertens nous invite à lire ces auteurs qui, revenus des camps de la mort, ont pris la parole. Il se penche autant sur leur façon de la prendre que sur leur mise en mots de l’abject.

Si, pour le philosophe Adorno, « l’art – et plus particulièrement la poésie – apparaissait comme impensable après Auschwitz », des auteurs ont pris le parti contraire : Paul Celan, Primo Levi, Robert Antelme, Jean Cayrol, Jorge Semprun, Micheline Maurel, Soazig Aaron et enfin Imre Kertész, récemment consacré par le Jury du prix Nobel.

Chacun de ces auteurs a écrit les camps en un langage propre et, paradoxalement, certains de ces passages par la fiction restituent plus de vérité encore qu’un témoignage.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Mertens

Auteur de Ecrire après Auschwitz : Jorge Semprun, Primo Levi, Jean Cayrol, Imre Kertesz

Toujours soucieuse de gratifier les œuvres d'un projet cohérent, la critique a souvent choisi celle de Mertens comme celle d'un observateur impitoyable de notre temps. Comme l'écrivait Paul Émond, «il constitue un point de repère symbolique pour toute une génération». Avec Mertens, c'est, en effet, différentes régions de l'esprit qui sont traversées : littérature et philosophie, critique littéraire et politique, droit international, cinéma, musique, opéra, théâtre. Sa passion de l'art n'a d'égale qu'un souci rigoureux du politique. Une même tension l'anime, dans son combat pour la modernité et contre les maquignonnages culturels lorsqu'il s'attache à faire entendre Semprun, Kundera ou Cortazar, ou quand il constitue, en 1976, le dossier spécial des Nouvelles littéraires, intitulé «L'Autre Belgique», et dans lequel apparaît le concept de belgitude. Pierre Mertens naît à Boitsfort, le 9 octobre 1939, date, se plaît-il à rappeler, qui est aussi celle de la décision prise par Hitler d'envahir la Belgique… Son père, journaliste, et sa mère, biologiste, se séparent pendant l'enfance du petit Pierre qui prétendra avoir eu l'avantage de pouvoir, dès lors, puiser à deux bibliothèques : celle plus spiritualiste et catholique de son père, celle plutôt laïque et de gauche, de sa mère. Lecteur boulimique, passionné dès l'école primaire, Pierre Mertens naît vraiment à la littérature lorsqu'il découvre, à l'âge de quinze ans, le journal de Kafka. Il dira plus tard : «Cette page tournée, une page de ma vie s'était tournée aussi : c'est la page qui m'a fait écrivain. L'homme qui avait pu écrire cela m'apportait la seule consolation écrire. C'était à la fois la maladie et le remède… On pouvait en mourir, donc en vivre.» Il entre en philologie romane à l'Université libre de Bruxelles, pour en sortir quelques semaines plus tard, de crainte de se dessécher et opte pour des études de droit. Cela ne l'empêche nullement d'écrire, pendant ses trois premières années universitaires, un manuscrit de deux mille pages intitulé Paysage avec la chute d'Icare qu'il retravaille et rebrasse : ses deux premiers romans, L'Inde ou l'Amérique et La Fête des anciens, ainsi que son premier recueil de nouvelles, Le Niveau de la mer, reprendront à leur manière des éléments de Paysage… Ils sont l'aboutissement d'un questionnement autobiographique détourné à propos de l'enfance et de ses blessures. Les romans qui suivent ne quitteront pas les thématiques individuelles, mais y associeront de plus en plus l'espace de l'Histoire : l'année de publication des Bons Offices (qui narre les rendez-vous ratés de Paul Sanchotte avec les grands événements de son temps et le dérisoire