Poèmes (1920-1963)





AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:xfirstword - "Poèmes (1920-1963)"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => )

Ceci pourrait également vous intéresser...

INTRODUCTION. De l’âme des objets à la phalloplastie

Dans les derniers vers du célèbre poème « Milly »,  Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer? Lamartine, exilé, songe aux saules, aux vieilles tours, aux murs noircis, aux fontaines, aux chaumières d’un pauvre village, autant d’objets qui peuplent le souvenir nostalgique de la terre natale. Mais les objets d’une collection, patiemment rassemblée par ce que les psychologues nomment parfois, peut-être avec trop de désinvolture, un « accumulateur » arrêté au stade anal de son évolution, peuvent-ils, eux, avoir une âme ? Gérard Wajcman voit « chez le collectionneur l’exercice d’une vertu, vantée à la Renaissance, la magnificence, cette disposition d’une personne qui dépense avec éclat, sans compter, pour elle et pour les autres. Hautement civile, cette vertu a aujourd’hui, dans notre monde, forcément un parfum de scandale, voire de subversion. » XX Le collectionneur n’est pas un consommateur comme les autres. Parmi ses motivations, la fiction a peut-être sa place, paradoxale dans ce monde concret et matériel des objets. Comment percer le secret de certains objets sans le recours à l’imaginaire ? Les vendeurs s’y connaissent en affabulation pour vanter et vendre leurs pièces à l’acheteur-rêveur dont le désir de l’Autre le pousse à ramener chez lui une pièce « étrangère ». Et pourquoi ne pas placer, disposer, mettre en scène ces objets, dans un musée, une vitrine ou un salon, de façon qu’ils racontent une histoire ? XX   Car c’est bien de fiction narrative qu’il s’agit, et tout n’est-il pas littérature ? En 1989, l’imam Khomeiny prononçait une fatwa à l’encontre de Salman Rushdie qui avait commis le sacrilège d’écrire Les Versets sataniques. Pour un auteur comme Christian Salmon, les censeurs sonnaient le glas de la fiction. Censurer l’imaginaire, « transformer en délit la pratique artistique » XX , c’était en même temps prouver le pouvoir de la création symbolique, de la fiction qui « ébauche d’autres mondes, d’autres formes de vie, d’autres types de relation entre les hommes » XX . Si la fiction menace le monde, c’est qu’elle fournit « de nouveaux angles pour pénétrer la réalité », « une autre hiérarchie des sens, d’autres modes de perception, une autre subjectivité » XX . Salmon évoque le cas du roman de Danilo Kiš, Un tombeau pour Boris Davidovitch (Gallimard, 1979) qui « taille […] de la vraie littérature » dans la masse des témoignages de survivants XX , qui, selon le site de la maison d’édition, « a pris pour matériau de sa fiction la réalité des liquidations, des procès, des camps et des tourmentes qui sévissent en Europe depuis le début du siècle. » Kiš n’avait-il pas le droit de citer des sources réelles en les faisant passer pour fictives ?  Rendre compte de la réalité en affabulant, mystifier pour révéler la vérité, c’est la nature même, voire la mission de la fiction. Marc Petit, dans Éloge de la fiction, le dit autrement : « L’art en figurant le mal le désactualise pour le rendre visible. Alors seulement le cœur peut s’indigner, l’esprit, comprendre, la main, s’armer pour agir contre lui. Grâce à la fiction. » Ou encore « l’horreur figurée écarte la présence de l’horrible » XX . Et de citer en exergue le Rabbi Nahman de Bratzlav : « À en croire les gens, les histoires sont faites pour endormir. Moi j’en raconte pour les réveiller ».  Les romans, les textes de fiction, les mythes, qui « se souvien[nen]t plus qu’il[s] n’invente[nt] le réel » peuvent « façonn[er] les comportements individuels et collectifs » et le romancier, coupable de « faux et usage de faux », dont « le rapport aux documents n’est guère différent de celui de l’historien », peut bien entendu inventer des documents ; de toutes façons, « le roman est réalité », c’est ce qu’affirme Luc Lang XX (prix Goncourt des lycéens en 1998 pour Mille six cents ventres). Jakob Arjouni (écrivain né à Francfort en 1964) l’avoue, lui, il n’a « aucune pensée pour le lecteur, aucune vocation de missionnaire » et s’il écrit des romans, s’il « invente le réel », c’est pour « mieux comprendre la réalité » XX .  