J’ai oublié l’heure exacte du jour précis où j’ai pris la décision de commencer à écrire, mais cette heure existe, et ce jour existe, cette décision, la décision de commencer à écrire, je l’ai prise brusquement, dans un bus, entre la place de la République et la place de la Bastille. Je n’ai plus la moindre idée de ce que j’avais fait auparavant ce jour-là, car, dans mon souvenir, à cette journée réelle de septembre ou d’octobre 1979 où j’ai commencé à écrire se mêle le souvenir du premier paragraphe du livre que j’ai écrit, qui racontait comment un homme qui se promenait dans une rue ensoleillée se souvenait du jour où il avait découvert le jeu d’échecs, livre qui commençait, je m’en souviens très bien, c’est la première phrase que j’ai jamais écrite, par : “C’est un peu par hasard que j’ai découvert le jeu d’échecs.” Ce que je sais avec plus de certitude, le souvenir se précise maintenant davantage, c’est que, rentré chez moi ce jour-là, ce lundi-là,…
Un prix unique du livre en Belgique francophone
Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FW-B) a voté le 18 octobre 2017 le décret relatif à la protection culturelle du livre proposé par la Ministre de la Culture, Madame Greoli. Ce décret ouvre une nouvelle page de l’histoire du livre en Belgique francophone. Il vise à supprimer progressivement tout mécanisme apparenté à l’ex-tabelle et à réguler le prix du livre dès le 1er janvier 2018 en limitant à 5% durant deux ans (un an pour les bandes dessinées) les possibilités de variation par rapport au prix fixé par l’éditeur. Alda Greoli : «C’est un moment fondateur que l’adoption du décret relatif à la protection culturelle du livre, une manifestation concrète de ce qu’est l’exception culturelle. Un tel projet était attendu depuis trente-cinq ans. Le livre, c’est la manifestation la plus concrète de la culture. Le livre est aussi souvent la première rencontre de l’enfant avec la matérialisation de sa culture. Le prix unique du livre jouera en faveur du maintien d’un nombre élevé et varié de points de vente et d’une offre qualitative et diversifiée.» Le livre est la seconde activité culturelle des Européens et des Belges. C’est un marché qui représente un chiffre d’affaires annuel de près de 245 millions d’euros et un secteur de création majeur, avec notamment la littérature, la bande dessinée et le livre jeunesse. C’est aussi le vecteur de la connaissance scientifique et technique, le support pédagogique principal et un élément clé du débat démocratique. Alda Greoli : «De nombreux pays européens dont nos voisins directs, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, ont légiféré sur le "prix du livre". Tous les exemples étrangers démontrent qu’une protection culturelle du livre permet une distribution et une création de meilleure qualité. À l’inverse, les pays qui ne pratiquent pas de régulation ou qui l’ont abandonnée, se trouvent confrontés à des phénomènes de concentration de distribution et de création préjudiciables à la diversité culturelle.» Le décret est le fruit d’une concertation réussie avec l’ensemble du secteur du livre depuis plus de deux ans. Il entend répondre au mieux aux demandes légitimes de celui-ci : ➢ une plus juste concurrence entre les librairies indépendantes, les grandes surfaces et les sociétés de ventes en ligne en limitant les possibilités de remises ; ➢ la reconnaissance de l’imbrication culturelle et économique des marchés du livre belge francophone et du livre français ; ➢ la maîtrise du prix du livre rendue à l’éditeur ; ➢ la suppression progressive de la « tabelle » appliquée sur un certain nombre de livres venant de France et, par conséquent, la diminution du prix payé par les consommateurs belges pour l’achat de ces livres ; ➢ les spécificités de la production des éditeurs francophones belges, comme celles de la bande dessinées ou des livres juridiques ; ➢ l’accessibilité de la lecture dans les écoles ; ➢ le respect des spécificités du marché du livre numérique, selon des modalités compatibles avec la législation européenne. Principaux éléments du