Préface de Jean Tordeur
Textes de Jacques Detemmerman, Georges-Henri Dumont, Philippe Jones, Raymond Troussson
À propos du livre (4e de couverture)
Quelque soixante ans après…
Ellen Ripley : Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir
Christophe MEUREE , Ellen Ripley. Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir , Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2025, 128 p., 13 € / ePub : 8,99 € , ISBN : 978-2-39070-212-2Eût-il fallu attendre, patiemment, la naissance d’un écrivain tel que Christophe Meurée , alien au sein des lettres (cette personne étant – au même titre que Sigourney Weaver, actrice qui a incarné Ellen Ripley – au croisement de la recherche, de l’enseignement et de l’art) pour comprendre davantage qui est ce personnage d’Ellen Ripley ? Ce personnage un peu bizarre de la saga Alien qui accouche de trucs tout aussi monstrueux, peu importe la forme ? Nous en sommes certains : Christophe Meurée, en digne descendant de cette dernière, au travers de son ouvrage Ellen Ripley. Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir , édité dans la collection « La fabrique des héros » aux Impressions nouvelles, a lui aussi engendré un monstre. Et non des moindres. Cet opus, à la fois d’une érudition étourdissante qui ravira les plus fanas de la saga Alien et d’une limpidité quant aux problématiques que soulèvent cette fameuse femme plus ou moins fictive qu’est Ellen Ripley, possède tout pour nous emporter à bord d’un vaisseau spatial, où tout ce qui se contient en nous se libère, se délivre. Le livre : une espèce d’ ovni où la lecture se pose comme un labyrinthe avec force renvois, références au sein de lui-même (comment formuler ? nous sommes aussi monstres dans notre parole), sans trop en dire ni trop en rajouter. Il invite le lecteur à la plus grande concentration qui soit. En plein cœur de la vie, donc. Quoique… Pour comprendre Ripley, il faut la voir à la fois comme un tout cohérent et comme un mythe éclaté, dont les sources ne sont pas entièrement fiables, dont on cherche inlassablement à saisir la valeur archétypale. […] Il faut la voir comme celle qui survit à la réécriture perpétuelle de son propre destin tragique, à son cauchemar sans fin. Ellen Ripley, personnage insaisissable par excellence puisqu’aucun réalisateur de la saga Alien n’aura su, selon Meurée, la « posséder », « ne propose aucune utopie : juste une fuite, une échappée belle vers la vie même, cette vie nue, parfois monstrueuse ». Christophe Meurée a pris le personnage à rebours, en y décelant des grandes lignes de force : « Témérité », « Féminité », « Médiumnité », « Immortalité » pour n’en citer que quelques-unes, où l’écrivain a apposé/opposé un contrepoint qui vient faire force d’équilibre. Là est la grande force du livre : à l’instar des aventures d’Ellen Ripley, rien n’est figé. Rien. Tout donne à penser, à tel point que le lecteur, potentiellement, ne sait plus ce qui pèse davantage, tout est matière à accoucher, sans s’efforcer, d’une pensée monstre. Il faut revoir tous les films.Ce qui frappe peut-être à la lecture de ce livre est l’accent mis sur la survivance , quelle que soit sa forme : convoquant des auteurs, références ou techniques cinématographiques, Christophe Meurée envisage aussi, discrètement, le personnage d’Ellen Ripley sous l’angle de la temporalité. À travers elle, il interroge aussi le lien à la technologie, aux problématiques qui engagent ou gangrènent notre époque. À ce titre, après avoir fini la lecture de cet opus magistral, nous ne serons peut-être pas totalement sûrs d’avoir cerné qui est Ellen Ripley. Et heureusement car c’est là une caractéristique aussi éblouissante que fondamentale de ce livre : « juste une fuite » – juste une fuite. Jusqu’au prochain alien . Charline Lambert Plus d’information « Dans l’espace, personne ne vous entend crier », annonçait la phrase d’accroche de l’affiche française d’ Alien en 1979. Pourtant, la voix de Ripley, « last survivor of the Nostromo », continue de résonner à travers