« Écrire, c’est se perdre avec l’air de celui qui semble savoir où il va, car écrire passe par cet état de perte, hors de contrôle, qu’il sera toujours temps de contrôler. Il faut accepter cet inconfort, suivre le mouvement de son texte et lui faire confiance jusqu’à gagner en liberté et ouvrir son imaginaire. Au fil des expérimentations, on cherche à trouver son propre gabarit littéraire, autrement dit, sa langue, sa forme, son propos.
Écrire, c’est aussi se confronter à un formidable catalogue d’œuvres qui font la littérature. Si elles nous fascinent tant, c’est que nous y avons appris à voir le monde par les yeux de celles et ceux qui se sont posé les mêmes questions adaptées à leur époque, suscitées par elle et la longue mémoire des siècles » (J. R. et N. S.).
Comment Racine, Flaubert ou Proust se sont-ils « trouvés » ? Et tant d’autres, de Kerouac à Bernhard, de Woolf à Duras, en quoi leur œuvre peut-elle apporter des réponses aux romanciers en proie à la passion d’écrire, mais aussi aux blocages, aux doutes, aux errances… ? Puisant dans l’histoire des lettres comme dans la pratique des ateliers d’écriture, Jean Rouaud et Nathalie Skowronek nous proposent un voyage aux sources de la création, mêlé de conseils et d’exercices, pour délivrer un art poétique tout personnel.
Auteur de Nécessaire d'écriture
Un nécessaire de couture comporte de nombreux objets : patron, ciseaux, aiguilles, fil, etc. Il en est pareil de ce Nécessaire d’écriture. Conseils aux jeunes romanciers, de Jean Rouaud et Nathalie Skowronek. On y trouve des recommandations sur l’art d’écrire, des propositions d’exercices, des réflexions sur la littérature, de l’histoire littéraire, et surtout l’expression de leurs propres expériences.L’essai est centré sur le roman, malgré la difficulté, énoncée d’emblée, de pouvoir définir ce que l’on entend par là, d’autant que sa conception a varié avec le temps. L’idée centrale est qu’un genre est largement influencé par l’époque. Il était ainsi inconcevable que Racine se…
Une revue catholique au tournant du siècle : Durendal 1894-1919
À propos du livre (texte de l'Introduction) Lorsqu'on parcourt une histoire de la littérature belge de langue française, le chapitre consacré à cette époque particulièrement florissante, qui va de 1880 à la première guerre mondiale, frappe par l'éclosion soudaine de revues littéraires qui suivirent l'exemple de la Jeune Belgique. Dans la liste de ces revues plus ou moins éphémères, l'attention est attirée par la longévité surprenante de l'une d'elles, Durendal, revue catholique d'art et de littérature . Ce mensuel catholique parut pendant vingt ans, de 1894 à 1914, alors que la Jeune Belgique ne sortit de presse que durant seize années et que la Wallonie disparut au bout de sept ans. Quelle recette a donc permis à Durendal de garder si long-temps ses lecteurs? Et une seconde question vient à l'esprit : à quoi pouvait bien s'intéresser une revue littéraire catholique à un moment où la littérature catholique semble inexistante? Qui a fondé Durendal ? Quels étaient ses objectifs? Autant de questions sur lesquelles bien peu de critiques ou d'historiens littéraires se sont penchés. En faut-il davantage pour désirer examiner avec un peu d'attention cette revue et la sortir de l'oubli, comme ce fut fait autrefois pour la Jeune Belgique et la Wallonie ? C'est ce que nous allons essayer de faire : rechercher les origines de la revue, découvrir son but, analyser la manière dont elle l'atteignit et les raisons qui la maintinrent en vie au-delà de la durée moyenne d'existence des revues littéraires belges. Ce travail ne se veut pas exhaustif: beaucoup d'aspects devront malheureusement rester ignorés, principalement certains problèmes plus particulièrement artistiques qui sortent de nos compétences par leur caractère trop technique. Nous ne proposerons pas non plus, dans chaque chapitre, un relevé détaillé de tous les articles parus dans Durendal et traitant du sujet mais seulement les extraits les plus significatifs. La présentation typographique de la revue, son illustration de plus en plus abondante et le sommaire de chaque numéro ne nous paraissent pas mériter de longs développements. Il suffit de savoir qu'en 1894 chaque numéro comptait vingt pages, tandis que ce nombre…
