Dans son préambule, Philippe Lekeuche questionne le sens du travail du poète, après longtemps de poésie. « Faire » de la poésie, dit-il, est un « acte ». « Il n’y a pas de mots d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, cela a un prix (par exemple donner sa vie), tout comme cette pratique de la poésie exige des renoncements, et même le sacrifice – je le souligne –, la question restant ouverte : le sacrifice de quoi ? On ne le sait pas, on l’apprend avec les années, dans l’endurance. Je veux dire qu’on le vit, c’est une épreuve. Et quant à la réponse de savoir si cela en vaut la peine, elle fait toujours défaut. Et qu’importe ! On n’a guère besoin d’elle. »
Auteur de L’épreuve
La poésie est sacrifice – sacrifice pour quoi ? – nul ne le sait, mais sacrifice indubitable. L’idée surgit dès le préambule de L’épreuve de Philippe Lekeuche et traverse ses trois mouvements. Le recueil est en effet construit en forme de sonate et sa partition est rythmée par les peintures d’Isabelle Nouwynck. Au fil de ses développements, les thèmes s’introduisent, sont repris, modulés, croisés en contre-chant, mais jamais résolus.Le premier mouvement expose un état. Le poète habite en solitude. Cette solitude est intense de réminiscences et de méditations ; elle est le prélude au poème et l’univers que requiert son travail. Isabelle Nouwynck accompagne ce mouvement d’un dessin représentant…
La disposition typographique de la page participe-t-elle à la poésie ? Depuis Apollinaire, la question a trouvé réponse. Le trou de ver , dernier recueil de Patrick Devaux , se décline dans l’alignement vertical de vers courts (un mot, une préposition de deux lettres parfois). Il entraîne la lecture dans une verticalité vertigineuse. On ne peut éviter de s’interroger à nouveau ici, au gré des pages dont plusieurs s’ouvrent sur ce qu’on sait des choses . Les rituels poétiques de Devaux, mêlent le banal d’un voyage en voiture à travers la nuit ( la buée sur les vitres (…) les deux phares de la voiture (…) un rétroviseur) au surgissement de l’étrange ( soudain / une louve / aux yeux jaunes ). Le poète fait alors de l’entrelacement du réel et du magique, du quotidien et du rêve, une source à laquelle il vient puiser le questionnement du poème ( je n’entendais rien d’autre qu’un poème récité sans danger précis ), la langueur allègre de sa graphie ( un crayon / doux / gribouillait un poème) et la nécessité d’écrire ( de profil / l’écorce / d’un grand saule / traduisait / la puissance / des secondes / en/ langage ). Un insecte brisé survient que rien ne ressuscitera, même pas le poème. La mort s’immisce alors dans la vibration poétique : mort de l’insecte, d’une feuille de saule ; mais aussi l’écriture qui survient, comme une improvisation de jazz, écriture rapide, presque instantanée, instituant une anarchie que seule contient la rareté des mots et leur disposition dans le poème vertical, au bord d’un précipice.Dans son éclairante préface, Jean-Michel Aubevert propose une lecture sensible, ce mot utilisé au temps de l’argentique pour qualifier le papier où naissent les images captées du réel. Il nous dit sa perception de la verticalité de la disposition des mots, du rythme hachuré de celui qui fait l’aveu : J’ai tant écrit / après / avoir / si peu / su/ dire. Est-ce dans ce qui est absent de la page qu’il faudrait alors chercher ce qui est la quête poétique ? « Ce qui fut éphémère dans l’instant s’avère durable au cœur. Le poème en recueille le battement », écrit Aubevert qui semble avoir fait sienne cette vision du poème de Devaux : « L’écrit pour parole ultime au rebond de l’intime ».Ce sont ainsi deux scintillements poétiques qui nous sont donnés, celui du préfacier, celui du poète. Catherine Berael, qui accompagna déjà l’un et l’autre à plusieurs reprises, ajoute en couverture et à la fin de l’ouvrage deux dessins : un visage au regard anxieux ou effrayé ; un couple dont une femme vêtue de rouge se précipite dans les bras d’un homme dont le mouvement et la silhouette se confondent avec le tronc noir de l’arbre dont il semble issu. La verticalité de l’arbre contrastant avec le mouvement des personnages répond-t-elle à l’interrogation initiale de cette recension concernant la poésie du dispositif typographique ?Le blanc oppressant de la page ne serait pas absence de mots mais effet du temps : Avec le temps / le trou / de / ver / n’a pas / pris / une ride. / Il a broyé / les mots non-dits / jusqu’au vide/ et / je n’ai plus su / ce qu’on sait / des choses. Jean Jauniaux Plus d’information Un beau recueil, tournoyant, scintillant, contrasté, où l’auteur, pudique, témoigne une fois de plus d’une sensibilité riche de ses épreuves, à mots comptés au feutre des métaphores. Gardez-vous du poème. Le verbe sait où il vous mène. partage d’hésitations quand l’ombre est folle parfois à lisser d’un trait noir…
Incarner le désincarné, laisser la présence en pointillé, sur la pointe de la venue et de la partance,…