décret / À partir du 1er janvier 2018 ➢ Durant les vingt-quatre premiers mois de vie d’un livre, son prix sera fixe et correspondra à celui déterminé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant ne pourra appliquer qu’une remise maximale de 5%. ➢ Ce délai est ramené à douze mois pour les bandes dessinées. ➢ Au-delà de ces délais, le prix du livre sera libre. ➢ La vente en ligne est également concernée par le contenu du décret. ➢ Le livre numérique est présent dans le projet de décret avec des mesures propres à ce marché toujours en développement. ➢ Des dérogations sont prévues : une remise de 15% maximum peut être accordée par les détaillants, sur tous les livres, mais uniquement aux établissements scolaires, aux bibliothèques publiques et autres asbl ayant des missions d’éducation, d’alphabétisation ou de promotion de la lecture ; une remise maximale de 25% est autorisée uniquement pour l’achat de manuels scolaires (au sens strict) par les écoles. Le Gouvernement pourra décider de réduire dans un second temps cette remise eu égard à l’évolution du marché. ➢ Un organisme sera désigné par le Gouvernement pour récolter et rendre public gratuitement les informations indispensables au bon fonctionnement du marché du livre : date de mise en vente, prix, identification de l’éditeur, de l’auteur, ISBN… ➢ Une commission indépendante de règlement extrajudiciaire des litiges sera créée, auprès de l’administration, par le Gouvernement au terme d’un appel public à candidatures. ➢ Un comité d’accompagnement sera instauré pour accompagner la mise en œuvre du décret, répondre aux questions des associations professionnelles et proposer au Gouvernement des recommandations. ➢ Dans les trois ans après l’entrée en vigueur du présent décret et ensuite tous les trois ans, le Gouvernement évaluera les mesures d’encadrement du prix du livre. À partir du 1er janvier 2019 : mort annoncée de la tabelle Actuellement, dans les librairies francophones belges, un livre importé de France sur deux porte une petite étiquette masquant le prix imprimé sur la quatrième de couverture. Si vous la décollez, vous découvrirez que le prix initial fixé par l’éditeur a été augmenté de 10 à 17% en passant la frontière ! Cette différence s’explique par une majoration du prix appelée «tabelle» ou « mark up » pratiquée principalement par les deux plus importants distributeurs de livres. Elle était autrefois utilisée pour couvrir les frais de douane et les risques de change entre les francs belges et les francs français. Dans une même communauté linguistique, dans un même marché, dans une même zone monétaire, les arguments pour justifier cette majoration du prix du livre sont devenus anachroniques et difficilement défendables aux yeux du consommateur qui n’hésite pas, du coup, à acheter ses livres sur des sites de vente en ligne gérés par des librairies françaises ou des opérateurs internationaux qui, eux, ne pratiquent pas la tabelle. Grâce au décret, la majoration des prix pratiquée par les distributeurs de livres importés de France sera progressivement supprimée. De manière à permettre l’adaptation des acteurs du marché et éviter une dévalorisation brutale des stocks des livres tabellisés (tant chez les détaillants que chez les distributeurs), une période transitoire est instaurée : du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, une tabelle maximale 8 % pourra être appliquée et du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020, ce taux sera réduit à 4 %. Les livres imprimés à partir du 1er janvier 2021 ne pourront plus être tabellisés du tout. Dernière étape L’État fédéral ayant gardé les compétences résiduaires pour les matières biculturelles et les institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-capitale (qui, en raison de leurs activités, ne peuvent pas être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou l’autre Communauté), le décret régulant le prix du livre en Communauté française et celui régulant la même matière en Communauté flamande ne couvrent pas tous les points de ventes de livres dans la Région bruxelloise. Un accord de coopération entre ces différentes entités est donc indispensable pour éviter toute distorsion de concurrence entre des détaillants situés…