En principe, depuis Aristote, c’est la fictionnalité qui détermine la littérarité d’une œuvre. Le lecteur ne devrait pas s’y tromper, comme le rappelle Gérard Genette sans s’y arrêter XX , « une œuvre (verbale) de fiction est presque inévitablement reçue comme littéraire, indépendamment de tout jugement de valeur, peut-être parce que l’attitude de lecture qu’elle postule, la fameuse “suspension volontaire de l’incrédulitéˮ, est une attitude esthétique, au sens kantien, de “désintéressementˮ relatif à l’égard du monde réel » XX . Où se manifeste la créativité du romancier, si ce n’est au niveau de l’invention ? Dès lors, trop de réel modifierait le texte qui cesserait d’être une œuvre littéraire. Non fiction vs fiction. Pourtant chaque emprunt à la réalité peut se transformer en fiction XX . Et la fiction n’est souvent qu’une réalité exagérée faisant appel à la coopération imaginative du lecteur qui renoncerait volontairement à l’usage de son « droit de contestation » XX . Tout l’art du romancier serait d’éparpiller des « indices de fictionnalité » XX pour créer « un patchwork, un amalgame plus ou moins homogénéisé d’éléments hétéroclites empruntés pour une part à la réalité » XX . Au final, le romancier fait semblant de raconter une histoire vraie et le lecteur décide de le croire ou non.  Salmon le récrira dans un article publié par Médiapart le 19 janvier 2015, «Charlie Hebdo dans le miroir de l’affaire Rushdie»: « Cervantès a le premier montré que la folie et le désordre entrent dans le monde lorsque s’efface la subtile nuance qui sépare le réel de la fiction. » Don Quichotte devient fou parce qu’il ne perçoit pas, ou plus, cette frontière. Mais si cette ambiguïté, volontaire, était justement, pour l’écrivain, la meilleure façon de produire un chef-d’œuvre ? Si cette hésitation du lecteur à identifier réel et fiction dans une œuvre était justement la clé du succès ? Herta Müller, romancière allemande d’origine roumaine, est la douzième femme lauréate du prix Nobel de littérature en 2009. Selon le journaliste Pierre Deshusses, c’est « l’aptitude de l’auteur à donner “une image de la vie quotidienne dans une dictature pétrifiéeˮ, à peindre “le paysage des dépossédésˮ », c’est une « esthétique de la résistance » dénonçant l’oppression dans « une langue acérée, comprimée et ciselée, souvent difficile, qui emprunte à la fois à la poésie et au langage populaire » qui a emporté l’adhésion des membres du comité Nobel XX. Deshusses rapporte ces « aveux » de l’auteure : « J’ai dû apprendre à vivre en écrivant et non l’inverse. Je voulais vivre à la hauteur de mes rêves, c’est tout. » Son roman, La Bascule du souffle (traduit de l’allemand par Claire de Oliveira), paru chez Gallimard en 2010, illustre ce « flou » entre réel et fiction. Retraçant la vie d’un prisonnier roumain homosexuel dans un camp de concentration russe, il use d’une langue poétique qui déréalise le propos. Le lecteur peut s’imaginer que les vapeurs toxiques de la cokerie, la faim, la solitude, la torture ou le malheur en général s’attaquent peu à peu au cerveau du jeune homme et le rendent fou au point que, revenu parmi les siens, il reste possédé par « l’ange de la faim » qui l’a entraîné à « l’art du sourire subtil qui bat en retraite »… Le héros et narrateur affirme, dans les dernières lignes de son récit : « J’ai déjà dansé avec la théière. Le sucrier. La boîte à biscuits. Le téléphone. Le réveil. Le cendrier. Les clés. Mon plus petit cavalier a été un bouton, tombé d’un manteau. Non, faux. Un jour, sous ma table en formica blanc, j’ai vu un raisin sec pouss…

