Jacqueline HARPMAN, La dormition des amants, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 280 p., 9.50 €, ISBN : 978-2-87568-483-7Se replonger dans l’œuvre d’une autrice aimée, mais dont on a fait la connaissance il y a de nombreuses années, c’est toujours prendre un gros risque. Il se pourrait que l’écrivain adulé déçoive, que ses ficelles paraissent grossières, que ses descriptions agacent et que ses audaces semblent à présent bien banales. Il n’en a rien été. La première chose qui frappe à la lecture de La dormition des amants, c’est à quel point le classicisme élégant de l’écriture de Jacqueline Harpman est efficace, et continue à charmer. Ensuite, bien évidemment, on retrouve avec plaisir ce trait harpmanien, si séduisant et jouissif :…
« Les Thébains sont sûrs qu’il y a, à propos de tout, une idée déjà faite, bien rangée à sa place, on va la chercher, on l’applique et on ne s’interroge pas. Il suffisait que le Sphinx leur dise qu’il s’agissait d’une énigme, c’est-à-dire que la place de la réponse n’était pas connue, pour que, affolés, ils s’égarent, se cognent, trébuchent et ne trouvent rien. » Comme je refuse de croire qu’il en est de même pour les lecteurs du Carnet et les Instants, je me permets d’éviter de raconter le livre de Jacqueline Harpman. l’idée de chronique littéraire n’entraînant pas nécessairement celle de résumé.
Pas envie de raconter ces histoires de femmes qui se révoltent ou assument leur destin. Pas envie — en tout cas — de vous…
« Dieu et le romancier ont des oreilles partout. » Voilà qui est clair. On n’aura pas à titiller Jacqueline Harpman sur une prétendue objectivité de l’écrivain chère à certains modernistes de la littérature. Sa position a elle est limpide, elle est divine : j’entends tout, je vois tout. Position ancienne, position réaffirmée. Position nécessaire pour que son roman ait lieu comme au temps de Barbey d’Aurevilly, à qui elle a emprunté le titre de son livre. Si elle utilise une technique littéraire ancestrale (un jour d’intempéries, pour éviter l’ennui, quelqu’un raconte une histoire), l’écrivaine est bien de son époque, celle de la psychanalyse dont elle a fait son métier. Chaque jour elle est donc confrontée à des narrateurs de vie de famille.…