de ses médiations d'observateur international) sera aussi celle de L'imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l'humanité, un essai juridique. Menant de front son activité littéraire et ses exigences de juriste-citoyen, Mertens continue à s'intéresser au droit international et à la sociologie (il est docteur en droit et licencié en droit international de l'Université libre de Bruxelles). Professeur de littérature comparée à l'Institut national supérieur des arts du spectacle (I.N.S.A.S.) et chroniqueur littéraire au Soir depuis 1971, critique dans diverses revues françaises et étrangères, chargé de nombreuses missions d'observateur au Proche-Orient, en Europe de l'Est et dans le bassin méditerranéen, Pierre Mertens ne renonce ni à ses activités dans le siècle, ni à l'écriture. Il serait plutôt de ceux – très rares – qui parviennent à alimenter l'écriture à l'histoire et à nourrir cette dernière d'une vision politique et morale. C'est à cette veine étonnante qu'appartiendront Terre d'asile, roman intimiste sur le laminage de l'individu par le politique, Les Éblouissements, qui retrace le cheminement spirituel, les angoisses et les fragilités du poète et médecin allemand Gottfried Benn, Uwe Johnson, le scripteur de mur et Lettres clandestines. Son dernier roman, Une paix royale, concilie, dans son baroque chatoyant, d'une part, l'interrogation sur l'Histoire, de l'autre, les confidences très intimes dont Perdre, roman d'amour fou, théâtral, figure la tentative-limite. Par son insertion directe dans les événements qui ont entraîné l'abdication de Léopold III, Une paix royale a connu un large retentissement et suscité une action en justice qui lui a valu le soutien de plusieurs écrivains célèbres. Mertens semble donc bien, comme on l'écrivait dans Pierre Mertens, l'arpenteur, un écrivain de l'entrelacement de l'autobiographique et du mondial, du quotidien et des apocalypses toujours fiancés. Les ouvres critiques comme L'Agent double, les recueils de nouvelles, le livret d'opéra La Passion de Gilles, ainsi que les pièces Collision et Flammes rejoignent cette coulée d'écriture qui dessine l'épaisseur d'un imaginaire personnel hanté par l'éclatement et la dispersion, par la violence fondamentale du monde, les déchirements et les maladies du corps social et de l'histoire. Œuvre tragique que celle de Mertens, mais que le combat habite comme sa condition. Lutte incessante contre toutes les formes d'oppression et d'humiliation, contre l'exil extérieur ou intime. Et si ses personnages sont, on le sait, des êtres déchirés, en position essentiellement transitive, des dépossédés, le plus souvent, les textes leur font accomplir une curieuse dérive au-delà de la détresse, comme si la perte offrait aussi l'obscure possibilité d'un lointain dans une passion de l'ouvert, absolue. Jouant tantôt dans le registre de la simplicité nue, tantôt sur la causticité des dialogues, tantôt sur la gravité ou la sophistication raffinée, l'écriture de Mertens est aussi contestation esthétique et idéologique du récit classique comme des structures élémentaires d'un certain Nouveau Roman. L'Inde ou l'Amérique a obtenu le prix Rossel, tandis que le Prix triennal de la Communauté française récompensait les nouvelles d'Ombres au tableau (1982) et le prix Médicis 1987 Les Éblouissements. Traduite en plusieurs langues, l'œuvre de Pierre Mertens est largement reconnue au niveau international. Il a été élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises le 11 février 1989.

AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:auteur - "Ecrire après Auschwitz : Jorge Semprun, Primo Levi, Jean Cayrol, Imre Kertesz"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 9174 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Rue des Remberges

Voyage parmi les paysages et les auteurs aimés de J.-C. Pirotte : Chardonne,…

Fernand Severin. Le poète et son art

À propos du livre (Texte du 1er chapitre intitulé…

Que Faire ? n°7 : Vincent Engel. L’absence révoltée

Créer des mondes de fiction, construire des « romansonges » dans le sillage du « mentir-vrai » d’Aragon, laisser courir sa pensée, son imaginaire sur une multitude de claviers d’orgue… telles sont les trois thèmes musicaux qui se dégagent si l’on tente de condenser l’œuvre de Vincent Engel, tout à la fois écrivain, dramaturge, professeur de littérature contemporaine à l’Université catholique de Louvain, directeur de revue (il a repris la direction de Marginales ), directeur du Pen Club Belgique, éditeur. Dans le numéro 7 de la revue Que faire ? , les écrivains Jean-Pierre Legrand et Philippe Remy-Wilkin consacrent un dossier éblouissant qui se focalise sur le cycle toscan intitulé Le monde d’Asmodée Edern (réédité en 2023, Asmodée Edern & Ker Éditions). Œuvre majeure de Vincent Engel, le quatuor Retour à Montechiarro (Fayard, 2001), Requiem vénitien (Fayard, 2003), Les absentes (Lattès, 2006), Le miroir des illusions (Les escales, 2016), précédé par Raphael et Laetitia (Alfil/L’instant même, 1996), couronné par Vous qui entrez à Montechiarro (Asmodée Eder, & Ker Editions, 2023), délivre une saga romanesque qui, traversant des générations, des époques, auscultant les dessous de l’Histoire, se tient sous le regard d’un personnage éternel, Asmodée Edern. Comme l’analysent Jean-Pierre Legrand et Pierre-Remy Wilkin, Asmodée Edern s’éloigne de la figure démoniaque d’Asmodée dans l’ Ancien Testament et campe un ange bienveillant.Afin d’interroger le cycle toscan de Vincent Engel, qui, sous certains aspects rappelle Le quatuor d’Alexandrie ou Le quintet d’Avignon de Laurence Durrell, les auteurs plongent à mains nues dans l’architecture de chacun des tomes, mettent en évidence la maestria du romancier dans les jeux de construction formelle, le fil rouge de la musique, les questions de la judéité, de la condition humaine (baignée par l’ombre lumineuse d’Albert Camus), des luttes au niveau individuel et collectif entre les forces du bien et du mal ou encore les amours magiques, impossibles. On voyage entre l’analyse des périodes charnières de l’Italie que Vincent Engel met en scène, du repérage des récurrences de séquences historiques prises dans la répétition d’invariants anthropologiques et le décryptage des jeux littéraires, entre les lignes contrapuntiques des thèmes et des personnages et les mises en abyme du vécu, de la pensée de l’auteur dans les plis de la fiction. Vincent Engel a offert une machine de guerre romanesque et littéraire de très haut vol, qui combine la création pure et l’autofiction mais sans ostentation, sans « mauvais égocentrisme », l’appréhension du monde et de l’autre passant nécessairement par une quête de soi ouverte et généreuse, la construction d’un récit.  Levier d’une action sur le réel, d’une relecture plurielle des faits soumis à l’imaginaire du créateur, la fiction s’inscrit, pour Vincent Engel, dans un art romanesque générateur de complexité. Au travers de ses dédales, de ses puissances illimitées, de ses brouillages entre vécu et réalité, par l’art d’une variation dans la focale, la fabulation permet de dévoiler des pans de réel, de faire de l’imaginaire un royaume à effets réels. Elle s’affirme comme une terre de mots apte à libérer des vérités cachées, insupportables ou désireuse d’enfouir les vérités intimes et extérieures sous des voiles qui les rendent inaccessibles. Évoquant le personnage d’Asmodée Edern, alias Thomas (ou Tommaso) Reguer, Vincent Engel écrit : «  il n’a d’autre volonté que d’ouvrir les êtres qu’il croise aux multiples destinées qui s’offrent à eux.  »  On y lira un autoportrait du romancier. Le romancier en tant que jongleur qui assemble les facettes de vies diverses afin d’en jouer comme d’un miroir qu’il nous tend.    Véronique Bergen Plus d’information Vincent Engel, né en 1963, est devenu assez jeune, au tournant des années 2000, dans le sillage de ses romans Oubliez Adam Weinberger (2000) et Retour à Montechiarro (2001), une figure référentielle de nos lettres. Un parcours très riche et très varié, dont rendent compte sa fiche Wikipedia ou son site personnel, impressionnants (il enseigne la littérature contemporaine à l’Université Catholique de Louvain, il a monté des spectacles avec Franco Dragone, écrit plusieurs pièces de théâtre, etc.). Celui d’un auteur aux dons multiples mais d’un homme très engagé aussi (il a repris la direction de la revue Marginales ou du Pen Club Belgique, créé le site mémoriel Liber Amicorum, etc.). J’ai lu naguère avec plaisir quatre de ses livres (Les diaboliques, Alma viva, Les vieux ne parlent plus, Le miroir des illusions) mais une cinquième lecture, celle de son renommé Retour à Montechiarro, m’a bouleversé : je me sentais plongé dans un ouvrage majeur, d’une puissance rarement croisée en francophonie. Une sollicitation de la Revue générale m’a présenté l’opportunité de lui consacrer un article, paru en mars 2023. Lors de la préparation de celui-ci, en fin 2022, un échange avec l’auteur m’a révélé ce que j’assimilais à un deuxième signe (une deuxième synchronicité jungienne ?) : l’ensemble du « cycle toscan » allait être réédité en mai 2023. Je me suis immergé dans la fresque complète. Sa richesse et sa capacité à se renouveler m’ont sidéré, elles appelaient un traitement original et approfondi, j’ai sollicité l’intervention de Jean-Pierre Legrand, mon complice de maints dossiers dialogiques (Véronique Bergen, Luc Dellisse,…