Marine Schneider, jeune illustratrice bourlingueuse
Jeune autrice-illustratrice belge, Marine Schneider nourrit ses créations de ses voyages dans des pays lointains. Lors de la Foire du livre de Bruxelles en mars 2020, celle-ci s’est prêtée au jeu de la masterclass avec Fanny Deschamps, son éditrice chez Versant Sud Jeunesse. Voici ce que le public présent a pu découvrir.
Marine Schneider, qui êtes-vous ? Racontez-nous votre parcours professionnel.
« J’ai toujours aimé dessiner. À dix-huit ans, j’ai entamé des études de graphisme à l’ERG, mais ce n’était pas vraiment ce que je souhaitais faire. J’ai pris une excellente décision en partant en voyage pendant trois ans, étant notamment fille au pair au Colorado puis au Canada. De retour en Belgique, j’ai suivi des études d’illustration à l’école d’art LUCA à Gand où j’ai développé une véritable passion pour les livres illustrés. Durant le master, j’ai la chance d’avoir des profs comme Goele Dewanckel ou Gerda Dendoven.
Mes études m’ont donné l’espace pour expérimenter de nouvelles choses, comme la bande dessinée. Prise par le virus du voyage, je suis partie en Erasmus. J’ai choisi dans la liste des pays possibles celui où il y avait le plus de nature, ce qui m’a amené à Bergen en Norvège, où en hiver il pleut tout le temps. Un jour, lors d’une conférence dans le centre de Bergen, j’ai rencontré Svein Størksen l’éditeur norvégien de Magikon Forlag. Je ne comprenais presque rien à la langue mais j’ai aimé sa façon de réaliser ses livres, qui sont très beaux. J’ai conversé avec lui et trois mois plus tard, il m’envoyait le texte de Je suis la Mort, écrit en norvégien par Elisabeth Helland Larsen. Ce fut ma première rencontre avec le milieu de l’édition. J’ai illustré le texte et le livre est paru en Norvège. Je suis devenue bachelière en 2015. J’ai répondu à de nombreux appels à projets (fanzines, expos…) qui m’ont permis de me confronter à des contraintes de format, de codes couleurs… ce qui est toujours utile pour se frotter aux réalités du métier. Pour réussir à travailler en tant qu’illustratrice, il fallait ensuite que je trouve une façon de faire voir mon travail, qu’il soit remarqué. Et puis, à la fin de mes études en 3e, j’ai commencé à faire des résidences. Il existe de nombreuses possibilités pour les artistes, partout dans le monde. On a accès à un espace où se consacrer entièrement à la création. Parfois, il y a des ateliers de céramique, de gravure… Personnellement, j’en ai fait en Corée, en Islande et en Norvège. C’est là que j’ai réalisé la trilogie Je suis la Mort ; Je suis la Vie ; Je suis le Clown. C’est aussi en Norvège que pour la première fois j’ai fait un atelier avec les enfants malgré la barrière de la langue. C’est important d’aller voir ce qui se fait ailleurs, découvrir les artistes de partout dans le monde. De retour en Belgique, j’ai continué mes études avec un master, toujours à LUCA à Gand où j’ai bénéficié d’une bourse découverte de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour réaliser une bande dessinée. Sortie de mes études, je me suis professionnalisée avec la création d’un site, des cartes de visite, une présence sur Instagram, sur Facebook. »
LE POINT DE VUE DE L’ÉDITRICE : FANNY DESCHAMPS À PROPOS DE MARINE SCHNEIDER
« Le parcours de Marine Schneider est un exemple très positif. Elle est en début de carrière et ça fonctionne vraiment bien pour elle. Mais ça n’est pas dû au hasard. Elle a mis en place des choses pour que ça marche. Il y a deux axes importants : d’abord sa pratique artistique en tant que telle, qu’il faut nourrir en étant curieux, et affiner sans cesse ; et puis tout ce qu’il faut faire autour pour la faire connaître. Il importe donc de se construire un réseau avec une présence sur Internet car les éditeurs vont souvent voir en ligne. » Les éditeurs recherchent de vrais auteurs ; quelqu’un qui a du talent mais aussi tout un imaginaire. Fanny Deschamps conseille d’aller vers ses points forts (par exemple un dessin soit décoratif, soit jeté, ou encore un talent plus narratif…). Il y a énormément d’illustrateurs. Il faut se distinguer. C’est grâce aux réseaux sociaux, d’ailleurs, qu’elle a repéré Marine Schneider.
