Botré d' rut'lins

À PROPOS DE L'AUTEUR
Albert Yande

Auteur de Botré d' rut'lins

Il naît à Harinsart (Villers-sur-Semois) en 1909. Après de solides études scientifiques au Collègue Saint-Joseph de Virton, toute sa carrière professionnelle se déroule au service du gouvernement de la Province du Luxembourg, où il termine comme directeur.  Sa carrière d’écrivain dialectal commence tardivement. Il a 42 ans lorsqu’il soumet ses premiers textes à divers concours. Et ceux-ci sont d’emblée plébiscités. Il s’essaye à toutes les formes : le théâtre, le conte, mais surtout la poésie, qui emporte sa préférence. Sa première pièce, La térêsse èt lès-élèctians (1953), s’intéresse aux manœuvres électorales dans les petits villages et remporte un franc succès.   Un premier recueil de poésie, Pa t’t-avô lès ôtes côps, voit le jour en 1954, mais c’est Èl Djan d’ Mâdy (1957) qui est son œuvre majeure. Ce long poème de 1121 vers, puise sa source aux veillées locales, à l’imagination populaire. Le personnage de Djan d’ Mâdy est à la Gaume ce que Tchantchès est à Liège : incontournable. Mais ce recueil, dans la plus pure veine épique, est aussi une vision assez pessimiste et nostalgique de la vie, que seule la foi et la malice – caractéristique essentiel du Gaumais – parviennent à détourner de son destin funeste.  La poésie de Yande se concentre dans 7 recueils. Outre les deux premiers, il compose Lès paumes su lès èteûles (1961), Dokèt d’ fènasses (1966), Feûs d’holières (1984), Botré d’ rutlins (1988), La cossète su l’ tèché (1988). Son œuvre pourrait être distinguée en trois grandes catégories. La première propose un aspect lyrique, intime, et plus personnel. À ce titre, il évoque souvent des thématiques universelles – l’enfance, la maternité, la vieillesse, la mort. La deuxième catégorie, plus narrative, s’inspire directement de récits de vie et d’histoires locales qu’elle parvient à sublimer avec des mots choisis et des images fortes. La troisième catégorie, quant à elle, est presque ethnographique, restituant au plus proche les jeux, les activités domestiques, les métiers artisanaux, les pratiques religieuses ou les aspects les plus folkloriques, sans être pour autant totalement descriptive.  Suivant les mêmes trames, il se fait parfois conteur, lorsque cela s’y prête mieux, et avec le même talent, comme le démontre son recueil La Louvète à racontes (1982), primé par le Ministère de la Communauté française.  La langue d’Albert Yande est à la fois riche et authentique, et se distingue par une recherche du mot correct. Pour certains spécialistes du gaumais, cette qualité lexicale est telle qu’elle pourrait enrichir la plupart des dictionnaires gaumais existants.  Il fut membre de la Société de langue et de littérature wallonne, de l’Académie luxembourgeoise, et du Groupement des auteurs dialectaux luxembourgeois, pour lequel il fut un animateur actif.  Lorsqu’il décède en 1990, il est communément admis qu’il est le meilleur auteur dialectal que la Gaume ait jamais porté. 

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Bokèts po l’ dêrène chîje : Poèmes pour l’ultime veillée

