Sieste pilotes est un texte farfelu où tout rentre à la fois l’adresse universelle propre à l’auteur, un travail de la langue, une écriture qui porte son retour à l’oralité, à une forme de communion, c’est une sorte de manuel d’hypnoses pour nous débarrasser de nos maux, comme un Chaman s’adresserait à nous. Tel un guide de connaissances pour les ‘’nuls’’ ou les simples mais sans aucun jugement comme pouvait être les conversations de Pangloss et de Candide.
Auteur de Siestes pilotes
Antoine BOUTE, Siestes Pilotes, Backland, 2025, 98 p., 17 €, ISBN : 9782959402753J’ouvre Siestes pilotes et, d’emblée, deux évidences : 1) j’aime ce livre et, 2), j’aimerais que, là, à l’instant, Antoine Boute se matérialise devant moi et me lise des extraits de Siestes pilotes, réinventant, pour mes yeux, et surtout mes oreilles, son écrit, dans une lecture performance inoubliable et drôle.Parce qu’Antoine Boute est un maitre. Un expert en écholalies et glossolalies. Prenant grand soin de ne jamais nous perdre. Prenant grand soin à nous tenir en haleine. C’est que, l’air de rien, la langue monstrueuse et les façons de faire d’Antoine Boute tiennent autant du jeu, de la blague, du plaisir qu’il y a à écrire,…
J’accuse réceptiondes langues désertesnon pas enfouiesmais bien cocassesfacile à becquetercomme un pivertdans…
Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures
La prose poétique, les essais de Claire Lejeune (1926-2008) sont placés sous le signe de la fulgurance, d’une poétique radicalement novatrice qui entend décloisonner les savoirs, les expériences afin de traverser les chapes du pouvoir, de la domination et de recontacter les promesses à venir des origines. Dans les années 1960, La gangue et le feu, Le pourpre, La geste, Le dernier testament, Elle signent l’avènement d’une parole qui noue indissolublement naissance à soi hors des rets du patriarcat, expérience mystique d’un verbe politique et poétique, subversion des piliers d’une civilisation qui a muselé les femmes. De se dire, les sans-voix montent à l’existence, gagnent un processus de subjectivation que Claire Lejeune place sous le signe de l’ouverture à l’autre de la raison et aux terres du symbole. « Nous ne faisons pas la poésie. Elle nous fait de nous défaire » écrivait-elle. Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures nous livre de souverains textes inédits choisis par Anne André, Danielle Bajomée et Martine Renouprez, des poèmes à fleur de lave, d’inquiétude, d’un questionnement viscéral, des lettres de sa correspondance avec Maurice Blanchot, avec René Char, avec René Thom, des textes sur les puissances du symbole, accompagnés de photographismes de Claire Lejeune. Le régime de la création est celui de la nudité, de l’extraction hors de la non-vie. Afin de phraser ce qui échappe au monothéisme d’une pensée vertébrée par la Loi — Loi de Dieu, de son substitut, le Père —, il faut inventer une langue-corps, une langue sororale, conquise sur les cendres du divin. « La mémoire de la clé — de l’origyne — s’est perdue, car au nom du Père, sa langue fut coupée, interdite de transmission ».L’entrée en écriture, la conquête d’un soi altéré, diffracté riment avec violence, dépossession, extase mystique sans Dieu, un Dieu confondu pour son imposture. Lire aussi : De la patrie à la fratrie , par Claire Lejeune ( C.I. n° 79) Au travers des extraits de la correspondance avec Maurice Blanchot (une correspondance qui se noua dès 1968 et se prolongea jusqu’en 1994), on mesure toute l’audace d’une entreprise sans équivalent dans les lettres, une démarche radicale qui fut, tout à la fois, poétique, existentielle, intellectuelle, politique. Celle qui porta la blessure immémoriale de la Femme pour la retourner en chant libérateur, celle qui dressa un auto-portrait sous la guise d’une « clandestine, d’une contrebandière de la pensée » fait de la pensée l’instrument de métamorphoses intérieures, d’un recommencement de l’Histoire. Pour gagner une vie supra-individuelle, il s’agit de traverser des seuils, d’être « lourde du Verbe » afin d’« enfanter Le langage ». Réinvention d’une origine barrée et d’une langue mutante, arrachement aux ruines, à la logique des dualismes et délivrance vont de pair. Dans Mémoire de rien, Le Livre de la sœur, Le Livre de la mère, Claire Lejeune défait les héritages mortifères, au fil d’une généalogie où Nietzsche côtoie Lilith, Rimbaud, Héraclite.Au travers de sa poétique sauvage, de l’indompté, du corps soustrait à la tyrannie de l’esprit rationnel, Claire Lejeune nous lègue un vertige de sensible en acte, de concept en mouvement. Comme René Char le lui écrivait dans une lettre de 1966, « Il manquait à la poésie de ce temps une voix pourpre. Nous l’avons désormais ». Véronique…