Jacqueline Harpman   1929 - 2012

PRÉSENTATION
Les romans de Jacqueline Harpman ne puisent pas tant leurs forces dans les intrigues que dans les relations entre individus. Le trouble d'une passion (haine ou amour) justifie bien une double approche littéraire et psychanalytique. De fait, l'écrivain ne cache jamais la psychologue, au contraire, la première paraît avant tout un prolongement (un trop-plein?) de la seconde. Et plus que de portraits, c'est de «scanners» qu'il faut parler : ce qui se passe dans la tête des gens, tout cela est filtré par le regard de l'auteur. Évidemment, au hasard des histoires, il n'était pas question de proposer des rôles à des personnages quelconques. Tous les acteurs sont excessifs. Exagérés? A peine. Plutôt, bien cernés : certains reviennent hanter plusieurs romans successifs sous des avatars divers. On a là un déballage de sentiments à épisodes où le docteur nous dit tout. Les pulsions, les phantasmes et les cris de coeur ne font pas toujours dans la dentelle, mais ils sont terriblement humains. Née à Bruxelles, Jacqueline Harpman a vécu de 11 à 16 ans à Casablanca. Épouse de Pierre Puttemans depuis trente ans, mère de deux filles, elle habite toujours la capitale belge. Après avoir entrepris des études de médecine, elle les abandonne pour l'écriture à laquelle elle se consacre entièrement de 1959 à 1966. Elle travaille aussi pour le cinéma comme scénariste et dialoguiste : Pitié pour une ombre, de Lucien Deroisy, en 1968 (d'après Thomas Owen). A cette époque, la romancière reprend des études et mène à bien une licence en psychologie et, depuis 1976, elle fait partie de la Société belge de psychanalyse. Établie comme psychanalyste, c'est en 1986 que Jacqueline Harpman retombe dans son «péché mignon» : l'écriture. En 1959, elle se voit décerner le prix Rossel et, cette année, son dernier ouvrage vient d'être couronné par le prix Point de mire remis par la RTBF.
PORTRAITS ET ENTRETIENS
Le Carnet et les Instants

Il y a tout juste dix ans, le 24 mai 2012, disparaissait Jacqueline Harpman, laissant « la littérature belge en deuil ». Ces mots d’Adrienne Nizet, qui rédige alors l’annonce nécrologique pour le journal Le Soir, soulignent le rôle joué par cette grande dame des lettres, qui a séduit plusieurs générations de lecteurs tout en s’impliquant dans la reconnaissance de ses pairs.
Ainsi, outre une participation active au jury du prix Rossel, qu’elle avait elle-même reçu en 1959 pour son roman Brève Arcadie, il faut rappeler son rôle déterminant dans la publication du roman inachevé de Laurent de Graeve, Je suis un assassin (2002). Sollicitée par des proches de l’écrivain mort prématurément, elle…

PRIX
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NOS EXPERTS EN PARLENT
Le Carnet et les Instants

Jacqueline HARPMAN, La dormition des amants, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 280 p., 9.50 €, ISBN : 978-2-87568-483-7Se replonger dans l’œuvre d’une autrice aimée, mais dont on a fait la connaissance il y a de nombreuses années, c’est toujours prendre un gros risque. Il se pourrait que l’écrivain adulé déçoive, que ses ficelles paraissent grossières, que ses descriptions agacent et que ses audaces semblent à présent bien banales. Il n’en a rien été. La première chose qui frappe à la lecture de La dormition des amants, c’est à quel point le classicisme élégant de l’écriture de Jacqueline Harpman est efficace, et continue à charmer. Ensuite, bien évidemment, on retrouve avec plaisir ce trait harpmanien, si séduisant et jouissif :…


Le Carnet et les Instants

« Les Thébains sont sûrs qu’il y a, à propos de tout, une idée déjà faite, bien rangée à sa place, on va la chercher, on l’applique et on ne s’in­terroge pas. Il suffisait que le Sphinx leur dise qu’il s’agissait d’une énigme, c’est-à-dire que la place de la réponse n’était pas connue, pour que, affolés, ils s’égarent, se cognent, trébuchent et ne trouvent rien. » Comme je refuse de croire qu’il en est de même pour les lecteurs du Carnet et les Ins­tants, je me permets d’éviter de raconter le livre de Jacqueline Harpman. l’idée de chro­nique littéraire n’entraînant pas nécessaire­ment celle de résumé.