Dans la collection « Documents pour l’Histoire des Francophonies » qu’il dirige aux éditions Peter Lang, Marc Quaghebeur publie le premier volume d’une somme qui en comptera cinq : Histoire, Forme et Sens en littérature. La Belgique francophone . Si l’auteur y rassemble – encouragé par le regretté Jean Louvet – une série d’articles publiés depuis 1990, il ne s’agit pas d’une simple réédition : sélectionnés avec soin, les textes ont été retravaillés parfois en profondeur, ré-intitulés, ordonnés à la fois selon la chronologie des périodes traitées et selon le point de vue adopté. Ces coups de projecteur mettent en relief avec une grande précision la diversité et la complexité des relations entre histoire générale et œuvres littéraires – car tel est le fil conducteur de l’entreprise. Sans s’attarder aux micro-structures textuelles – de minimis non curat praetor –, l’auteur parcourt à grandes enjambées les siècles et les règnes, le champ international de préférence aux terroirs, les mythes nationaux et les idéologies officielles, le romanesque et le théâtral davantage que la poésie, les récits extravertis plutôt que les introvertis. Ainsi traque-t-il obstinément « l’enracinement et l’articulation des faits littéraires dans et à l’Histoire », ses recherches l’ayant progressivement convaincu qu’il existe un « lien génétique entre l’Histoire et les Formes ». L’entreprise n’est pas sans risque. Expliquer le surgissement et le contenu des œuvres littéraires par les caractéristiques du contexte où elles sont nées mène généralement à une vision déterministe où sont oubliées tant la position spécifiquement subjective de l’écrivain que la structure interne du texte. M. Quaghebeur ne tombe pas dans ce travers positiviste, précisément parce qu’il ne fait pas de l’explication de texte. Ce qui l’intéresse chez De Coster ou Kalisky en passant par Verhaeren, Maeterlinck, Bauchau, Compère, c’est de repérer dans leurs écrits les échos – tantôt manifestes, tantôt plus discrets – de l’histoire passée ou contemporaine de la Belgique, et d’analyser ces échos pour en identifier la logique sous-jacente : idéalisation de personnages ou d’épisodes, mythification, déformation, parodie, dénégation, etc. Il affirme en particulier la propension des écrivains belges à éluder les événements survenus, à se réfugier dans l’imaginaire, le légendaire, le fantastique. Et « si renvoi à l’Histoire il y a dans la fiction belge de langue française, c’est foncièrement à travers les figures de l’échec historique ou de la sortie de l’Histoire »… Avisé, l’auteur ne se contente pas de revisiter le panthéon des chefs-d’œuvres estampillés, lequel donne de toute littérature une image faussée. D’une part, il redécouvre des livres peu connus de Nirep, G. Eekhoud, M. Van Rysselberghe, Rosny ainé, sans négliger les genres paralittéraires comme la bande dessinée ; d’autre part, il examine de nombreux ouvrages, textes et articles non littéraires qui concernent l’histoire et l’identité nationales, offrant ainsi d’utiles points de comparaison ou de référence.Intitulé L’engendrement (1815-1914) , ce Tome 1 montre l’importance de certains mythes dans la construction de l’identité nationale, particulièrement l’« âge d’or » de la période 1450-1560, ou la « culture belge » comme confluent des cultures latine et germanique, tandis que le rapport à la France fait l’objet d’une attention soutenue, notamment en ce qui concerne la question de la langue ou l’histoire des lettres à la Gustave Lanson ; la colonisation du Congo et le déclenchement de la Grande Guerre ne sont pas, eux non plus, sans relation avec la production littéraire, ce que l’auteur démontre de manière convaincante. D’une grande richesse intellectuelle et informative, ces pages sont toutefois d’une lecture ardue. La formulation est souvent abstraite, elliptique, surtout dans les passages généralisants. Plus curieusement, M. Quaghebeur ne définit pas les grands concepts sur lesquels s’appuie son édifice. Ainsi, ce qu’il dénomme l’« Histoire » se réduit le plus souvent, sous sa plume, à l’exercice du pouvoir, de la domination, avec la place prépondérante donnée aux volontés des puissants, ce pour quoi il peut qualifier de « sorties de l’Histoire » l’exil d’Œdipe ou l’abdication de Charles Quint. Quant aux « Formes » littéraires qui seraient déterminées par les vicissitudes historiques, ce vocable ne semble pas désigner le genre ou le style, comme on s’y attendrait, mais plutôt la thématique et l’imaginaire des œuvres… Bref, l’ouvrage est visiblement destiné à un cercle étroit d’universitaires expérimentés. Daniel Laroche L'auteur met en relation la fin de la révolution de 1830, qui voit la naissance d'une Belgique moderne, et l'apparition d'une littérature francophone…
Promenade sur Marx : Du côté des héroïnes
