En 2015, le silence aura été quelque peu assourdissant autour du trentième anniversaire de la disparition de Conrad Detrez.
Si ce n’est en septembre une rencontre au Blues-sphere (en Outremeuse à Liège) qui réunissait les témoignages de William Cliff et André-Joseph Dubois, deux écrivains l’ayant connu personnellement, pas un événement, pas un article, pas un salut, fût-ce à Paris, son ultime fief.
Il n’est par bonheur jamais trop tard pour rendre hommage à Detrez et réaffirmer sa position éminente dans le paysage littéraire francophone…
Conrad Detrez fut, avant d’autres figures du monde intellectuel, tels Michel Foucault ou Hervé Guibert, l’une des premières victimes du SIDA. Le rappeler n’est pas dresser un morbide podium aux célébrités touchées par le virus mortifère le plus effrayant de la fin du vingtième siècle, mais plutôt vouloir attirer l’attention sur la fin d’une destinée météoritique en cohérence avec sa trajectoire.
Detrez…
De «La Démangeaison» à «La Mélancolie», l’expérience du Vivarium Théâtre. (Sélection du blog AT)
Reprise de « la Mélancolie des Dragons » et de « l’Effet de Serge », de Philippe Quesne, à Nanterre-Amandiers, en janvier 2018. En 2018, Nanterre-Amandiers célèbre l’anniversaire des dix ans de L’Effet de Serge (2007) et de La Mélancolie des Dragons (2008), deux spectacles pensés en diptyque, qui ont tracé les lignes de force du Vivarium Studio. L’occasion de republier cet article paru initialement dans le #98 AT, Créer et transmettre. * Une fois que le titre est posé, l’écriture démarre : ça a commencé avec La Démangeaison des ailes, leur premier spectacle créé en 2003, et le système s’est institué. En 2008, ils ont choisi d’évoquer La Mélancolie des dragons. Le spectacle qui vient de naître à Vienne en mai 2008 est recréé à Avignon en juillet à l’église des Célestins. Après le dépôt du titre, ils se mettent en quête de nourriture, littéraire, iconographique, enquêtes de terrain… Et c’est sur les bases de cette matrice que vient se greffer le jeu d’acteurs. Pour ces derniers, il ne s’agit pas alors d’interpréter un théâtre écrit à leur attention, mais de poursuivre, en jouant, le processus d’écriture. Au fil des créations, les acteurs qui jouent pour Philippe Quesne, le metteur en scène du Vivarium Théâtre, sont devenus des personnages. Il l’accompagne – ils s’accompagnent – depuis les débuts de la compagnie. Les acteurs, les gens sur scène (dit Philippe Quesne), s’occupent aussi de la fabrication du décor. Le metteur en scène, pendant la représentation, assure la régie. Il semble que depuis La Démangeaison… ils se soient constitués en bande de travail. Non pas en groupe ou en collectif, mais bel et bien en bande : c’est-à-dire un ensemble de gens qui depuis cinq ans œuvrent ensemble, avancent ensemble, sont en train de chercher et de vivre ensemble. Telle que définie par Philippe Quesne, la notion de bande fait penser à une meute (de loups ou de dragons ou de hard-rockers, c’est selon), dont il reste le « chef » puisqu’il signe les mises en scène. Pour inventer son théâtre, la bande se nourrit de son imaginaire collectif et des contraintes rencontrées en chemin. Pour La Démangeaison… ils avaient dû travailler dans un appartement. Leur dispositif scénique s’en était inspiré. Des gens entraient et sortaient dans un (décor d’) appartement, pour venir y parler de leur désir d’envol, voire le mimer. Tentatives vaines, chutes assurées… c’était le thème de leur premier travail. L’Effet de Serge (production 2007), également présenté à Avignon dans le cadre de la vingt-cinquième heure, aborde le sujet de la solitude et de l’autonomie de l’artiste. Serge, protagoniste de l’histoire, vit dans un de ceux fameux appartement dessiné par le Vivarium : une sorte de hangar, avec pour accessoires ou éléments de décoration, (ça ressemble à du théâtre mais on pourrait aussi bien y habiter), une table de ping-pong, un ordinateur, des miniatures télécommandées, une chaîne Hifi… surtout de quoi faire des effets spéciaux. Car Serge, qui, en semaine, se