Le jour où j'ai commencé à écrire

J’ai oublié l’heure exacte du jour précis où j’ai pris la décision de commencer à écrire, mais cette heure existe, et ce jour existe, cette décision, la décision de commencer à écrire, je l’ai prise brusquement, dans un bus, entre la place de la République et la place de la Bastille. Je n’ai plus la moindre idée de ce que j’avais fait auparavant ce jour-là, car, dans mon souvenir, à cette journée réelle de septembre ou d’octobre 1979 où j’ai commencé à écrire se mêle le souvenir du premier paragraphe du livre que j’ai écrit, qui racontait comment un homme qui se promenait dans une rue ensoleillée se souvenait du jour où il avait découvert le jeu d’échecs, livre qui commençait, je m’en souviens très bien, c’est la première phrase que j’ai jamais écrite, par : “C’est un peu par hasard que j’ai découvert le jeu d’échecs.” Ce que je sais avec plus de certitude, le souvenir se précise maintenant davantage, c’est que, rentré chez moi ce jour-là, ce lundi-là,…

   lire la suite sur   REVUES.BE


FIRST:livre décision mois lecture cinéma châtiment - "Le jour où j'ai commencé à écrire"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 10141 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Rousseau et les Lumières contrariées

Les « moi » successifs (obsessionnels ?) Identifier…

“Guerre et Térébenthine”, un livre magistral de Stefan Hertmans

L'écrivain flamand Stefan Hertmans (né en 1951) avait en sa possession depuis plus de trente ans des cahiers remplis par son grand-père, avant d'oser prendre connaissance de leur contenu. C'est ce que nous explique l'auteur dans les premières pages de Guerre et Térébenthine (Gallimard, 2015), tout de suite après avoir évoqué ses souvenirs les plus anciens de cet homme énigmatique mais aussi secret qui avait survécu aux horreurs vécues dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale, qui fut mis à la retraite pour cause d'invalidité de guerre à l'âge de 45 ans et se concentra par la suite sur ce qui était devenu pour lui plus qu'un violon d'Ingres: la peinture - il avait obtenu un " brevet de capacité en peinture et dessin anatomique ". Hertmans découvre et nous livre graduellement, par étapes, la poignante réalité de ce "plus". Résister pendant trente ans à la tentation de lire ces cahiers pourrait sembler pathétique, une forme de Wichtigtuerei, une manière de se rendre intéressant. Le livre basé sur ces cahiers n'offre cependant aucun prétexte à une telle interprétation. Hertmans est totalement dépourvu de pathos et, dans ce livre, il excelle plus que jamais par un style à la fois lucide, objectivant et extrêment précis, poétique, style qui s'insinue lucidement dans le monde de l'objectivité mais qui en même temps témoigne de la prise de conscience du fait qu'il subsiste toujours des traces insaisissables et propices à la nostalgie auxquelles se heurte désespérément le langage le plus raffiné.  Il hésitait à ouvrir ces cahiers plus tôt parce qu'il se rendait compte que les utiliser et les incorporer dans un récit le pousserait, lui, l'écrivain, dans ses derniers retranchements. Il redoutait l'échec paralysant, ce que le lecteur ne comprend que trop bien après avoir lu Guerre et Térébenthine. Le grand-père de Hertmans, Urbain Martien, vécut de 1891 à 1981. L'écrivain a donc connu son grand-père suffisamment longtemps pour pouvoir confronter les mémoires de celui-ci avec ses propres souvenirs. Ce qui est surprenant dans ces mémoires, du moins pour ce qui en constitue la pièce de résistance, c'est-à-dire la Première Guerre mondiale (la Seconde est liquidée en moins d'une page), c'est qu'ils ont été écrits près d'un demi-siècle après les événements. Le vécu d'Urbain Martien doit littéralement avoir laissé une impression à ce point marquante, doit s'être incrusté dans sa mémoire comme s'il s'agissait de blessures dont les cicatrices témoignaient encore de la douleur plusieurs décennies après qu'elles furent infligées. À partir de 1963, Martien s'est consacré pendant pas moins de dix-sept ans à son manuscrit de six cents pages au total. Hertmans estime qu'en écrivant, son grand-père s'aventurait toujours plus profondément dans les tranchées de ses souvenirs. Guerre et Térébenthine constitue véritablement un tour de force. En gros, la première partie est placée sous le signe de la térébenthine, c'est-à-dire de la peinture du grand-père, la deuxième sous celui de la guerre, et les deux se retrouvent entremêlées dans la troisième partie. Mais certains fragments, dont quelques-uns parmi les plus boulevesants, remontent plus loin dans le temps encore. Ils parlent du père du grand-père, ou plutôt