Au lieu de suivre la piste de ceux qui font l’histoire, Valérie Lefebvre-Faucher propose avec Promenade sur Marx de faire attention à l’implication de ces femmes bien souvent en marge du cadre. Car si le chemin le plus connu est bien souvent le plus réducteur, faisons ce détour (bienvenu) pour comprendre l’histoire des écrits de Marx, que dis-je, des femmes Marx. Au lieu de suivre la piste de ceux qui font l’histoire, Valérie Lefebvre-Faucher propose avec Promenade sur Marx de faire attention à l’implication de ces femmes bien souvent en marge du cadre. Car si le chemin le plus connu est bien souvent le plus réducteur, faisons ce détour (bienvenu) pour comprendre l’histoire des écrits de Marx, que dis-je, des femmes Marx. Valérie Lefebvre-Faucher, titulaire d’une maîtrise en création littéraire et autrefois éditrice au Remue-ménage et chez Écosociété, a un goût pour les écrivaines. Dans un style clair et parsemé d’humour, l’auteure inscrit parfaitement son propos dans la collection micro r-m qui propose, à travers des courts textes, d’enrichir la réflexion politique et philosophique autour des enjeux du féminisme. Ce qu’aime Valérie Lefebvre-Faucher, c’est enquêter sur les liens qui unissent les écrivains, et tout particulièrement les écrivaines, et c’est bien là que se joue son projet d’écriture dans Promenade sur Marx . C’est une découverte qui l’obligera (pour son grand plaisir) à s'éloigner du sentier tout tracé de l’histoire, balisé depuis des années et tenant comme seul et unique chemin praticable. Avant de prendre l’autoroute des idées, il a d’abord fallu construire collectivement des chemins alternatifs, au grand dam de celles et ceux qui aiment les choses bien rangées. « Je suis toujours étonnée de croiser ceux qui ne marchent que sur les grands boulevards, qui ne lisent que les majuscules prétentieuses de l’histoire. Tout le monde sait pourtant que pour connaître une ville il faut en arpenter les ruelles. » Ce que Lefebvre-Faucher nous fait comprendre d’emblée est la toile de relations qui se cachent derrière chaque grand concept. Loin de l’idée romantique d’un génie créateur aux réflexions individuelles, Promenade sur Marx met en lumière ces femmes cachées dans l’ombre des statues élevées à la gloire de ces hommes-penseurs. Car, de l'œuvre de Karl Marx, qui connaît l’influence de Jenny Caroline et Laura Marx sur les idées de leur père ? Qui a pris connaissance des écrits d’Eleanor Marx ? Dans une pensée qui prône l’égalité, qu’en est-il de celle entre hommes et femmes ? « Rien n’est simple quand on cherche les femmes de l’histoire, car les bons filons finissent souvent en cul-de-sac. » Les deux filles aînées de la famille, Jenny Caroline et Laura Marx, autour de 1865. (photographe inconnu.e, Wikimedia Commons) C’est ici que le féminisme entre en piste, un féminisme matérialiste (lié à la pensée marxiste). Notre auteure s’étonne du peu d’informations disponibles à propos des femmes de la famille Marx, malgré leur implication : Jenny, la femme de Marx, professeure à l’université et auteure de critiques de théâtre, sera surtout la recherchiste, la transcriptrice, l’éditrice et la correctrice de son mari et de ses amis penseurs, tandis que Laura Marx traduira en français Le Manifeste du parti communiste . On retrouve aussi chez Eleanor Marx des réflexions sur le travail domestique et la condition féminine : comment militer pour l’égalité de toutes les femmes et de leur émancipation si le travail du foyer, qu’elles doivent endurer, doit alors être pris en charge par une domestique ? Dans ce court essai, Valérie Lefebvre-Faucher nous fait comprendre que, si la pensée des femmes n’a pas toujours eu la place pour éclore, c’est aussi par un manque de possibilités. Si votre vie est rythmée par les tâches du foyer et l’éducation de vos enfants, cela vous laisse moins de temps pour débattre d’émancipation sociale en fumant le cigare avec vos amis, n’est-ce pas ? Il est intéressant d’observer notre monde à travers cette réflexion, et on remarque ainsi que les personnes qui peuvent engager un changement sont aussi ceux et celles qui en ont les moyens : le temps, l’espace de pensée et l’aspect financier. Il en va de même pour ceux et celles qui façonnent leur pensée, par la lecture, comme vous et moi en ce moment-même. Alors, si vous trouvez le temps d'entamer une promenade parmi les idées, je vous invite à ne pas toujours suivre les sentiers balisés, et vous serez peut-être surpris de la diversité des pistes délaissé e s et oublié e s. « Chaque route bifurque vers une nouvelle vie, une œuvre de plus à découvrir. Il n’y a rien de surprenant : les humains pensent et créent ensemble. Écrire se fait à plusieurs. La philosophie est une forêt. » Avez-vous remarqué ce personnage en marge du cadre, dont on ne nous raconte pas l’histoire? Une enquêtrice décide de suivre la piste des femmes entrevues dans les portraits de Marx. Ses antennes féministes remuent en direction de l’héritage marxien: tant de gloire virile recouvrant une pensée d’égalité, c’est louche. Quel risque courons-nous si nous nous intéressons aux femmes qui étaient là? Une simple promenade qui, au final, chamboule tout. Vous qui possédez Le petit Karl comme un catalogue d’outils à dégainer dans toutes les situations, que savez-vous de l’œuvre d’Eleanor Marx? De l’influence de Jenny ou de Laura Marx? Camarades, quelqu’un vous a-t-il parlé d’elles pendant ces nombreuses années…