livre à lui-même un paquet de chips servi sur plateau roulant téléguidé…, Serge le solitaire, a une âme d’artiste le week-end. Avec trois fois rien, il crée des spectacles de trois minutes qu’il présente à ses amis le dimanche. Il aime faire partager son idée du « beau » : machine roulante avec pétard sur une musique de Haendel, effet lumineux sur une musique de Wagner. Les amis-voisins-spectateurs assistent , ébahis, et commentent ou remercient. Philippe Quesne crée sur scène un dispositif qui englobe le plateau et la salle, et s’amuse à nous présenter son théâtre en train de se faire devant des acteurs qui jouent aux spectateurs. On n’entend pas toujours bien ce qu’ils disent à leur ami créateur. Quand leurs propos sont inaudibles, leurs présences sont accentuées. Là debout devant Serge, ils cherchent les mots pour décrire leur ressenti, ils ne fuient pas la poignée de main. Le Théâtre du Vivarium est avant tout un théâtre des corps. Pour Quesne, la scénographie se nourrit de sujet et des corps vivent dedans. Ils ont une façon d’habiter le plateau comme s’ils pouvaient y vivre (« ils », c’est-à-dire la huitaine de comédiens réguliers, et leur chien.) Philippe Quesne a utilisé, ailleurs, ce procédé de la « forme chuchotée ». Par exemple, lors des tournées internationales de D’Après nature – spectacle dont le thème prétexte était « la fin du monde » – il a fallu résoudre les problèmes de traduction. Pour ce faire, le metteur en scène ne considérant pas que la fin du monde ressemblait aux films de science fiction des années 1950, où d’immenses insectes dévoraient les terriens…, songeant plutôt qu’elle était calme et silencieuse, pas du tout violente mais proche de nous, comme incluse dans chaque geste de notre quotidien, a préféré que ses comédiens jouent tout doucement, dans une forme chuchotée, accompagnée d’un surtitrage. * Au moins deux contraintes se posent à la bande pour la recréation de La Mélancolie des dragons à Avignon : d’une part, la gestion de la présence d’une seule femme au milieu d’un groupe essentiellement masculin (Isabelle en effet découvre dans un paysage enneigé sept hommes dont la voiture tirant un mobile home, est en panne) ; et, d’autre part, la réinvention scénique du spectacle à l’église des Célestins. La question de la présence féminine est évoquée avec humour par Philippe Quesne comme celle de Blanche-Neige au pays des sept nains, qui sont ici sept hard-rockers aux cheveux longs. Quant à l’adaptation du spectacle aux lieux, c’est en quelque sorte une de leur spécialité. Le Vivarium théâtre est une communauté d’acteurs qui travaille à l’occupation d’espaces autrement et à L’Invention des spectateurs. Le Vivarium invente des formes en milieu urbain autant que dans des forêts. Ils se soucient de notre organisation sociale, de nos vies d’humain et du monde, et utilisent le théâtre pour exposer leurs préoccupations : font du théâtre de tout, et partout. Certains projets sont conçus pour des lieux en extérieur : villes, parcs et forêts, etc. D’autres le sont pour de grandes scènes internationales (il sont programmés aux États-Unis, au Brésil, en Allemagne, Suisse, Pologne…). Ils inventent aussi des formes spécifiques nourries des échanges avec les habitants et de leur expérience dans un contexte urbain, souvent pendant les temps de résidence (au Blanc-Mesnil où ils ont séjourné trois ans.) Pour en revenir à La Mélancolie..., il sera notamment question de loger une voiture et un mobile home dans le cloître des Célestins, à proximité des platanes, d’évoquer en été des paysages enneigés (souvenirs de tournée en Islande), de suggérer des monstres sans en montrer. L’imagerie des dragons a fait long feu depuis le moyen-âge. Sur scène, il n’en restera que le goût de l’inquiétude et de l’étrangeté, traduit par un « ballet de formes » proche de la marionnette : dans un finale fantasmagorique, le paysage se sature de formes gonflables, sortes d’énormes tubes dressés et sombres. De la mélancolie si généralement référencée à la toile de Dürer, pas de tableau ni même d’allusion au maître. Pour Philippe Quesne, la mélancolie est une protection face au désenchantement. Elle n’a rien à voir avec la folie ou avec la nostalgie. Il s’agit d’un état lié à la création. Dans le spectacle, la mélancolie est transformée en parc d’attractions ! Elle entre en collision avec les dragons. L’association des mots mélancolie et dragon rappelle à Quesne l’incroyable…