Roger Van de Wouwer, l’incorruptible

À l’heure où Paris célèbre une nouvelle…

Témoigner la monstruosité de la Shoah. Le devoir de mémoire et de transmission de Vincent Engel et Françoise Lalande

Introduction [page 37 de la version papier]  Dans son essai Fiction : l’impossible nécessité, Vincent Engel XX signale que « le discours sur la littérature de la Shoah est dominé par une insistance sur l’incapacité de ce discours et plus particulièrement sa déclination artistique » XX . De fait, le judéocide fut une expérience d’une monstruosité telle qu’elle paraît se situer au-delà de tout ce qui est humainement imaginable, dicible et transmissible. Cependant, ces trois concepts, Engel les qualifie comme des mots qui ne trahissent que notre incapacité à imaginer, dire et transmettre, « des mots qui ne disent rien sur ce qu’on entend qualifier à travers eux » XX .  Méditant sur le caractère toujours inédit et unique de l’expression de l’indicible, Engel montre comment le parcours du narrateur imaginé par Jean Mattern dans Les Bains de Kiraly XX (2008) atteste que, s’il est possible de surmonter la détresse en construisant un discours sur un événement apparemment inimaginable, indicible et intransmissible, le dépassement de cet inénarrable passe nécessairement par l’élaboration d’un récit personnel. Dans cette étude, nous nous proposons de nous faire l’écho des témoignages de deux voix majeures des lettres belges actuelles, deux romanciers [page 38 de la version papier] appartenant à des générations différentes mais dont les familles, juives, éprouvèrent dans leur chair et leur âme les atrocités nazies : Vincent Engel (°1963) et Françoise Lalande-Keil (°1941). Vincent Engel: Respecter le silence des survivants – Vous pourriez le laisser en prison, l’envoyer en Allemagne, dans un camp... – Vous ne connaissez pas les camps, monsieur de Vinelles ; sans quoi, je crois que vous me supplieriez de le fusiller sur-le-champ   plutôt que de l’y envoyer XX ... Cette réplique de Jurg Engelmeyer, un officier allemand qui a ordonné l’exécution d’un jeune garçon en représailles aux actes commis par son père résistant, ne montre-t-elle pas que la monstruosité du nazisme hante le parcours romanesque de notre auteur pratiquement depuis son début ? Dans son article intitulé « Oubliez le Dieu d’Adam » XX , Engel relate qu’au cours de ses études de philologie romane à l’Université catholique de Louvain, son père lui offrit Paroles d’étranger d’Élie Wiesel, une lecture qui le bouleversa : Par le silence de mon père, par son indifférence à la chose religieuse, je redécouvre le judaïsme. Dans les livres, d’abord, au CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif) ensuite. Et Dieu se voile d’un drap sombre : celui de la souffrance à la puissance infinie d’Auschwitz. Toutes les souffrances se mêlent : celle de ma mère [décédée d’un cancer quelques années plus tôt], celle de la famille de mon père disparue dans les camps. (Idem, p. 72) Pourquoi parler d’Auschwitz ? Cette question, Engel s’astreindra à y répondre dès que cette réalité s’imposera à lui comme une « expérience marquante » bien que non vécue personnellement. La lecture et l’étude approfondie de l’œuvre de Wiesel imprimeront sur sa vision de la Shoah « un vocabulaire et des évidences : un monde était mort à Auschwitz, une société y avait fait faillite, et plus rien ne pouvait être comme avant » XX . D’où la nécessité, poursuit Engel, de « repenser le monde, refonder la morale, instaurer des conditions nouvelles pour la création artistique – pour autant qu’elle fût encore possible XX –, forger des mots neufs pour prononcer l’imprononçable [page 39 de la version papier] [...] » (idem, p. 18-19). D’autres évidences surgiront progressivement dans l’esprit de celui pour qui Auschwitz deviendra vite « une obsession » : celles de constater que la masse des documents publiés « n’ont guère servi à éduquer les gens » (idem, p. 20-21) et que