Il est des livres qui détendent et donnent envie d’allonger les jambes sur le divan, et d’autres qui vous obligent à d’incessants aller-retours vers votre bibliothèque et votre collection de disques, qui vous font vérifier telle photographie ou tel détail cartographique sur Internet, et puis qui immanquablement vous tirent de chez vous, ne vous apaisent qu’une fois sur la route. Blues pour trois tombes et un fantôme est de ces livres-là : il se met en branle quand on l’ouvre, et continue de vivre quand on le pose, nous chuchotant à l’oreille des injonctions de promenades et de découvertes, existant de plus en plus en nous au fur et à mesure que l’on explore les pistes qu’il nous propose.Philippe Marczewski nous embarque dans dix itinéraires en apparence erratiques…
Dans une « ville du Nord » marquée par son passé industriel – peut-être est-ce en Belgique – demeure le « héros » de Corps tropical, le roman magistral de Philippe Marczewski. Marié avec une femme qu’il n’appelle que « la femme chez qui je vis » il lui a fait un fils (« l’enfant ») qui, en quelque sorte, l’assigne à résidence chez elle. C’est « un de ces hommes qui – comme l’écrivait Barrico dans Soie – aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre. »Fonctionnaire en principe sédentaire, il lui arrive d’être commis à la livraison en mains propres de documents réputés importants dont il ignore la teneur. C’est lors d’un de ces déplacements en voiture qu’il découvre un parc tropical…
C’était une plage d’Italie.C’étaient les rues désertes et l’appartement mansardé. C’était le goût des kakis sur les lèvres salées. C’était la finesse de ses cheveux. C’était la blondeur des cils autour de ses yeux.Cécile est morte à vingt-sept ans comme toutes ces vedettes dont on fait la liste chaque fois que meurt quelqu’un de cet âge, mais Cécile n’était pas célèbre, elle n’était pas guitariste ni chanteuse ni comédienne, elle avait étudié la psychologie et dans le journal local qui a fait une recension de l’accident c’est ainsi qu’elle a été décrite, Cécile B., 27 ans, psychologue, or toute sa vie était devant elle, tout ce qu’elle allait faire, tout l’air qu’elle allait respirer, tout le vent à venir dans ses cheveux Et le souvenir…
Dans Blues pour trois tombes et un fantôme, on lit de Liège à la fois tout le mal et tout le bien que l’on en pense. C’est une réjouissante lecture cathartique autant qu’une plongée sensible dans les plis d’un paysage, que celui-ci soit ou pas familier au lecteur.
On pourrait platement dire, si l’on voulait prestement vendre ce livre à des amis, que Blues pour trois tombes et un fantôme est un livre sur Liège écrit par un Liégeois. Mais Blues... est d’abord un livre sur toutes les villes du monde, surtout celles qui n’existent qu’en esprit. C’est aussi un très beau livre écrit par quelqu’un qui a longuement étudié la ville avec ses pieds. Il est connu que la marche stimule le cerveau, et c’est ce même frétillement neuronal que provoque l’écriture…
Que serait, aujourd’hui, « filer vers le Sud » ? Un corps tropical interroge la notion d’aventure telle que transposée dans le monde contemporain, formulant une quête débridée où s’éprouve le poids des chairs à coups d’écorchures dans la réalité.
La peau, la gorge, l’os, l’estomac. Quatre chapitres dont les titres délimitent le territoire corporel du livre, 400 pages pour éprouver l’élasticité des parois stomacales autant que la souplesse du verbe. L’exploration s’effectue en parallèle d’une autre, plus attendue dans un roman que l’on dit d’aventures : celle d’un territoire géographique. Au départ de la piscine à vagues du parc tropical d’une petite ville grise et froide, un homme en tous points banal et sans histoire se retrouve à…