de l'amour intense que celui-ci nourrissait pour Céline, femme fière, d'un milieu aisé où l’on n’admettait pas qu’une fille " de bonne famille " puisse s'acoquiner avec un homme d'origine modeste. D'une beauté sublime est l'image de Franciscus et d'Urbain dans le silence sacré d'une église où le premier, tout en haut d'une échelle, devient presque partie intégrante des scènes peintes qu'il est en train de restaurer, tandis que son fils, en bas, fait figure d'auxiliaire. Tout aussi impressionnante, fût-ce surtout déchirante, est la déclaration d'amour posthume, anxieusement camouflée, du grand-père Urbain à sa première femme prématurément décédée, la Maria Emelia idéalisée, éclairée partiellement dans les dernières pages du livre seulement, et là aussi la peinture se voit attribuer un rôle de premier plan, cette fois-ci comme porteuse d'un chagrin intense, de douleur et de sublimation. Il s'agit là incontestablement d'une formidable prouesse, que l'auteur réalise sans recourir à aucun artifice. Hertmans ne semble éprouver aucune difficulté à conférer à ces vies qui appartiennent à des générations antérieures une proximité physique et émotionnelle evidente, souvent déconcertante. Qu'il y ait des décalages importants et très variables dans le temps est manifeste et ressort de nombreux passages dûment documentés, d'événements historiques évoqués en passant ou d'aspects courants de la vie, mais l'empathie qui caractérise l'écrivain, combinée bien sûr avec les informations puisées dans les cahiers du grand-père, parvient à chaque fois à les abolir. Bien que se tenant à l'arrière-plan, Hertmans n'en relate pas moins sa quête, en formulant les doutes et les difficultés auxquels il s'est vu confronté. De plus, il projette de temps à autre discrètement le rapport père-fils (de Franciscus et d'Urbain) sur sa propre vie, car lui aussi est fils d'un père et père d'un fils. Le livre couvre de la sorte une période d'un siècle et demi sans que le lecteur ait jamais l'impression que ces vies éloignées dans le temps ne présentent plus qu’un intérêt historique, comme s'il s'agissait de données quasi abstraites dans un continuum grisâtre de générations qui se succèdent. La force de persuasion du livre réside principalement dans le fait que Hertmans prend absolument au sérieux ces vies solidement documentées. Nulle part il n'intervient dans les récits qu'il découvre en émettant les jugements critiques faciles du descendant qui sait et comprend tout après coup, nulle part il ne se montre supérieur en recourant à des ficelles tout aussi commodes que seraient l'ironie, le grotesque ou la caricature, nulle part il ne se profile comme le pivot central égocentrique rayonnant, comme l'artiste génial aux pouvoirs magnétiques ayant pour effet que toutes ces vies quelque peu désordonnées semblent tout d'un coup se couler dans des schémas limpides. Il est évident que Guerre et Térébenthine ne se préoccupe pas le moins du monde des limites traditionnelles entre les différents genres. Le livre comporte des aspects documentaires, tient de l'essai et présente des traits philosophiques, mais tous ces éléments découlent toujours logiquement, presque organiquement, du dessein littéraire. Que des historiens présentent la Première Guerre mondiale comme une rupture sans pareille est ainsi illustré de manière extrêmement concrète - et je dois me limiter à un seul exemple:     "La rupture de style est intervenue dans l'éthique de la violence, écrit Hertmans. La génération de soldats belges qui fut conduite dans la gueule monstrueuse des mitrailleuses allemandes au cours de la première année de guerre avait encore grandi selon l'éthique exaltée du XIXe siècle, avec un sentiment de fierté, un sens de l'honneur et des idéaux naïfs. (...) Les soldats se lisaient entre eux des petits livres (...), souvent même de la poésie. (...) Un militaire devait constituer un exemple pour la population qu'il était tenu de protéger. La piété, une aversion radicale pour les abus sexuels, une grande mesure dans la consommation d'alcool, parfois même une abstinence totale." De tous ces idéaux il ne subsistait plus rien dans les tranchées. Ils ont toutefois bel et bien survécu - et c'est ce qui rend tellement attachant ce livre magistral - dans l’existence de ce grand-père réservé, naïf, qui réprimait son chagrin, écrivait et peignait. Cyrille Offermans (Tr. W. Devos) STEFAN HERTMANS, Guerre et Térébenthine (titre original : Oorlog en terpentijn), traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin, éditions Gallimard, Paris, 2015, 402 p. (ISBN 978 2 07 014633 8). Rappelons que le n° 3 / 2014 de Septentrion contient des…