HISTOIRE D’UNE COLLABORATION : HIRO, HIVER ET MARSHMALLOWS
Après un premier rendez-vous, Fanny Deschamps avait la conviction qu’il y avait des histoires à créer avec Marine Schneider. Elle lui a donc proposé de créer un livre pour la collection « Les pétoches ». Hiro, Hiver et marshmallows est donc arrivé. Marine nourrit une obsession pour les ours. Elle a eu l’idée d’un ours débarquant dans un village ; une jeune ourse qui arrive dans une fête d’enfants et qui va faire peur à ceux-ci. L’ourse Hiro est curieuse. Alors que sa petite famille hiberne, Hiro quitte la chaleur de la grotte pour découvrir le monde enseveli sous une neige d’ouate. Elle aperçoit de drôles de traces, qu’elle décide de suivre. Une odeur sucrée vient alors lui chatouiller les narines : celle des marshmallows que l’on grille sur le feu. Intriguée, l’ourse s’approche de la clairière… À la vue de l’ourse, tous les enfants se dispersent, sauf Émile. Tout en partageant des marshmallows qui coulent de douceur, les deux compères se lient d’amitié et découvrent qu’ils ne sont pas si différents.
Ce sera encore l’histoire d’un ours qu’elle illustrera dans L’ours Kintsugi . « Je me considérais comme illustratrice et je n’avais pas écrit d’histoire. Grâce à l’accompagnement d’une éditrice, j’ai pu écrire l’histoire, faire grandir mon projet. Il a fallu beaucoup d’allers-retours entre nous, des remarques, des suggestions. Mais plus tard, pour Grand ours, Petit ours, j’ai envoyé mon projet tel quel à l’éditeur Cambourakis qui a décidé de publier d’emblée. Il y a donc plusieurs manières de travailler. » Fanny Deschamps accompagne les illustrateurs dans l’écriture car ils y sont moins formés. En Belgique, il existe peu de formations à l’écriture comme c’est le cas dans le monde anglo-saxon (même si des ateliers d’écriture se mettent en place comme ceux de Thomas Lavachery au Wolf). Après le texte, l’étape du story-board permet de raconter en image. Parfois, il faut modifier le texte et travailler le rythme de l’album. Il faut faire attention à ce que tout respire, selon le conseil de Dominique Goblet reçu par Marine Schneider. Celle-ci s’enthousiasme : « Ce qui est super avec ce métier, c’est qu’on apprend tout le temps. » Elle adore avoir des remarques selon son éditrice, cela faisant progresser. Toutes deux ont beaucoup de plaisir à échanger sur le livre. La couverture implique des contraintes plus commerciales. Fanny Deschamps explique l’importance de la lisibilité pour la couverture, mais aussi que les gens soient séduits en voyant l’illustration. Pour Hiro, Hiver et marshmallows, l’éditrice a suggéré d’ajouter des couleurs, des nuages… à une illustration très épurée. Les professeurs qui ont choisi de travailler avec cet album disent souvent : « La couverture nous a tapé dans l’œil. » Ensuite, une fois le livre publié, il faut le faire vivre, ce qui relève et de l’éditeur et de l’auteur. Il faut communiquer, faire connaître le livre.
Le programme Auteur en classe aide vraiment à l’organisation d’ateliers en classe. « J’ai une nouvelle casquette, explique Marine Schneider. Je réalise des ateliers dans les écoles où je présente mon métier autour de mes livres ou encore j’aborde l’illustration en utilisant d’autres albums. Aller rencontrer les enfants permet aussi au livre de gagner sa vie. Cela arrive même à l’international : j’ai été invitée avec mon éditrice à la foire de Taipei pour faire des ateliers ! » Par la suite, les trois livres norvégiens, Je suis la Mort ; Je suis la Vie ; Je suis le Clown, ont été publiés en français chez Versant Sud Jeunesse avec un important travail sur la traduction.
DANS LE FUTUR…
Le prochain livre de Marine Schneider aura pour titre Tu t’appelleras Lapin. C’est une histoire entre Fifi Brindacier et Totoro, un peu étrange… À découvrir en automne chez Versant Sud Jeunesse.
© Isabelle Decuyper, Lecture & Culture N° 18, mai-juin 2020