Éditeur de Samuel Beckett et de J.M.G. Le Clézio, Georges Lambrichs fut l’un des grands animateurs de la vie littéraire de la seconde partie du XXe siècle. Né en Belgique en 1917, entré en contact avec La NRF dès les années 1930, il devient en 1942 le correspondant à Bruxelles de la revue littéraire clandestine Messages. Proche de Vercors, il officie comme lecteur aux Éditions de Minuit à la Libération, avant d’en prendre la direction littéraire. Auprès de Jérôme Lindon, il édite Samuel Beckett, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Michel Butor. C’est le temps du « nouveau roman », mais c’est aussi celui d’un lien très fort entre la NRF et Minuit, soutenu par l’amitié avec Jean Paulhan.
Entré aux Éditions Gallimard en 1959, Georges Lambrichs y orchestre l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains et de critiques. Pleinement dévoué à la littérature de création, il accueille dans la collection « Le Chemin » et sa revue attenante, Les Cahiers du Chemin, Georges Perros, Jean Starobinski, Michel Chaillou, Jacques Réda, Henri Meschonnic, Pierre Guyotat, Gérard Macé, Jean-Marie Laclavetine et, dès 1962, J.M.G. Le Clézio.
Le Chemin continue retrace un parcours éditorial d’exception.
Dans sa biographie du Belge Georges Lambrichs, Arnaud Villanova remet à l’honneur un éditeur singulier de la vie littéraire parisienne d’après-guerre, plonge dans les arcanes de plusieurs grandes maisons, révèle un métier sur lequel circulent pas mal de légendes et nous fait revivre une époque intellectuellement dense.Si on vous demande ce qui relie les noms de Samuel Beckett et J.M.G. Le Clézio, deux Nobel de littérature, Alain Robbe-Grillet, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Michel Butor, Michel Foucault, Georges Perros, Michel Chaillou, Jacques Réda, Gérard Macé, Jean-Marie Laclavetine, Jean-Loup Trassard, Christiane Rochefort et bien d’autres, penseriez-vous à Georges Lambrichs, Belge exilé à Paris ? Pourtant, cet homme a été le lecteur et l’éditeur…
Dépasser la mort : L’agir de la littérature
« Je suis juste quelqu’un qui, comme nous tous, a vu s’effondrer la falaise juste à côté de soi, qui a tremblé au bord du gouffre, et qui a échappé au vertige parce qu’un, puis deux, puis un grand nombre d’écrivains lui ont pris la main pour le tirer en arrière. Venez, je vous précède et je les suis. » En ouverture de son dernier livre, Myriam Watthee-Delmotte nous fait la confidence du suicide d’un ami, André, dont la mort à quarante ans a provoqué le séisme intime dans lequel nous plonge la disparition des êtres chers. Ce bouleversement laisse sans voix et sans mots ceux qui, au contraire de Myriam Watthee-Delmotte, n’ont pas exploré les voies de résilience que la littérature nous ouvre et dont l’auteure de Dépasser la mort nous propose ici quelques titres choisis dans sa bibliothèque. Celle qui a créé le Centre de Recherche sur l’Imaginaire à l’Université catholique de Louvain a élargi le champ du littéraire à celui de la musique : son livre nous propose un accompagnement musical sélectionné dans le catalogue du label Cypres, et disponible en écoute libre sur le site de l’éditeur musical. Pour nous guider, et aller au-delà de son expérience personnelle, Myriam Watthee-Delmotte envisage le face à face avec les multiples visages de la mort, dont les plus grimaçants sont à n’en pas douter le suicide et la mort d’un enfant, en nous proposant de jeter au dessus de l’abîme des passerelles de mots, de phrases, de livres dont elle égrène au fil des chapitres, les secours qu’ils pourraient nous apporter, le premier d’entre eux étant d’ « accueillir la réalité douloureuse et fondamentale qu’est la mort ».Les titres de chacun des chapitres, accompagnés de leur environnement musical, sont autant d’illustrations et de déclinaisons de la phrase de Victor Hugo, placée en exergue du livre : « Les morts sont les invisibles ; ils ne sont pas les absents ».Combien de fois n’avons-nous pas, lecteurs, fait cette expérience que seule la littérature permet : lisant un livre, qu’il soit de poésie, de fiction romanesque, de théâtre, nous nous sommes soudain sentis moins seuls au monde parce qu’une phrase nous disait simplement ce que nous étions, ce que nous ressentions, ce qui nous isolait, croyions-nous, du monde. Ainsi nous n’étions pas seuls. Un autre, dans ce livre que nous tenons en main, avait écrit exactement et précisément ce sentiment qui nous étreignait jusqu’à l’étouffement.Sur le chemin escarpé et solitaire du deuil, l’expérience littéraire permet de « réélaborer du sens face à la mort de l’un des siens » et d’honorer le défunt en le commémorant.« La littérature ouvre aux mystères du vivant arc-boutés à la mort » écrit Myriam Watthee-Delmotte en ouverture d’un des chapitres de ce livre-bibliothèque qu’elle nous propose pour Dépasser la mort. Il fallait à la fois la sensibilité d’une véritable écrivaine, – on lui doit, entre autres, un opéra consacré à Verlaine – et l’érudition d’une inépuisable lectrice, pour mettre en évidence, à partir d’une souffrance intime, la consolation que nous offrent les livres face à la « béance du sens » dans laquelle nous abandonne la mort de l’autre.Comment ne pas achever cette recension d’un livre de livres, sans citer ces lignes de Béatrice Bonhomme écrites à la mort de son père, le peintre Mario Villani, et dont la fulgurance nous laisse sans voix, mais consolés de nos propres défunts : « Tu es posé sur l’étrangeté des mondes, dans le cœur dormant de la nuit, et les larmes coulent sur ton cercueil de neige, dans la dentelle de tes mains d’os et de pierre. »Nous voici donc moins seuls. Enfin. Jean Jauniaux C’est grâce aux mots que l’on cesse d’être seul face à la mort. Mais d’abord, ils manquent : quand la mort s’abat, elle abasourdit, elle frappe de mutité. C’est alors que les écrivains peuvent venir en aide et répondre au besoin de faire sens pour que quelque chose soit sauvé du gouffre. Face à la tombe, la littérature donne aux endeuillés une voix et le sentiment d’une communauté. Elle est ainsi au cœur de ce qui constitue le propre de l’homme, seul être vivant…