Quelle place pour le visuel dans les archives littéraires?

[Anne Reverseau est chercheur FNRS de l'Université catholique de Louvain.] Ce petit texte entend proposer quelques réflexions sur la place du visuel dans les archives des écrivains. Il s’agit plus pour moi de soulever des questions que d’apporter des réponses définitives, étant à l’orée d’un large programme de recherche portant sur la manipulation d’images par les écrivains, de 1880 à nos jours. Ce programme met l’accent sur les gestes que font les écrivains avec tout type d’images. Il s’appuie sur l’idée d’une continuité entre agencement d’images sur les murs, dans les manuscrits et dans les livres. La place du visuel dans les archives d’écrivains, une question longtemps peu pensée, est donc pour cette recherche tout à fait centrale. * Quel visuel? Je préfère dans ce cadre parler de « visuel » et non d’« images » pour permettre à des formes comme le dessin en marge du manuscrit, la sculpture ou le film d’entrer dans la réflexion. Les problèmes théoriques que soulève la définition de l’image sont en effet redoutables: l’image peut-elle être un original ou uniquement une reproduction? Y a-t-il des images en trois dimensions…? Dans les archives d’écrivains, on trouve plusieurs types de visuels, explicitement artistiques ou non, et produits ou non par l’écrivain.  On pense d’abord aux captations vidéo ou aux photographies de plateau des adaptations théâtrales ou cinématographiques d’œuvres littéraires. Ce matériel figure en général dans les archives littéraires et peut servir à comprendre, comme les dossiers de presse, la réception et la continuation de l’œuvre. On pense ensuite aux nombreuses œuvres plastiques, notamment lorsqu’elles sont de la main d’un écrivain qui était aussi peintre, sculpteur, photographe ou cinéaste. Les lieux de conservation sont alors souvent différenciés. Les photographies d’Hervé Guibert sont par exemple conservées par la galerie Agathe Gaillard à Paris, tandis que ses archives littéraires sont à l’IMEC à Caen, comme celles de Pierre Albert-Birot dont le versant plastique de l’œuvre est, lui, au Centre Pompidou. Le cas d’Édouard Levé, écrivain et photographe contemporain, dont les archives textuelles et visuelles sont conservées au même endroit, à l’IMEC, fait plutôt figure d’exception. C’est aussi la chance du Fonds Henry Bauchau qui se trouve à l’Université catholique de Louvain. On trouve également aux côtés des archives littéraires les œuvres plastiques qui ont été offertes à l’écrivain, matériel important pour réfléchir aux relations entre les arts et commenter la façon dont les écrivains ont souvent été des amateurs, des regardeurs et des critiques d’art. Il faut ajouter à cela tout un ensemble d’images non artistiques, vernaculaires, personnelles ou au contraire industrielles, qu’elles appartiennent à l’écrivain (photographies d’amateurs ou dessins sans prétention, par exemple) ou qu’elles aient simplement été collectées par lui. Photographies, cartes postales, coupures de presse, images publicitaires, « images de peu » pour reprendre l’expression de Christian Malaurie XX , constituent un ensemble dont souvent les archives littéraires ne savent que faire. Cette imagerie pauvre constitue pourtant bien souvent l’environnement visuel d’un écrivain. Je veux parler de l’environnement visuel de son époque, de son lieu de résidence, de sa classe sociale, mais aussi plus précisément de celui de son «cabinet de travail» selon l’expression que Pierre Mac Orlan emploie dans un article sur l’importance du graphisme qui nous entoure XX . Comment, alors, conserver et valoriser les images souvent triviales qui figurent au mur ou sur le bureau d’un écrivain, son « décor domestique pittoresque » comme disaient les journaux et les magazines de l’entre-deux-guerres qui en étaient friands? * Archiver le visuel? La