Peu de temps avant son décès, le grand écrivain wallonophone Émile Gilliard avait transmis à son éditeur les épreuves corrigées de Bokèts po l’ dêrène chîje . La première édition de cette œuvre — une édition artisanale en 50 exemplaires, aujourd’hui introuvable — lui avait valu le prix triennal de Poésie en langue régionale de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2005 et était vue comme un incontournable de sa bibliographie. Sa réédition dans une collection de plus large diffusion et avec des adaptations françaises est donc une initiative bienvenue.  Si cette réédition fait œuvre de justice en permettant à la poésie d’Émile Gilliard d’atteindre des lecteurs qu’elle n’a jamais pu toucher auparavant, soulignons qu’elle fait aussi œuvre utile. En effet, elle fournit aux amateurs une réalisation exemplaire, témoin de la richesse du wallon sous la plume d’un auteur qui le possède pleinement, mais aussi des voies audacieuses empruntées par la poésie d’expression régionale depuis le milieu du 20e siècle.Émile Gilliard est en effet un héritier de la « génération 48 », qui a renouvelé cette poésie par la recherche de formes nouvelles et l’exploration de thèmes actuels. Ces jeunes poètes et leurs continuateurs visaient l’universalité, à travers des œuvres qui ne reniaient en rien leur attachement à leur région ni leurs origines souvent modestes.Dans Bokèts po l’ dêrène chîje , Émile Gilliard applique fidèlement ces principes, suivant une route d’abord tracée par Jean Guillaume, son maitre en poésie. Écrites dans les années qui ont suivi son départ à la retraite, les trois séries qui composent ce recueil explorent le regret lié au temps perdu, l’amertume d’avoir dû travailler pour d’autres, la fatigue physique et mentale… Au fil des poèmes, le lecteur découvre une langue particulièrement souple, riche d’adjectifs aptes à traduire, par exemple, les nuances de ce dernier sentiment : nauji [ « lassé » ], scrandi [ « fatigué » ], nanti [ « exténué » ], odé [ « lassé » ], skèté mwârt [ « éreinté » ]…Par endroits, le poète renoue avec la colère qui s’exprimait à plein dans certaines œuvres précédentes ( Vias d’mârs´ en 1961 , Come dès gayes su on baston en 1979) : ’L âront scroté nos tëresèt nos cinses èt nos bwès,à p’tits côps, à p’tits brûts,[…] come dès fougnantsk’on wèt todis trop taurdcand leû jèsse a stî fêteèt k’ tot-à-fêt a stî cauvelé. Dès-ans èt dès razansk’on a cauzu ovré d’zos mêsse,[…] dissus nos prôpès tëres. [Ils auront dérobé nos terres, / fermes et forêts, / peu à peu, sans fracas, / (…) comme des taupes / qu’on détecte toujours trop tard, / quand elles ont accompli leurs méfaits / et qu’elles ont tout creusé. // Une éternité / qu’on a quasi œuvré / sous tutelle, / (…) sur nos propres terres.] Ailleurs, il reprend les questionnements d’ordre métaphysique qui traversaient À ipe , cette autre œuvre importante, rééditée dans la collection micRomania en 2021. Èt si nosse bole âréve bukéconte one sitwale ? […] Èt nos-ôtes bèrôderèt r’nachî à non-syinceaprès l’ dêrène ruwale ? [Et si notre globe / avait cogné une étoile ? (…) // Nous aurions erré, / cherché inutilement / une ultime issue ?] Ces deux veines majeures de l’œuvre gilliardienne — le questionnement sur l’homme et son environnement, la défiance envers l’exploiteur, en communion avec tous les exploités — trouvent un point de rencontre dans les pages les plus fortes du recueil. C’est alors la métaphore de la maison qui exprime la détresse du « je » (non, du « dji » ) face aux communs massacrés au bénéfice de quelques-uns. ’L ont rauyî djustotes lès pîres dissotéyesèt lès tchèssî au lon,à gros moncias.Èt c’èst cauzucome s’il ârén´ ieû v’luchwarchî è vike,chwarchî è m’ pia.Come si l’ maujoneâréve ieû stîon niër, on burton d’ mès-oûchas. [Ils ont arraché / toutes les pierres descellées / et les entasser au loin, / et c’est quasi comme / s’ils avaient voulu / m’écorcher vif, / charcuter ma peau, / comme si la maison eût été un nerf, / un moignon de mes os.] De manière plus explicite, Émile Gilliard fait le lien avec le désastre écologique dans le poème d’épilogue, écrit spécialement en vue de cette deuxième édition. Vêrè ként’fîye on djoûki l’eûwe ni gotinerè pus wêre foû dès sourdants.On s’ capougnerè po sayî d’ ramouyî sès lèpes.Vêrè ki l’ têre toûnerè à trîs et tot flani,ki nos maujones si staureront su nos djoûs,èt nosse lingadje ni pus rén volu dîre. [Peut-être viendra-t-il un jour / où l’eau filtrera à peine de la source. / On s’empoignera pour se rafraîchir les lèvres. / Une terre stérile fera flétrir les plantes. / Notre maison s’écrasera sur nos jours, / et notre langue n’aura plus de sens.] Au possible effondrement des équilibres naturels fait écho ici celui d’une langue. Bokèts po l’ dêrène chîje est aussi traversé des préoccupations d’un homme qui a donné tous ses loisirs à la langue wallonne et laisse parfois libre cours à son pessimisme : « po ç’ k’il è d’meûre : / on batch di cindes èt dès spiyûres, / sacants scrabîyes / k’on îrè cheûre èt staurer sul pî-sinte » [ « pour ce qu’il en reste : / un bac de cendres, des déchets, / des escarbilles / à secouer et à répandre sur le sentier » ]Et c’est en cela que cette réédition prend une valeur supplémentaire : en redonnant à lire des poèmes qui ne taisent pas son sentiment de lassitude et d’isolement, elle nous rappelle que leur auteur a toujours su le dépasser. Émile Gilliard, en effet, n’a jamais cessé d’écrire dans sa langue première et a consacré ses dernières années à d’importants travaux philologiques. Ce livre prend donc, en creux, la valeur d’une ode à sa résilience et à son formidable engagement. Julien Noël Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur. Plus d’information Ce tryptique a été publié artisanalement, en wallon, à compte d'auteur, en tirage restreint, en 2004. Le dernier volet Crèchinces a également fait l'objet d'un numéro des Cahiers wallons . La présente édition est assortie d'une adaptation en langue française. L'ordre des textes comporte des modifications et un poème d'épilogue résume l'esprit du recueil. L'actuelle situation du monde donne à ces poèmes un reflet d'authenticité. Y pointent heureusement des germes d'espérance et de lumière. Le dilemme reste présent : d'un côté, l'appât du gain, du plaisir, du soi-disant progrès, le manque d'amour d'autrui, de l'autre, le respect de l'humanité, de la nature, du climat. L'humanisme triomphera-t-il d'un matérialisme borné dans lequel notre civilisation peine…

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