Boulevard des Ombres


RÉSUMÉ

Pour son premier roman, mon pote Couturiau n’a pas choisi la voie — ni la voix — la plus facile. Il est vrai que pour nous concocter ce Boulevard des Ombres qui s’annonce de prime abord comme un vrai polar « made in U.S.A. ». il pouvait compter sur son expérience de tra­ducteur, ses longs séjours outre Atlantique et ses amitiés américaines. X’empêche. ce n’est pas une mince affaire pour un Euro­péen de poser le décor d’un New York ou d’un Miami qui ne tiennent ni du mauvais feuilleton télévisé ni du pastiche alimentaire français de l’après-guerre (fût-il aussi talen­tueux, au demeurant, que ceux de Vian ou de Malet)… Or. l’Amérique urbaine de Cou­turiau, dont les seuls clichés sont parfaite­ment indigènes, possède la vérité discrète des évidences intérieures — sans clinquant ni tapage. L’intrigue policière démarre sur des chapeaux de roues, servie à la fois par un sens très sûr de la construction roma­nesque — la « voie », qui multiplie les effets de lumière et les fausses pistes et même parfaitement le lecteur par le bout du nez —. et par la voix de l’auteur, une langue syncopée, très américaine elle aussi, qui rappelle souvent avec bonheur le rythme et la fraîcheur parfois naïve du jazz et de la boxe, même si elle promet peut-être encore un peu plus que ce qu’elle ne tient — seule petite trace de péché de jeunesse que veuille bien nous fournir ce premier roman. Mais notre soi-disant auteur de polar ne cesse de tisser ses toiles d’apparences trom­peuses, et le roman populaire (au sens noble du terme) se transforme sournoise­ment en un vrai roman psychologique dans la plus pure tradition européenne. C’est évi­demment là que réside la grande réussite de Couturiau. qui participe ainsi à la réhabilita­tion de la fiction et du plaisir de lire et à la nécessité de plus en plus contemporaine de transcender les genres littéraires. Au bout du compte, ce ne sont donc pas tant les aléas de l’enquête du lieutenant Lennox qui frappent l’imagination du lecteur que l’épaisseur de certains personnages secon­daires et l’évolution sourde de la vie privée de l’enquêteur, qui. lors même que tout s’éclaire (dans de multiples sens du terme), semble devenir tout à coup la seule ques­tion digne d’une réponse — que Couturiau se gardera bien de nous fournir avant, qui sait ‘! son second roman. D’ici là. à nous de rêver.

Geneviève PIROTTE

Le Carnet et les Instants n° 73, 15 mai – 15 septembre 1992





PRIX
  •   Grand prix de littérature policière 1993

À PROPOS DES AUTEURS
Paul Couturiau
Auteur de Boulevard des Ombres
Né en 1952 à Bruxelles, Paul Couturiau est un fanatique de l'écriture. Il l'a abordée par toutes ses facettes: la traduction scientifique et littéraire, le théâtre, le roman, la bande dessinée et ... la publicité; celle-ci constitue d'ailleurs sa formation de base. Pendant une dizaine d'années, il a été attaché comme traducteur aux éditions du Rocher. Cela lui a notamment permis de traduire de nombreux auteurs anglo-saxons. Il a également travaillé comme conseiller littéraire dans le même secteur linguistique. Amené par son métier à faire de nombreux séjours aux Etats-Unis, il est tombé amoureux de ce grand pays avec une préférence toute particulière pour les villes de New-York et Miami. De janvier 1991 à juin 1992, il a été directeur littéraire aux éditions Claude Lefrancq. Son épouse, Nadine Monfils, est également un écrivain de renom.
Jean-Michel Nicollet
Illustrateur de Boulevard des Ombres


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Le Carnet et les Instants

Pour son premier roman, mon pote Couturiau n’a pas choisi la voie — ni la voix — la plus facile. Il est vrai que pour nous concocter ce Boulevard des Ombres qui s’annonce de prime abord comme un vrai polar « made in U.S.A. ». il pouvait compter sur son expérience de tra­ducteur, ses longs séjours outre Atlantique et ses amitiés américaines. X’empêche. ce n’est pas une mince affaire pour un Euro­péen de poser le décor d’un New York ou d’un Miami qui ne tiennent ni du mauvais feuilleton télévisé ni du pastiche alimentaire français de l’après-guerre (fût-il aussi talen­tueux, au demeurant, que ceux de Vian ou de Malet)… Or. l’Amérique urbaine de Cou­turiau, dont les seuls clichés sont parfaite­ment indigènes, possède la vérité discrète des évidences…


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