Auteur de Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande. Réflexion sur l’autogestion de la vie quotidienne
Né en 1934 à Lessines (Hainaut), Raoul Vaneigem a participé aux activités de l’Internationale situationniste. Son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, paru en 1967, n’a pas été étranger à la naissance et à la radicalité du Mouvement des occupa- tions de mai 1968. Son œuvre s’attache à la critique de la civilisation marchande, qu’il confronte à l’émergence d’une civilisation humaine, fondée sur l’autogestion de la vie quotidienne.
L’effondrement des valeurs anciennes – patriarcat, autorité, discipline militaire, célébration du sacrifice – a permis que se dégage de la nuit et du brouillard suscités par leur chute une reviviscence de ces aspirations humaines que les assauts de la barbarie n’ont jamais entamées durablement : solidarité, entraide, alliance avec la nature, autonomie, gynocentrisme. Voici un demi-siècle, le Traité du savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Folio éd.) de Raoul Vaneigem en même temps que La société du spectacle (Folio éd.) de Guy Debord marquaient l’irruption fracassante du situationnisme dans la pensée contemporaine. À la fois radicales (anticapitalistes et anticommunistes), prémonitoires (de Mai 68), banalisées (et impuissantes :…
Le panache de l’escargot. Philosophie vagabonde sur l’humeur du monde
Dans ce troisième recueil de chroniques qui recense des textes courts philosophiques chapeautés par des titres parfois surprenants, Pascale Seys nous emmène dans ses réflexions sur des thèmes classiques tels la vieillesse, le bonheur ou la gentillesse, mais aussi des thèmes plus inattendus comme les distributeurs de savon automatiques. En recourant souvent à l’étymologie des mots et en faisant régulièrement référence à des philosophes de toutes les époques, l’autrice nous offre des textes tantôt doux et drôles, tantôt profonds et inspirants, et nous pousse à repenser le monde d’une façon nouvelle. Sans jamais y porter aucun jugement, elle aborde avec un regard authentique et juste les parts obscures de l’homme et du monde, tentant de les appréhender, de les comprendre, loin des certitudes et des réponses toutes faites. Deux mouvements contraires, le désir de faire société d’une part et la monotonie de leur vie intérieure d’autre part, poussent les hommes à se tourner les uns vers les autres. Mais les défauts de chacun, qui inévitablement apparaissent, les dispersent aussitôt : tel est le paradoxe de la vie en commun. Excessivement proche en mode fusion ou trop éloigné d’autrui en mode fission, les risques sont, en réalité, exactement les mêmes pour les hérissons que nous sommes : ceux de la solitude, de la déception conjugale, amicale ou sociale mais avec toujours, au milieu du gué, un corps qui tremble de froid ou qui, s’il se réchauffe, finit par suffoquer. Dans Le panache de l’escargot , Pascale Seys a pris le parti de rédiger ses textes selon un trajet non rectiligne : elle sautille d’une anecdote à l’autre, d’une référence à l’autre, sans perdre le fil de sa pensée, emmenant son lecteur de découverte en découverte, à travers sa propre quête. Car au fond, il n’est question que de cela : tenter d’appréhender la part secrète et mystérieuse de la vie, l’envisager comme une aventure vaste et joyeuse, afin de cheminer vers une meilleure connaissance de soi, pour être plus libre.À l’heure où nous sommes toujours confinés et où nous souffrons de ne plus pouvoir voyager à notre guise, Pascale Seys nous invite à faire un des voyages les plus magnifiques : partir en quête de soi. Cette quête est certes « difficile, périlleuse, pleine d’écueils, indocile », mais ne serait-il pas intéressant d’envisager cette maison confinée où certains d’entre nous étouffent, comme un lieu d’exploration joyeuse, où l’on échappe à « l’ivresse de la vitesse » et la dictature de la rentabilité, pour trouver chacun à son rythme le beau et le bon, là où ils sont invisibles à l’œil nu (« il faut sans doute imaginer qu’il appartient à notre regard de faire en sorte que le monde, pourtant si laid à certains égards, puisse apparaître soudainement outrageusement beau et digne d’admiration »).Quelle belle invitation ! Envisager le panache de l’escargot que nous sommes… Séverine Radoux Un regard philosophique intelligent, décomplexé et décomplexant sur notre vie quotidienne « Regarder loin, humer de près, sentir en profondeur et explorer une dimension supérieure » : c’est ce voyage-là, exactement, que cette diablesse de la philosophie nous fait faire, nous menant à nous et aux autres sous couvert de papillons, de homards, de scorpions et de grenouilles, étrangement et délicieusement accouplés à Dostoïevski, Platon, Socrate ou Thoreau, savoureusement pimentés par Tarantino, Brian De Palma, David Hockney ou Louise Bourgeois, le tout savamment enrobé…
L’Âge de l’anesthésie. La mise sous contrôle des affects
Un nouveau livre de Laurent de Sutter ne se fait jamais attendre, et pour cause : le travail de réévaluation de nos sociétés et des mécanismes d’oppression qui les régissent, mené par ce professeur de théorie du droit de la VUB, se poursuit par salves continues, avec le méthodisme et l’acuité d’un sniper. Après sa Théorie du kamikaze , il s’en prend au plus insidieux dispositif de mise sous contrôle de nos affects, partant de nos libertés fondamentales, qui s’insinue en nous via les innombrables substances chimiques qu’il nous est loisible, quand ce n’est prescrit, d’ingérer quotidiennement. Alors que Marx qualifiait la religion d’« opium du peuple », Laurent de Sutter voit dans les antidépresseurs, somnifères, cocaïne et autre pilule anticonceptionnelle, la pharmacopée (légale ou non) constituant le bras armé du « narcocapitalisme ». Il identifie la genèse de l’« âge de l’anesthésie » que nous traversons en 1846 aux États-Unis, avec le dépôt de brevet du letheon , premier produit destiné à maîtriser le patient lors d’une opération chirurgicale. De l’application du principe d’insensibilisation du corps à celui d’annihilation de l’excitation auprès des psychotiques maniaco-dépressifs, il n’y aura qu’un pas, franchi en quelques décennies…Le premier mérite de Laurent de Sutter est de faire ressortir des noms de penseurs ou de savants oubliés, méconnus, mais dont l’influence fut déterminante dans le bouclage du système idéologique global qui nous enserre encore aujourd’hui. Il en va de la sorte pour Emil Kraepelin, un nom familier aux seuls spécialistes de la psychiatrie, dont le Lehrbuch der Psychiatrie paru en 1899 tint longtemps lieu de référence pour le classement et la nosographie des maladies mentales. À partir de son diagnostic, l’état d’excitation devient le symptôme à combattre, la manifestation individuelle déviante par excellence.La seconde qualité de notre essayiste de choc est de créer du lien en articulant habilement entre elles des découvertes qui, de prime abord, paraissent indépendantes, mais dont on retrouve une application inattendue ou non recherchée, dans un autre champ. Ainsi, Laurent de Sutter nous explique-t-il que le chloral, appliqué d’abord au traitement de l’insomnie, fit florès dans les milieux cliniques pour gérer la patientèle la plus récalcitrante, la plus agitée,…