l’espace et le temps, de films en comics , de jeux vidéo en évocations romanesques, théâtrales ou philosophiques. Si le xénomorphe est souvent considéré comme le personnage principal du film, c’est Ellen Ripley qui en est l’héroïne : ce duo indissociable de l’alien et de la femme qui le met en échec à chaque nouvelle rencontre a profondément marqué la science-fiction de son empreinte. Né dans l’imagination de Dan O’Bannon et Ronald Shusett, le personnage de Ripley n’était pas destiné à être de sexe féminin. Pourtant, c’est bien à Sigourney Weaver, jeune comédienne issue du théâtre, que Ridley Scott confie le rôle principal du film qui lancera leurs carrières respectives. Ripley apparaît dans quatre longs-métrages signés par des réalisateurs de talent : Alien (Ridley Scott), Aliens (James Cameron), Alien 3 (David Fincher) et Alien Resurrection (Jean-Pierre Jeunet). Si réalisateurs et scénaristes sont tous de sexe masculin, il n’empêche qu’ils ont tous participé à la création de l’un des modèles d’héroïne parmi les plus puissants de la fiction contemporaine : une femme qui se révèle forte dans l’épreuve, capable de surclasser n’importe quel homme, tout en assumant pleinement sa vulnérabilité. Le lieutenant Ellen Ripley lutte non seulement contre une espèce extraterrestre parasitaire mais aussi contre un empire technologico-financier avide de profit et prêt à tous les sacrifices (surtout ceux d’autres êtres humains) pour s’approprier la pure puissance de l’alien. Éternelle survivante, Ripley se voit condamnée à une errance sans fin (jamais elle ne retourne sur la Terre, sinon en la survolant, à la fin du quatrième opus, alors qu’elle n’est déjà plus tout à fait humaine, produit d’un clonage qui a mêlé l’ADN humain et l’ADN du xénomorphe). Si elle est femme, mère, profondément humaine, elle tend irrémédiablement vers la monstruosité inhumaine que lui assigne ce rôle d’éternelle survivante, capable de prédire le futur immédiat (les dangers de l’action ou de l’inaction) comme le lointain (les dérives de l’humanité). Héroïne, Ripley l’est en ceci qu’elle représente ce qui, de l’avenir d’une humanité dévoyée, est…
Une sobriété créative. Louis Bosny architecte 1924-1983
Durant les années 1920-1930, la région liégeoise ne connait pas ou peu le grand vent de modernité culturelle et artistique qui pénètre les cercles de Bruxelles, Anvers ou Gand, dans le sillage, à la même époque, des pays limitrophes et de leurs capitales. On cite toujours la revue Anthologie (1920-1940) créée par le poète et écrivain Georges Linze (1900-1993), co-fondateur du Groupe d’Art Moderne de Liège, fervent défenseur des techniques nouvelles, de la vitesse et d’une forme particulière de futurisme, qui séduisit quelques artistes liégeois. Mais Linze et ses amis font figure d’exception… avec, certainement, l’architecture, où les influences du modernisme sont davantage présentes. La montée en puissance, au milieu des années 1930, du Parti ouvrier belge (POB), et à Liège, de quelques hommes politiques (comme l’échevin Georges Truffaut), soucieux de transformations urbanistiques et du déploiement économique du bassin industriel, vont avoir une influence grandissante sur les décennies suivantes. Leur terrain d’action ? Ce domaine connexe à la culture, où progrès social et modernité pourront s’associer par des expressions innovantes : le paysage urbain, le développement d’une architecture fonctionnelle et de bien-être, la construction de logements et d’infrastructures communautaires (bains publics, écoles, hôpitaux, cités-jardins…), vaste programme d’initiatives pour la plupart financées par les pouvoirs publics.La fin du conflit en 1945, la nécessité de reconstruire au mieux la métropole secondaire qu’est Liège, le financement du Plan Marshall, vont offrir des possibilités inédites à de nombreux architectes. Certains étaient antérieurement déjà actifs collectivement, comme le groupe L’Équerre (et sa revue publiée de 1928 à 1939). D’autres naissent à partir de projets – tel le groupe EGAU , qui