Regarder la société par le prisme de la citoyenneté
Laurence Van Goethem : Pour toi, Sam, qu’évoque le mot diversité ? Sam Touzani : Je n’ai pas choisi la diversité, c’est la diversité qui m’a choisi. Il faut dépasser le cadre politique pour véritablement parler de la diversité. Au risque de choquer, à la diversité je préfère l’égalité. C’est parce que nous sommes égaux en droits et devoirs, parce que nous sommes citoyens que vous pouvez me parler de votre différence et que moi je peux vous parler de la mienne. S’il n’y a pas ce postulat de base, on ne peut pas fonctionner et on devient toujours l’objet d’études ou l’enjeu d’un tiers. Je constate ça depuis un quart de siècle. Comme je dis, la diversité m’a mal choisi. J’ai été le premier jeune issu de l’immigration marocaine à faire de la télévision, donc à être visible à la fois sur les antennes du service public et sur les scènes de théâtre au nord comme au sud du pays. Il y avait des dizaines de Marocains et de Turcs d’origine, mais après 17h, qui venaient nettoyer les bureaux. Il n’y avait personne devant la caméra. Il y avait des émissions destinées à la communauté maghrébine sur la RTBF au début des années 1970, style Mille et une cultures, Sinbad. Mais elles étaient pensées par le prisme ethnicoreligieux du communautarisme et souvent, et c’est là le gros problème qui est très tabou en Belgique, par le prisme des pays d’origine, soit la Turquie, soit la dictature marocaine. Il est temps de quitter la posture victimaire, soyons clairs. En fait, je suis assez en colère sur ce qu’il se passe depuis 25 ans parce que nous collaborons clairement avec des dictatures que ce soit l’Arabie Saoudite ou le Maroc, les Émirats... et nous laissons délibérément pourrir certains quartiers, mais ce que nous oublions, c’est que la diversité va dans les deux sens. Nous devrions regarder la société par le prisme de la citoyenneté. Si nous sommes citoyens, alors nous sommes à parts égales. À force de revendiquer des particularismes effrénés, il me semble que ça remet en cause le principe même d’égalité. Plus vous dites « je suis différent », plus votre différence devient un handicap et non une richesse. En revanche, elle n’est pas intégrée, il faut le reconnaître, sur les scènes de théâtre ni à la télévision ni au cinéma. C’est très simple, j’ai commencé à tourner des films et téléfilms dés 1992, mes rôles toujours le même, le mec des ghettos qui vole, viole, et violente tout sur son passage. Bref, je jouais à l’Arabe de service avec casquette, baskets et pas grand-chose dans la tête. Après cette expérience, j’ai dit non à ce type de rôle par choix. C’était en 1992, nous sommes en 2017 et bien, je ne tourne presque plus. Malheureusement, encore aujourd’hui et l’actualité n’arrange rien, ce qu’on me propose majoritairement, c’est de jouer le djihadiste ou les petites frappes. Une fois, ça va, deux fois ça va, mais après, je n’en peux plus, car c’est réduire une personne à un cliché et l’on sait que l’essentialisation est dangereuse, car elle catégorise et vous assigne à résidence culturelle ou, pire, « religieuse ». Ce qui est tout de même un peu stupide lorsque l’on sait que le principe même d’un acteur c’est de jouer à être quelqu’un d’autre et non pas le même rôle à chaque fois ! LVG : Et pour en revenir aux origines, à la télévision, pourquoi avais-tu été choisi justement, à ce moment-là ? ST : Alors, c’est ça qui est intéressant. Je n’ai pas été choisi pour mes origines « difficiles » (rire), j’ai été choisi pour mes capacités à présenter une émission destinée à la jeunesse. Donc, ça fait quand même une différence. On