Né en Belgique en 1952, François Emmanuel est l’auteur d’une vingtaine de romans, mais également de nouvelles, de poèmes, de pièces de théâtre et de textes inclassables. Psychiatre et thérapeute de profession, formé au Théâtre Laboratoire de Jerzy Grotowski, François Emmanuel a bâti un imaginaire fondé sur une attention extrême au monde, à son étrangeté, à ses failles, aux êtres fragiles qui le peuplent. Son oeuvre très diverse est traversée par un style singulier, unique, éminemment reconnaissable, le style d’un grand écrivain. Les romans de François Emmanuel ont emporté l’estime du grand public autant que des cercles littéraires ; La Passion Savinsen obtint le prix Victor Rossel en 1998 et Regarde la vague, le prix triennal du roman en 2009. Le Monde de François Emmanuel établit le bilan de cette oeuvre en dévoilant certains des secrets qui en font le charme et le succès.
Découvrez également la recension de Daniel Laroche.
Auteur de Le monde de François Emmanuel
Auteur de Le monde de François Emmanuel
Christophe MEURÉE (dir.), Le monde de François Emmanuel, A.M.L., coll. « Archives du futur », 2022, 492 p., 28 €, ISBN : 978-2-87168-089-5Si on ne présente plus François Emmanuel, on peut sans fin le redécouvrir, à l’exemple de Jean-Luc Outers qui confie s’emparer régulièrement, au hasard, de l’un de ses romans – et l’étagère qu’ils peuvent occuper dans une bibliothèque est longue – pour y picorer une page, un bref extrait, une ligne. Le volume Le monde de François Emmanuel permettra, à celles et ceux qui ont trop longtemps ajourné le bonheur de faire sa rencontre, de l’approcher cette fois en exhaustivité comme en intimité.« Un monde », quel écrivain n’en est pas un ? Sa…
Quand, au milieu du XVIIe siècle, Arnauld d'Andilly fait paraître sa traduction des Vies des saints pères des déserts , il ne livre pas seulement un texte philologiquement sûr à la lecture édifiante des moniales et des reclus; il espère que les gens du monde y trouveront des exemples nombreux de sainteté pour en faire un instrument de leur conversion à Dieu. Bien d'autres livres, qui semblent à l'usage exclusif des conventuels, prétendent in fine excéder le lieu de leur diffusion professionnelle pour être lus dans le «monde». Et ils l'ont été. Cette performance du texte religieux de conversion et de retraite illustre un procès de rencontre entre deux univers, trop souvent tenus pour être quasi étanches et, pour le moins, opposés l'un à l'autre : le cloître et le «siècle». Centrée sur le XVlle siècle français, non sans puiser aux sources d'un passé parfois récent ou s'oser aux extrapolations pour les siècles suivants, la réflexion qui est ici présentée cherche à montrer que, si opposition il y a eu entre ces deux sphères des destinées humaines, la bipartition n'aura été aussi vive que par le fait de la similarité structurelle qui les fait trop semblables pour qu'elles ne s'opposent pas. Par l'ascèse, dont la diffusion se fait dans l'espace curial, qui commande aux nouveaux comportements légitimes et aux représentations dominantes de la société d'Ancien Régime, prennent forme un procès de domestication des pulsions, une éthique de la convergence du paraître social et de l'être psychologique, un fétichisme déréalisant qui porte sur les grâces royales de plus en plus symboliques, sur les petits riens de l'étiquette et sur une subordination de l'espace privé à une montre publique de soi. Ce protocole trouve son homologie déplacée dans l'espace du cloître : la césure de l'être avec son passé mondain, l'investissement dans les promesses divines de la rédemption, la transparence du coeur et de l'âme dans la promiscuité cénobitique, l'attention annihilante, voire mystique, aux moindres détails qui comptent plus que tout au regard de Dieu. De manière plus circonstancielle, les nouveaux modèles de l'éthique aristocratique ont puisé aux instructions anciennes des novices ; en retour, les prélats ou les supérieurs redéfinissent les Règles monastiques à partir des préceptes de la civilité aristocratique. Structurant un échange continu du fait de cette position inédite entre deux mondes, la manipulation des exemples édifiants formalise la congruence des modèles existentiels, tel saint Louis, mythifié pour exalter le fondateur spirituel de la monarchie, pour magnifier l'union des obligations séculières avec celles de la pénitence et pour cautionner la lutte contre les protestants. Parce que le recrutement monastique montre une surreprésentation des fractions sociales dominantes, s'expliquent l'imposition du modèle aristocratique dans les réformes monastiques du XVlle siècle et, plus sourdement, l'émergence d'un procès plus vaste où rétrospectivement se définira l'homme moderne — l'individu — dans son agir social et dans la représentation qu'il va intérioriser des usages licites et surtout sublimants où l'individu finira par se penser au-delà des…
