Que l’aventure poétique ne fasse qu’un avec un enjeu vital, une urgence existentielle, À l’abri de l’abîme, le premier recueil du jeune poète Vincent Poth en témoigne. La force inventive qui sourd de ces textes trempés dans la nécessité du vers provient tout à la fois de leur intranquillité native et de leur soif d’un Ailleurs. Questionnant l’advenue du poème, la matière des mots, À l’abri de l’abîme accorde sa descente dans les abysses au rythme du « vers à venir », au sens où Blanchot parlait du « livre à venir ». S’ouvrant sur une citation de Charles Péguy, deux parties composent le recueil, « Lettre à la mort » et « Transe canadienne ». Les noms des poètes et penseurs tutélaires…
La féminité est, plus que jamais, le creuset de la plupart des livres qui paraissent…
On reconnaîtrait entre mille le timbre de la voix du philosophe et poète Jacques Sojcher. Ce cheveu sur la langue qui s’avère vite une arme de séduction massive, on le retrouve avec plaisir, sous une plume caressante et ironique, dans ce nouveau recueil publié chez Fata Morgana. Ni juif, ni chevalier, ou peut-être justement les deux à la fois, le démon Éros dont l’auteur se fait ici le tératologue, poursuit sa route, inlassable voyageur qui se moque des possibles dégâts collatéraux. Joueur invétéré, Éros se plait à piper les dés. Le pire, c’est qu’on le sait ! Mais on continue pourtant de miser sur lui, sur sa capacité à renouveler cette pulsion de vie qu’est le désir. Un désir qui peut à l’occasion s’éroder mais qui renaît sans cesse, subtilement inventif, toujours pluriel, réactivé qu’il est par le grain d’une peau ou le frémissement d’une voix. C’est que la langue, les mots, leur sonorité font partie du jeu. À chaque fois, ce sont les cartes qu’on rebat. Et si les donnes semblent les mêmes, elles sont pourtant différentes. Tu zézayes à l’oreille de toutes les femmes possibles des mots d’amour sans conséquence. C’est l’inceste du désir et du manque. Tu inventes l’amour, faute de pouvoir aimer. Avec la dérision et le détachement qu’on lui connaît, l’auteur qui, ailleurs, poursuivait Le rêve de ne pas parler (Ed. Talus d’approche, 1981), ne cesse ici de nous inviter à réinventer le désir, seul capable au fond d’élever, d’ancrer – encrer – le corps dans le monde. L’acte amoureux comme amarre stable, concrète pour le corps toujours nomade. Mais d’autres questions affleurent sous la langue de Sojcher qui s’insinue dans les moindres recoins du désir bien rodé. Si ce dernier aime les premières fois, il peut aussi se repaître des mensonges, des trahisons, des vanités. Comment dès lors parvenir à épuiser, à cartographier la constellation d’Éros ? Le désir de plaire, le souvenir d’un désir, le vieillissement qui l’érode et le catalogue de ceux qui nous firent chavirer ? Autant de questions qui se greffent au pouvoir du Dieu tentateur. En nous entraînant dans cette sarabande de voix qui mêle aux angoisses de Casanova, les mille et trois passions du Leporello de Mozart, Sojcher s’amuse lui-même à brouiller les pistes. Sans oublier les clins d’œil complices aux artistes pour qui le désir est affaire de vie ou de mort – Bataille, Lucrèce, Spinoza, entre autres – le poète, par une ultime pirouette pour conjurer l’oubli, établit deux listes, celle des lieux où le désir a pu naître et celle, en miroir, des prénoms des belles qu’il aima. Tu vois dans le miroir l’apparence de ce qui a été. Aimer n’a pas de nom. Nomade et sédentaire partageront les cendres jetées au vide de l’oubli. Qu’importe en somme ici la véracité des listes, que le professeur Sochjer se soit égaré quelque peu dans ce listing de désirs remémorés puisque nous l’aurons suivi et que nous aurons pris plaisir à nous égarer avec lui. Rony DEMAESENEER ♦ Jacques Sojcher lit un extrait d’ Eros errant sur Sonalitté…