les descendants des survivants, qui ont pour tâche de reprendre le flambeau du témoignage, doivent « trouver d’autres moyens d’expression, car ils n’ont pas vécu l’épreuve » (idem, p. 19). Si ses travaux scientifiques XX lui permirent d’« épuiser » la question « épuisante » de la responsabilité de Dieu devant le génocide juif ou, en tout cas, de tourner une page (ODA, p. 72), par après, c’est principalement à travers la fiction qu’Engel poursuivra cette interrogation sur la Shoah. Une interrogation qui trouve donc sa source directe dans la tragique histoire familiale et dans une identité juive ashkénaze fort ancienne. Comme il le détaille dans quelques interviews et articles XX , ses ancêtres paternels, polonais, étaient des juifs religieux appartenant à la bourgeoisie aisée. Bien que la situation dût se dégrader après la Première Guerre mondiale au cours de laquelle la famille se réfugia à Budapest où son père naquit en 1916, ils sont une famille juive inscrite dans le processus d’assimilation propre à cette période et à leur classe sociale ; les enfants fréquentent des écoles où ils côtoient la bourgeoisie polonaise catholique. Une intégration donc plutôt réussie mais qui n’empêchera pas leur déportation au début des années quarante. De toute la famille paternelle survivront un seul oncle, communiste avant la guerre et rescapé des camps, qui s’en ira faire sa vie à Los Angeles et y deviendra religieux orthodoxe, ainsi que le père de Vincent Engel, parti poursuivre ses études en Belgique vers 1938 et qui, après avoir passé la guerre dans les forces belges de la R.A.F, décidera de s’y installer définitivement : « Plus tard, il me dirait : “N’oublie pas que, pendant la guerre, des Juifs se sont battus”. » (Idem, p. 70.) Quand, à quarante ans, il rencontre son épouse, celle-ci, bien qu’appartenant à une bourgeoisie catholique bruxelloise imbue de solides préjugés, propose de se convertir au judaïsme. Une proposition qui sera rejetée par l’intéressé pour des raisons sur lesquelles l’écrivain ne peut que conjecturer : [page 40 de la version papier] Son athéisme s’était certainement renforcé à l’épreuve de la guerre et des camps. Ou bien, comme d’autres, refusait-il d’inscrire dans une telle tradition de martyre des enfants à venir. Ou bien, plus pragmatiquement, avait-il jugé que les meilleures écoles, à son avis, étaient catholiques. Hypothèse que conforte non seulement le refus de la conversion de sa femme, mais aussi le fait que ses enfants seraient baptisés, inscrits dans des écoles catholiques et feraient leur profession de foi. (Idem, p. 70-71) Une profession de foi qui, chez l’adolescent Engel, ne va pas de soi ! La découverte de l’œuvre de Wiesel et la relecture de Camus lui permettront de régler progressivement le conflit qu’il entretient avec ce christianisme qui prône la soumission, ferme les yeux sur les injustices les plus flagrantes – « Questionner Dieu sur la souffrance, celle d’Auschwitz ou celle de ma mère, accroît l’obscénité de la souffrance, puisque Dieu n’intervient pas et ne répond pas » (idem, p. 74) – et transmet à tous un goût certain pour la culpabilité. Ce qu’Engel (re)découvre dans Camus, la fausseté de la question de Dieu tout comme le devoir pour tout un chacun de suivre un cheminement éthique exigeant, n’est-ce pas en définitive ce que son père lui a transmis ? Évoquant ailleurs la figure paternelle, Engel insiste d’une part sur la certitude de celui-ci « qu’il n’y a pas de droits de l’homme sans le respect de devoirs, et de liberté sans responsabilité » ; d’autre part, sur « [son] impossibilité de dire à ses proches qu’il les aimait ». Et, ajoute-t-il, « pour ce qui est du judaïsme, un silence réduit à l’essentiel. [...] Mais un silence capable de faire passer le judaïsme, le sien, auquel son cadet au moins adhérera pleinement après ses vingt ans » XX . Car ce qui séduit Engel dans le judaïsme, c’est le fait qu’il représente « un rapport à…