ne parlait pas du tout à l’époque de diversité. La production RTBF a fait un casting, j’ai passé toutes les épreuves et j’ai été sélectionné sur 150 candidats. Il faut tout de même reconnaître qu’avec le recul, je pense que j’ai aussi été sélectionné parce que le concepteur de l’émission (Yves Crasson) était à l’écoute de cette diversité, mais c’était intuitif, ça ne portait pas ce nom-là. D’abord parce que lui-même souffrait d’une minorité, provenant de la minorité homosexuelle, donc il comprenait déjà bien les dégâts d’un système basé sur l’exclusion. Il a été sensible également à un jeune Bruxellois d’origine marocaine et qui, pour la première fois, s’adressait à tout le monde sur une chaine publique. Nous sommes en 1992, je vous rappelle, et je venais juste de faire une émission sur Arte qui s’appelait « Étranges étrangers », qui parlait justement de cette thématique-là ; je constate 25 ans après que peu de choses ont changé. Je parlais de cela à l’époque sur Arte, du manque de représentations, du cas des réfugiés, du petit château, du manque de parité homme / femme et de la difficulté que rencontrent les artistes belges à émerger en dehors des grands théâtres subventionnés. Un quart de siècle après, oui il y a certes eu des efforts, j’en veux pour preuve un programme comme Vogelpik que produit Safia Kessas, auquel j’ai participé. Je me suis retrouvé en totale immersion pendant une semaine, avec ma gueule de bronzé, chez un nationaliste Flamand, pêcheur de crevettes de son état. Néanmoins, ce type de projet basé sur la force de l’échange est rare, ou alors, ils sont malencontreusement guidés par des politiques qui caressent dans le sens électoral du poil, en subventionnant des projets communautaristes, parfois en désaccord total avec nos valeurs progressistes et laïques. Je suis issu d’une famille d’opposants politiques marocains, j’observe en tant que citoyen et artiste belge le rapport très délicat et ambigu que nous avons avec les pays du Sud. Et puis, nous sommes dans une culture bourgeoise, alors j’aime bien les bourgeois parce qu’ils ont fait toutes les révolutions quelque part (rire), mais c’était sans compter les islamo-gauchistes, indigénistes, populistes et autres antiracistes racistes, eh oui, ça existe ! Qui n’ont de cesse de polluer le débat, de « racialiser » et de catégoriser la société. Ces nouveaux intellectuels compassionnels et anciens politiques boulimiques de pouvoir nous annoncent haut et fort qu’ils souhaitent lutter contre les préjugés et les discriminations, alors qu’en réalité, ils ne font que les réorganiser avant les prochaines élections. Alors, vous comprenez que dans tout ce tourbillon identitaire, pour ma part il reste difficile de prôner une vision universaliste du monde et sans doute encore plus complexe d’inviter à un métissage des corps et des idées. LVG : Peut-on encourager et améliorer le fameux concept du vivre ensemble à travers la pratique théâtrale ou littéraire ? ST : Pour qu’il y ait un vivre ensemble, il faut qu’il y ait un libre ensemble. Si nous ne sommes pas libres, nous, dans notre manière de fonctionner, dans notre manière de penser, notre manière de faire, dans notre vision du monde... Le théâtre, c’est une vision du monde, la scène, c’est la scène du monde, on est là à passer à la loupe ce qu’il y a de meilleur, ce qu’il y a de pire dans la condition humaine. Si nous ne sommes pas capables, de nommer les choses... Albert Camus, disait « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », ce qui veut peut-être dire par extension que bien nommer les choses peut peut-être ajouter au bonheur du monde. LVG : Tu as fait aussi de la musique. Là, ce n’est pas tout à fait la même chose, les artistes sont plus variés et il y a une diversité plus grande qui ne pose généralement pas de problème. Tu penses que c’est dû à quoi ? ST : En effet, j’ai produit, j’ai monté des studios, des labels, des boites de prod, j’ai travaillé…
Entre social-démocratie et marginalité. 100 ans de communisme dans les Plats Pays.