Camp Est : journal d’une ethnologue dans une prison de Kanaky-Nouvelle-Calédonie
Ethnologue, écrivaine, autrice de La maison de l’âme (Editions Maelström, 2010), Chantal Deltenre livre dans Camp Est un journal de terrain qui évoque la mission d’observation ethnograhique en milieu carcéral dont elle a été chargée. Étrangère à la culture kanak, au monde calédonien et extérieure à l’institution pénitentiaire, elle côtoie durant un mois le « Camp Est » situé sur l’île de Nou, une prison de Nouméa dont elle décrit et analyse le fonctionnement, les cercles de violence physique, structurelle, sociale, symbolique, mais aussi les enjeux et l’impensé. Le récit est avant tout celui d’un dépaysement, d’un saut dans un monde doublement inconnu (culture kanak, monde mélanésien et espace carcéral), d’une attention à la dimension coloniale de l’institution pénitentiaire. Toujours placée sous la souveraineté de la République française, la Nouvelle-Calédonie a très tôt été conçue par la France coloniale comme une terre de bagnes sur laquelle expédier les détenus de droit commun ou politiques (quatre mille Communards, dont Louise Michel, furent transférés dans des pénitenciers calédoniens). Ce qui frappe Chantal Deltenre, ce sont les suicides des jeunes détenus, la composition de la population, à majorité kanak (90% de détenus kanak, presque toujours issus de quartiers défavorisés, de squats), la minorité de prisonniers caldoches, d’origine européenne, la crise identitaire, psychique que l’enfermement induit. L’ethnologue recueille les témoignages des différents acteurs, interroge l’écartèlement de ces jeunes entre une culture tribale dont ils sont coupés et un monde post-colonial dont les effets racialistes, la ségrégation identitaire, les ravages sociétaux sont prégnants. Prisme, miroir grossissant permettant de radiographier l’état de la société calédonienne actuelle, le Camp Est « placé sous la tutelle de l’État français » sert aussi de révélateur mettant en lumière les dysfonctionements, les conditions inhumaines de survie dans les prisons françaises (surpopulation, traitements humiliants et dégradants, absence d’une politique suffisante de prévention et de réinsertion sociale, logique sécuritaire et répressive créant des citoyens de seconde zone, stigmatisés…).Comme l’écrit Marie Salün dans sa postface : « Sentiment de vertige face au gouffre qui s’ouvre sous nos pieds, à l’heure de la construction programmée, d’ici 2027, de 15 000 places supplémentaires dans les prisons françaises. Puisse son texte faire réfléchir à la fuite en avant que constitue cette politique pénale ». Reconduisant les inégalités, produisant de la délinquance, la prison n’est-elle pas obsolète, en son principe ou dans les formes, dans la logique qu’elle adopte ? Au fil de son enquête quotidienne, Chantal Deltenre se heurte à un monde de détresses, de souffrances qui se traduisent par des actes d’automutilation, par des suicides de détenus. Elle relie la fonction politique des centres de détention, de la gestion des délits, l’utilisation de la main-d’œuvre pénale sous-payée à « l’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie » qui « est précisément celle d’une succession d’enfermements », d’une destruction de la culture kanak. Chassées de leurs terres, spoliées, privées de droits politiques (jusqu’en 1946), les populations autochtones se voient parquées dans des réserves. Sans réduire la délinquance juvénile à une perte de repères, elle-même liée à la mise en crise du mode de vie clanique sous l’effet de la colonisation, Chantal Deltenre pointe les faisceaux étiologiques, les continuités entre l’espace carcéral des réserves et la fonction actuelle de la prison. Soulignant la décohésion sociale engendrée par le heurt d’une effroyable violence entre société indigène et modèle occidental, elle étudie, de l’intérieur, les modalités de contrôle social.Histoire de regards, de rencontres, d’empathie, ouvrage décisif, Camp Est ouvre la méthodologie ethnographique à l’expérience vécue que la chercheuse traverse, une expérience qui la modifie, qui infléchit son enquête, qui déporte les enjeux épistémologiques, les outils scientifiques vers un horizon politique et éthique subjectivement assumé. Véronique Bergen Plus d’information En 2016, Chantal Deltenre se voit confier une mission d’observation ethnographique par l’administration pénitentiaire française au « Camp Est », la prison de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Elle y est demeurée un mois. Étrangère à l’univers carcéral tout autant qu’au monde calédonien, elle en rapporte un récit qui plonge le lecteur de plain-pied dans un centre de détention directement hérité…