Pas envie de raconter ces histoires de femmes qui se révoltent ou assument leur destin. Pas envie — en tout cas — de vous…


Le Carnet et les Instants

« Dieu et le romancier ont des oreilles partout. » Voilà qui est clair. On n’aura pas à ti­tiller Jacqueline Harpman sur une préten­due objectivité de l’écrivain chère à certains modernistes de la littérature. Sa position a elle est limpide, elle est divine : j’entends tout, je vois tout. Position ancienne, posi­tion réaffirmée. Position nécessaire pour que son roman ait lieu comme au temps de Barbey d’Aurevilly, à qui elle a emprunté le titre de son livre. Si elle utilise une tech­nique littéraire ancestrale (un jour d’intem­péries, pour éviter l’ennui, quelqu’un ra­conte une histoire), l’écrivaine est bien de son époque, celle de la psychanalyse dont elle a fait son métier. Chaque jour elle est donc confrontée à des narrateurs de vie de famille.…


Le Carnet et les Instants

Perdez tous vos repères : elle n’a pas de nom celle qui parle, elle n’a pas de sexe celle qui raconte, pas de souvenir, pas de geste attendu, pas d’Histoire. Elle est là, seule enfant dans la puanteur d’une cave où quarante femmes défèquent, dorment, polémiquent sur la cuisson des lé­gumes. Elles lui parlent à peine, ne la tou­chent pas, ont à peine conduite humaine. Les gardiens font claquer leur fouet et ce seul sifflement suffit à les mater, ces qua­rante femmes enfermées. Pour quel crime ? Pour quelles raisons ?
La puberté l’effleure à peine qu’elle la laisse, juste quelques poils sur le pubis, les seins qui pointent sur le drap. À quoi bon, elle ne connaîtra jamais les hommes…
Mais l’énigmatique adolescente seule dans ce désert des…


Le Carnet et les Instants

Le nouveau roman de Jacqueline Harpman est apparemment à l’extrême op­posé de celui qu’elle nous avait livré l’an dernier. Moi qui n’ai pas connu les hommes négligeait tout point de repère tem­porel et géographique. Orlanda détaille mi­nutieusement une somme considérable de connaissances intellectuelles. Le trop-plein des héros remplace l’histoire « blanche », ab­sente, de l’énigmatique adolescente qui n’avait pas connu les hommes… Une telle charge d’affectivité, d’histoires personnelles, de réminiscences historiques et littéraires autorise même la schizo du per­sonnage principal, l’apparition surprenante de deux personnages distincts : le masculin et le féminin prennent corps littérale­ment…
Les deux livres sont moins éloignés…


Le Carnet et les Instants

Cornélie, bien nommée, te voici li­vrée, tu l’as cherché, coquette, le temps d’un voyage en TEE (Trans Europe Express : on ne disait pas, alors, T.G.V….) Paris-Bruxelles, à un débat cor­nélien entre passion folle et sagesse pru­dente. Cornélie tentée par l’inconnu de l’amour, l’amour d’un inconnu. Unité de temps, de lieu, d’action : un homme et une femme en face-à-face romanesque, dans un wagon-restaurant. Est-ce ta profession de statisticienne qui t’a infusé cette indécision d’abord, cette réserve ensuite : on a beau mettre toutes les chances de son côté, on ne sait jamais, un aléa, soudain…
Tu es pourtant goulue au lit et à table, tel­lement gorgée de santé et de sang que ton dépucelage a déclenché naguère une marée rouge, et créé «…