Ni aux Pays-Bas ni en Belgique , le 100e anniversaire de la révolution russe d’Octobre n’a été commémoré par un parti communiste orthodoxe tel que l’Internationale communiste, ou "Komintern", avait pourtant prévu, dès 1919, d’en mettre en place dans tous les pays. Le Communistische Partij van Nederland (CPN) a fusionné en 1989 avec deux autres petits partis pour devenir le parti écologiste GroenLinks. Le Parti communiste de Belgique (PCB) a vécu une longue agonie après sa scission en deux ailes, l’une flamande, l’autre francophone, en 1989. La première fut liquidée sans bruit dans la seconde moitié des années 1990. La seconde mène aujourd’hui une existence marginale et non pertinente. Les années 1989 et 1991 sont bien sûr tout sauf fortuites. En 1989 le mur de Berlin, symbole de la séparation entre l’Ouest capitaliste et le bloc communiste de l’Est, est tombé. En 1991, c’est l’Union soviétique, maison mère et pays pilote du communisme, qui a implosé. Contrairement à ce qui s’est passé en France, en Italie et dans une moindre mesure en Espagne, ni le CPN, ni le PCB ne surent jamais rivaliser avec le grand concurrent social-démocrate, sans parler de le surpasser. Néanmoins la raison d’être des communistes était latente dans le mécontentement suscité par la participation de la social-démocratie au système capitaliste. En Belgique, tout comme en France et ailleurs, le facteur déclenchant fut l’approbation par les socialistes des crédits de guerre en août 1914, suivie par leur participation active à ce qu’ils avaient toujours rejeté comme une querelle intestine impérialiste dans laquelle le prolétariat n’était pour rien. Le communisme néerlandais constitue sur ce point une exception. Non seulement le pays conserva sa neutralité durant la première conflagration mondiale, mais déjà en 1908 des mécontents socialistes s’étaient regroupés autour du journal d’opinion Tribune. Ces «tribunistes» s’insurgeaient contre «l’électoralisme» des socialistes et allaient créer un an plus tard le Sociaal Democratische Partij (SDP), précurseur du Communistische Partij Holland, rebaptisé ultérieurement CPN. Le nombre des adhérents environ cinq cents n’était certes pas impressionnant, mais il en allait tout autrement du renom de plusieurs leaders. Outre son meneur principal David Wijnkoop (1876-1941), le groupuscule communiste avait le soutien d’intellectuels célèbres comme l’astronome Anton Pannekoek (1873-1960), le poète Herman Gorter (18641927) et sa contemporaine HenriëMe Roland Holst (qui toutefois adhérerait plus tardivement). Le PCB fut fondé en 1921 par la fusion imposée par Moscou de deux groupes qui se dédaignaient. L’un des groupes, mené par le peintre War Van Overstraeten, ne jurait que par l’antiparlementarisme et le communisme soviétique, et traitait le second groupe, constitué autour du syndicaliste des employés Joseph Jacquemotte, de «réformiste». En retour, les seconds qualifiaient les premiers de «gauchistes». Depuis sa naissance et tout au long de son histoire, le centre de gravité du communisme belge se situerait en Belgique francophone. Pour conquérir un premier siège parlementaire en 1926, Van Overstraeten dut par exemple se présenter à Liège. Le dernier parlementaire flamand du PCB, le docker anversois Frans Van Den Branden, perdit son siège dès juin 1950. L’ampleur et l’impact des deux partis demeurèrent extrêmement limités jusqu’au milieu des années 1930. Après l’arrivée au pouvoir de Staline, toute dissidence, y compris dans les différents partis communistes, fut cataloguée comme «trotskisme» et énergiquement réprimée. War Van Overstraeten quitta le parti avec un certain nombre de fidèles en 1928, après que les zélateurs de Moscou, lors d’un congrès à Anvers, eurent réussi à enlever la majorité par une manigance. Le développement de ce courant communiste dissident connut un cours chaotique. En Belgique, il resta