réalisera les tours de la cité de Droixhe entre 1951 et 1971, non sans avoir observé l’Unité d’habitation de Marseille conçue par Le Corbusier et Charlotte Perriand entre 1947 et 1952. Dans le même temps, des individualités aujourd’hui largement reconnues vont émerger, comme les frères Moutschen, Georges Dedoyard, Claude Strebelle, Lucien Kroll, Charles Vandenhove…Grâce à l’ouvrage monographique, riche en recherche d’archives, documents, photos et nombreux témoignages, recueillis et analysés par Jean-Michel Degraeve – lui-même architecte-urbaniste et conseil, notamment au sein de sociétés publiques de logement social en Wallonie –, un nom peu connu jusqu’ici sort de l’oubli, celui de l’architecte Louis Bosny . Né en 1924 à Liège dans une famille socialiste, étudiant dissipé à l’Académie des Beaux-Arts, il quitte la Belgique en 1939, et se retrouve durement interné en Espagne. Après moult péripéties, il rejoint le Congo et s’engage, d’abord au sein des troupes coloniales belges en Afrique, puis au sein des forces spéciales britanniques. Démobilisé en 1945, à 21 ans, Bosny entreprend des études d’architecture à Liège, et va réussir brillamment et en un temps record son cursus. Architecte indépendant dès 1949, il va ensuite être intégré, avec d’autres, au développement des constructions de logements sociaux, à Liège et dans sa proche périphérie industrielle. Aperçu rapide et partiel : à 30 ans, Bosny reçoit la conception d’un projet de 36 appartements, dans un nouveau quartier social à Flémalle-Grande, en parallèle au plan de développement urbain réalisé par le groupe L’Équerre. Un second chantier de 42 appartements lui est attribué et inauguré en 1958, suivi la même année d’un nouveau complexe de 62 appartements avec salle communautaire. Plus tard, il interviendra de même sur la commune d’Ans.Dans ces mêmes années, l’université de Liège et son recteur Marcel Dubuisson font appel à de jeunes architectes, dont Louis Bosny, pour la construction d’un premier home universitaire au boulevard d’Avroy. Face à l’augmentation du nombre d’étudiants, l’université déborde du centre-ville et s’étend sur les hauteurs du Sart-Tilman. Bosny est sollicité, avec moins de succès. Mais il déploie alors son activité sur un autre site de l’université, celui de l’hôpital de Bavière, un bâtiment vieillissant du 19e siècle, dont il participe à la rénovation et l’extension de divers pavillons de soins. Les projets de Bosny bénéficient le plus souvent, et jusqu’aux années 1980, des politiques locales d’investissement en logements sociaux, mais qui, la crise économique frappant, vont se raréfier. La rationalité d’espaces communautaires et les codes du fonctionnalisme tendent néanmoins, malgré des budgets parfois fort contraints, vers une vision idéale, positive et généreuse, du « mieux-vivre » ensemble des populations ouvrières et de la petite classe moyenne. Bosny réalise également des habitations privées, travaillant d’arrache-pied, souvent en indépendant, mais aussi associé à Hubert Châtelain, architecte complice… et pianiste de jazz sur la scène liégeoise. La renommée de Bosny n’égala jamais celle d’un Claude Strebelle ou d’un Charles Vandenhove. Il resta un architecte « de l’ombre », éloigné du tape-à-l’œil, et fidèle à ses convictions sociales, travailler pour le bien-être des collectivités. En témoignent ses réalisations de qualité et en grand nombre, qui ont participé au redéploiement urbanistique et social de toute une région. S’ouvrant aux multiples facettes de la personnalité de Bosny, qu’on ne peut résumer ici, le livre de Jean-Michel Degraeve aux éditions Fourre-Tout, dirigées par l’architecte Pierre Hebbelinck, s’accompagne également d’un livret plus modeste. Carmelo Virone , accompagné par d’autres voix – dont celle de Christine Mahy , pour le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté – , y questionne la problématique du logement social dans le contexte restrictif d’aujourd’hui, en s’inspirant de la démarche de Louis Bosny. Deux ouvrages éclairants.…