Le Carnet et les Instants

Heureux les amateur(e)s de Jacque­line Harpman. Ils et elles viennent de redécouvrir son premier roman, L’apparition des esprits dans la collection Ancrage dirigée avec dynamisme et intelli­gence par Stéphane Lambert, le même qui a écrit le très sobre Ensemble, Simone et Jean sont entrés dans la rivière ; ils peuvent of­frir, à tous ceux qu’ils aiment la réédition en Espace Nord d’un de ses plus beaux ro­mans, Le bonheur dans le crime, avec une lecture de Marie Blairon qui explicite l’éco­nomie du récit, les rapprochements avec le roman de Barbey d’Aurevilly et les éléments thématiques qui orchestrent la fiction ; mais encore et surtout ils peuvent se réjouir de son nouvel opus, Récit de la dernière année, qui vient racheter la faiblesse du pré­cédent, L’orage…


Le Carnet et les Instants

« II est périlleux de revoir un amant quarante ans après. Mais relire son premier roman ! » Ainsi s’exclame Jacqueline Harpman, en quatrième de couverture de L’apparition des esprits, qui ouvrait la collection Ancrage, l’été 1999, mais avait paru dès 1960 chez Julliard. Le tout premier livre qu’elle ait écrit, même si l’éditeur ne le publierait qu’après deux autres titres : L’amour et l’acacia et Brève Arcadie, prix Rossel 1959.
Périlleux de le relire ; plus encore, peut-être, de le remettre en lumière alors que les temps ont changé et, surtout, qu’une œuvre s’est écrite dans l’intervalle. Dommage : elle n’a pas pris entièrement le risque de cette confrontation. Ce roman de jeunesse, elle l’a revu — et sérieusement, si l’on en…


Le Carnet et les Instants

Probablement n’est-ce qu’un hasard, mais en cette rentrée littéraire, au moins trois romanciers (peut-être plus, on ne peut évidemment pas lire la plé­thore de livres automnaux dont nombre vont finir par se ramasser — à la pelle)jouent du « dédoublement » de person­nalité : un personnage se retrouve au prise avec un double décalé, hallucinatoire, de lui-même. Alain Robbe-Grillet dans son roman manipulateur La reprise, Amélie Nothomb dans Cosmétique de l’ennemi. Et Jacqueline Harpman dans La vieille dame et moi, son court roman (longue nouvelle ? — 64 pages) qui inaugure « La petite littéraire », la nouvelle collection de la non moins nouvelle maison d’édition Le grand miroir.

Entre Harpman et Robbe-Grillet, nul point commun. D’ailleurs…


Le Carnet et les Instants

Comme on l’annonce en quatrième de couverture, le dernier roman de Jac­queline Harpman, Le passage des éphémères, est cette fois un roman épistolaire, renouant avec la grande tradition du XVIIIe siècle et bravant la difficulté de rendre cohé­rente une narration discontinue et morcelée. Autres liaisons que celles de Laclos, mais tout aussi dangereuses à leur façon, celles-ci met­tent en relation des immortels, comme seuls peuvent l’être des héros de roman, et des éphémères, comme vous et moi. Ou comme une ravissante petite chatte, aimante et aimée au demeurant.
On devine déjà les possibles surprises d’une telle confrontation sans pré­voir pour autant les ressources infinies de l’imagination harpmanienne. On ne sait ce qui plaît le plus à l’auteure, de…


Le Carnet et les Instants

Jusqu’au dernier jour de mes jours. Jacqueline Harpman a choisi un titre éperdument romantique pour son dernier recueil de nouvelles. Ne vous y fiez pas ! Si la première his­toire (qui donne son titre au volume et en est, avec le bref et prenant Jamais plus, la plus belle à mes yeux) nous ra­conte un amour fulgurant mais éternel, on retrouve en d’autres pages la Jacque­line Harpman caustique, incisive, drôle et féroce, aimant s’aventurer sur des chemins imprévus, défier les conven­tions, la logique, et se moquant allègre­ment de la vraisemblance.
« Pourquoi le roman se soucierait-il de vraisemblance ? » me lançait-elle avec un rire éclatant, au moment où le très romanesque La plage d’Ostende obtenait le prix Point de Mire (qu’une erreur te­nace dans…