numériquement limité, mais il comptait un certain nombre d’intellectuels remarquables comme le jeune Abraham Léon (1918-1944) qui devait, ultérieurement, être l’auteur d’un ouvrage de référence universel sur le judaïsme, ainsi que, un peu plus tard, le célèbre économiste Ernest Mandel (1923-1995) XX . Aux Pays-Bas par contre, le Revolutionair Socialistische Arbeiderspartij (RSAP) rencontra davantage de succès. Le mérite en revient à son leader Henk Sneevliet (1883-1942), qui fut élu à la Chambre des députés et dirigea également une centrale syndicale, le Nationaal Arbeidssecretariaat (NAS Secrétariat national du travail). Sous le pseudonyme de Maring, il avait été actif auparavant en Chine et aux Indes néerlandaises en tant que représentant du Komintern. Les partis communistes étaient entre-temps «bolchévisés». Accusations malveillantes et exclusions tombaient dru, ce qui paralysait grandement la vie des partis et éclaircit encore les maigres effectifs. Mais la seconde moitié des années 1930 apporta un revirement, une fois encore venu d’en haut. On abandonna la ligne sectaire «classe contre classe», avec la social-démocratie comme ennemi juré. Grâce à un nouveau paradigme, l’antifascisme, les communistes cherchèrent à se rapprocher des socialistes et même des libéraux-démocrates, dans l’espérance de l’avènement d’un «front populaire». Contrairement au Front populaire en France où la stratégie avait été appliquée pour la première fois avec succès -, cela ne réussit pas dans les Plats Pays. Aussi bien le CPN que le PCB étaient trop petits pour exercer quelque pression que ce soit sur la social-démocratie. Les deux partis fournirent beaucoup de militants aux Brigades internationales quand éclata en 1936 la guerre civile en Espagne. Ces milices de volontaires envoyées et contrôlées par le Komintern attirèrent aussi de célèbres intellectuels. André Malraux prit le parti de la république, tout comme Ernest Hemingway, W.H. Auden ou John Dos Passos. Des Pays-Bas s’engagèrent, entre autres, le cinéaste Joris Ivens (18981989) XX et l’écrivain Jef Last (1898-1972) XX . La guerre civile espagnole et la politique du Front populaire ouvrirent pour la première fois aux communistes flamands et néerlandais la possibilité de construire un réseau avec des compagnons de route, des universitaires et des intellectuels qui suivraient le parti, l’accompagneraient et lui prêteraient main forte, souvent en participant à des organisations satellites ou à de plus larges initiatives imaginées dans les cénacles du parti. De la scission à l’apogée En 1937 les communistes de Flandre se rebaptisèrent Vlaamse Kommunistische Partij (VKP) dans un effort pour s’implanter plus aisément. Sous la direction de Georges Van Den Boom et avec un porte-étendard de la stature de Jef Van Extergem, figure du Mouvement flamand, on battit le tambour du flamingantisme. Le journal du parti s’appela désormais Het Vlaamsche Volk (Le Peuple flamand) et, durant la première période de l’occupation allemande, le parti publia officieusement le journal Uilenspiegel, qui n’évitait pas même les propos antisémites. Vers la même période, la stalinisation atteignit son épanouissement en interne. Les procès de Moscou qui aboutirent à l’exécution des leaders de la révolution ainsi qu’à celle de l’élite de l’Armée rouge comme «saboteurs» et «traîtres», ne provoquèrent pas de dissidences notables. Cerise sur le gâteau, aux Pays-Bas, Paul de Groot, stalinien à tout crin, fut nommé au secrétariat général du CPN en 1938. Cet inconditionnel fantasque et tourmenté allait conduire le parti à la bagueMe durant des décennies. L’apogée de l’existence des deux partis - leur rôle durant la Seconde Guerre mondiale dans la résistance à l’occupant allemand - fut précédé par un choc, quand Hitler et Staline conclurent pendant l’été 1939 un pacte de non-agression. Cet événement décontenança les militants…