question des archives visuelles des écrivains possède un double enjeu de conservation et d’exploitation. Il est particulièrement difficile d’archiver l’imagerie pauvre qui accompagne les écrivains dans le travail de création. Si l’on pense aux images qui peuplent, depuis le 19e siècle au moins, les bibliothèques personnelles, singulièrement celles des écrivains, on imagine aisément les obstacles qui se dressent à leur conservation. Lorsque une bibliothèque intègre un fonds d’archives, on constitue un catalogue et chaque livre est collecté individuellement, dans un autre ordre que celui qui régnait en général sur les étagères. Parfois les archivistes vont photographier la bibliothèque telle qu’elle était utilisée, et éventuellement garnie d’images, sans conserver toutefois le matériel visuel de façon systématique. C’est par exemple la rencontre avec la bibliothèque, encore entière et illustrée, de Sebald sur qui Muriel Pic avait travaillé, qui est à l’origine de son projet d’exposition et de livre, Les Désordres de la bibliothèque, qui consistait à déplier les bibliothèques pour en faire apparaître le visuel. « Moment unique car les bibliothèques d’auteurs, quand elles sont conservées, sont “désossées” pour entrer dans le catalogue. J’ai photographié et je me suis rendu compte, comme je l’explique dans un article XX , que la bibliothèque avec les documents glissés dans les livres est un modèle pour sa manière d’introduire l’image dans le texte » XX . Pour plusieurs bibliothèques d’écrivains ou de penseurs, elle a ainsi sorti les images dont les livres étaient truffés pour les disposer sur les rayons, les photographier puis monter les images en une seule grande séquence. Cet exemple contemporain montre combien les archives visuelles des écrivains sont affaire de reconstitution plus encore que de conservation. L’environnement visuel se trouve en effet dans d’autres contextes aussi complètement mis en scène, par exemple dans les maisons d’écrivains et leurs reconstitutions spectaculaires d’un cabinet de travail ou d’une bibliothèque. C’est le cas de la bibliothèque et du bureau de Valery Larbaud à Vichy, dont le matériel visuel est important, ou des maisons de Pierre Loti ou de Victor Hugo, pour lesquelles la volonté de muséalisation remonte au vivant des auteurs. Ces cas contrastent fortement avec d’autres maisons d’écrivains singulièrement vidées de tout « décor domestique pittoresque » authentique, comme la maison de Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil, ou la Casa Pessoa de Lisbonne.     © Anne Reverseau, revue Francophonie vivante n° 2019-1, Bruxelles   Notes 1. Chr. Malaurie, L’ordinaire des images. Puissances et pouvoirs de l’image de peu, Paris, L’Harmattan, « Nouvelles études anthropologiques », 2016. 2. « Le cabinet de travail d’un créateur, quel que soit son mode de création, modifie son pittoresque » (P. Mac Orlan, « Graphismes », dans Arts et métiers graphiques, no 11, 15 mai 1929). 3. M. Pic, « L’atlas fantastique: W.G. Sebald lit Walter Benjamin et Claude Simon », dans Quarto. Archives Littéraires Suisses, no 30-31: Urs. Ruch et Ulr. Weber (dir.), Autorenbibliotheken / Bibliothèques d’auteurs, 2010, pp. 72-76. 4. Entretien par courriel avec Muriel Pic (juin 2017). Chr. Malaurie, L’ordinaire des images. Puissances et pouvoirs de l’image de peu, Paris, L’Harmattan, «Nouvelles études anthropologiques», 2016. «Le cabinet de travail d’un créateur, quel que soit son mode de création, modifie son pittoresque», P. Mac Orlan, «Graphismes», dans Arts et métiers graphiques, no 11, 15 mai 1929. M. Pic, «L’atlas fantastique: W.G. Sebald lit Walter Benjamin et Claude Simon», dans Quarto. Archives Littéraires Suisses, no 30-31: Urs. Ruch et Ulr. Weber (dir.), Autorenbibliotheken / Bibliothèques d’auteurs, 2010, pp. 72-76. Entretien par courriel avec Muriel Pic (juin 2017).…