Auteur de La musique énigmatique
Poésie, nouvelles, romans, théâtre, essais, adaptations d’ouvrages dramatiques : l’œuvre de Gaston Compère écrivain jalonne la littérature de plus de soixante rendez-vous. Mais ce territoire connu de tous ne doit pas occulter un domaine plus secret, celui de Gaston Compère compositeur. Auteur d’un opéra en collaboration avec Paul Uy, Sarah, créé au Festival de Spoleto en 1989, de quatuors interprétés par le Quatuor Quadro ou d’autres pièces écrites « à la demande », Gaston Compère a renoué depuis une quinzaine d’années avec l’écriture musicale qu’il avait abandonnée à l’aube de ses trente ans. La Musique est toujours restée cependant une ardente préoccupation ; le volume qui vient d’être publié aux éditions La renaissance du livre…
La fiction postraciale belge : Antiracisme afrodescendant, féminisme et aspirations décoloniales
Si on oublie souvent que le racisme est une idéologie fluctuante, variable selon les cultures, les pays, les groupes sociaux…, on réalise encore moins que son pendant, l’antiracisme, n’est pas une valeur universelle (ce fameux universel, qui lui aussi pose bien des questions), intemporelle et détachée de tout contexte. Il suffirait pourtant, par exemple, de réunir des militant·es de la mouvance « Touche pas à mon pote » des années 1980 et des activistes décoloniaux d’aujourd’hui pour provoquer de vives discussions, mesurer l’ampleur du décalage idéologique alors que tou.tes aspirent à une société égalitaire. Mais quarante ans de recherche, de luttes, d’évolution de la société les séparent. Parmi ses nombreuses utilités, l’ouvrage de recherche de Sarah Demart , La fiction postraciale belge. Antiracisme afrodescendant, féminisme et aspirations décoloniales , a notamment celle de mettre à jour la façon belge de concevoir le racisme et l’antiracisme – d’autant qu’en Wallonie et à Bruxelles, la tendance reste forte de se référer à la tradition et à la réalité françaises pour interpréter les phénomènes culturels et sociaux. La singularité de notre racisme et de notre antiracisme s’explique autant par la complexité identitaire belge et le mode de nous (re)représenter, comme « petit pays convivial et sans ambition impérialiste » que par la réalité politique : Dans le contexte fédéral belge, l’antiracisme est une réalité difficile à définir. D’une part, il s’inscrit dans une politique plus large de lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des chances. D’autre part, la politique de l’égalité des chances est répartie entre différents niveaux d’intervention et domaines de compétences qui sont plus ou moins articulés entre eux. Avec la complexité de la répartition des compétences entre le fédéral, les Régions et les Communautés, on imagine assez facilement le travail que doivent déployer et les freins que doivent affronter les militant·es antiracistes qui souhaitent se démarquer de l’antiracisme mainstream (c’est-à-dire celui qui relève de la société civile et du secteur associatif subsidié) ou visent à combattre le racisme d’État.Sur le plan méthodologique, l’autrice concentre son étude sur la Belgique francophone et montre les effets négatifs de la fiction postraciale (dans le sens de création imaginaire , non dans son acception littéraire) sur les courants antiracistes. Dans cette fiction postraciale , la race n’a plus d’importance ou de réalité, le racisme relève d’attitudes individuelles sans lien avec le projet colonial historique des États européens ni avec les structures sociales. À partir d’une enquête de terrain de longue durée (2011-2019) dans les milieux militants et d’une réflexion théorique nourrie des textes fondateurs et des recherches internationales les plus récentes, Sarah Demart montre qu’une large part de l’antiracisme belge – qu’il soit « mainstream », d’État ou juridique – tend à minimaliser, voire à ignorer le racisme anti-Noir·es. Il invisibilise les revendications des milieux afrodescendants, délégitimise leurs associations, refuse aux populations racisées (c’est-à-dire soumises