Inside Llewyn Davis. Le cycle de l’homme malchanceux. (Cinéma)
Pour leur 16e long-métrage, les frères Coen signent une variation tragicomique du mythe de Sisyphe sur fond de musique folk. Dès la deuxième scène du film dont il est le personnage principal, Llewyn Davis se fait passer à tabac. La cause de ces coups n’est pas claire — l’homme qui l’attaque semble lui en vouloir de s’être moqué de sa femme —, mais le résultat est que notre anti-héros gît désormais par terre, à l’ombre d’une ruelle remplie de neige. Quelques instants plus tôt, il jouait de sa guitare et de sa voix Hang Me, Oh Hang Me, suscitant une certaine appréciation auprès du public d’un café-concert de Greenwich Village, et le voilà désormais puni. Pour un sale tour qu’il a commis, certes, mais pour lequel il ne méritait probablement pas une telle raclée. Au cours des nonante minutes de film qui vont suivre, Llewyn va continuer à se prendre des coups. Pas physiquement (quoiqu’un hiver glacial sans manteau est sa propre forme de douleur corporelle), mais plutôt des coups à son moral, à ses très maigres finances, et à son art, qui ne lui permet même pas d’avoir un toit sous lequel se loger. Pour ce musicien folk qui tente de se faire sa place sur la scène new-yorkaise de 1961, les mauvais tours de la vie s’accumulent avec une cruauté invraisemblable. Il y a bien sûr le manque d’argent, de domicile et de succès, mais le hasard s’acharne aussi de manière plus sournoise : son compagnon de voyage se fait arrêter sur une autoroute emportant avec lui les clés de la voiture, le chat qui s’est malencontreusement retrouvé à sa charge s’échappe, et les opportunités professionnelles lui passent systématiquement sous le nez. Même ses décisions les plus rationnelles finissent inévitablement par se retourner contre lui avec une cinglante ironie. Toutes les portes se ferment à lui, métaphoriquement parlant, voire littéralement. De manière incidentelle, Llewyn est souvent la cause de son malheur, au point qu’il serait presque tentant d’affirmer qu’il mérite ce qui lui arrive, ou en tout cas qu’il en est le principal responsable. Comme aime lui répéter Jean (Carey Mulligan), une amie musicienne qu’il a peut-être mise enceinte, Llewyn est ce qu’on pourrait appeler un « asshole ». Sa sincérité est aussi intense dans ses interactions sociales que dans l’exercice de sa musique, et c’est bien là le problème. Peu de gens daignent s’intéresser au folk authentique et mélancolique dont il joue, et encore moins s’avèrent réceptifs à la désagréable franchise de son caractère. À l’inverse, il est presque impossible pour le spectateur de ne pas ressentir une certaine empathie pour lui. Tout le monde a un jour vécu ces terribles contrariétés qui s’accumulent les unes après les autres de manière disproportionnée, et la vulnérabilité de Llewyn aux aléas de la vie fait de lui une figure assez attachante. La performance de Oscar Isaac y est pour beaucoup : il exprime l’incompréhension et l’accablement de son personnage face à l’infortune avec une justesse dans laquelle on peut aisément se reconnaître. Pour toutes ses fautes en tant qu’être humain, il semble injuste d’être né sous une aussi mauvaise étoile. * En cela, Inside Llewyn Davis est en parfaite cohérence thématique et narrative avec la filmographie des frères Coen. C’est le propre de leur cinéma que de mettre en scène des personnages souffrant inlassablement de hasards absurdes et de coïncidences trop grosses pour être vraisemblables. Le monde tel qu’ils le conçoivent est dangereux et arbitraire, et qu’on interprète les événements s’y déroulant comme la démonstration d’une (vicieuse) justice divine, ou comme la preuve de l’absence de Dieu, ne change pas grand-chose : les « péchés » des personnages sont tous aussi souvent punis qu’impunis, et la vie se montrera d’une manière ou d’une autre injuste. On retrouve dans Inside Llewyn Davis