à une assignation raciale) une place pleine et entière « en dépit de leur inscription de longue date dans l’espace national belge, en tant que sujets (post)coloniaux » même s’il tend, ces dernières années, à s’ouvrir aux diasporas.S’il ne s’agit pas ici de discuter les arguments de cet essai, parfois aride et écrit selon les normes de l’édition universitaire, on peut toutefois affirmer qu’il constitue un outil précieux pour aider à repenser, voire à transformer les pratiques et les conscience politiques au sein des luttes militantes antiracistes belges. On ne peut que souhaiter qu’un jour, il soit adapté pour un public plus large. Michel Zumkir La fiction postraciale est l'idée selon laquelle le racisme est une affaire individuelle et/ou une idéologie relevant au mieux de l'aberration, au pire de l’extrémisme. Elle est ce qui fonde les pensées antiracistes dominantes et empêche de penser le racisme à partir du projet colonial des États européens et de la longue histoire impérialiste occidentale. Depuis maintenant plusieurs années, la fiction d'une ère postraciale fait l'objet de virulentes contestations, eu égard à l’ignorance et au déni dont elle procède. Cela se traduit par une fracture profonde dans l’antiracisme : quelle place accorder au racisme anti-Noir·es et au colonialisme dans les politiques européennes de lutte contre le racisme ? À partir du cas particulier de la Belgique francophone et d’une ethnographie de longue durée au sein des milieux militants (2011-2019), cet ouvrage examine de manière fine les conditions de possibilité d’un antiracisme afrodescendant. Les différentes conversations antiracistes qu’engage la reconnaissance du racisme anti-Noir·es sont ainsi examinées à plusieurs niveaux : microsocial (rapports interpersonnels), mésocial (organisations) et macrosocial (cadre institutionnel et politique). Elles sont restituées à l’appui d’une sociologie critique nourrie par les épistémologies féministes, noires et postcoloniales/décoloniales et par l’étude de l’ignorance et de la race. Elle est ce qui fonde les pensées antiracistes dominantes et empêche de penser le racisme à partir du projet colonial des États européens et de la longue histoire impérialiste occidentale. Depuis maintenant plusieurs années, la fiction d'une ère postraciale fait l'objet de virulentes contestations, eu égard à l’ignorance et au déni dont elle procède. Cela se traduit par une fracture profonde dans l’antiracisme : quelle place accorder au racisme anti-Noir·es et au colonialisme dans les politiques européennes de lutte contre le racisme ? À partir du cas particulier de la Belgique francophone et d’une ethnographie de longue durée au sein des milieux militants (2011-2019), cet ouvrage examine de manière fine les conditions de possibilité d’un antiracisme afrodescendant. Les différentes conversations antiracistes qu’engage la reconnaissance du racisme anti-Noir·es sont ainsi examinées à plusieurs niveaux : microsocial (rapports interpersonnels), mésocial (organisations) et macrosocial (cadre institutionnel et politique). Elles sont restituées à l’appui d’une sociologie critique nourrie par les épistémologies féministes, noires…
Plaisirs Suivi de Messages secrets : entretiens avec Patricia Boyer de Latour
Le doute, la mémoire, l’amour, le double, Venise, la musique, les Primitifs flamands, les visages, les miroirs, la Belgique… autant de portes d’entrée du voyage qui mena Dominique Rolin et Patricia Boyer de Latour à tisser un ensemble d’entretiens réunis sous le titre Plaisirs. Dès 1999, bien après Les marais, Le lit, La maison la forêt , Le corps, Les éclairs, à l’époque où paraissent des œuvres majeures comme La rénovation, Journal amoureux , débute une série d’échanges placés sous le signe de « la promenade dans un jardin » (Rolin), le jardin Rolin dont les fleurs s’appellent le doute, la passion, l’enfance, l’écriture comme « investissement total de l’être ». Une des lames de fond de l’univers existentiel et créateur de Dominique Rolin, sur laquelle elle revient sans relâche, a pour nom le doute. Non pas un doute cartésien qui, s’hyperbolisant, accouche d’une certitude irréfragable, mais un doute énergisant, qui, sans se convertir en conviction ferme, transmue la peur en force mentale. En dépit d’une irréconciliation avec soi, du démon de l’inquiétude, des « mouvements noirs » d’une enfance marquée par un père qui la rejette, l’écrivain et dessinatrice tire de sa dualité une vocation à l’allégresse. « Je vis en permanence sur deux niveaux : il y a l’extrême bonheur de vivre, et l’extrême peur de vivre ». Au fil des entretiens, Dominique Rolin exhume les alluvions de l’œuvre, les nappes phréatiques qui l’impulsent : les territoires de l’enfance à Boitsfort, de la forêt de Soignes, la fibre mystique, les sortilèges du rêve et de la surréalité, la fascination pour Breughel, Vermeer, Rembrandt, les élans oniriques des Primitifs flamands et la passion inouïe, éternelle qui la lie à Philippe Sollers… Lire aussi : Sollers-Rolin : une constellation épistolaire (C.I. n° 201) Art de vivre, l’écriture est inséparable de l’amour, consubstantielle à la présence de l’Amoureux, Jim/Philippe Sollers qui la sauve, qui « l’embryonne » (Sollers), qui lui ouvre leur port d’élection, Venise, et les vertiges de la musique. La découverte du jazz, de la musique classique, la révélation de la lumière australe, des canaux de la Sérénissime surgissent comme des expériences qui transforment la pratique de l’écriture. Abordant la littérature sous l’angle d’un laboratoire de vie, Dominique Rolin écoute, capte les phénomènes qui relancent son souffle de liberté. Transie par le temps, la substance de l’écriture est celle des transformations, des métamorphoses, des renouvellements formels, sensitifs, conceptuels. « Ma rencontre avec Jim [Philippe Sollers] a complètement transformé mon écriture. Écrire et tenir le coup, c’est se laisser secouer sismiquement par tous les événements extérieurs et toutes les évolutions intérieures qui en sont la conséquence. Il faut l’exercice d’un talent cru, le sens du rêve… ». Lire aussi : notre recension des Lettres à Philippe Sollers 1958-1980 Les textes qui composent Messages secrets ont pour origine les entretiens réalisés par Patricia Boyer de Latour entre 2007 et 2009. Celle qui vivra presque un siècle (1913-2012) entre alors dans sa nonante-quatrième année. Méditations sur la sur-vie, sur l’après-vie, sur les songes, conversion à la foi, coexistence proustienne du présent (l’appartement le « Veineux » rue de Verneuil à Paris) et du jadis (la maison d’enfance à Boitsfort), ces textes condensent une métaphysique de la sensation, une phénoménologie des existants. Ils explorent l’écriture comme expérience intérieure proche du sacré, évoquent les amours avant Sollers — Robert Denoël, Bernard Milleret —, les extases artistiques — les Mémoires de Saint-Simon, Breughel l’Ancien —, les amitiés avec Violette Leduc, Raymond Queneau, Roger Nimier ou encore l’attirance pour les escaliers en tant que passages du temps et lieux secrets. « La forêt des mots » que Dominique Rolin planta, de livre en livre, s’offre comme la prolongation de son amour pour les forêts de sa jeunesse. Ces forêts que, pris dans une spirale suicidaire, le XXIème siècle massacre, ces étendues boisées qu’on assassine, provoquant l’effondrement irréversible de la biodiversité, l’auteur de L’infini chez soi, L’enragé (sur Breughel) , Les géraniums les vénère avec la lucidité de qui sait qu’il n’y a monde que dans l’alliance entre les formes du vivant et que la disparition de la richesse des espèces animales et végétales prélude à notre anéantissement. Une ville est l’œuvre des hommes, mais les arbres… Ils donnent de la sève aux immeubles, aux rues et à cet environnement qui sans eux serait coupé de son âme. Nous devrions leur en être éternellement reconnaissants […] J’ai été élevée dans cet amour des forêts et je me souviens très bien de mes premières sensations, de mes premiers rêves et de mes premiers contacts liés à cette nature ombreuse,…