quelques personnages typiques des Coen, à savoir ces figures bourgeonnantes et comiquement irritables qu’on leur connaît bien. Personne n’aura oublié Please Mr. Kennedy, ce morceau musical d’anthologie dont le caractère génialement risible se double d’une terrible ironie : la chanson, auquel Llewyn ne participe que pour des raisons financières, recevra probablement plus de succès que n’importe quelle autre composition concoctée par ses soins. Si humour il y a dans le film, il en est indéniablement la victime principale et, il faut bien l’avouer, le désespoir et la mélancolie qui se dégagent de sa situation sont telles qu’il devient parfois difficile de distinguer la comédie du simple drame. Est-ce que traverser plus de mille kilomètres en voiture (et presque autant d’embûches) afin de rencontrer un producteur de musique, pour finalement s’essuyer un refus sans ambiguïté de sa part, est purement et simplement une tragédie, ou une blague cosmique particulièrement cruelle ? Aux spectateurs d’en décider. Aucune blague/tragédie n’est plus perverse et évocatrice que celle qui survient dans les dernières minutes du long métrage. Après ses multiples épreuves (dont un aller-retour à Chicago, un départ avorté vers une nouvelle vie, et littéralement un avortement), Llewyn retourne au café-concert où le film avait débuté, et irrité par son horrible semaine, ainsi que passablement éméché, il perturbe de ses insultes la performance d’une dame d’un certain âge. Comme c’est à chaque fois le cas, ses actions reviennent le hanter, pas plus tard que le soir suivant d’ailleurs. Alors qu’il vient d’achever Hang Me, Oh Hang Me devant le public, Llewyn fait une rencontre familière : celle d’un homme, visiblement contrarié des moqueries que le musicien a fait subir à son épouse la veille, et qui ressemble à s’y méprendre à celui qui lui avait administré une raclée au début du film. Son visage est difficile à distinguer et les positions de la caméra ne sont pas exactement les mêmes, mais la séquence est quasiment identique à la première, en dialogues et en contenu, et le résultat est le même : Llewyn gît par terre, les côtes douloureuses. Une telle répétition d’événements peut sous-entendre beaucoup d’interprétations. On pourra bien sûr y voir une occurrence surnaturelle, qui supposerait que Llewyn répète inlassablement la même semaine. Ce n’est pas une hypothèse que le film défait complètement, et il y a certainement une part d’onirisme dans la mise en lumières et dans la construction du montage, mais cette répétition sert surtout d’allégorie, encapsulant le fonctionnement de la vie de Llewyn. Notre anti-héros est en toute apparence destiné à souffrir pour ce qu’il a fait par le passé, et à répéter les mêmes erreurs, semant ce qu’il récolte et récoltant ce qu’il sème dans un cycle sans fin. La référence la plus évidente ici semble être Sisyphe, cette figure de la mythologie grecque qui chaque jour doit faire rouler un rocher en haut d’une colline pour voir, une fois arrivée au sommet, le rocher retomber tout en bas, avec l’obligation de recommencer sa tâche pour l’éternité. Llewyn apparaît lui aussi condamné à répéter continuellement ses épreuves, pour finalement se retrouver dans la même situation qu’au départ, sans aucune preuve de ses efforts. Cette interprétation est bien sûr sujette à discussion. L’apparition sur scène après le passage de Llewyn de la silhouette très reconnaissable de Bob Dylan marque une différence notable entre le début et la fin du récit. Historiquement, sa célébrité a donné un coup de fouet au folk, et son introduction dans les derniers instants du film annonce indéniablement la popularisation à venir de ce genre musical. De là à dire que ce changement permettra au personnage principal de briser le cycle dans lequel il est enfermé, cela reste sujet à débat. Une telle ambiguïté est très caractéristique…
Le jour où j'ai commencé à écrire
J'ai oublié l'heure exacte du jour précis où j'ai pris la décision de commencer à écrire, mais cette heure existe, et ce jour existe, cette décision, la décision…